V

Mon brave homme de pêcheur se nomme Thadéthapi Perséh et il vit chichement, malgré ses pêches miraculeuses, dans une maison de torchis mal torché située dans les faubourgs de la ville des roses.

Ispahan est une espèce d’immense oasis posée dans le désert ocre. Sa bonne fortune provient de l’eau qui y ruisselle abondamment. On y cultive des fruits, de la vigne, du tabac et du coton ! Ses melons sont les meilleurs de tout l’Iran, c’est ce que m’explique Thadéthapi en pilotant un incroyable véhicule né du mariage d’un triporteur et d’une vespa. Je suis accroupi sur le plateau de l’engin, tenant le seau à truites entre mes jambes. On déferle dans un nuage d’huile épuisée le long d’un interminable caniveau boueux où des dames voilées lavotent des guenilles et près duquel roupillent des zigs que la chaleur déguise en lézards prostrés.

Dans la pétarade effroyable de la machine, je fais le point de la situation. Elle me paraît abracadabrante, soit dit entre nous et le minaret du coin. Ainsi la fille qui me conseilla de faire le mort n’obéissait donc qu’à un seul souci d’humanité puisqu’elle n’a pas essayé de me récupérer après qu’on m’eut balancé du pont.

Étrange, non ? Presque autant que cette histoire du Grand Juste à laquelle j’entrave que pouic.

Je me fais tout mignard dans le triporteur, appréhendant d’être vu de mes ex-tourmenteurs. C’est pas tellement grand, Ispahan.

Pourtant on parvient chez l’ami Thadéthapi sans que rien d’insolite ne se soit produit.

Sa crèche est tarte, mais la gonzesse qui s’y active, mes gueux, est belle comme le jour du couronnement !

Ah ! la sublime apparition. Ah ! l’émoi intense qu’elle vous branche dans tous les centres nerveux ! De quoi réclamer sa naturalisation iranienne, mes amis. Plus j’en rencontre, des gerces, dans ce bled, plus elles sont baths. Je savais pas que ça existait, une couleur de cheveux pareille ! Vous en avez déjà vu, vous autres, des brunes-rousses ? Je charrie pas, mes petits gorets, cette môme est certes brune tout en étant bel et bien rouquine. Question de lumière. Selon ses évolutions d’ombre à soleil, elle est tantôt noire tantôt auburn.

Joignez à ça une carnation d’ambre, des lèvres naturellement rouge vif et des yeux verts et dites-vous que si ce délicat sujet ne vous fait pas caracoler Popaul, c’est que vous avez les joyeuses fanées à jamais, déliquescentes, fondues ! Moi, de découvrir la belle enfant, dans sa robe noire qui la moule, avec ses formes conçues par les frères Montgolfier, j’en ai les membranes qui trépignent, la menteuse qui se colle au palais et les mollets qui font la pâte.

— Votre femme ? bégayé-je.

— Ma fille ! rectifie le pêcheur.

— Vous faites très jeune, complimenté-je, histoire de l’amadouer pour le cas où mon regard collé sur sa fille plus étroitement qu’une rustine sur une chambre à air le désobligerait.

— J’ai tout de même vingt-deux ans de plus que Vahi-Palpélzizi, soupire mon hôte.

Il n’a pas cassé la moindre broque à sa môme que déjà elle s’avance avec deux tasses de thé chaud sur un petit plateau de cuivre.

Thank vou, miss, gazouillé-je en lui octroyant mon œillade veloutée 138 bis.

Elle ne bronche pas, n’a pas un regard, pas le moindre frémissement. M’est avis que votre cher San-A. s’est défoncé la rétine en pure perte.

— Ma fille ne parle pas l’anglais, explique Thadéthapi, en classe elle a choisi le français comme seconde langue, aussi m’obligeriez-vous si vous vouliez lui parler dans le dialecte du général de Gaulle !

— Volontiers, m’empressé-je, mais vous savez, moi je ne parle que le français usuel, puis, me tournant vers la ravissante enfant, je lui demande :

— Alors c’est vrai, je vais pouvoir vous dire que vous êtes belle dans ma langue maternelle ? Je vais pouvoir vous exprimer mon admiration sans chercher mes mots ? Vous comparer à l’aurore sans redouter un barbarisme ? Vous expliquer que mon cœur s’affole à votre contact sans risquer d’être pris pour le docteur Barnard ?

— Yes ! Yes ! encourage le père ! Very well, sir ! Again !

