XLII

Dès six heures du matin, le corps endolori par sa nuit en voiture, Adamsberg se mit en route à la recherche d'un ruisseau repéré non loin sur sa carte. Il passa devant un café qui levait son rideau, mais jugea préférable de n'y entrer qu'après s'être lavé et vêtu d'habits moins froissés. Froissés comme Froissy. Martin-Pécherat comme martin-pêcheur. C'était comme cela, les mots.

Le filet d'eau était clair et glacé, mais Adamsberg aimait les filets d'eau claire et n'était pas frileux. Une fois propre et correctement habillé, les cheveux encore mouillés, il commanda un petit-déjeuner dans ce café de village où il était le premier client. Le bain l'avait décrassé de ses pensées sombres mais il sentait, au tourbillon de neige qui lestait sa poche, que les bulles gazeuses bâillaient, s'étiraient, reprenaient peu à peu leur danse incertaine. Il ouvrit son carnet et nota : Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée. Qu'il souligna d'un trait sec. Veyrenc lui envoya un message alors qu'il rejoignait sa voiture, à sept heures et demie.

Besoin d'aide ? Je peux être à 14 h 22 à Lourdes.

Je viens te chercher. Charge la batterie de ton portable. Il n'y a nulle part où loger. Je dors dans la voiture, je me lave dans le ruisseau, je bouffe dans un routier. Cela te convient ?

Parfait. J'apporte de quoi améliorer l'ordinaire.

Prends deux tenues anti-contamination et le bazar habituel.

Et des fringues.

S'il te plaît.


À huit heures pile, Adamsberg entra dans la mairie de Lourdes, dont dépendait le Pré d'Albret. Deux heures plus tard, rien n'avait progressé, on comprenait bien son problème et sa demande, mais il fallait l'accord personnel du maire. Et le maire n'était pas joignable. Lundi matin, reprise de semaine, rouages grinçants. Le commissaire expliqua avec amabilité qu'on pouvait fort bien ne pas déranger le maire mais s'adresser au préfet des Hautes-Pyrénées, au motif que le maire de Lourdes n'était pas joignable et qu'il avait une requête urgente à adresser dans le cadre d'une affaire de police qui avait déjà coûté la vie de dix personnes. À ce stade, les choses s'accélérèrent et Adamsberg sortit dix minutes plus tard, document en main.

Il avala un deuxième café serré sur la route du retour, acheta eau et sandwich et reprit sa prospection sur le pré, au premier quart de la seconde bande. Il acheva la troisième bande à une heure de l'après-midi, sans avoir décelé la moindre anomalie dans la végétation. Possible que, de même qu'il avait été capable d'oublier le mot « pigeonnier », il refusât à présent de trouver son emplacement et qu'il regardât sans voir. Il s'assit à l'ombre pour avaler un déjeuner que Froissy aurait réprouvé, et particulièrement la pomme pesticidée. Sa pensée revenait à Louise Chevrier. Il appela le labo et demanda à parler à Louvain.

— Je sais, Louvain, tu es surchargé. C'est Adamsberg.

— Content de t'entendre. Sur quoi es-tu ?

— Dix meurtres.

— Dix ?

— Dont les six derniers en un mois.

— Je n'ai rien entendu là-dessus. Je serais au courant tout de même.

— Tu es au courant. Il s'agit de ces décès par venin de l'araignée recluse.

— Les vieux dans le Sud ? Ce sont des assassinats ?

— Garde cela pour toi.

— Pourquoi ?

— Parce que personne n'admettra qu'on puisse tuer avec du venin de recluse. Je ne peux prouver les meurtres qu'avec un ADN.

— Tu veux dire que ta hiérarchie n'est pas informée de ton enquête ?

— Non.

— Et donc ces échantillons, ces cheveux, cette cuillère, tu te les es procurés de manière illicite ?

— Illicite.

— Si bien que tu me demandes une analyse illicite ? Que je ne peux pas inscrire dans mes rapports ?

— Tu as, il y a de cela quelques années, opéré sur toi-même une recherche en paternité clandestine, dans ton labo, pour couper court à la demande de pension de la mère qui te menaçait des pires ennuis. Et en effet, tu n'étais pas le père. Illicite, dirais-tu ?

— Bien sûr que oui.

— Eh bien suppose que ma hiérarchie est une mère inflexible et récalcitrante, ce qu'elle est. Je dois couper court.

