XIX

Je vous ai rassuré à la fin du chapitre dix-huit, à mon grand regret, faut que je vous déprime en ce début de dix-neuvième. D’accord, lorsqu’une Bentley des années pré-guerrières percute une voiture de pompiers actuelle, c’est l’auto des pompelards qui s’avoue vaincue. Seulement, ce genre d’affrontements, mes gueux, ressemble aux procès civils. À l’arrivée, un des mecs est à poil et l’autre en bannière. Je m’en rends compte dare-dare que la roue avant gauche écrit des 8 en marchant, que le réservoir de flotte est éventré et que le moteur, à la suite de cette commotion, perd ses légumes pire qu’un hémorroïdien constipé. En vertu de ces différentes avaries, nous parcourons encore deux cent cinquante-trois mètres seize exactement avant que la tire se fasse porter blême.

— Vite ! Vite ! s’écrie Mostaclaouhi qui semble avoir retrouvé un semblant de goût à l’existence.

— Vite quoi, hé, tas de poils ? bougonne Béru en ouvrant la portière d’un coup de coude capable de percer la coque du France.

— Ma voiture n’est pas loin : au fond de l’impasse, là-bas à droite…

Déjà il s’élance, tenant stoïquement le cadavre raidissant de sa Mirza dans les bras. On dirait qu’il fonce chez un toubib avec un bébé blessé, le cher compagnon de geôle.

Guidé par mon instinct, je le suis. Béru continue de chiquer les voitures-balais en poussant Prof devant lui.

Toujours en file indienne (ne sommes-nous pas sur la route des Indes) on finit par débouler dans une espèce de cour miséreuse où sont remisés quelques tacots informes dont les musées de l’auto eux-mêmes n’ont pas gardé la moindre trace. Trônant parmi ces épaves, rutilante malgré un gros emplâtre rouge, la tuture au Père La Cerise ! Un joyau égaré dans une poubelle !

— Je l’avais apportée au carrossier, explique le déchienné, car je ne pouvais souffrir le cruel spectacle de cette estafilade qui la mutilait.

Il se penche sur l’emplâtre, le caresse d’un doigt d’aveugle où le sens tactile devient presque visuel.

— Beau travail ! apprécie-t-il. Après la peinture il n’y paraîtra plus…

— Hé, Pépère, tu crois que c’est le moment de faire des effets de chignole ? fulmine Béru. Allons, en route !

Délibérément il s’installe au volant.

— Ah ! non, c’est moi qui conduis ! s’égosille Mostaclaouhi.

— Occupe-toi de la dépouille à Maâme Médor et moule-nous ! tranche le Magistral. Manche comme t’es, même si tu piloterais un tracteur j’aurais les foies de me laisser bahuter par toi.

L’heure sacro-sainte de la sieste ayant vidé les lieux, nous décarrons sans avoir aperçu le tôlier.

— Couchez-vous ! recommande l’Enflure. Seul au volant je passerai plus mieux inaperçu. Et au fait, vouesconva ?

— Prends la route de Téhéran. Si nous parvenons à atteindre la capitale, on se mettra sous la protection de l’ambassade de France.

— Surtout n’allez pas trop vite, recommande le Persan ! Je ne voudrais pas qu’on abîme mon auto : c’est tout ce qui me reste en ce monde.


Nous roulons depuis près d’une plombe sans la moindre anicroche. Je commence à me dire qu’Allah n’est pas si vache que cela avec les roumis, lorsque Béru file un brutal coup de patin.

— De la casse ? je demande.

— Y a un zef terrible sur la route, dit le Gros… Des chignoles en file, vers les lointains, me semble que c’est un barrage de flics. Je crois apercevoir des uniformes.

Nous nous redressons. Jusque-là tout à bien carburé et nous sommes sortis de la ville sans encombre, et assez facilement, la signalisation étant faite en caractères arabes et en caractères latins.

— Il y a dans la boîte à gants des jumelles qu’un touriste a oubliées, déclare Mostaclaouhi.

Je m’en saisis. Le temps de les braquer, me voici informé.

— De la troupe ! fais-je. D’ici qu’on provoque une mobilisation générale…

— Bon, décide le Gros, heureusement qu’avec tout ce désert on n’a pas besoin de route !

— Comment, pas besoin de route ? s’enroue notre vieux camarade.

— Tu vas voir, Totor !

Sans un poil d’hésitation, Béru braque à droite et se met à rouler sur la lande galeuse jonchée de pierres. De grands trous bordés d’herbe jaune donnent un aspect lunaire au paysage.

— Mais vous êtes fou, fou, fou ! trépigne le vieillard. Mes amortisseurs ! Mes pneus ! Mes lames de ressorts !

— Et ta sœur ! complète Béru. Vaut mieux que ça soye les boudins de ta charrette qui soyent nazes plutôt que les tiens, hé, crème de tomobiliste !

— Mais ce n’est pas une jeep ! sanglote Mosta.

— C’en deviendra une !

