Leslie et moi survolions à nouveau le plan, y cherchant un indice, un quelconque signe qui nous aurait indiqué le chemin du retour. Mais le plan demeurait inchangé, les sentiers courant dans toutes les directions à la fois.
« Je me demande, dit enfin Leslie, si nous allons passer le reste de notre existence à entrer et sortir de la vie des gens, à la recherche de notre vie propre.
— Mais non, chérie. Le sentier doit bien se trouver quelque part par ici, rétorquai-je, sachant parfaitement bien que je mentais. Il suffit simplement de nous montrer patients, jusqu’à ce que nous ayons trouvé la porte qui donne sur notre monde, où qu’elle soit. »
Leslie me regarda attentivement. Puis son examen terminé, elle me déclara :
« Tu me parais beaucoup plus lucide que moi, en ce moment. Que dirais-tu de choisir l’endroit où nous poser ?
« Nous faisons une dernière tentative avec l’intuition ? » lui demandai-je alors.
Leslie fit signe que oui et je fermai les yeux. Immédiatement, je sus que j’avais trouvé.
« Droit devant, dis-je. Prépare-toi à atterrir. »
Il était seul, affalé de tout son long sur le lit de sa chambre d’hôtel. Mon sosie, mon jumeau identique, la tête reposant sur une de ses mains, regardait par la fenêtre. Non pas que c’était vraiment moi ; mais il se rapprochait tellement de moi que je sus, hors de tout doute, que nous ne pouvions nous trouver bien loin de la maison.
Des portes vitrées donnaient sur un balcon qui surplombait un terrain de golf ; au loin, de hauts conifères allaient rejoindre l’horizon. Je calculai que nous devions être en fin d’après-midi, ou alors les nuages qui planaient étaient à ce point épais et sombres que l’heure du déjeuner avait pris l’aspect du crépuscule.
Quant à Leslie et moi, nous nous trouvions sur un balcon identique au premier, du côté opposé à ce dernier, et regardions à l’intérieur de la chambre.
« Il m’a l’air extrêmement déprimé, tu ne crois pas ? chuchota Leslie.
— Si. Et n’est-ce pas étrange qu’il reste là à ne rien faire ? Où est Leslie ? »
Elle secoua la tête et poursuivit son examen de l’homme, l’air soucieux.
« La situation me paraît … embarrassante, dit-elle enfin. Je crois que tu devrais aller lui parler seul à seul. »
Je regardai l’homme, qui restait là, immobile. Et pourtant, il était évident qu’il ne dormait pas.
« Vas-y, chéri, renchérit Leslie. Je sens qu’il a besoin de toi. » Je serrai sa main dans la mienne, puis pénétrai dans la pièce.
Fixant l’air gris du dehors d’un œil morne, l’homme bougea à peine la tête à mon arrivée. À côté de lui, sur le couvre-lit, se trouvait un ordinateur portatif allumé, mais dont l’écran était aussi vide que le visage de son propriétaire.
« Salut, Richard, dis-je. N’ayez pas peur. Je suis …
— Je sais, fit-il en poussant un soupir. Vous êtes une projection de mon esprit troublé. » Puis, sans mot dire, il continua à regarder la pluie qui tombait.
Il me fit penser à un arbre abattu par la foudre, effondré pour ne plus jamais se relever.
« Que se passe-t-il ? » lui demandai-je.
Aucune réponse.
« Pourquoi cet air abattu ? » lui demandai-je encore.
Daignant enfin me répondre, il dit : « Ça n’a pas marché. Je ne comprends pas ce qui s’est passé. » Puis, au bout d’un moment, il ajouta : « Elle m’a quitté.
— Leslie vous a quitté ? » lui demandai-je, sidéré.
Il hocha presque imperceptiblement la tête, puis répondit : « Elle m’a dit que si je me refusais à partir, c’est elle qui partirait, parce qu’elle n’arrive plus à m’endurer. Eh bien, c’est moi qui suis parti. Mais c’est elle qui a mis fin à notre mariage. »
Je n’arrivais pas à le croire. Qu’avait-il bien pu se passer pour qu’un moi parallèle de Leslie en vienne à dire à Richard qu’elle ne pouvait plus le supporter ? Ma Leslie et moi avions traversé tellement de moments difficiles sans que cela menace notre union. Nous avions vécu les années qui avaient suivi ma faillite et les périodes où nous nous sentions tous deux si épuisés qu’il nous était presque impossible de continuer ; et aussi ces moments où nous étions si pessimistes que nous en étions venus à perdre notre perspective et notre patience. Comme nous nous étions querellés ! Mais jamais au point de nous séparer ou de sommer l’autre de partir. Que pouvait-il donc s’être passé entre eux deux qui fût pire que ce qui nous était arrivé à nous ?
