Chapitre XVII

Il n’y avait pas plus d’une faute d’orthographe par ligne, mais le texte était quand même assez évocateur : «100 000 francs burundiens de récompense, mort ou vif. Dangereux trafiquant ayant abattu un innocent chauffeur de taxi et fomenté un «complot» pour renverser la République.»

Malko était presque reconnaissable, mais l’encre avait bavé et le faisait ressembler au fils de Frankenstein.

Ann et Malko restèrent une minute à contempler l’affiche officielle collée sur l’épicerie de brousse. C’était gai. Pour qu’elle soit parvenue jusqu’à ce point reculé du Burundi, cela signifiait que les recherches n’étaient pas simulées. Le président Simon Bukoko avait eu si peur qu’il tenait à sa vengeance Malko pensa à Brigitte Vandamme. Pourvu qu’elle s’en soit bien tirée !

Un Noir sortit du magasin pour contempler les Blancs. Ann serra le bras de Malko. Tranquillement, celui-ci détacha l’affiche, la plia et la glissa dans la poche de sa chemise. Le Noir regardait la cime d’un banian. Prudent. Malko se dit que, s’il revoyait un jour son château, cela ferait une excellente décoration pour la bibliothèque.

— Nous voulons boire et manger, dit Ann.

L’autre ne se fit pas prier. Le commerce avant tout.

Ils eurent même droit à des coca-cola tirés d’une caisse tiède. Une demi-heure plus tard, ils remontaient dans la Land Rover, l’estomac calé par une livre de riz au piment. Cela changeait des «agahuzas» : petits poissons du lac qui ressemblaient à des harengs. Le Noir les regarda partir, un billet dans la main. Pour l’affiche, il dirait que le vent l’avait déchirée.

Un mille après la sortie du village, Malko arrêta la Land Rover. La piste bifurquait. Ann tira la carte et l’étala sur le capot.

— Nous sommes ici, à peu près, fit-elle.

Son doigt indiquait un point près de Bukirasazi, au beau milieu du Burundi. Ils devaient remonter encore vers le nord, laissant à l’ouest Bujumbura, presque jusqu’à la frontière du Ruanda. Ensuite, filer vers le Congo, direction Bukawu. Tout de suite après la frontière se trouvait le terrain abandonné où Allan Pap avait donné rendez-vous à Malko.

Bien entendu, tout ce trajet ne pouvait s’effectuer que par de petites pistes, les grands itinéraires étant surveillés par l’armée burundienne au grand complet.

Ils n’avaient pas le choix. A l’ouest, c’était le lac Tanganyika. Difficile et long à traverser à la nage. Et à l’est, la Tanzanie où les Chinois faisaient la loi…

— Laquelle prenons-nous ? demanda Malko.

— Si nous allons à gauche, c’est bon, mais nous remontons vers Mwaro. On risque de rencontrer un barrage.

— Et l’autre ?

— C’est une piste abandonnée. Pas un soldat ne s’y risquera. Mais je ne sais pas combien de temps nous mettrons.

— Combien de kilomètres ?

Ann haussa les épaules.

— Ça ne veut rien dire. 250, peut-être, jusqu’à la frontière, mais on peut mettre un mois, ou plus…

Malko éprouva un désagréable fourmillement dans les mains. Allan Pap ne viendrait pas indéfiniment au rendez-vous. Et sans lui, ils n’avaient plus qu’à traverser l’Afrique sans passeport avec, aux trousses, toutes les polices des pays indépendants. Il voyait mal la C.I.A. envoyer un safari-secours.

— On ne peut pas se permettre une petite guerre avec l’armée burundienne, dit Malko. Prenons la mauvaise piste, Ann, et il faut que nous mettions quatre jours.

Comme ça, on arriverait pile pour le rendez-vous.

Ann continuait à étudier la carte. Elle désigna un point.

— Pour rejoindre le rendez-vous, nous devons passer par la piste de Bukawu. Ils nous attendront certainement là. Il y a un point de passage obligatoire. Un pont.

— On peut abandonner la voiture.

— Et la rivière ?

— Tant pis. On verra quand nous y serons.