On cahote sévèrement. Des parpaings projetés par les roues avant sonnent contre la caisse de l’infortunée voiture.

— Ma carrosserie ! pleure le malheureux.

Bérurier secoue sa tête rageuse.

— Tu veux que je te dise, Pépère ? T’es possessif ! Avec toi c’est Mon dentier, Ma chienne, Ma voiture ! Ton prochain, tu te le carres dans l’oigne, hein, petit monstre ? On est là qu’on essaie de te sauver la mise, et toi tu rouscailles comme un paumé pour la préservance de ton capital. Tu vas pas dans le sens de l’histoire, mec ! Je veux bien qu’ici vous êtes en pleine châhterie et que c’est pas la démocratie qui vous empêche de dormir, mais quand même c’est écœurant à force.

Énervé, Alexandre-Benoît se met à champignonner ! L’auto bondit dans un grand tintinnabulage. On se pète la tronche au plafond. Prof hurle comme un damné. Il supplie qu’on lui donne un calmant, qu’on l’achève, ou du moins qu’on le dépose dans le grand désert ocre. C’est cacophonesque en diable comme équipée ! J’arrive pas à mater nos arrières à la lorgnette car ça tangue trop.

— Une fois qu’on aura contourné cette montagne, déclare le Dodu en montrant l’horizon, on sera paré et on pourra rattraper la route.

Seulement, il faut y parvenir. Le sol devient de plus en plus tourmenté. Il a l’air d’un immense tapis brosse, mais il cache des perfidies ! La tire détonne. Un pneu vient d’éclater. Avant que le Mastar ait réalisé la chose, on percute un rocher ! Paoum ! Tout l’avant se trouve bigorné !

— Il ne me reste plus qu’à mourir, soupire assez sobrement Mostaclaouhi.

— D’accord, envoie-nous un faire-part.

Dans le choc, le second pneu a éclaté.

— Je préfère, assure Béru, de la sorte on n’a pas besoin de changer la roue.

— Vous n’allez pas rouler sur les jantes ? demande frileusement le Persan.

— Qu’est-ce tu veux qu’on fasse d’autre ?

— Mais c’est impossible !

— Vise un peu comme ça l’est, gouaille le Sinistre en repartant.

Ça devient du Laurel et Hardy, pour lors, notre fuite. De l’Elsapopine remaké. La pompe est inclinée sur l’avant, elle produit le bruit des chères vieilles machines à battre de jadis. Ça fait tacatacatacata vzzzoum ! tacatacatacata vzzzoum ! Mais grâce au pilotage d’élite de Béru, ça continue de se mouvoir. Ça reste un moyen de locomotion, comprenez-vous ? Vaille que vaille nous atteignons le pied de la grande montagne rouge dont les roches aiguës ont je ne sais quoi de gothique. Elles étendent une ombre providentielle sur le sol tourmenté.

— Parfait, dis-je, puisque nous sommes parvenus ici sans avoir été repérés, nous allons y attendre la nuit. Ça reprendra Prof, il souffre trop !

— Tu vas pas plaindre cette vieille loque, non !

Il se tait en découvrant la main du père Grinsky. Pas laubé, mes chattes ! À cause de la chaleur ça se pourrit déjà. Elle devient verdâtre, sa pogne. Le sang qui en sourd par de fines fissures se transforme en pus.

Au lieu de profiter de l’ombre, Mostaclaouhi caresse le capot éventré de sa tuture. Il palpe les jantes aplaties, les ailes frisées, le bas de caisse en forme de gondole. Que c’est triste Venise ! Il a des hoquets, des plaintes rentrées ! Le chagrin lui broie l’intérieur. On sent qu’il va moucher ses poumons !

— Je veux pas te remuer l’Hillman dans la plaie, mec, fait Béru, mais t’aurais eu une 2 CV elle s’en tirait. Dans vos contrées à la con, faut voir pratique, mon pote. Où t’as péché, c’est par ton goût des signes estérieurs de richesse. T’as eu une chienne alors que t’as déjà pas de quoi te nourrir. T’as eu un râtelier alors que tu bouffes que du laitage ! Et t’as une conduite intérieure alors qu’il te faudrait une chenillette. C’est de l’estravagance ! Du m’as-tu-vuisme ! Tu cherches à prouver quoi ? Que vot’ standard de vie est plus fort qu’en Suède ?

— Je la guérirai ! s’écrie farouchement Mostaclaouhi en baisant le pare-brise de son auto, comme on baise un visage aimé. On la réparera. Elle sera à nouveau neuve, un jour ! Mon tôlier fait des miracles !

Un fracas géologique retentit. Cela ressemble à un camion de cailloux déversés dans une bétonneuse.

— Attention !

J’ai bondi sur Mostaclaouhi. Je l’ai arraché à sa foutue chiotte d’un geste éperdu. Un blaouing baooff retentit, retentit.

Un énorme quartier de roche détaché de la montagne vient de s’abattre sur l’auto, transformant ce qu’il en restait en une purée de ferraille et de cuir.