— Ça marche, parce que c'est toi. Et parce que la mère est récalcitrante. On a enregistré tes échantillons ce matin, je les raye des registres. Je peux t'avoir un résultat partiel ce soir. Cela te donnera une première idée.


En roulant vers la gare de Lourdes, Adamsberg espéra que l'empressement de Louvain allait dissoudre le ballet affligeant de ses bulles gazeuses. Il n'en fut rien et il les chassa de force à l'entrée du train en gare. L'arrivée de Veyrenc était bienvenue : le terrain était plus complexe à arpenter que prévu et sa conversation l'aidait. En apparence, Veyrenc parlait d'une manière parfois banale, négligente voire obtuse, mais qui avait pour effet insidieux d'arracher ses pensées à leur tréfonds. Soit Veyrenc acquiesçait, surtout quand il pressentait une voie inutile, soit il contredisait, débattait, forçant Adamsberg à revenir sur les éléments les plus simples, à pousser au plus loin l'effort de ses réflexions englouties. Il y avait un mot grec pour cela.

Le lieutenant descendit, chargé de deux grosses valises et d'un haut sac à dos.

— Chambre de luxe, salle de bains de luxe, expliqua-t-il en montrant ses bagages. Bar de luxe, gril de luxe. Je n'ai pas pris de tables de nuit. Du neuf ?

— Ce soir, on en saura plus sur nos analyses ADN. Illicites.

— Et comment t'es-tu débrouillé ?

— C'est Louvain qui est aux commandes. Je l'ai un peu poussé, voilà tout.

Il arrive à l'arbre tortueux

De fournir un fruit harmonieux.

— Louis, à présent que Danglard est au repos, ne prends pas le relais par tes citations. J'en suis fatigué.

— C'est un de mes propres vers. Avec des fautes de « e » muets, ajouterait Danglard.

— Il dit aussi que tes vers sont mauvais.

— Ils le sont.

Les deux hommes chargèrent les bagages, lourds comme du plomb.

— Tu es sûr que tu n'as pas pris de tables de nuit ? demanda Adamsberg. Ni d'armoires ?

— Certain.

— Tu as déjeuné ?

— Sandwich dans le train.

— Moi aussi, mais sous un arbre. Dis-moi, comment s'appelle cette manière de parler qui consiste à emmerder l'autre en le questionnant sans cesse pour lui faire cracher ce qu'il ne sait pas mais qu'il sait ?

— La maïeutique.

— Et qui a inventé ce truc ?

— Socrate.

— Si bien que lorsque tu me questionnes coup sur coup, c'est cela que tu fais ?

— Va savoir, dit Veyrenc en souriant.


Les deux hommes attaquèrent, l'un la quatrième bande, l'autre la cinquième, après qu'Adamsberg eut expliqué à Veyrenc le système du coup d'œil en vue rasante. À dix-neuf heures, Adamsberg entama la sixième bande et Veyrenc la septième. Une heure plus tard, Veyrenc leva la main. Il l'avait, le cercle. Mathias avait eu raison. Une herbe abondante, d'un vert presque outré, était cernée de graminées hautes, de chardons et d'orties. Les deux hommes s'attrapèrent le bras, comme deux gars stupidement victorieux, puisque Veyrenc n'avait jamais voulu fouiller le reclusoir et qu'Adamsberg le redoutait. Il se planta devant le cercle et observa le paysage alentour.

— C'est bien là, Louis. Et c'est ici, ajouta-t-il en tendant le bras, que se tenait ma mère quand j'ai collé mon nez sur la lucarne. La fenestrelle. Je préviens Mathias et Retancourt.

— Comment distribues-tu les rôles ?

— Simple. Toi, Retancourt et moi à la pioche pour évacuer l'humus de couverture, Mathias à la fouille du sol d'occupation.

— Je n'aurais pas dit mieux. Parce que Retancourt vient ?

— Aucune idée.

— Débrouille-toi au mieux. Je vais chercher à dîner.

— On ne va pas chez le routier ?

— Non.

Sans être sourcilleux sur la nourriture, Veyrenc n'avalait pas n'importe quoi avec l'indifférence d'Adamsberg. Il estimait que l'ordinaire était déjà assez difficile à vivre et la vie assez âpre à fréquenter pour qu'on ne bousille pas l'éphémère bien-être des repas. Adamsberg envoya son premier message à Mathias.