« Elle ne veut plus m’adresser la parole, déclara l’homme d’une voix apathique. Dès que j’essaie d’avoir une discussion le moindrement sérieuse avec elle, elle raccroche.
— Mais qu’avez-vous fait ? lui demandai-je. Vous êtes-vous mis à boire ou à vous droguer ? Ou serait-ce que …
— Ne soyez pas stupide, dit-il d’un ton irrité. C’est de moi dont vous parlez ! » Puis fermant les yeux, il dit encore : « Allez-vous-en. Laissez-moi tranquille.
— Je suis désolé, dis-je, et vraiment j’ai été idiot de penser cela de vous. Mais je n’arrive tout simplement pas à comprendre la raison pour laquelle vous vous êtes séparés, vous et Leslie. J’ai idée que ce doit être extrêmement grave.
— Pas du tout. De petites choses sont venues s’immiscer entre elle et moi, des détails insignifiants en fait. Voyez-vous, il y a cette montagne de travail à abattre, l’impôt, la comptabilité, les films, les livres et mille et une offres qui nous viennent de partout à travers le monde. Eh bien, il faut s’occuper de tout cela et pas n’importe comment, selon elle. Alors elle plonge tête baissée dans le travail, comme une véritable démente, sans jamais prendre un seul moment de repos. Et pourtant elle m’avait promis, voilà plusieurs années, que jamais plus je ne me retrouverais dans ce fouillis où je me noyais à l’époque où elle m’a rencontré. Et elle était sérieuse, vous savez. »
Heureux de pouvoir se confier à moi, même s’il me considérait comme une simple projection de son esprit, l’homme poursuivit sur sa lancée et me dit :
« Pour ma part, je n’ai jamais pu m’embarrasser de vétilles. Alors elle s’est fait un devoir de s’occuper de tout elle-même, jonglant d’une main avec trois ordinateurs et de l’autre avec des formulaires et des échéances. Et elle se jure qu’elle en viendra à bout, même si cela doit la tuer, vous comprenez ? »
Il avait prononcé cette dernière phrase en laissant sous-entendre que cela le tuerait, lui. Comme il était amer, rempli de rancœur.
« Et bien sûr, elle n’a jamais de temps à me consacrer, occupée qu’elle est avec tout ce travail. Et elle refuse mon aide, car elle a peur que je foute la pagaille dans tout ça.
« Je lui rappelle alors que nous vivons dans un monde d’illusions et qu’elle ne devrait donc pas le prendre au sérieux. Et je lui dis que j’irai peut-être faire un petit tour d’avion. Oh, pas longtemps ! Mais quand je pars, elle me regarde comme si elle allait m’atomiser ! »
Il reposait toujours sur le lit, comme sur le canapé d’un psychiatre.
« Elle a changé, reprit-il au bout d’un moment. Elle est devenue nerveuse, tendue. Elle n’a plus rien de cette spirituelle et charmante jeune femme que j’ai connue. C’est comme si elle manœuvrait une pelle mécanique au-dessus d’une immense fosse et qu’il se trouvait tellement de paperasse à déplacer d’ici au 15 avril ou au 26 septembre, ou que sais-je, qu’elle se verra ensevelie sous la pile si elle s’arrête de bouger même un instant. Et quand je lui demande ce qu’il est advenu de notre vie, elle me hurle que si seulement je mettais la main à la pâte, j’arriverais peut-être à comprendre ! »
Si je n’avais pas su que cet homme était moi, j’aurais pensé qu’il délirait.
Pourtant, j’avais presque failli emprunter le même chemin que lui à une certaine époque de ma vie et étais presque devenu aussi dément qu’il en avait l’air. Il est si facile en effet de se perdre dans un dédale de détails et de remettre ses priorités à plus tard, persuadé que rien ne viendra menacer un amour si spécial, simplement pour se rendre compte finalement que la vie elle-même est devenue un détail et qu’on est soi-même étranger à la personne qu’on aime pourtant le plus au monde.
« Oui, j’ai connu cela, moi aussi, dis-je en sortant de ma rêverie. Mais dites-moi, cela vous dérangerait de répondre à une question ?