— Si ton tôlier parvient à refaire une bagnole avec ça, déclare Bérurier, c’est qu’il s’appelle Jésus-Christ !


La fraîcheur du soir descend sur notre infortune. Prof délire. Il dit « Bonjour, monsieur Martin, j’ai vu vos dahlias par-dessus notre mur, ce sont les plus beaux du pays ». Il est brûlant de fièvre. Si on ne le soigne pas très rapidement, la gangrène va se mettre dans sa main et l’emporter. Prostré, Mostaclaouhi tout en berçant d’un bras sa Mirza morte (laquelle commence à puer la venaison attardée) berce de l’autre un phare de sa défunte voiture. Une infinie détresse nous accable. Même le gars Béru est touché par la malédiction. Que faire ? Où aller ? Nous sommes traqués, pourchassés, immobilisés ! Nous n’avons d’assistance à espérer de personne. Affligés de deux vieillards délirants, c’est vraiment le fin bout de la nuit, bien qu’elle ne fasse que commencer, cependant.

— Écoute, Béru…

— Oh, laisse, j’ai trop faim pour causer… Et une telle pépie que ma langue ressemble aux pierres de sel qu’on donne à lécher aux vaches de chez nous !

— Justement, Gros, il faut qu’on fasse quelque chose…

— Quoi ? Commander une choucroute et des demis chez Lipp ?

— Je vais profiter de la nuit pour essayer de téléphoner à l’ambassade de France !

— C’est ça, t’as une cabine juste à l’angle du désert, rouscaille mon pote.

— Faut que je me risque à retourner à Ispahan.

— À pince, t’en as pas pour plus de deux jours !

— Je vais regagner la route. En trois heures je l’aurai atteinte. Ensuite je ferai du stop.

— Et en supposant que tu trouves un routier complaisant ?

— Oh ! sois pas nihiliste ! Occupe-toi des vieillards. Si dans un an et un jour personne n’est venu les réclamer, ils sont à toi !

Sur ces fortes paroles, non dépourvues d’humour malgré l’heure critique, je me mets en route. Et je chantonne, histoire de me donner du courage :

— Pars, sans te retourner, pars…

Ensuite je marseillaise : « Marchons ! Marchons ! Qu’un sang qu’impur… Y’a toujours du sang dans les hymnes. Toujours de la mort, de la mitraille, du sacrifice. Vous seriez norvégien ou guatémaltèque, vous auriez envie de vous faire naturaliser citoyen d’un pays dont le chant national dit qu’on entend mugir des féroces soldats dans ses campagnes ! Le Rouget, il avait confusionné avec les vaches, probable. Mais le pire c’est que les féroces soldats annoncés plus haut viennent égorger vos fils, vos compagnes ! Charmante villégiature !

Une heure que je marche. Je dois avoir les pinceaux en lambeaux ! Dans le noir je rencontre des obstacles imprévus ! Avisant une grosse roche arrondie, je décide de m’y asseoir pour reprendre haleine. Aussitôt, je sursaute : c’est chaud, plein de poils et ça se dresse en poussant une sorte de grand bêlement désespéré. Un dromadaire ! La vue du camélidé me fait comprendre deux choses : la première c’est que je n’ai pas entendu bêler mais blatérer l’animal, la seconde c’est que je me trouve dans un campement de nomades.

Fectivement, la lune qui surgit d’un nuage me découvre une demi-douzaine de tentes en peau de mouton dressées dans le « nomade’s lande ». Je fonce à la première. J’aimerais frapper, mais un index replié qui toque de la fourrure n’a jamais produit un gros vacarme. C’est pourquoi, au lieu d’annoncer mon arrivée, décidé-je de jeter un regard sur les occupants. Pour cela, je me mets à genoux devant l’entrée, puis délicatement, soulève un coin de la peau servant de portière. Cette brave chère lune, toujours fidèle au poste, malgré le tracassin des humains, me révèle un visage situé à moins de trente centimètres du mien. Est-ce une hallucination ? Suis-je le jouet d’un mirage ? Toujours est-il que cette figure m’est connue. Elle a des yeux clairs et fixes, un sourire souligné au rouge à lèvre violet ; des joues, des bajoues, une amorce de goitre, le tout extrêmement plâtreux. Bref, il s’agirait de la mère Bitalaviock que ça ne me surprendrait point.

— Vous ici ? soufflé-je dans un anglais parfait.

Le sourire de la dame s’accentue pour faire place à une lippe d’où tombe l’onomatopée « chutt » (en anglais puisque je l’écris avec deux « t »). À y regarder de plus près, je constate que la valeureuse fille d’Albion est à four paws et qu’elle a dans le dos et le train un monsieur à moustache tombante en train de to take son foot avec un maximum de sobriété dans l’expression. L’individu en question émet un léger soupir avant de reprendre ses distances.

— Vous m’avez suivie ? demande alors Mistress Bitalaviock en s’accrochant à mon bras secourable pour réintégrer la verticale.