Les pères sont toujours ravis lorsqu’un type fait du gringue à leur fille dans une langue qui leur échappe, presque autant que les maris dont on baratine les bourgeoises. Fort de son assentiment, je déballe le grand jeu à Vahi-Palpélzizi. Je tantésibiente que la môme, bouleversée par cette tornade rose, s’en met à trembler comme une centenaire parachutée en Terre Adélie vêtue d’une seule feuille de vigne.

Après que je lui eusse bien fait sentir ma flamme et déballé tous mes madrigaux d’exportation, je me penche enfin sur mon propre cas qui, sans être désespéré, n’en est pas moins de toute beauté.

— Je voudrais téléphoner, dis-je à Thadéthapi.

Je lui demanderais de me procurer douze testicules de moustique en brochette ou une capsule Apollo, il ne pousserait pas une bouille plus décontenancée.

— Téléphoner, bredouille-t-il. Où ça ?

— À Téhéran !

Il répète en plantant tout autour du nom une barrière de points d’exclamation :

— À Téhéran ! ! !

— Pourquoi, fais-je, ça pose des problèmes ?

Il branle son chef embonnetté.

— Ça va demander très longtemps.

— On n’a pas encore posé de ligne téléphonique à Ispahan ?

— Si, mais…

Soudain son visage s’éclaire.

— Il y a un endroit, assure-t-il. Oui, il y a un endroit : l’hôtel Châh Abbâs. Là, vous pourrez téléphoner à Téhéran et avoir la communication dans la même journée, sir ! Moi, je dois livrer ma pêche, mais ma fille va vous y conduire.


L’avantage avec les costars ultralégers, c’est qu’ils se remettent bien d’un bain forcé et qu’on a l’habitude de les voir extrêmement froissés sur le dos des touristes américains. Aussi ne fais-je pas sensation en franchissant le porche du Châh Abbâs, qui est sans aucun doute l’un des plus beaux hôtels du monde. Cet ancien palais revu et corrigé par des promoteurs que la chaîne Hilton empêchait de dormir occupe tout un quartier. Il entoure un immense jardin, plein de pelouses verdoyantes, d’arbres exotiques, de massifs de roses et de pièces d’eau dont le murmure (vous remarquerez que l’eau « murmure » lorsqu’elle a une mission décorative à remplir) accroît la précieuse fraîcheur des lieux.

L’employé de la réception examine mon passeport détrempé.

— Je crois que vous avez beaucoup transpiré, n’est-ce pas, Excellence ? déclare-t-il en me le rendant.

— Énormément, conviens-je. Nous sommes sudatifs de père en fils dans ma famille.

— Nous vous avons retenu la chambre 69, déclare-t-il.

— Comment ça, vous m’avez retenu la chambre 69, bredouillé-je.

— Selon les instructions de l’Agence de Téhéran, sir. Elle est située au rez-de-chaussée et donne directement sur le jardin. Où sont vos bagages ?

— Chez un ami qui me les fera livrer dans l’après-midi, réponds-je avec l’aplomb que vous me savez.

Là-dessus je lui allonge le talbin propitiatoire. Il l’escamote comme un candidat à la présidence escamote une question embarrassante, puis fait signe à un mec en uniforme.

Le pays des mirages, je vous dis ! Voilà qu’on m’a retenu une chambre dans un hôtel dont j’ignorais l’existence ! Quel pastaga, ma doué !

— Accompagnez monsieur ! lui enjoint-il en fârsî, ce qui est une manière comme une autre d’enjoindre, si l’on veut bien y réfléchir.

— Bon, eh bien ! je vous quitte, murmure ma ravissante compagne, avec tellement de regrets dans la voix qu’on aurait envie d’emprunter une voiture à bras pour l’aider à les charrier.

Elle regarde autour d’elle admirativement, éblouie par le luxe, les draperies, les dorures, et les photos de la famille impériale tapissant le hall. Vous pensez : le Châh Abbâs, elle ne l’avait vu que de l’extérieur jusqu’à présent. Elle ne pensait pas avoir un jour l’opportunité d’y pénétrer[5].

— Vous avez le temps ! protesté-je. Vous ne voulez pas jeter un coup d’œil aux appartements ? Je les pressens féeriques, vous savez !

Elle hésite.

— Je crois que ça ne serait pas correct, soupire-t-elle d’un ton qui en dit long sur son regret des convenances.

— Ah ! ça, m’emporté-je, pour qui me prenez-vous, ma jolie ? Pour un cosaque ivre ? Vous allez prendre un verre avec moi pendant que j’attendrai ma communication. À propos, lancé-je à l’employé qui cache mal son intérêt pour le débat, demandez-moi le Hilton de votre fabuleuse capitale. Vous aurez une gratification de monarque si vous réussissez à me l’obtenir avant l’ouverture des prochains jeux Olympiques.