Ils repartirent. Cette fois, Malko prit le volant. Ses avant-bras avaient démesurément enflé : les moustiques. Le col de sa chemise lui sciait le cou, à cause de l’humidité. Il passa délicatement la première et démarra. Ann s’était tassée sur l’autre siège à côté de lui et s’endormait déjà, les bottes coincées sous le tableau de bord. A l’arrière, Basilio, en boule, somnolait sur quatre jerricans d’essence et la tête de Keenie. La carabine américaine était sur le plancher, sous les pieds d’Ann.

La piste n’était qu’un bourbier étroit et sinueux coupé de lianes et de vieilles souches. Les deux murailles vertes de la forêt semblaient se rapprocher sans cesse. Il n’y avait pas 10 mètres sans virages… Craboté, à 15 kilomètres à l’heure, Malko s’engagea dans une descente glissante.

La forêt tropicale, c’est comme le désert : on sait quand on y entre, on ne sait jamais quand on en sort. Il n’y a pas de point de repère. Des arbres. Des arbres, des lianes, des singes et des perroquets. Et, bien sûr, les termitières et les souches au milieu. On se dit qu’on n’en sortira pas, qu’à perte de vue, la forêt continue, qu’on va y crever.

Cela fait deux jours que Malko et Ann roulent sur les pistes. En dépit de la boussole et des affirmations de la jeune femme, ils ne savent pas s’ils sont perdus ou non. Cent fois, ils se sont trouvés devant des embranchements envahis par la forêt, cent fois, ils ont eu à choisir, presque au petit bonheur.

En principe, la frontière du Congo n’est pas loin : une centaine de kilomètres — une éternité. Impossible de rouler de nuit : les phares n’éclairent pas tous les pièges de la piste. A 5 heures, dès que l’obscurité s’est installée, il faut s’arrêter. Une fausse manœuvre et ce serait l’enlisement définitif dans l’humus spongieux des bas-côtés.

Au volant, Malko ne sent plus ses mains. Pourtant, ils se relaient, pour conduire, toutes les deux heures. Ils viennent de mettre cinq heures pour parcourir 10 kilomètres de gadoue immonde. C’est presque plus reposant de pousser que d’être au volant. Ann, avec de grands cernes noirs sous les yeux, dort en dodelinant de la tête. Basilio flotte dans sa chemise. Il a attrapé une sale diarrhée et il se vide. Les yeux fous, il contemple les arbres à perte de vue.

Trois fois, ils ont passé un hameau. Des paillotes avec un champ de manioc débroussaillé au feu et quelques vaches. Les Noirs les ont regardés avec de grands yeux. Leur Land Rover est aussi inattendue qu’un chameau sur la Cinquième Avenue.

Malko stoppe. Il n’en peut plus. Dans sa tête, une seule idée : le Congo et le rendez-vous avec Allan. Les dents serrées, il compte les dixièmes de mille sur le compteur. Quand il s’arrête, Ann s’effondre sur son épaule avec une esquisse de sourire. La veille, ils ont fait l’amour pendant que Basilio dormait, sur une toile de tente. Ann pleurait de fatigue, d’énervement, de cafard. Ils sont restés là jusqu’à ce que l’humidité les envahisse. Malko rêvait de son château et de sa cheminée. Ou simplement d’un endroit sec.

Cette nuit-là, ils ont dormi sans avoir mangé. Malko a une envie folle de quitter ces pistes pourries pour retrouver une vraie route. Quitte à se faire prendre. N’importe quoi. Mais plus ces fondrières perpétuelles. Il y a des moments où l’instinct de conservation cède au besoin de confort.

Et puis, brusquement, c’est le jour. Les babouins hurlent et se poursuivent, sans oser s’approcher. Comme un somnambule, Malko met le contact et repart. Ann et Basilio ne se sont même pas réveillés.

La forêt s’éclaircit et la piste est moins accidentée. Malko a envie de hurler de joie. Brutalement, ils débouchent sur un plateau dégagé, recouvert d’herbe piquante. Le sol est sec et la latérite rouge s’étend devant eux sur 10 kilomètres. Malko réveille Ann :

— Regarde !

Elle se secoue, ouvre les yeux, arrive à sourire et balbutie :

— C’est une ancienne plantation de café abandonnée. Après, il y a encore un peu de forêt et nous rejoignons la grande piste de Bukawu.