— Allez-y. Plus rien ne peut me faire de mal. Tout est fini entre elle et moi. Mais ce n’est pas ma faute, ça non ! Bien sûr que les détails peuvent parfois s’avérer mortels, mais c’est de nous dont il est question après tout, nous, les âmes sœurs ! Je retourne à mes anciennes habitudes pour quelques jours, je laisse l’ordre et le rangement de côté, histoire de me délasser un peu, et la voilà qui se plaint que j’ajoute à son fardeau. Puis elle dresse une liste de choses et d’autres qu’elle désire que je fasse, et si j’ai le malheur de mettre un peu trop de temps à les faire, si j’oublie simplement de changer une ampoule électrique, elle m’accuse de lui imposer toute la responsabilité de notre ménage. Vous voyez où je veux en venir ?
« Je veux bien lui donner un coup de main de temps à autre. Mais tout le temps ? Et même si je ne l’aide pas, est-ce là un motif suffisant pour mettre fin à notre mariage ? Ça ne devrait pas l’être, en tout cas ! Mais un caillou tombe, et puis un autre ; et puis, finalement, voilà que le pont tout entier s’écroule. Pourtant, je ne sais combien de fois je lui ai répété de se secouer un peu, de considérer l’aspect positif des choses. M’a-t-elle seulement écouté ? Que non ! Il fut une époque où notre mariage en était un d’amour et de respect, mais maintenant il ne reste que tension, travail incessant et colère. Elle n’arrive plus à discerner ce qui est vraiment important. Elle …
— Hé ! Dites-moi quelque chose, voulez-vous ? » L’homme interrompit sa complainte et me regarda, manifestement surpris que je fusse encore là.
« Est-il quelque chose qui permettrait à Leslie de croire que vous valez la peine qu’elle se donne à vous ? lui demandai-je. Qu’avez-vous de si merveilleux qui fasse en sorte qu’elle soit amoureuse de vous ? »
Il fronça les sourcils, ouvrit la bouche mais ne put émettre le moindre son et je songeai que j’aurais pu tout aussi bien être un sorcier qui venait de le priver du pouvoir de la parole. Puis il détourna les yeux et, l’air hébété, regarda la pluie qui tombait toujours.
« Quelle était cette question, déjà ? s’enquit-il après quelques minutes.
— Que croyez-vous avoir, répétai-je patiemment, que devrait aimer votre femme ? »
Il réfléchit intensément, haussa les épaules. « Je ne sais pas, répondit-il enfin.
— Vous montrez-vous aimable avec elle ? »
Il secoua presque imperceptiblement la tête.
« Plus maintenant, me répondit-il. Mais avouez qu’il est difficile de se montrer aimable quand …
— Faites-vous montre de compréhension et de sympathie à son endroit ? » lui demandai-je encore en m’empressant de l’interrompre.
Honnêtement ? Il réfléchit un moment à cette question, puis : « Pas vraiment, fit-il.
— Vous montrez-vous intéressé et sensible à ce qu’elle ressent ? Êtes-vous capable de compassion envers elle ?
— Pas vraiment, non », répondit-il encore laconiquement.
Il était évident qu’il soupesait soigneusement chacune des questions que je lui posais, et je me demandai si les réponses apportées exigeaient beaucoup de courage de sa part ou si c’était en désespoir de cause qu’il acceptait ainsi de faire face à la vérité.
« Êtes-vous loquace, repris-je encore, aimez-vous la conversation ? Êtes-vous intéressant, enthousiaste, inspirant, édifiant ? »
Cette fois, ma question parut avoir un certain impact, car l’homme s’assit sur son séant pour la première fois depuis mon arrivée pour alors me regarder droit dans les yeux.
« Parfois. Rarement … », répondit-il. Et après une longue pause : « Non.
— Êtes-vous romantique, alors ? Êtes-vous plein d’égards à son endroit, la couvrez-vous de vos soins attentifs ?
— Non.
— Êtes-vous bon cuisinier ? Êtes-vous ordonné dans la maison ?
— Non.
— Êtes-vous fiable ? Peut-elle compter sur vous pour l’aider à résoudre certains problèmes ? Peut-elle trouver en vous un havre de paix ?
— Pas vraiment.
— Êtes-vous astucieux en affaires ?
— Non.
— Êtes-vous son ami ? »
Il réfléchit longuement avant de répondre : « Non, je ne le suis pas.
— Si vous vous étiez présenté à elle, lors de votre toute première rencontre, avec tous ces défauts, croyez-vous qu’elle aurait souhaité vous revoir ?
— Non, je ne crois pas.