Sur cette promesse, j’empare l’aileron de Vahi-Palpélzizi et l’entraîne sur les talons du loufiat galonné.

La chambre est haute de plafond et basse de plancher. Un appareil à air conditionné y zonzonne doucement dans une pénombre suave. Je retapisse avec intérêt les deux lits, le canapé dans le recoin, moelleux comme un dargif de couturière, l’entassement de tapis qui invite à des débats à ras de terre, la corbeille de fruits sur la commode ainsi que la cruche de cristal pleine d’eau et de glace.

La fille du pêcheur se fige, éblouie, dans l’entrée. Elle n’a d’yeux que pour la salle de bains, pièce insolite pour quelqu’un qui a vécu jusqu’alors dans une masure de terre battue ; pièce fascinante ! Magique ! Barbare, aussi. Elle y pénètre comme le miraculé de frais sort de l’onde guérisseuse sur des jambes ci-devant paraplégiques.

— Qu’est-ce que c’est que ceci ? demanda-t-elle dans son français laborieux mais gazouillé.

— Une baignoire, mon enfant. Cela s’emplit d’eau et l’on s’y plonge entièrement pour se laver.

— Et ceci ?

Ah ! le délicieux petit chaperon rouquinos ! Rien n’est plus émouvant que la curiosité d’une fille ignorante lorsque cette dernière est jolie.

— Un bidet, mon cœur.

— À quoi cela sert-il ?

— À prendre le contre-pied de certaines choses. Si vous voulez me consacrer un peu de temps je vous en enseignerai l’usage aussi bien que le ferait un professeur de bidet affecté à une institution de jeunes filles. La chose que vous apercevez là fait pleuvoir sur votre tête une averse tiède ou froide et se nomme une douche. Voulez-vous en prendre une avec moi ? C’est la coutume de mon pays. Dès qu’un monsieur reçoit une dame, il lui offre la douche de bienvenue car le verset 707 57 49 de notre Coran à nous dit ceci, je cite de mémoire : « Si tu as un beau culte, tiens-le propre. »

« Voulez-vous accepter la douche de l’amitié, chère Vahi ! »

Elle veut, en toute naïveté, si bien qu’en un peu moins de pas longtemps nous voilà à poil, elle et moi, sous le pommeau de la douche.

Je vais vous faire un aveu, mes petits cancrelats : la perfection coupe les effets du cérébral, alors qu’elle stimule ceux du connard. Le connard, à la vue d’une déesse, il s’écrie in petto : « Oh ! le beau eu… ! Oh ! le beau c… ! Oh ! la belle c… ! Et ça lui triquetuche le vasymaseringue. Tandis que l’imbécile cérébral, lui, à la vue de la même déesse (21) il évoque la Vénus de notre regretté camarade Milo, il pense à la Diane Sécheresse ; à une Danaïde penchée sur la question des tonneaux. Il s’écarte du sujet au grand dam de ses attributs. Moi, de mater des seins aussi durs, de frôler des hanches aussi marmoréennes, de dévaler mon regard sur une chute de reins aussi vertigineuse, au lieu de m’enhardir le goumi, ça me transporte le mental. Je me crois plus au musée qu’à l’alcôve ! Sottise ! Heureusement que j’ai affaire à une pure jouvencelle ignorante de la chancetication des volumes chez le mâle humain. Ma tranquillité lui paraît normale. Rassurante en tout cas. Mon calme ressemble à de la politesse. Je sais des nanas que je vais décevoir en avouant le ci-dessus. Que j’ai pas habituées à de tels relâchements ! Qui me considèrent comme le maître étalon ! Qui ont foi en ma braguette magique ! Me prennent pour l’enfanteur Merlin ! Le merlin de service ! Je paume probablement des clilles, mais la franchise avant tout ! Ma faute si je suis un esthète ?