— Non, ma chère amie, je vous rencontre ! Et avec quelle joie ! Comment se fait-il que vous soyez sous cette tente à pareille heure ?

La blafardeur lunaire me permet de voir rougir l’accueillante personne.

— C’est un merveilleux nomade que j’ai rencontré dans le bazar, en fin de journée. Il m’a fait des avances avec tant de gentillesse que, mon Dieu, je l’ai accompagné jusqu’ici pour y passer la nuit. J’adore le Moyen-Orient.

— Comment êtes-vous venue ? Pas à bosse de dromadaire, je présume ?

Poupette part d’une exclamation super-britiche.

— Ahoooo, nooo ! Il m’a amenée sur son motocyclette !

— Parce qu’il a un motocyclette ! jubilé-je.

— Une Triumph de 500 cm3 culbutée à fourche télescopique, déclare fièrement la dame. C’était vertigineux, vraiment ! Vous n’avez jamais eu l’opportunité de faire de la motocyclette, cher ?

— Si, et je sens que je vais l’avoir à nouveau… Cela vous ennuierait-il de revenir à Ispahan avec moi ? J’aurais grand besoin de votre aide…

Elle fait miroiter ses dents de porcelaine.

— Grand fou !

Dans le dénuement où je me trouve, je n’en suis plus à un frisson près.

— Croyez-vous que cet enfant des douars consentira à me prêter sa moto ?

— Compte là-dessus, et bois de l’ab[16] fraîche, grommelle dans l’ombre le Casanova triganesque. Embarque la vieille si tu veux, mais t’avise pas de toucher à ma péteuse si t’as pas envie que je t’en plante vingt centimètres dans le bide !

— Ciel, mais vous parlez français !

— Ce serait malheureux, j’ai fait mes études de vétérinaire à Maisons-Alfort, dans la classe de chameaux du professeur Mabeldoche.

— Passionnant ! Je suis ravi de vous connaître, déclaré-je en lui tendant la main.

Machinalement il s’en saisit. Fatale confiance. D’un mouvement sec je l’attire à moi et lui place un sévère coup de boule entre les lampiards. Le jeune vétéromanichel devient mou, ce qui n’a rien de surprenant chez un garçon parvenu à bout de coït. Me reste plus qu’à le ficeler avec des liens de fortune.

Tout en bloquant ceux-ci à l’aide des nœuds de ma connaissance, je me fais votre interprète pour poser à ma gracieuse compagne une question aussi indiscrète que préoccupante.

— Douce amie, j’ai eu à maintes reprises l’occasion de vous voir accepter des hommages masculins et j’ai observé que vous adoptiez toujours pour les agréer la position à genoux, est-ce la conséquence d’un vœu ou cette coutume répond-elle aux préceptes d’une religion inconnue de moi ?

Dame Bitalaviock secoue ses frisettes ternes.

— Vous n’y êtes pas, cher, la raison en est des plus simple : lors de mon passage à Byblos, je me suis fracturée le coccyx en faisant l’amour avec une colonne dorique.


Malgré l’heure tardive au point d’en devenir matinale, une forte animation règne autour de l’hôtel Châh Abbas lorsque je coupe le moteur de la Triumph. La mère Tateburne reste cramponnée à moi de ses grands doigts palpeurs de slips. Elle a les jupes retroussées jusqu’au gosier et son énorme hangar à pauvre homme pend de chaque côté de la selle comme une paire de sacoches vides.

— Terminus, lui apprends-je, ça va être à vous de jouer, maintenant, fière belle.

Elle masse les quintuples bourrelets dévalant ses cuisses. Sa belle culotte de sujette anglaise est maculée par le pot d’échappement, aussi des curieux nocturnes s’assemblent-ils déjà pour admirer des choses peu exposées d’ordinaire en pays voilé.

— Je serais allée jusqu’au bout du monde, chuchote-t-elle en adoptant cette voix de gorge sans laquelle Mme Marlène Dietrich n’aurait été que ce que vous savez. Ah, mon fou ! Vous devez savoir faire vibrer une grande amoureuse, vous, je devine !

Des paniques me vrombissent dans le calbard. Vais-je devoir, pour sauver ma peau et les joyaux de la couronne d’Iran, escalader cette Anna Purna ? N’aurais-je donc vécu que pour cette nymphonie ? Tout comme un politicien confondu, je remets ma réponse aux prunes. L’astuce consiste à m’introduire dans la chambre de la vieille sans encombre.

— Ne surestimez pas mes talents, chère Caroline, modesté-je ; en amour, le comportement de chacun dépend de la chacune. Certaines peaux font chanter les sens, tandis que d’autres les rendent aphones, aussi n’échafaudons pas des délices prématurées. L’important, c’est que vous me permettiez d’entrer dans votre chambre sans être vu. Je vais essayer de m’introduire par effraction dans la piscine de l’hôtel et, de là dans les jardins. Attendez-moi près du petit pont en dos d’âne après avoir laissé ouverte votre porte-fenêtre. D’accord ?

