Chapitre IV

J’étais prêt à tout pour que l’intruse ne s’aventure pas plus avant, et aussi je me rabattis sur la commande des gouvernails et m’apprêtai à accélérer.

« N’ayez pas peur, dit la jeune femme en riant. Je suis votre amie, et la dernière personne de qui vous devriez vous méfier. »

À ces paroles, je me détendis un peu et sentis ma main se desserrer.

« Qui êtes-vous ? demanda Leslie en regardant fixement la jeune femme.

— Je m’appelle Pye, répondit cette dernière, et suis par rapport à vous ce que vous êtes pour ceux que vous venez de quitter à Carmel. Ou, pour être plus exacte, je suis un millier de fois ce que vous êtes pour eux. »

Puis, elle haussa les épaules comme si cela n’avait pas d’importance. Moi, de mon côté, je ramenai l’appareil à sa vitesse de croisière et lui demandai, lorsque le bruit eut cessé :

« Comment êtes-vous … Que faites-vous ici ?

— J’ai cru que cela vous intéresserait de me rencontrer, me répondit-elle. Je suis venue dans le but de vous aider.

— Que voulez-vous dire, s’enquit alors Leslie, lorsque vous affirmez que vous êtes vis-à-vis nous des milliers de fois ce que nous sommes par rapport à ceux que nous venons de quitter ? Voulez-vous dire par là que vous êtes un de mes moi parallèles, ayant son existence dans le futur ? »

La jeune femme acquiesça puis en se penchant un peu vers nous, elle dit : « De fait, je suis votre moi parallèle à tous les deux, et je n’appartiens pas à votre futur, mais à un autre présent. »

J’aurais voulu savoir ce qu’elle entendait par « notre moi parallèle à tous les deux » et par un « autre présent », mais ce que je désirais par-dessus tout, c’était d’apprendre ce qui nous arrivait.

« Où sommes-nous ? m’empressai-je de lui demander. Et savez-vous ce qui a causé notre mort ? »

Ma dernière question la fit sourire et, en hochant la tête elle répéta, l’air amusé :

« Votre mort ? Mais d’abord, pourquoi croyez-vous que vous êtes morts ?

— Je ne le sais trop, lui répondis-je. Mais je puis cependant vous affirmer que le phénomène s’est produit au moment où nous nous apprêtions à nous poser à Los Angeles. En effet, à ce moment, la ville tout entière a disparu de notre champ de vision, comme si elle avait cessé d’exister ou qu’elle s’était volatilisée. Pouvez-vous donc me dire ce que cela signifie quand soudain, il n’y a plus de ville, plus de civilisation, et que seul subsiste un océan infini qui manifestement n’est pas situé sur la planète Terre ? Et que penser quand deux êtres humains se retrouvent seuls dans leur hydravion, au-dessus de cet océan ?

« Et quel sens donner lorsque soudain ils se retrouvent face à des moi parallèles, qui appartiennent à leur passé et semblent plus vivants qu’ils ne le paraissent eux-mêmes, fantômes ? Pouvez-vous m’éclairer sur le pourquoi et le comment des gens leur passent à travers le corps et qu’eux-mêmes passent à travers des murs ? Mais ceci mis à part, je n’ai aucune autre raison de penser que nous sommes morts !

— Mais la vérité, c’est que vous êtes vivants », nous dit-elle en riant.

À ces paroles, mon épouse et moi-même poussâmes un soupir de soulagement.

« Mais si nous ne sommes pas morts et que nous n’avons pas péri d’une façon ou d’une autre, que nous est-il arrivé ? s’enquit alors Leslie. Et où sommes-nous ?

— L’endroit où vous vous trouvez, rétorqua la jeune femme n’est pas tant un lieu qu’un espace d’où vous pouvez jouir d’un point de vue particulier et d’une perspective incommensurable. Quant à ce qui vous est arrivé, je ne saurais le dire exactement, mais je soupçonne que cela provient de l’électronique. » Puis, jetant un regard à notre tableau de bord, elle fronça les sourcils et dit :

« Il y a à bord de cet appareil des récepteurs à haute fréquence : un récepteur loran, un transpondeur et un radar à impulsions. Il peut y avoir eu interférence ou une interaction avec des rayons cosmiques … » Puis après qu’elle eut examiné les divers instruments, elle nous demanda :

« Avez-vous été enveloppés d’une lumière ambre ?