Non, mesdames, non, mes demoiselles ! J’ai l’œil artiste, voilà tout ! La sensibilité super-délicate ! et puis on a tout le temps de concupiscer ! D’ailleurs ça ne se fait point attendre. À peine j’ai aidé Vahi-Palpélzizi (je sais pas où ils vont chercher ces blazes, les Iraniens) à enfiler un peignoir de bain jaune citron, que la goderie me prend, sauvage ! Tas jamais vu une déesse en peignoir, non ? Crois-moi, ça redevient une gonzesse. À mater ses jambes nues et sa moulinette à crinière par les échancrures il me vient des émois prodigieux. Des transes silencieuses, des picoutis, des tricotins, des godanches sombres, des tendresses piaffantes. Je me mets à penduler vilain. À métronomer à tout berzingue. Je lance un défi à la race chevaline ! Faut dire que ses tifs bruns-roux collés sur son visage ajoutent à la sauvagerie de la fifille. Plus moyen de me retenir, mes trognons ! De me déconseiller l’attaque façon perle à rebours. Je la cramponne en piqué, Vahi. À la rapace ! Vlazoum ! Les serres en train d’atterrissage sorti ! Ploff sur les roberts à Mam’zelle ! Le marbre à côté ? Du caramel ! Mou ! De la chique essorée ! On s’y ferait des bosses contre, parole ! Je la malaxe terriblement, en Cupidon cupide ! Je la vorace toute de ma frénésie ! J’aimerais la becqueter nature ! Elle a une réaction de tigresse ! Les griffes en avant ! J’en prends plein la poire ! Labourage et pâturage contre les deux mamelles de l’Iran ! Ça me brûle, ça saigne ! Ah, la gueuse ! Mon désir s’en accroît. Je la recharge et la crambuche au moment qu’elle atteignait la lourde pour une fuite qu’aurait rien ajouté à mon standinge. La ceinture net ! L’arrache à la poignée. La fait pirouetter ! Une brassée de panthères et couleuvres mélangées, mes frères ! Me faut conjuguer toute mon énergie pour la ramener au centre de la chambre. À ce stade c’est du viol ! Appelons les choses par leur nom. Elle gigote tellement furieusement que j’ai l’impression de coltiner de l’électricité à bras-le-corps. Une plume, vite ! Voilà, merci ! Je la déséquilibre contre, m’abats sur elle. Je l’aurai à l’asphyxie ! Aux grandes mômes les grands remèdes ! Jamais chipoter sur la méthode. Bon, qu’est-ce que je voulais lui faire ? Ah, oui : sa bouche. Elle a beau tourniquer la tronche, de droite à gauche et vice versa, je parviens à plaquer mes lèvres sur les siennes. Elle se crispe farouchement. Impossible de lui planter la menteuse dans le gobe-mouches. Je me bile pas. Faudra bien qu’elle respire un jour ou l’autre, hein ? Le nez c’est vite insuffisant lorsqu’on étouffe. Au grand air, déjà, il s’annonce défaillant, alors quand on est à la renverse avec un garnement de cent cinquante livres sur le baquet, vous parlez qu’il n’arrive plus à suivre le train ! Effectivement, après quelques ruades bien senties, Vahi déboulonne son clapoir. J’en profite pour m’y précipiter. Ça ne lui guérit pas l’étouffement mais ça la commotionne. La bisouille française réussit toujours son petit effet lorsqu’elle est pratiquée par un technicien. Tout en lui parlant dans la bouche, je la dépeignoire ce qui n’est pas duraille. Ensuite, de quoi, je la désescalade de la glotte. Y a des bergères, quand vous venez de les passer à la casserole, vous n’avez pas l’impression d’avoir gravi la face nord des Grandes Jorasses. Eh ben, avec Vahi, si ! Un exploit ! Je deviens le Bonati de l’amour ! Moi, mes amis, je pars du principe qu’avec la langue on arrive à bout de toutes les difficultés, qu’on soit homme politique ou tombeur de gerces. La preuve : elle regimbe de moins en moins fort, ma douce proie. Elle se soumet à la dure loi du bonhomme en rut. Je l’émoustille tellement, à travers ses soubresauts qu’elle est bientôt amollie de langueur (c’est pas français, mais je vous enguirlande). Elle a si peu de force qu’elle parviendrait même pas à exécuter le lancement du poids avec une balle de ping-pong. Je lui pratique la grande bavasse (une armée sécrétée), puis le papillon ébloui (ma dernière). Un petit coup d’exotisme brésilien avec papaye aime ma mangue, et Vahi ne se rappelle plus si le Châh actuel est un grand Viking blond ou un petit Chinois vert. Elle roucoule. J’adore les tigresses en pâmoison. Enthousiasmé j’opère son grand déberlingage d’été. On est en plein délire lorsque le bigophone gratouille. Hagard et tâtonneur je décroche.

— Vous avez Téhéran, Excellence ! m’annonce le réceptionnaire.