Emplacement trouvé. Cinq kilomètres deux cents de Lourdes, prends la C14 qui contourne le chemin Henri IV, en direction de Pau. Parcelle « Pré Jeanne d'Albret », quatre hectares, sur ta carte topo. Tu y verras ma voiture, bleu vif.

Matériel déjà chargé. Je pars sur-le-champ, pause cinq heures en milieu de nuit, attends-moi vers 11 heures demain.

Un de mes hommes sur place. La femme demain à 12 h 15.

Qui est cette femme qui en vaut dix ?

La déesse polyvalente de la Brigade. L'arbre de la forêt. Shiva aux dix-huit bras.

Huit bras. Belle ?

Chacun son avis. Comme pour tout arbre magique, l'écorce peut être rude.

Adamsberg joignit ensuite Retancourt, par écrit toujours, pour économiser sa batterie.

Fouille archéologique. Je suis sur les lieux avec Veyrenc. Vous nous épaulez ?

« Épauler », pensa Adamsberg, était un terme propre à stimuler l'énergie toujours aux aguets de Retancourt. Mais l'esprit du lieutenant n'était bien entendu pas si simple et l'écorce était rude.

Fouille pour quoi ?

ADN de notre possible tueuse.

Louise ? J'ai déjà volé la petite cuillère.

Je sais.

Réponse laconique qui, pour les meilleurs habitués de la Brigade, équivalait à l'usuel « Je ne sais pas » d'Adamsberg.

Fouille de quoi ?

Question qu'il ne pouvait plus à présent éluder.

D'un ancien reclusoir. Une femme y a vécu cinq ans, après avoir été séquestrée et violée.

Quand ?

Quand j'étais môme.

C'est pour cela que vous avez demandé à Danglard de disserter sur les femmes recluses ?

En partie.

Et pourquoi cette recluse de votre enfance serait la nôtre ?

Vous connaissez beaucoup de reclusoirs de cette époque ?

Je ne connais rien aux reclusoirs.

Bernadette Seguin, ou sa sœur Annette, qui porte aussi le prénom de « Louise », a pu y vivre. Nous ne sommes que trois, et il va y avoir beaucoup de terre à charrier.

Quel train ?

Ce ne fut pas le dérisoire argument sur les filles Seguin qui avait fait basculer Retancourt, comprit Adamsberg. Mais cette masse de terre à charrier, avec seulement trois gars.

06 h 26, arrivée Lourdes 12 h 15. Vous y ferez la connaissance de mon ami Mathias, préhistorien.

Beau gars, à tant faire ?

Plutôt. Pas bavard. L'écorce peut paraître un peu rude.


La satisfaction de la découverte du pigeonnier — il se répéta plusieurs fois le mot — avait apaisé la palpitation pénible des bulles gazeuses. Adamsberg partit en quête de bois pour le feu. Puis il édifia son foyer, qu'il encercla de pierres, à bonne distance du pigeonnier. Il fallait le temps que des braises se forment. Car Adamsberg était bien certain que Veyrenc ne rapporterait pas des sandwichs mais des pièces à griller.

Tout en surveillant son feu, il rouvrit son carnet. La pause aurait été de courte durée. Il relut, dans l'ordre, les phrases qu'il avait écrites dans l'espoir d'un éclatement de bulles. Comme on repasse sa leçon sans en saisir un traître mot.

Pigeonnier, j'ai pas trouvé le mot.

Évitement : angoisse de l'entrave (pigeon entravé) ou angoisse d'être pigeon (psychiatre).

Il n'y a plus personne à tuer (Veyrenc).

Tout grince là-dedans (Retancourt).

Ça roucoule sans cesse (Retancourt).

Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée.

À vrai dire, cette liste évoquait plus une incantation ésotérique, un mantra, qu'une quelconque recherche de sens. Peut-être les bulles gazeuses n'étaient-elles que des particules affolées en quête de mysticisme et non d'une résolution pragmatique d'enquête policière. Peut-être étaient-elles ces grains de folie dont chacun parle sans trop savoir de quoi il s'agit. Peut-être se foutaient-elles de son travail. Ou du travail à titre général. Peut-être jouaient-elles, dansaient-elles et, tel l'élève qui rêve, se donnaient-elles l'apparence de bulles studieuses pour tromper leur espion. Lui en l'occurrence, qui s'imaginait qu'elles bossaient, alors qu'elles prenaient du bon temps.

Le lit de braises était prêt quand Veyrenc revint de ses courses et s'affaira aussitôt.