— Oui, répondîmes-nous en chœur.

— Intéressant, dit-elle avec un petit sourire. Car les chances qu’une telle chose se produise sont de une sur un milliard. De sorte que vous puissiez difficilement espérer revivre une autre expérience du même genre.

— Et les chances pour qu’elle se termine ! Sont-elles aussi de une sur un milliard ? » m’enquis-je soudain, alarmé à la pensée de ne plus jamais pouvoir revenir sur la Terre. « Et croyez-vous que nous parviendrons à temps au congrès qui commence demain à Los Angeles ?

— Le temps », dit-elle, comme si la question lui paraissait incongrue. Puis, se tournant vers Leslie, elle lui demanda si elle avait faim.

« Non », lui répondit mon épouse.

Puis, se tournant vers moi, elle me demanda si j’avais soif.

« Non, lui répondis-je à mon tour.

— Et quelle est la raison qui fait que vous n’ayez pas soif ? me demanda-t-elle, insistante.

— Ce doit être le stress, l’excitation, lui répondis-je.

— Ou la peur, ajouta Leslie.

— Vous avez donc peur ? » lui demanda Pye en se tournant vers elle.

Leslie réfléchit un moment puis, la gratifiant d’un large sourire, elle lui répondit :

« Non, plus maintenant. »

Je ne pouvais en dire autant, car jamais je n’avais pu m’adapter facilement au changement.

« Et combien d’essence consommez-vous ? dit Pye en bifurquant de nouveau vers moi.

— Je n’en consomme pas », lui répondis-je en comprenant subitement que si la jauge à essence était au point mort, c’était que nous n’avions pas besoin d’essence, comme nous n’avions nul besoin de boire ou de manger, ces phénomènes et activités étant reliés à l’espace-temps.

Pye approuva de la tête, et semblait penser que j’avais vu juste.

« Mais la vitesse n’est-elle pas aussi reliée au temps ? s’enquit alors Leslie. Et si tel est le cas, comment se fait-il que nous nous déplacions à une certaine vitesse ?

— Vous déplacez-vous vraiment ? dit Pye en haussant les sourcils et en se tournant vers moi, comme si j’avais réponse à cette question.

— Ne me demandez pas cela à moi », lui répondis-je. Puis j’ajoutai : « Serait-ce que nous ne nous déplacerions pas physiquement, mais en … »

Pye m’invita à continuer en faisant un mouvement de la tête et moi de mon côté j’eus l’impression de prendre part à un jeu de charades.

« Serait-ce que nous nous mouvons en conscience ? finis-je par dire.

— C’est exactement cela ! » répondit Pye en me rendant un sourire radieux et en se frottant le bout du nez. « Car ce que vous appelez le temps est en fait un mouvement de la conscience. Et tous les événements que l’on dit se produire dans l’espace-temps, se produisent dans cette conscience qui est un éternel présent et à l’intérieur de laquelle coexistent passé, présent et futur. Bref le passé et le futur n’existent pas puisque seul le présent est réel. Mais ces notions de passé et de futur, il nous faut bien les utiliser, car elles nous aident à nous faire comprendre lorsque nous parlons. »

Puis, cherchant à établir une comparaison valable, elle s’arrêta un moment et leva les yeux au plafond, comme pour y puiser l’inspiration. Et quand elle eut trouvé, elle poursuivit en disant :

« Cela pourrait se comparer à l’arithmétique. Car lorsque vous connaissez les lois de cette science, vous savez que les réponses à toutes les opérations mathématiques existent déjà. Vous savez par exemple que la réponse au problème arithmétique qui consiste à trouver la racine cubique de six est déjà existante, mais que pour la trouver ou la calculer vous avez besoin de quelques secondes, soit d’une brève période de ce que nous appelons le temps. »

La racine cubique de 8 est 2, me disais-je à moi-même pendant qu’elle me fournissait ces explications, et la racine cubique de 1 est 1 Quant à la racine cubique de 6, elle se situe quelque part entre le 1 et le 2, du côté de 1,8. Mais chose certaine, la réponse à cette opération mathématique existe déjà, comme l’affirme Pye, et il ne me reste plus qu’à la trouver.