Ils roulent encore dix minutes et stoppent. Malko et Ann descendent. Le soleil chauffe diaboliquement, mais ils ne s’en aperçoivent même pas. Ann avait raison. Ils ont franchi la forêt. Ce soir, ils coucheront au Congo. Etendus dans la savane, ils rêvent. C’est un étrange silence après les murmures incessants de la forêt. Malko prend la main d’Ann. Il veut ramener quelque chose de cette mission ratée. Il a envie qu’Ann reste avec lui.

Tout à coup, un bourdonnement remplit l’horizon. C’est Malko, avec ses réflexes de civilisé, qui le premier, saute sur ses pieds :

— Un avion !

II approche, volant très bas, perpendiculairement à la piste. C’est un broussard, à aile haute, monomoteur.

— Nom de Dieu !

Instinctivement, Malko a bondi sur la carabine américaine, mais baisse son arme. Si c’était Allan !

Le broussard passe à 10 mètres d’eux. On distingue le visage du pilote et de l’observateur. Le pilote est blanc, l’autre noir, avec l’uniforme vert et blanc de l’armée burundienne. L’avion porte les cocardes du pays. Ils en ont trois comme ça. Déjà, il vire gracieusement et revient sur eux.

— Ils vont tirer sur nous, dit Malko.

— Non, dit Ann. Ils n’ont pas d’arme. Les instructeurs belges n’ont pas voulu. C’est trop facile pour les coups d’Etat.

Le broussard repasse, soulevant un nuage de poussière rouge. L’observateur a fait un geste incompréhensible. Il repasse deux fois, puis pique sur la forêt en face d’eux, survolant la piste, et disparaît, menaçant.

— Nous n’aurions jamais dû nous arrêter en terrain découvert, dit Malko.

Ann secoue la tête.

— Il n’y a rien à regretter. Ils nous attendaient.

C’est par ici que passent tous les trafiquants de diamants. Ils vont donner l’alerte au poste avant le Congo.

Lourd silence. Malko songe avec nostalgie à Krisantem, Chris Jones et Milton Brabeck[13]. Avec ces trois-là et un peu de matériel, l’armée burundienne aurait su ce qu’était un Waterloo.

— Tant pis, on y va, dit-il.

En silence, ils remontent dans la Land Rover et reprennent la piste, tout doucement. Ce n’est guère plus brillant que la forêt, mais au moins on voit où on est. Ils mettent cinq heures à travers l’ancienne plantation, s’arrêtant souvent pour observer. Mais l’avion a disparu et les hautes herbes de la savane ondulent doucement à perte de vue.

Ils zigzaguent encore sur leur piste étroite, puis, aux premiers arbres ils tombent sur la vraie piste, large de dix mètres, presque une autoroute. Pas moyen de se tromper : cloué à un manguier un écriteau annonce fièrement : Route fédérale n° 1. Bukawu : 60 kilomètres.

Toujours le lyrisme tropical.

Il n’est pas question de s’attaquer au barrage en plein jour. Aussi s’arrêtent-ils au pied de l’écriteau. Basilio fait cuire un peu de riz. Malko et Ann se reposent à l’ombre de la Land Rover.

Ils préfèrent ne pas parler. L’avenir est plutôt sombre, entre les crocos du Kiwu et les Burundiens. Malko a pris la carabine américaine et frotte ses paumes contre le bois imprégné de transpiration. Lui qui n’aime pas la violence, il commence à comprendre les excités de la gâchette.

La nuit tombe rapidement sans qu’ils aient ouvert la bouche. Ils ont avalé le riz préparé par Basilio avec son horrible piment rouge et partagé une boîte de corned-beef.

Malko regarde sa montre et se lève. Autant en finir tout de suite.

— On va y aller doucement, explique-t-il, ils ne sont peut-être pas nombreux. Tu conduis. Dès qu’on les voit, tu mets pleins phares et tu fonces. S’ils tirent les premiers, je réponds.

Ann se glisse sous le volant. Si elle avait la carabine, elle n’hésiterait pas une seconde. On n’est plus à Fontenoy, mais chez les bougnoules. Décidément, la civilisation est indécrottable.

Encore 200 mètres sur la large piste et le premier coup de feu éclate. En avant et sur la droite. Ann sent une sueur glacée lui couler dans le dos. Elle se force à accélérer, légèrement. Basilio est couché sur le plancher. Malko n’a pas riposté. Le silence retombe, Ann se tourne vers Malko, indécise. Il se force à sourire.