— Joli feu, apprécia-t-il. Ce qui compte dans un feu, c'est son harmonie. L'efficacité en découle.

Veyrenc installa un grand gril sur les tisons, disposa côtelettes et saucisses, alluma un camping-gaz pour faire réchauffer des haricots en boîte.

— Désolé pour les légumes, dit-il. Je ne vais pas non plus t'écosser des petits pois et découper des lardons.

— C'est parfait, Louis.

— Je n'ai pas pris de verres à pied non plus. Inutile de renverser le vin dans l'herbe.

Hormis les tracas de sa liste de mantras ésotériques et de ses bulles évadées en école buissonnière, Adamsberg ressentit un plein contentement à respirer l'odeur des grillades et contempler l'organisation du campement. Il laissa Veyrenc disposer assiettes et couverts, comme l'aurait fait Froissy, extraire deux verres de son sac à dos, qu'il cala dans l'herbe tassée, et déboucher une bouteille de madiran.

— Au reclusoir presque exhumé, dit-il en emplissant les verres.

Veyrenc sala, poivra et servit viandes et légumes. Les deux hommes mangèrent en silence pendant un bon moment.

— « Au reclusoir presque exhumé », répéta Adamsberg. Parce que tu y crois ?

— Peut-être.

— Tu fais ton maïeuticien.

— L'art est que tu ne puisses jamais savoir quand je le fais ou pas.

Le portable d'Adamsberg grésilla dans l'herbe. Message. Il était neuf heures trente. Adamsberg se pencha dans l'obscurité pour l'attraper.

— Tu dis que nous sommes tous névrosés, mais les portables aussi, c'est certain.

Adamsberg ramassa le téléphone et leva la main.

— C'est Louvain, dit-il avec une fébrilité soudaine. Les résultats, l'ADN.

Adamsberg retarda l'annonce de deux secondes avant d'appuyer sur la touche. Il lut, en silence. Puis passa le téléphone à Veyrenc.

Analyse partielle de séquences fragmentaires mais représentatives des cheveux et cuillère. Pas de correspondance. Demain, après analyse complète, il se peut que je trouve un cousinage de cousinage de cousinage. Cela t'aide ou cela t'enfonce ?

Je m'y attendais, répondit Adamsberg, déchiffrant les touches dans le noir. Merci.

Il tendit l'appareil à Veyrenc. L'écran lumineux bleutait le visage du Béarnais, à nouveau durci, minéral.

Adamsberg sortit son carnet et, à la lumière du feu qu'il avait ravivé, écrivit à la page où il avait noté ses bulles : Après ADN négatif, j'ai répondu à Louvain : « Je m'y attendais. » Je ne sais pas pourquoi j'ai écrit cela.

Veyrenc se leva sans dire un mot, débarrassa les assiettes, couverts et casserole, qu'il s'appliqua à ranger avec un soin trop lent.

— On ira laver tout cela demain au ruisseau, dit-il d'une voix neutre.

— Oui. On ne va pas y aller de nuit, répondit Adamsberg du même ton lointain.

— J'ai apporté du produit vaisselle. Mais non polluant.

— C'est bien pour le ruisseau.

— Oui. C'est très bien pour le ruisseau.

— On ira après notre café. Ainsi, on emportera tout d'un coup.

— C'est mieux en effet. Cela nous épargnera un voyage.

Puis Veyrenc se rassit en tailleur et les deux hommes laissèrent retomber le silence.

— Qui commence ? demanda Veyrenc.

— Moi, dit Adamsberg. C'est moi qui en ai eu l'idée, c'est moi qui me suis trompé. À la seconde baie fermée, ajouta-t-il en levant son verre.

— Une seconde, Jean-Baptiste. Qui te dit que ce n'est pas Louise qui a tiré, puis déposé les cheveux d'une autre ?

— Rien. Tu as raison, l'analyse ne la dédouane pas.

Adamsberg s'étendit à moitié sur un coude, tâtonna dans l'herbe. Ce soir, la lune couverte ne les éclairait pas. Il tira sa veste jusqu'à lui et en sortit deux cigarettes pliées, qu'il redressa entre ses doigts. Il en tendit une à Veyrenc et attrapa une brindille embrasée pour allumer la sienne.

— Mais pourquoi aurait-elle choisi des cheveux si semblables aux siens ? dit-il.

— Mauvaise question. Quantité de femmes de cet âge se teignent ainsi.

— Et pourquoi ai-je répondu à Louvain que je m'y attendais ?

