VI

Il en reste comme une nuée de ronds de flan, le Mastar.

Juste au moment qu’il allait passer le seuil de la chambre voisine ! Il s’arrache les lunettes à verres fumagas pour ne pas opposer le moindre obstacle entre sa rétine et la réalité.

— Toi ici ! Et à poil ! murmure-t-il.

Puis, se tournant vers la personne qui l’accompagne, il soupire :

— Non mais, do you rendez compte, darlinge ?

Ce dont je conclus que la dame accrochée à son bras gauche est anglo-saxonne pour le moindre ou anglaise pour le pire.

Drôle de mémé ! Un cheval ! J’ai pas dit jument, notez-le mais cheval. Elle dépasse le Dodu de la tête. Elle a un cul haut perché, carré, tanguant, bourreleux, infirmiteux. Des jambes comme des pylônes à haute tension. Une frime plâtreuse de pierrote, des mains de catcheur, une poitrine comme deux séchoirs à cheveux ou comme deux tiares pontificales (au choix ; c’est pareil !). Elle porte une jupe de cheftaine scout. Un chemisier blanc orné de larges auréoles aux aisselles, des bas de coton, des souliers plats et un sac à main dans lequel on pourrait transporter dix kilos de pommes de terre, six chaises de salle à manger, une voiture d’enfant, un poste de télévision, les œuvres complètes de M. Jules Romains, une contrebasse à corde et un auto-stoppeur. Aimable conquête, vous en conviendrez. Et si vous refusez d’en convenir allez vous faire disloquer le fondement chez les Hellènes.

En découvrant un homme nu dans le couloir, elle se voile la face (sa main lui permettrait de voiler la face cachée de la lune) mais en écartant les doigts car elle a eu le temps de comprendre que le spectacle en vaut la peine (je connais au moins onze mille dames susceptibles de vous le confirmer).

— Qu’est-ce que tu fous-là ! disons-nous avec un absolu synchronisme, le Gros et moi.

— C’est toute une histoire ! répondons-nous encore.

— Raconte, poursuivons-nous derechef.

Ma position s’avérant précaire de par mon costume, je prends le parti d’entrer dans la piaule du Mastar pour y poursuivre cette agréable conversation.

Le bagagiste naguère houspillé est là, qui attend son pourliche entre deux valises. En découvrant un homme nu, il se met à reculer, terrorisé.

— T’as pas un peu de monnaie, sur toi ? me demande Béru. C’est une cloche, mais faut que tout le monde vive…

J’écarte les bras de mon corps dévêtu.

— Tu me prends pour Papillon qui portait son larfouillet dans l’intestin, Mec !

— Oh ! excuse…

L’arrivant s’adresse alors à sa camarade.

— Ave-you a litel mornifle, mon petit cœur ?

Joignant le geste à la question, il lui biche le réticule et se met à y batifoler sans vergogne. Il en extirpe un fer à friser électrique, un transformateur de courant, un tricot en cours, la bible, une pompe à vélo, un râtelier de rechange, un face à main, la photographie de feu Winston Churchill, un guide du Moyen-Orient, un ouvrage de Mme Agaga Christie, un teckel à poil ras naturalisé, une bouteille d’eau de Cologne, un tabouret pliant, un passe-thé, une pastèque, un pasteur peint sur ivoire, un sabot de Noël (tu trouves ça beau, Denoël ?) et une espèce de matraque en caoutchouc, renflée d’un bout et terminée de l’autre par deux fortes boules, son usage précis m’échappe, mais la chère femme doit forcément en user lors de ses déplacements, une Britannique se devant de n’emporter en voyage que le strict nécessaire.

Alexandre-Benoît finit par trouver l’effigie de Mme Élisabeth Deux sur une pastille de bronze et la remet au martyriseur de valises en ponctuant l’offrande d’un geste péremptoire vers la porte.

— Bon, je manque à toutes mes inconvenances, déclare le Radieux, que je te présente Mistresse Caroline Bitalaviock, dont j’ai eu l’honneur de rencontrer dans l’avion. C’t’une femme charmante, veuve en tant que surcroît, et qu’a accepté qu’on fasse chambre commune pour écraser les frais.

Puis à la dame :

— My dear Caca, je vous présente mon ami San-Antonio que j’ai eu le plaisir de vous causer en cours d’avion.

La personne se dévoile le regard pour me tendre sa dextre pudibonde. Je la lui serre, puis me ceins d’un couvre-lit.

— Elle jaspine mollo le françouze, m’avertit Béru, on peut causer peinard. J’y ai fait la main baladeuse dans le zinc, ce qui m’a eu l’air de l’éblouir. M’est avis, vois-tu, que ça doit être du sujet d’élite. Ça cache son jeu, mais au pucier doit y avoir du répondant. Un machin pareil, je te la corde, c’est duraille à manœuvrer. Seulement faut pas se laisser démonter par l’aspect artillerie lourde de Caroline. Ces grands percherons, une fois que t’es grimpé dessus, t’as plus qu’à dire « hue » et y t’emmènent au petit trop dans les extases.

— Merveilleux, conviens-je, tu as toujours opéré les levages du siècle, Gros. Maintenant raconte…

— Je serai brèfle, avertit-il.

Il cligne gentiment de l’œil à sa conquête.

— My dear darlinge, lui dit-il, pendant que je speak with mon pote, open donc the bagages et cloquez vos fringues dans les wonderfull placard que vous lookez this.