Avoir Téhéran en un pareil instant, mes fieux, c’est la pire chose qui puisse arriver à un homme. Ce serait le Vatican ou la Maison-Blanche que j’aurais idem envie de vous les coller au train (au train où vont les choses). Rendez-vous compte de ma situation ! Elle figure dans le livre rouge des trente-six positions. Vous la décrire nous amènerait directo à une quelconque interdiction de quelque chose. Vous savez tous à quel point ils sont vicelards en haut lieu ? Enfin toujours est-il, pour vous résumer le topo, qu’il y a entre Vahi et moi, le même lien qu’entre un réservoir d’essence et une pompe pendant qu’on procède au plein. En plus ça se complique d’entrelacs (en Suisse Interlaken) effarants de membres. Pour décrocher, faut que je lui mette la jambe gauche à la verticale et encore le fil du bignou se déguise-t-il en fil à couper le beurre, vu qu’il semble cisailler une motte. Heureusement que je connais le secret d’exprimer à mots couverts, hein ? D’autres, moins nuancés, qui se lanceraient dans le réalisme, finiraient par choquer le pignon public, à force. Tandis qu’avec votre San-A., vous êtes parés. Vous pouvez le cloquer entre toutes les mains, à condition que celles-ci soyent assez larges pour l’attraper.

— Ici Royal Hilton, j’écoute ! fait une voix un tantipeu chantante.

— Je voudrais parler à M. Alexandre-Benoît Bérurier, chambre 634, dis-je.

— Un moment !

Je profite de la courte période de répit téléphonique pour maintenir Vahi en état de grâce par quelques mouvements méthodiques, extrêmement lents et lubrifiés. Elle les accepte et m’aide même à les exécuter. La plus totale harmonie règne désormais entre nous, comme vous le voyez.

— Allô !

— J’écoute !

— Bérurier n’est plus à l’hôtel, déclare la voix indifférente de l’Hiltonien téhéranais.

— Quoi ! glapis-je, ou plutôt croassé-je.

— Il a réglé sa chambre voici quelques heures !

Je m’effare.

— Mais où est-il allé ?

— Je l’ignore, monsieur.

— Il n’a pas laissé un message au nom de San-Antonio ?

— Je vais voir…

Pour le coup je ne pense plus à colmater les brèches de ma copine Vahi. J’attends avec l’anxiété qu’on devine (quand on est pas trop c…) le retour du préposé. L’homme a posé le combiné et je perçois la rumeur du hall : musique douce, chuchotis de conversations, etc. Tout à coup, une voix familière éclate, toute proche de l’appareil. Pas d’erreur, c’est bien l’organe tonitruant du Gravos.

— Tu peux pas faire gaffe à la valoche, quoi merde, nom d’Dieu ! beugle l’infâme à l’adresse d’un bagagiste Suppose que je transporterais des verres de lampes, hé, frise à plat ? Si t’es pas cababe de coltiner une valise, fais de la quarelle, mon pote ! En tout cas je porte à ta connaissance que pour le pourliche t’iras le réclamer à mon ami Plumeau !

Je bondis. Si brusquement que je déconnecte.

— Allô ! Allô ! Allô ! bous-je.

— Aucun message, monsieur ! affirme le préposé.

En fond sonore, très présente, la voix du Dodu continue de houspiller.

— Attendez, je m’égosille, près de vous, il y a un monsieur avec un bagagiste, n’est-ce pas ?

— C’est exact, s’éberlue l’autre, surpris de ne pas avoir été prévenu que l’Iran possédait le téléphone télévisé.

— Il s’agit de M. Bérurier, passez-le-moi !

— Mais…

— Je vous dis que je reconnais sa voix ! Passez-le-moi tout de suite !

— Très bien !

Je l’entends qui hèle mon pote.

— Pour vous, monsieur ! fait-il en probablement lui tendant l’appareil.

— Allô ? lance une voix, who is are vou ?

— Béru ! m’écrié-je, c’est moi, San-A. !

La voix ne se départ point d’un calme stupéfait.

— Ma qué yé souis le signor Antonio Quilézouli agente général dé lé établissaments Bézpala-Bézoli.

— Tu te fous de moi, dis. Grosse pomme !

— Comment zé mé fous ! s’indigne la voix. Qui cé qui l’est à l’appareil, d’abord ?

Je vais pour répondre lorsqu’il se produit un fait nouveau. Le noble organe de Sa Majesté éclate, plus présent qu’auparavant, tandis que mon interlocuteur continue de questionner. Force m’est de me convaincre que mon Gros complice (ou qu’on peut ne pas plisser) ne se trouve pas au Hilton de Téhéran, mais bel et bien au Châh Abbâs d’Ispahan. Alors là, les bras m’en tombent, et le combiné par the same occasion. Vahi qui n’a pas dépâmé croit qu’il s’agit de ma partie la plus virile et se donne un coup de téléphone en P.C.V. pendant que votre brillant San-A. se précipite fougueusement dans le couloir.

— Béru ! m’écrié-je.

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