— Vous me laissez le temps de me faire une beauté ? roucoule la colombe déplumée.

— Non, dis-je fermement, ce serait de la folie.

Et je m’ajoute en plein in petto : « Je n’ai pas l’éternité pour moi ! »


Entrer dans la piscine est d’autant plus fastoche qu’elle se trouve en réparation. Seulement j’ai une mauvaise surprise lorsque j’entrouvre la lourde donnant sur le jardin. Ce dernier est brillamment illuminé et une nombreuse troupe d’hommes en costumes régionaux y exécutent une manœuvre compliquée. Ils marchent en cadence, d’un pas britannouille, glissé, lent, morfondu. Un officier à turban galonné leur lance des ordres que les gus exécutent avec un ensemble presque parfait, à cela près que les derniers attaquent le mouvement des premiers à l’instant où ceux-ci débutent une autre manœuvre. Mais chacun sa spécialité, n’est-il pas vrai, et il n’est point permis à tous les peuples d’avoir du sirop de robot dans les pipe-lines, comme des que je connais et que je ne citerai pas ici afin de ne pas choquer mon traducteur londonien, ni mon éditeur allemand.

Sur moi donc, cette troupe s’avance (et porte sur son dos une malle d’assurances). Je me tapis (c’est le pays ou jamais) dans l’ombre d’une colonne, tandis que l’autre me défile à bout portant devant le pifo. Voilà des temps immémoriaux que j’ai pas croqué et je me sens les flubes branlants. Ça me grimpe à la pensarde comme un étourdissement consécutif à trop de soleil.

— Si de mon temps les garçons de mon régiment avaient défilé de la sorte, j’en aurais fait fusiller une bonne moitié, grince une voix, dans my back.

Le tout en anglais, of course. Décidément j’en sors pas. J’sais pas si vous l’avez remarqué, mais le rosbif continue de pulluler à travers le world. Tu fais un pas et tu tombes sur. T’enjambes, y en a encore. Partout : sur les places Saint-Marc (et de Thou), sur les marches des musées, dans les trains à la Cook et même dans des restaurants où l’on ne mange pas forcément de la merde.

L’individu qui vient de maugréer est un vieillard rectiligne et gris, à la peau crocodileuse, dont le teint est là pour attester que le Bordelais fut envahi par les Anglais jadis.

Je lui adresse un sourire.

— Major Aloïs Nervofcow, se présente-t-il. Vous ne trouvez pas cette pantomime effarante, vous ?

— Si, très beaucoup !

— L’homme ne sait plus défiler au pas. Il redevient singe, monsieur ! Bientôt il remarchera à quatre pattes ! Si je vous disais…

Son regard se durcit.

— Je ne passe plus devant Buckingham Palace. J’ai honte ! La relève de la garde, à présent ? Le Casino de Paris ! Le Palladium ! De l’opérette !

— Qui sont ces fantoches ?

Il émet un bruit de girouette.

— La garde du prince Anârchi. Il paraît que la résidence de ce bougre a brûlé aujourd’hui, en conséquence de quoi, le princelet est venu investir cet hôtel, profitant de ce qu’il est à peu près vide en cette saison.

Tiens, tiens ! Comme le hasard continue d’être grand ! Comme il est beau et généreux !

— Mais pourquoi diantre ces soldats…

— De carnaval, monsieur ! De carnaval…, m’interrompt Nervofcow.

— Pourquoi ces soldats de carnaval, docilé-je, manœuvrent-ils à cette heure induse ?

— Parce qu’ils participent après-demain aux festivités de Téhéran.

— Après-demain ?

— Vous n’avez jamais entendu parlé de la traditionnelle cérémonie annuelle du Châh Perchéh ?

— Non, j’ai beaucoup de soucis, et l’Iran n’en est même pas le cadet.

— Chaque année, le Châh monte sur le trône dans sa grande tenue de cour pour recevoir, entouré de sa famille, tous les membres de son gouvernement. À cette occasion il y a un grand défilé des délégations provinciales, appelé « Marche des Kûthéreû ». Vous en avez ici un exemple !

Il ricane :

— Quand je pense que ce gredin d’Anârchi se fait appeler le Juste et qu’il rêve du trône !

Pour le coup, quand j’entends cela, mes jambes se dérobent comme une putain consciencieuse.

— Anârchi est appelé le Juste ?

Le major Nervofcow me balaie de ses yeux anti-excrémentieux.

— Ah, ça, monsieur, vous êtes arrivé ici sans même lire un guide touristique ! Ignorez-vous qu’Anârchi est le petit cousin du beau-frère d’un ami de collège de Sa Majesté, et qu’à ce titre, il prétend avoir droit à la couronne ?

— Heu, eh bien, je…

— Ignorez-vous que le valeureux monarque qui règne en ce moment sur l’Iran a essuyé avec une peau de chamois plusieurs attentats ?

