Nous venions du nord et nous nous dirigions vers Los Angeles à bord de notre fidèle hydravion. Pendant des heures et des heures, nous avions survolé des montagnes bleues et roses et voilà que, du brouillard, émergeait la ville qui s’étendait frémissante à nos pieds sous ce chaud soleil d’été.
« Quelle distance nous reste-t-il à parcourir, chérie ? demandai-je à Leslie en me servant de l’interphone.
— Trente-deux milles au nord », me répondit-elle après avoir consulté le tableau de bord de l’appareil. « Ce qui signifie qu’il nous reste encore quinze minutes de vol. Et maintenant, aimerais-tu entrer en communication avec le centre de contrôle de Los Angeles ?
— Oui », lui répondis-je en pensant à combien elle avait changé en onze années de mariage et moi aussi dans ce même laps de temps. Elle qui avait peur de prendre l’avion, voilà qu’elle était devenue pilote et navigatrice, et moi qui avais peur du mariage, voilà que j’étais devenu son époux et l’homme le plus heureux au monde.
« Allô ! Los Angeles Approche, dis-je en ouvrant le microphone, ici Martin Seabird Un Quatre Bravo. Je quitte sept mille cinq cents pieds en descente pour trois mille cinq cents pieds, au cap sud vers Santa Monica. »
Dans l’intimité, nous appelions notre hydravion le Ronchonneur, mais en présence des contrôleurs de la circulation aérienne, nous lui donnions son nom officiel.
Comment se fait-il que nous soyons si chanceux, me dis-je en moi-même en attendant la réponse du contrôleur, et que nous puissions jouir d’une vie aux côtés de laquelle même nos rêves d’enfants paraissent insignifiants ? Comment se fait-il qu’après cinquante années de dur labeur et d’expériences de toutes sortes, nous en soyons arrivés à ce merveilleux équilibre qui nous rend la vie heureuse ?
« Martin Un Quatre Bravo, contact radar », dit une voix que j’entendis à travers mes écouteurs.
— Un avion ici et un autre là encore, me signala Leslie.
— Surveille-les », répondis-je en me tournant vers celle qui avait laissé tomber sa carrière d’actrice pour devenir ma compagne d’aventure, et qui était si belle avec son visage angélique qu’encadraient des cheveux blonds, et ses yeux bleus si intenses maintenant occupés à scruter le ciel. Quel beau visage cet esprit a conçu, pensai-je alors en moi-même.
« Martin Seabird Un Quatre Bravo », demande Los Angeles Approche, « transpondez : quatre six quatre cinq. »
N’est-il pas étrange, me dis-je en poursuivant ma réflexion, que nous nous soyons rencontrés, elle et moi, et que nous nous soyons reconnus comme des âmes sœurs ? N’est-il pas étrange que nos destins se soient croisés et qu’en ce moment précis nous nous dirigions ensemble vers Spring Hill où nous assisterons à un congrès sur la pensée créatrice et à l’intérieur duquel seront traités des sujets tels que science et conscience, guerre et paix et avenir de la planète ?
« Ce message ne s’adressait-il pas à nous ? me demanda Leslie.
Oui, lui répondis-je en revenant à la réalité. Mais quelle direction nous a-t-il indiqué ?
— Ne t’en souviens-tu pas ?
— Oui, lui répondis-je. Le quatre six quatre cinq.
— Bien, dit-elle. Puis elle ajouta : Je me demande ce que tu ferais si tu ne m’avais pas. »
Et ce furent là les dernières paroles que nous échangeâmes avant que le monde ne bascule !