Elle est docile, la mère Bitalaviock. Elle nous virgule un grand rire en trente-deux touches et se met à déballer sa garde-robe, spectacle qui mènerait à l’infarctus n’importe quel couturier parisien.

— Hier, attaque la Gonfle, après que je t’eusse quitté, j’ai été déguster des Pim’s à l’Hilton, une plombe plus tard, Prof et l’autre gugus sont rentrés. Je m’ai étonné de ne pas te voir sur leurs talons. Ils ont pris congé de leur guide et ont foncé au bureau de voyage qui se trouve près des ascenseurs. Moi, tu me connais ? L’oreille traînante, la mine innocente, toujours. Je m’ai mis à draguer dans le secteur et j’ai entendu qu’ils retenaient deux places d’avion pour Ispahan cet après-midi, ainsi que deux chambres dans l’hôtel ci-joint. Dès qu’ils ont eu tourné le dos j’ai pris également deux places d’avion, mais pour le vol précédent vu que le leur était complet…

— Et tu as réservé également deux chambres au Châh Abbâs ?

— Fallait bien que je prisse des initiatives en ton absence.

— Dont l’une à mon nom ?

— Ben, évidemment. Je croyais que t’allais rentrer d’une minute à l’autre, j’ai passé une nuit bleue, mon pote. À écluser des godets dans le hall, les yeux fixés sur la lourde. Au matin, j’savais plus quoi fiche, mais je m’ai décidé à venir seul, le boulot avant tout. Alors j’ai laissé une lettre explicative ainsi que ton billet sous ton traversin et je m’ai embarqué. Voilà le topo.

— Si bien que nos deux gredins sont toujours à Ispahan ?

Il mate sa breloque.

— Erreur, mon pote. À l’heure que je te cause, ils survolent le grand désert salé. Leur zinzin doit se poser ici dans une petite demi-heure.

— Très bien, on va les accueillir, décidé-je.

Sa Majesté renfrogne du pif.

— Si ça t’ennuierait pas, vas-y seulâbre, mon mec, murmure-t-il, pour ma part, en ce qui me concerne, j’aimerais bien jouer le Repos du Guerrier à la Bergère avec la petite médème ci-après. Tu sais que les voyages portent aux glandes. J’ai hâte de lui stimuler les anticorps. Seule, avec la chaleur, elle doit vachement carboniser de la cressonnière, Caroline, je pressens. Aussi je te vas lui déballer ma féerie iranienne. Pas vrai, ma Caca ? lance-t-il au tombereau de plâtre. Puisqu’on est à Ispahan, tu y auras droit à la pluie de roses, grande carne ! Je te le ferai fumer ton big dargiflard, ma colombe ! Que tu m’as chauffé à blanc, radasse, à tortiller ton piège à zifolette sous prétesque de remiser tes harnais, dis, violeuse !

Ses yeux s’exorbitent tant et plus. De la mousse s’accumule aux commissures de ses lèvres. Sa voix devient rauque. Une vaste couperose l’empourpre comme le soleil couchant embrase l’horizon. Il a les doigts qui griffent l’air, Béru. À vide. Avides ! Son gaz carbonique lui dilate les naseaux. Un vrai taureau, mes chéries ! Une bête, en somme. De somme ! Il va la cosaquer à outrance, la grande Angliche, mon gros père. Lui ébranler le châssis. La tuméfier toute. La couvrir d’horions.

D’ailleurs il le dit pour se calmer l’impatience. Il lui promet le coït comme un censeur promet des sanctions. Il cause entre ses dents, Alexandre-Benito. Crachant ses mots comme des pépins de raisin. Les saucissonnant en gutturales syllabes. Sa tendresse est parente de l’invective. Amour égale fureur, pour lui. Chez les grands mâles c’est toujours du kif : le désir s’étend sur un lit de rage.

— Me regarde pas commak, grosse bourrique, que je te vais faire canner de bonheur, chaussette ! Te déboulonner le nombril, ma fleurette ! T’estrapoler le fignedé. Et puis marre-toi pas, autrement sinon je t’aborde avec une infusion de ceinture, hé, ensorceleuse ! Qu’ensuite ton abominable merveilleux gros c… sera plus zébré qu’un zèbre. Plus tanné qu’une escalope, sale vache ! Visez-moi ces z’hanches, bordel de Dieu ! Et, dites-moi si ya pas de quoi perdre la boule, de quoi sauter sur cette mijaurée pour lui escalader les promontoires, la déloquer avec les dents ! S’y précipiter tête-bêche. Y creuser des nouveaux orifices. Y opérer sa jonction ! Ah, la bougresse anglaise ! Tu vas voir ce que j’en fiche de ta Grande Albion, vicelarde ! Ah ! tu te vantes d’être du patelin de William j’expire, hein ma grosse ? Eh ben moi ! les gonzesses de Frottefort-sur-Savon, tiens, smoke ! C’est du Belgium ! À la casserole, Ninette ! Au rince-bouteilles ! Vlan ! Floc ! À la balayette de gogues, tu comprends, ma brebis malade ? De gogues ! Je les ramone jusqu’à la gorge. Les décape. Je leur dégoupille la culasse, leur polarise la tartine, leur arrache la crinière, les fourre, les farcis, les dévide. Je les entremêle, les déglutine, les mâchouille, les brochette, les engirouette. Ah, misère de mes jumelles, barre-toi, San-A. Et referme la lourde en partant, que ce qui va suivre risquerait de choquer les âmes sensibles !

Загрузка...