— Et comment expliquez-vous qu’elle ne vous ait pas quitté plus tôt ? Pourquoi est-elle restée si longtemps, à votre avis ? »
Il me regarda, l’air hagard avant de me répondre : « Parce qu’elle était mariée avec moi ? fit-il.
— Il est fort probable que vous ayez raison », lui rétorquai-je.
Un long silence s’ensuivit pendant lequel nous méditâmes tous les deux sur la véritable portée de sa dernière remarque.
« Dites-moi, lui demandai-je au bout d’un moment, croyez-vous qu’il vous serait possible de changer ? Vous sentez-vous capable de transformer vos défauts en quelque chose de positif ? »
Il me regarda à nouveau, ébahi, prenant conscience de toutes les réponses négatives qu’il venait de me donner.
« Mais bien sûr que c’est possible. J’ai déjà été son meilleur ami, après tout. J’étais … » Il s’interrompit, tentant manifestement de se rappeler ce qu’il avait été.
« Cela vous mortifierait-il de tenter de recouvrer ces qualités qui furent vôtres ? Vous sentiriez-vous diminué pour autant ?
— Non.
— Qu’auriez-vous à perdre ?
— Rien, je suppose.
— Et croyez-vous que vous pourriez y gagner quelque chose ?
— J’y gagnerais beaucoup ! » s’exclama-t-il, comme si l’idée venait tout juste de lui effleurer l’esprit pour la première fois de son existence. « De fait, je crois qu’elle m’aimerait à nouveau. Et si c’était le cas, alors nous serions tous les deux heureux. Vous savez, il fut un temps où chaque moment que nous passions ensemble était tout simplement glorieux. C’était d’un romantisme ! Nous étions toujours à explorer de nouvelles avenues, recherchant le plus fin des aperçus. Et c’était si stimulant … Si nous en avions le temps, peut-être pourrions retrouver tout cela. »
Il réfléchit un moment, puis fit preuve de la plus grande honnêteté en me révélant : « J’avoue que je pourrais l’aider beaucoup plus que je ne le fais. J’ai simplement pris l’habitude de la laisser s’occuper de tout et me suis laissé emporter sur la voie de la facilité. Mais si je l’aide, si je fais ma part, je crois bien que je saurai retrouver mon amour-propre.
Il se leva pour aller se regarder dans la glace. Il secoua la tête devant sa réflexion, puis se mit à faire les cent pas dans la pièce.
Je dus reconnaître que la transformation que venait de subir cet homme était pour le moins remarquable. Néanmoins, je ne pus m’empêcher de me demander s’il était possible qu’il eût vraiment tout saisi avec autant de facilité.
« Comment se fait-il que je n’ai pu arriver à comprendre tout cela par moi-même ? » fit-il. Puis me regardant droit dans les yeux, il ajouta : « Mais je suppose que c’est exactement ce que je viens de faire, après tout.
— N’oubliez pas que vous avez mis des années à vous dégrader de la sorte, lui dis-je sur un ton circonspect. Combien pensez-vous qu’il vous faudra de temps alors pour remonter la pente ?
— Mais il n’est pas question d’y mettre du temps ! s’exclama-t-il, surpris de ma question. La transformation s’est opérée et il s’agit maintenant de me mettre à l’épreuve.
— Vous y allez un peu rapidement, il me semble, lui fis-je remarquer.
— Il est facile de changer une fois qu’on a découvert la source du problème, déclara-t-il, le visage illuminé par l’enthousiasme. Si l’on vous donnait un serpent à sonnette, n’est-ce pas que vous vous empresseriez de le lancer à bout de bras ? Et vous voudriez me faire croire que je devrais garder ce serpent parce qu’il n’est autre que moi ? Très peu pour moi, merci !
— Pourtant, nombreux sont ceux qui s’accrocheraient malgré tout à ce serpent », rétorquai-je.
Prenant place dans le fauteuil qui se trouvait près de la fenêtre, il me regarda un moment puis me dit : « Mais je ne suis pas comme la plupart des gens. Cela fait deux jours que je me terre dans cette chambre d’hôtel, à ruminer le fait que les âmes aimantes que Leslie et moi avons été s’étaient à jamais envolées ensemble vers une vie à la fois heureuse et différente, tandis qu’elle et moi devions demeurer ici en cette misérable dimension où il ne nous est même plus possible d’échanger l’un avec l’autre.