— On y va.

— O.K.

Pleins phares. 30 mètres plus loin un groupe jaillit de l’obscurité. Six Noirs, en uniforme, immobiles au milieu de la route. Ils ne bougent pas quand la Land Rover fonce sur eux. Au bout de leurs bras pendent des fusils.

Soudain Malko a une idée démentielle. Les autres n’ont pas l’air très décidé. Rapidement, il cache la carabine sous le siège. Ann et lui ont chacun de leurs muscles tendu à craquer.

Dans cinq secondes, ce sera peut-être la rafale qui les sciera en deux.

La Land Rover stoppe à un mètre du groupe : cinq soldats et un sergent, tous armés de F.M. automatiques.

Malko adresse au Bon Dieu une prière ultrarapide, saute de la Land Rover et fonce sur le sergent qu’il interpelle en français :

— Vous n’êtes pas fou de tirer sur les gens comme ça !

L’autre roule de gros yeux.

Bwana, personne, il peut passer ; la route, elle est précisément fermée.

— Comment, fermée ?

Le sergent s’anime et pose son F.M. sur le talus. La palabre, c’est quand même plus amusant que le casse-pipe. Important, il annonce :

— On a des ordres. Pas laisser passer personne.

Solennel, Malko tire son portefeuille et tend l’autorisation donnée par le général Uru.

— Nous avons un laissez-passer de votre chef. Lisez.

Repris par le climat, les soldats ont abandonné leur attitude martiale et se sont couchés en tas sur le talus.

Le sergent prend le papier et le tient avec infiniment de respect un long moment à l’envers,à la lueur des phares. Il le rend ensuite à Malko.

— Alors, comme ça, ça va.

Il fait un vague salut militaire et appelle ses hommes, puis disparaît dans un sentier, soulagé d’échapper à une mauvaise affaire.

Ann n’en est pas revenue.

Elle éclate de rire, nerveusement :

— Qu’est-ce que c’est que ce truc ?

Malko le lui tend et elle lit :

«Ne considérez pas mes envoyés comme des papillons volages et sans valeur, sans quoi je me verrais dans l’obligation de vous rétrograder postérieurement.

Signé :

Général Uru, chéri des dames et toujours fidèle à sa parole.»

Malko explique comment il a eu son laissez-passer.

Ils repartent. 500 mètres plus loin, la route tourne et ils se trouvent nez à nez avec un village. Devant l’épicerie éclairée par un énorme photophore, une jeep avec une mitrailleuse. Et un Blanc au volant. Un peu plus loin, deux Noirs sont assis par terre.

Le coup du laissez-passer, c’est raté. Une immense lassitude envahit Malko et Ann. Cela avait été trop facile.

— Tant pis, annonce Malko, on va s’expliquer.

Cette fois, c’est la bagarre. Sauf miracle.

Ann arrête la Land Rover à côté de la jeep et Malko saute à terre. Le type de la jeep a levé la tête mais n’a pas bougé. La lampe à acétylène éclaire un visage de saurien, avec des yeux bleus un peu en amande, un crâne rasé et une cicatrice en croix sur le front. Il porte une chemise kaki avec un vague galon.

Les yeux bleus glacés, toisent Malko. Celui-ci sent l’hostilité. L’autre a la main droite à 10 centimètres de la poignée de la 30. Malko se demande s’il aura le temps de prendre la carabine. Soudain, presque à son insu, sa prodigieuse mémoire se met en branle. Cette tête lui dit quelque chose.

Et ça éclate.

— «La Nonne !» dit Malko presque à voix basse.

L’autre sursaute. Il a vraiment des yeux de lézard.

Puis un large sourire découvre des crocs irréguliers et jaunâtres.

— On se connaît ? Me souviens plus. L’Indo ? La Corée ?

La voix est gutturale, avec un fort accent allemand. Malko secoue la tête en souriant.

— Ni l’un, ni l’autre. Mais Elko Krisantem, dit « Turco » ça vous dit quelque chose ?

— Turco !

Il y a presque de la tendresse dans l’exclamation. Le saurien éructe.

— A Pleiku. Les cons de la 25e D.I. américaine s’étaient tirés sans nous le dire. Sans Turco, j’y serais encore. Il m’a porté sur son dos pendant 500 mètres. Turco c’est votre pote aussi ?