— En effet, je…

— Ignorez-vous qu’Anârchi mène une campagne sournoise dans le peuple pour discréditer son Châh et se faire à soi-même une réputation de Juste ? Il promet une répartition des biens nationaux, une attribution de pétrole à tout le monde, la télévision avec Lléhonzîthrôn en couleur dans chaque foyer, la photo en pied du général de Gaulle dans les écoles, des funérailles gratuites à tous ceux qui mourront de faim, l’eau courante dans les pissotières, la mise en exploitation du Désert salé par la maison Cérébos et un porte-clés à son effigie à tout électeur qui n’usera pas de son droit de vote. En réalité, l’odieux bonhomme est un filou qui a déjà promis les gisements pétrolifères du golfe Persique aux Russes, aux Chinois et aux Américains afin d’être soutenu par eux tous le cas échéant…

Je laisse discourir le bavard ex-officier afin de me couler jusqu’au petit pont où m’attend sa grosse compatriote.

— Je commençais à m’inquiéter, cher très cher, bafouille-t-elle en me capturant la main. Venez vite, la voie est libre à nos ivresses.

Parvenus dans la chambre, je tire les rideaux. La brave ogresse me regarde agir avec des yeux si proéminents qu’elle va devoir faire allonger les branches de ses lunettes s’ils ne se résorbent point.

Tout en me dégustant du regard, la v’là qui se dessape à gestes lents d’effeuilleuse professionnelle. Elle déboulonne son soutien-loloches et vingt-cinq kilos de bidoche en solde s’abattent sur son ventre.

— Un instant, bredouillé-je, si ça ne vous ennuie pas, Caroline série, je préférerais un sandwich au jambon, une bière et une communication téléphonique avec l’ambassade de France à Téhéran.

Comme je la vois se contrister, j’ajoute vivement.

— Avant que de me consacrer à votre bonheur, je veux prendre des forces et m’alléger l’esprit.

Pour le coup, son rayon intérieur se rebranche sur le 220.

Déjà elle tend la main vers le bigophone lorsqu’on sonne depuis le couloir. Un joli timbre, ma fois, feutré, mélodieux.

Mistress Bitalaviock va à la porte.

— Caisse ? demande-t-elle, commettant, vous l’aurez noté au passage, une grave confusion orthographique.

— Un message pour vous, madame ! répond la voix fluette d’un garçon de rez-de-chaussée (car ici nous ne sommes pas à l’étage).

Mémère, décontractée tout plein, open sa door sans méfiance.

Seulement moi, vous me connaissez, hein ? J’ai un solide instinct qui me fait différencier le coup de sonnette du laitier de celui de la gestapo. Tandis que la Gravosse déverrouille, je me jette à plat ventre et rampe prestement sous le lit. C’est classique, voire banal, mais ça rend encore des services.

— Messieurs ! De quoi s’agit-il ! Messieurs, que me voulez-vous ! Mais enfin, messieurs… Je vous en prie, ce n’est pas correct ! Je suis presque nue, messieurs !

Elle recule dans la pièce, tandis que des pieds s’avancent. Une demi-douzaine de pieds, capables d’assurer l’équilibre et le déplacement d’au moins trois personnes. Des pieds d’homme !

Un court silence suit les exclamations de la généreuse personne. Elle reprend, d’une voix franchement inquiète.

— Messieurs… que… signifie ! Mais qu’est-ce que vous me faites ?

Puis, plus rien. Il y a eu une brève bousculade. À la ronde des panards, je pige les péripéties de l’opération : on la fait asseoir sur le lit. On lui entrave les bras dans le dos, et on lui met un bâillon. Elle essaie encore de protester, mais ne formule plus que des grognements porcins.

Un sifflement, illico suivi d’un rude claquement. Tout le pucier en est ébranlé. V’là qu’on fouette maman Bourremoi, à c’t’heure. C’est peut-être pas fait pour lui déplaire, frénétique de fion comme je la sais. Un mec à branché la radio pour couvrir les détonations du fouet. Ça joue Merci pour tes fleurs précisément. La vieille soubresaute tant et plus sur le lit. Je morfle de sérieux coups de boudin dans le dossard.

Enfin la séance s’arrête. On baisse la radio. Quelqu’un décroche alors le téléphone. La standardiste doit le questionner en anglais car il répond dans cette belle langue.

— Passez-moi les appartements de Son Altesse !

Je crois vaguement reconnaître cette voix. Ah ! oui c’est celle du gros suifeux qui m’a fait le coup de la baignoire l’autre jour, dans l’établissement de bains.

— Allô ! Ici Ali Gâthorr, prévenez Son Altesse qu’elle peut descendre chambre 69, la personne est prête.


Il vient de dire « laissez-moi seul avec cette femme ».

J’en suis persuadé, bien qu’il ait lancé cet ordre en farci. Y a des intonations et des intentions qui ne trompent pas.

Effectivement, les trois tortionnaires sont sortis. Le prince, dont je ne connais pour l’instant que les pieds, vient de s’asseoir sur le lit, près de dame Bitalaviock. Il doit la mater d’un long regard scrutateur pour essayer de la fasciner.

Enfin il parle. Sa voix est douce, presque suave.