« Et puis, j’étais à ce point certain que tout était sa faute que je ne cherchais même plus à régler la situation, persuadé que j’étais que les choses s’amélioreraient sitôt qu’elle changerait. Mais maintenant … Si c’est vraiment ma faute, je peux y faire quelque chose. Et si je change et que, pendant un mois, je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour que les choses changent aussi entre elle et moi, mais que notre situation ne s’améliore pas pour autant, alors seulement nous pourrons voir si Leslie peut changer son comportement ! »
Il se remit à arpenter la pièce tout en me regardant comme si j’avais été un brillant psychothérapeute.
« Vous m’avez posé à peine quelques questions et voyez ce qu’il en résulte ! dit-il. Pourquoi m’a-t-il fallu attendre votre visite ? Pourquoi ne me suis-je pas remis moi-même en question il y a des mois ?
— Pourquoi, en effet ? renchéris-je.
Je l’ignore. Je me suis complu dans le ressentiment, préférant croire que Leslie était la cause de tous mes problèmes. Et je me suis apitoyé sur mon sort, pensant combien elle était différente de la femme que j’avais tant aimée. »
Il s’assit sur le lit, se prit la tête entre les mains. Savez-vous à quoi je pensais lorsque vous êtes entré ? » me demanda-t-il. Et sans attendre ma réponse, il ajouta : « Je pensais à ce geste ultime que posent parfois les personnes désespérées … »
Il se leva et se dirigea vers le balcon pour contempler la pluie qui tombait, mais l’expression de son visage aurait pu faire croire que cette dernière avait soudain fait place à un soleil éclatant.
« La solution réside uniquement dans le changement qui s’est opéré en moi, déclara-t-il. De fait, je mériterais de perdre Leslie si je me refusais à changer de comportement. Mais maintenant qu’il m’a été donné de voir la vérité, je sais ce qu’il me faut faire pour la rendre heureuse. Et quand Leslie est heureuse … » Il me regarda en souriant et reprit : « Vous n’avez pas idée de ce que ça peut être lorsque Leslie est heureuse !
— Mais qu’est-ce qui pourrait lui faire croire que vous avez réellement changé ? lui demandai-je. Avouez que ça ne vous arrive pas tous les jours de quitter la maison, insouciant, pour revenir le lendemain, aimant et compatissant comme à vos premiers jours. »
Il réfléchit à cette remarque tandis que la tristesse envahissait son visage.
« Vous avez raison, avoua-t-il. Pourquoi me croirait-elle ? Elle pourrait mettre des jours, voire des mois avant de reconnaître que j’ai changé ; il se pourrait même qu’elle ne s’en aperçoive jamais. » Il réfléchit encore à la question avant d’ajouter : « La vérité, au fond, est qu’il n’en tient qu’à moi de changer et que cela n’a rien à voir avec le fait que Leslie s’en rende compte ou pas.
— Et si elle refuse de vous écouter ? Comment ferez-vous pour lui faire comprendre ce qui s’est passé ?
— Je ne sais pas, fit-il doucement. Mais je trouverai bien un moyen. Qui sait, peut-être le discernera-t-elle dans ma voix … »
Il se dirigea alors vers l’appareil téléphonique, décrocha le combiné et composa un numéro.
À ce moment, j’aurais pu tout aussi bien disparaître sans même qu’il s’en aperçoive, absorbé qu’il était par son appel, imbu d’un avenir qu’il avait été bien près de perdre.
« Salut, chérie, fit-il au bout d’un moment. Je comprendrais si tu raccrochais, mais il m’est arrivé quelque chose et j’ai pensé que tu aimerais peut-être l’apprendre. »
Il écouta attentivement la réponse que lui faisait son épouse.
« Non, au contraire je t’appelle pour te dire que tu as parfaitement raison, reprit-il. J’ai eu tort ; je me suis montré égoïste et injuste à ton égard. Je ne puis te dire à quel point je le regrette. J’admets que c’est moi qui dois changer et en fait, j’ai changé ! » Il écouta encore, puis dit au bout d’un moment : « Chérie, je t’aime de tout mon cœur, plus que jamais en fait, maintenant que je comprends ce qu’il t’a fallu endurer en restant avec moi aussi longtemps. Mais je te jure que je ferai en sorte que tu sois heureuse de l’avoir fait.
Il écouta, ses lèvres esquissant un infime sourire.
« Merci, répliqua-t-il à la réponse manifestement favorable de sa femme. En ce cas, je me demande si tu aurais du temps à consacrer à ton mari avant que tu ne prennes la décision de ne plus jamais le revoir … »