— C’est mon ami et mon associé, dit Malko avec une grande concision. Et à Istanbul, il y a trois ans, je lui ai sauvé la vie.

— Alors vous êtes aussi mon pote.

Il saute de la jeep et, Ann s’étant jointe à eux, s’installent sur des tabourets branlants, et s’attablent devant des bières Polar. Malko présente à Ann son nouvel ami.

— Si mes souvenirs sont exacts, notre ami s’appelle Kurt. C’est le seul type du corps expéditionnaire de Corée à avoir eu une aventure avec une religieuse américaine. D’où son surnom de «la Nonne». Avant, il était sergent dans la Wehrmacht.

— La SS, pas la Wehrmacht, fait Kurt, vexé. Division Sepp Dietrich. Pauvre Type, il est mort dans son lit.

Malko se bénit d’avoir écouté Krisantem quand il racontait ses histoires d’ancien combattant. Le personnage de Kurt et la description physique que le Turc en avait faite l’avait frappé. Par chance, il l’avait enregistrée dans sa prodigieuse mémoire. Il avait quand même fait un rude effort pour le ressortir à temps…

On boit à Sepp Dietrich.

Puis on passe aux choses sérieuses. Malko explique leur situation mais Kurt le coupe :

— Je sais. Vous avez toute l’armée burundienne sur le râble. Il y a deux cents types qui campent dans des hamacs au bord de la route à 3 kilomètres d’ici. La fine fleur. Comme leurs chefs n’ont pas trop confiance, ils nous ont fait venir aussi. Mais à ceux-là, vous pourrez pas faire le coup du laissez-passer.

— Vous pouvez nous aider ?

Kurt hausse les épaules.

— Non. Ces fumiers-là, ils nous doivent six mois de solde, sinon, il y a longtemps qu’on se serait tiré. Et puis, on a un contrat. On peut pas les baiser, après on trouverait plus de boulot. Evidemment, on va pas vous courir après comme des dingues… mais on peut pas vous ouvrir la route. Pour vous, y a qu’un truc : la rivière Kiwu. Tout de suite à gauche en sortant du bled. Il y a une piste. Prenez-la, elle n’est pas gardée. Après faut vous démerder pour emprunter une pirogue.

L’œil bleu a un clin d’œil affreusement inquiétant :

» Si on en demande une poliment aux macaques, ils ne vont pas refuser. De toute façon, vous ne risquez rien jusqu’à demain matin. Ils ne patrouillent jamais la nuit, ils ont une trouille affreuse de l’obscurité. A cause des fétiches.

Royal, Malko recommande une autre tournée de bière. On boit religieusement. Kurt regarde sa montre :

— Faut que je rentre. On est en patrouille. Bonne chance !

Les deux types assis à l’écart regagnent la jeep. Kurt emballe le moteur, fait un geste d’adieu et gueule :

— Dites à Turco qu’il nous manque. Salut.

La jeep démarre sur les chapeaux de roues et disparaît.

Etonnant de discrétion, ce Kurt, il n’a même pas demandé pourquoi ils étaient poursuivis par toute l’armée burundienne. Comme si ça allait de soi.

— Ne nous éternisons pas ici, dit Malko. Les gens du village vont parler.

Il paie et ils remontent dans la Land Rover. En avant pour la rivière. Effectivement, ils trouvent la piste à gauche. Et au bout, c’est le Kiwu. Large de 200 mètres, boueux à souhait, du courant. Et pas une pirogue en vue. De grosses jacinthes d’eau dérivent le long du courant, avec une kyrielle de bestioles. La piste se termine en cul-de-sac au bord de la rive marécageuse.

— Dormons ici, propose Malko, puisque Kurt a dit que les autres ne patrouillaient pas la nuit. On verra demain matin.

Basilio s’étend sur le sol et s’endort immédiatement sur sa toile de tente. Malko et Ann se tassent à l’arrière, membres mêlés et calant tant bien que mal leurs corps ankylosés contre les tôles rugueuses. Ann s’endort la première, la tête sur l’épaule de Malko.

Celui-ci rêve tout éveillé un long moment, écoutant le bruissement de la rivière. De l’autre côté, c’est le salut, le rendez-vous avec Allan.

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