— Avant de vous ôter ce bâillon, je veux que vous m’écoutiez. J’ai quelques questions à vous poser et il faudra m’y répondre franchement sinon vous mourrez dans d’effroyables souffrances. J’aime faire souffrir.

Un léger gloussement. Je me dis qu’elle doit être de la rondelle dansante, l’Altesse. À cause de son petit rire énervé, de sa voix fluette. Des fois qu’il y a eu maldonne à la base et qu’on l’a déguisé en eunuque quand il était mouflet, ce bon prince. Par inadvertance. Un toubib miro, ou distrait. Viens par ici petit ! Cric, crac ! Oh ! pardon, mon chou, j’ai confondu avec tes amygdales ! Ça existe ! On a vu pire. Même dans les photos modernes, en pleine lumière, il s’en est passé des choses bizarres. Choc opératoire ! Tu parles, Georges ! Un coup de rapière malheureux ! Y t’défont l’ourlet. Ou bien ils découpent pas en suivant le pointillé. Des chirurgiens, j’en connais que j’abandonne, beurrés comme toute la Normandie à 4 plombes du mat au bord d’un trottoir. Ah ! je voudrais les voir découdre, trois ou quatre heures plus tard, en pleine gueule de bois, le regard tortillé façon boyau de course de rechange, la paluche glagla-tante. « Vous dites que je viens de heug… lui ablationner le foie au lieu de la rate ? Et alors ? C’est pas le premier qu’aura perdu la foi ! Elle est bonne, celle-là ! Et maintenant, tous en chœur : « Chevaliers de la table ronde, goûtons voir si le vin est bon… »

Textuel, je vous dis. Pendant ce temps, m’sieur Duconnard, il fait la planche à la surface de l’éternité, le coffret bourré de courants d’air. Sa veuve qui ignore encore qu’elle l’est — et donc ne peut se réjouir — fait semblant de se morfondre dans le couloir. « Ça s’est bien passé, docteur ? — Admirablement, mais il a une déformation congénitale de la tuyère centrale qui, hélas… » Le tour est joué !

Je vous en reviens, le prince… Eunuque ou pédoque pro. Touche-à-tout scatophageo-tringleur, bilboquetteur, fumasseur de narguiloche, frère Jean des enconneurs, ou autre, on peut l’affirmer, sans hésiter, sadique en plein ! Amoureux de la souffrance ; empêché du fade suprême, comme tant ! Le dernier moment qui foire ! La pâmade qui dérape ! Vzoum, raté ! Un coup de perdu dix de retrouvés ! Tu atterris sur le gazon, éberlué d’avoir vidé ta soute sans bonheur. Y en a tant et tant ; et qui s’efforcent, qui espèrent fermement qu’une fois sera la bonne, qui jamais ne la trouvent… Le prince, donc — merde j’enchaîne ou quoi ? — il prend des temps gourmands, chattemine voluptueusement. Se pourlèche du mal qu’il va dispenser.

— Vous sentez, comme j’aime faire souffrir !

J’entends une plainte.

— Et ça, hein, qu’en dites-vous ?

Re-gémissement.

— Bon, vous me croyez à présent. Alors il va falloir être docile. Tout dire. Tout ! La vérité c’est aussi une question de mémoire. Vous êtes bien laide, madame ! Immonde ! Une grosse vache efflanquée pourtant ! Pouah ! Et des hommes vous approchent encore ? Vous escaladent ? J’en vomirais d’y songer ! Tiens, cette horreur me donne une idée, savez-vous ce que je vais vous faire si vous ne parlez pas ?

Il le dit ! J’ose pas vous répéter. C’est trop affreux ! Plus que ces pages n’en peuvent supporter. Ou alors faut qu’on m’imprime sur Vergé supérieur, qu’on me numérote et qu’on me vende dix raides l’exemplaire ! Ça se fait ! Ça marche ! Les chefs-d’œuvre à l’érotisme ou autre ! Mon pied comme si vous y étiez ! Je trique à tout va ! J’essème à tout vent ! Des vraies fortunes, parole ! Mais mécolle, dans l’humilité de ma littérature à 3 balles, j’ai des limites, je peux pas forcer comme les ceux qui peuvent tout sepermer ! Faut que je me jugule, m’autodulcore. Je charge mon texte à la serpette !

J’élague à la machette ma petite brousse pubienne. Pourtant va bien falloir que je la tartine, la suite ! Ou alors si je laisse la fin en blanc, vous venez à pleins camions me vitrioler la bouille ! Vous me faites la révolution d’Octobre dans ma salle à manger ! Vous déféquez sur le clavier de ma machine ! Je connais votre teigne, à tous. Votre manque total d’indulgence. Au cinoche, quand le film casse, au bout de quatre secondes vous commencez à briser les banquettes. Si je vous omets le dernier chapitre, pour lors, on va au massacre ! L’heure du lynch ! Mes pendeloques dans le sapin d’en face ! Bon, ça va, je prends mes risques. Je vous assume l’histoire jusqu’au bout, on verra bien. Si ça barde, je me ferai Huénère. Je crierai Vice-ce-qu’il-faut ! après m’être renseigné sur la tendance en cours !