— Parce que tu t'y attendais.

— Cela s'effritait.

— Je te repose la même question qu'à l'Hôtel du Taureau. Depuis quand ?

— Deux jours à peu près.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. Ce sont ces bulles gazeuses qui dansent dans ma tête. Elles se racontaient cela, des choses, entre elles, en chuchotant. Sans m'apporter la moindre réponse.

— Les bulles gazeuses ?

— Les proto-pensées, si tu veux le dire mieux. Foutaises. Moi, je crois que ce sont des bulles gazeuses. Elles bossent ou elles jouent, je ne sais pas non plus. Veux-tu que je te lise les mots qui les animent ou les bousculent ? Sans qu'elles m'expliquent ni quoi ni qu'est-ce ?

Adamsberg n'attendit pas l'approbation de Veyrenc pour ouvrir son carnet.

Pigeonnier, j'ai pas trouvé le mot.

Évitement : angoisse de l'entrave (pigeon entravé) ou angoisse d'être pigeon (psychiatre).

Il n'y a plus personne à tuer (Veyrenc).

Tout grince là-dedans (Retancourt).

Ça roucoule sans cesse (Retancourt).

Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée.

Veyrenc hocha la tête et leva la main. Adamsberg le vit à l'éclair de sa cigarette se déplaçant dans la nuit.

— Quand as-tu écrit : « Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée » ?

— Ce matin.

— Et pour quoi faire ? Si l'affaire était réglée ?

Adamsberg haussa les épaules.

— Parce qu'une des bulles s'était énervée dessus, rien de plus.

— Je dirais que tu l'as écrit parce que l'affaire n'est pas réglée.

— Si.

— Je ne crois pas. C'est le médecin qui a énervé les bulles ?

— C'est simplement son nom, c'est tout.

— Cela fait beaucoup d'oiseaux là-dedans.

— Oui, cela roucoule. Crois-tu à la seconde hypothèse du psychiatre ?

— Une trahison ?

— Suppose, commença Adamsberg, reculant comme devant une phrase qu'on ne doit pas prononcer. Suppose que quelqu'un nous ait bernés. Avec les cheveux. Et quand je dis « suppose », j'ai tort. C'est une certitude : c'était un leurre. J'ai dit qu'on avait de la veine d'en avoir trouvé quatre. Et j'ai dit qu'on était riches. Trop riches bien sûr.

— Quatre, ce n'est pas seulement trop, c'est improbable. Notre tueur n'est pas un débutant. Il — elle — a pris la précaution élémentaire de porter un bonnet, une cagoule, même. Je dis « il-elle » car plus rien ne nous permet à présent d'écarter un homme.

— Et qui, Louis, aurait pu déposer ces cheveux dans le cagibi de Torrailles ?

— Une seule personne : l'assassin.

— Non, deux personnes : l'assassin, ou Retancourt. Je me suis demandé comment, en charge de la garde de Torrailles et de Lambertin, elle n'avait pas supposé que le coup pourrait venir de l'intérieur de la maison. Dès l'instant où l'accès extérieur était bouclé par trois flics. Elle y a forcément pensé.

— Ou pas. Tu n'y pensais pas toi-même. Ni moi ni personne.

Veyrenc jeta son mégot dans le feu.

— Retancourt est bien plus fine que cela, dit-il en souriant. Elle n'aurait jamais laissé quatre cheveux.

— Mais un seul, dit Adamsberg en redressant la tête.

Le lieutenant attrapa la bouteille et emplit les derniers verres.

— Au point où nous en sommes, dit-il.

— Au point où nous en sommes, la réponse est là-bas, dit Adamsberg en tendant son bras dans la nuit, vers l'emplacement de l'ancien pigeonnier. Dans la terre de la recluse. Où nous trouverons ses dents.

— Des dents de femme, dit Louis avec une légère réticence.

— Je sais.

— Enzo. Il possédait la liste.

— Cauvert aussi. Je ne l'oublie pas, Louis.

Veyrenc s'éloigna pour installer coussins et couvertures dans la voiture. Ils seraient un peu serrés. Mais quand on s'est connus enfants, tout passe.

Adamsberg couvrait le feu, rabattant les cendres sur les braises. Il ouvrit une dernière fois son carnet, l'éclairant à la lumière de son portable. Après Martin-Pécherat = martin-pêcheur. Affaire réglée, il ajouta : Ou pas réglée.

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