— Tournez-vous, je le veux ! crie le prince ! Horrible femelle ! Matrone faisandée ! Garce nauséabonde ! Tournez-vous sinon je vous tranche la gorge avec ce rasoir.

Le plumard tangue un coup.

Puis un cri retentit sauvage, bien qu’il soit étouffé ! C’est plus que je n’en puis tolérer. Vous imaginez, vous, votre San-A. planqué sous un lit pendant qu’on y martyrise une femme, Anglaise de surcroît (et de norois) ? Non, mesdames ; non, mesdemoiselles ; non, messieurs ! Mon courage sur la commode, vous le connaissez ? Tiens, regarde ! Je repte hors de ma planque, sur le beau tapis dont les arabesques me filent le tournis.

Pendant que je me dégage, le prince continue, d’une voix hachée, haletante, pincée, cruelle :

— Tiens, truie infâme ! Voici la marque insigne de mon mépris.

Il est salaud, mais y cause bien, non ?

Je me redresse un poco, et découvre une scène monstrueuse. Alors là, n’espérez pas une narration, j’ai ma dignité. Tout ce que je veux vous dire c’est que la pauvre Mrs. Bitalaviock vient de subir une mutilation susceptible d’agrandir son centre d’accueil. Je vous en déballe pas davantage. Un coup de razif déterminant, quoi ! Quéque chose comme le canal du Rhône au Rhin, vu ? Si vous ne pigez pas, c’est pas la peine de me lire.

Bon, j’ai commencé par le plus facile, c’est humain. Je m’ai débarrassé de la broutille, seulement le plus pénible reste à raconter. Donc je continue à mots couverts pour pas qu’ils prennent froid. Le prince Anârchi, non content de ce coup de rasoir aussi malencontreux que douloureux, pour couronner son œuvre d’aménagement des territoires d’outre-merde, se livre à un exercice relevant davantage de la sodomie que de la broderie sur tambour, si vous voyez où je veux en venir ? Ça va comme ça, vous pouvez suivre ? Je m’en sors bien, hein ? Alors y a pas de raison de s’arrêter en si bon chemin. Voyez-vous, mes amis, retenez bien ceci : dans la vie on peut tout dire, à condition de le dire pudiquement. En littérature y a pas d’outrances, y a que des grossièretés. Dieu merci je sais faire du slalom sur les rudes pentes du réalisme. Parfait, mais je ne dis pas encore ouf, car je vais maintenant aborder la tournure délicate de mon sujet. Eh bien, il est très exceptionnel, ce sujet ! Je parle du prince ! Noble, riche et armé pareillement pour la vie, c’est immoral ! Je me figurais qu’on ne trouvait des calibres d’exception que chez les pauvres. Je croyais que la nature leur consentait une compensation. Où allons-nous, si les princes du sang possédant un harem peuvent jouir de celui-ci sur écran panoramique ? C’est une insulte à l’indigence et au solitariat ! Un crime de lèse-médiocrité.

Maintenant, voici la scène enfin brossée. Je n’insiste pas sur son aspect sauvage, riche en globules rouges. Ce serait facile, je pourrais m’y complaire.

Passons plutôt à la description du prince Anârchi que je vois pleinement pour la première fois, et seulement à la fin de ce livre exceptionnel. Il est infiniment plus jeune que je ne le supposais. Bien pris, les traits réguliers… Il a une fine barbe frisée et une moustache mieux taillée que celle du regretté Clark Gable. Il porte une sorte de pyjama très bouffant en soie bleue et un bonnet d’astrakan blanc rehaussé d’une aigrette.

Un sadique, spontanément, on l’imagine avec une frite de crevard délabré. En découvrant la finesse des traits de celui-ci, j’éprouve une stupeur mêlée de tristesse. D’autant qu’une découverte d’un autre ordre s’impose à moi : il est de toute évidence le frère de Vahi ! La ressemblance est frappante. Un frère peut-être jumeau, non ? Vous aviez entendu causer que le prince Anârchi avait une frangine, vous ? Moi pas. Inconnue au bataillon. Mais enfin bref, on ne peut pas regarder la télé et être au courant de tout, pas vrai ?

D’un bond de léopard j’ai sauté sur le rasoir sanglant (à manche d’or fin) traînant sur l’oreiller. Belle arme, en vérité, ancienne, sûrement, et dont la lame a tranché je suppose plus de chair que de poil. Ma rapidité est telle que le prince n’a pas eu le temps de prendre congé de Mme Bitalaviock. Je lui mets le rasoir sous la gorge.

— Un cri et tu es mort !

— Oh, darling, proteste la goulue. Quelle sotte idée d’intervenir inopportunément ! C’était si bon !

Que voulez-vous que je vous dise après ça !

Je finis par croire que je ne comprendrai jamais rien aux femmes !

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