« En est-il toujours ainsi ? s’enquit alors Leslie. Et cela veut-il dire qu’il n’y a pas de futur et que les événements qui risquent de se produire dans l’avenir se sont déjà produits dans les faits ?

— Pas plus que le temps, le passé n’a d’existence », répondit Pye.

Leslie, avec son sens pratique, était exaspérée. Elle poursuivit en disant :

« À quoi nous sert de passer au travers de toutes ces expériences prenant place dans un prétendu espace-temps, si tout est déjà réglé d’avance ? À quoi bon faire des efforts si tout est prédéterminé ?

— Tout n’est pas prédéterminé, répondit Pye doucement et la vérité, c’est que nous disposons d’un nombre illimité de possibilités parmi lesquelles nous choisissons et que ce sont nos choix les facteurs déterminants de nos expériences. Nos expériences quant à elles servent à nous faire comprendre, de façon très graduelle, que nous ne sommes pas les êtres limités que nous croyons être, mais plutôt des expressions interdimensionnelles de la vie, des miroirs de la vie.

— Comment tout cela se passe-t-il exactement ? demandai-je à Pye. Y aurait-il un entrepôt géant quelque part dans le ciel et sur les tablettes duquel sont entreposées les innombrables expériences parmi lesquelles il nous est donné de choisir ?

— Il ne s’agit ni d’endroit ni d’entrepôt, rétorqua Pye, quoiqu’il ne vous soit pas interdit de voir la chose de cette façon. Mais si je vous demandais maintenant de me dire de quoi il s’agit ? »

Je fis signe de la tête que je ne le savais pas, puis je me tournai vers Leslie. Elle ne le savait pas non plus.

« Mais de quoi croyez-vous donc qu’il s’agisse ? répéta Pye en pointant le doigt en direction de l’eau et en nous regardant attentivement.

— Le plan, s’exclama Leslie. Le plan sous l’eau ! Et les choix que nous avons faits. Ah ! je crois que je comprends maintenant. Sur le plan sont inscrits nos choix, sont tracés les sentiers que nous avons empruntés. Y sont aussi tracés tous les autres sentiers que nous aurions pu emprunter, que nous avons empruntés ou que nous emprunterons dans …

— Dans des vies parallèles », dis-je en commençant à rassembler les diverses pièces du puzzle.

Au-dessous de nous, le plan se déployait majestueux, et nous le contemplions avec admiration.

Puis, sentant l’inspiration venir, je poursuivis en disant : « Nous sommes très haut dans le ciel et c’est pourquoi nous jouissons d’une telle perspective. Ici, nos choix nous apparaissent clairement, de même que les différentes alternatives qui s’offrent à nous. Mais lorsque nous perdons de l’altitude, notre champ de vision se rétrécit ; et lorsque enfin nous atterrissons, nous ne jouissons plus d’aucune perspective et oublions en quelque sorte qu’une multitude de possibilités s’offrent à nous. Et c’est alors que nous commençons à nous concentrer sur les détails, l’heure présente, la minute présente et que nous oublions nos vies parallèles.

— Quelle jolie métaphore que celle que vous venez d’inventer », dit Pye en guise de commentaire. « Des sentiers qui tapissent le fond d’un océan infini et forment à eux tous un plan qui sert à expliquer qui vous êtes, d’où vous venez et où vous allez ! Ceci, bien sûr, vous oblige à avoir recours à votre hydravion qui, dans un tel contexte, peut vous conduire jusqu’à vos vies parallèles ! Mais pourquoi n’en serait-ce pas ainsi après tout, puisque ceci en soi se veut très créatif ?

— Voulez-vous dire, demandai-je alors à Pye, que ni cet océan infini qui se trouve au-dessous de nous, ni les sentiers qui en tapissent le fond n’ont d’existence réelle ?

— Rien de ce qui se trouve dans l’espace-temps, me répondit-elle, n’a d’existence réelle. Le plan n’est qu’une aide visuelle que vous vous êtes construite pour vous aider à comprendre ce que sont les vies parallèles. Et si vous avez choisi cette aide en particulier, c’est que vous aimez piloter, que vous aimez le vol sous toutes ses formes. Pour entrer en contact avec vos moi parallèles, vous avez choisi d’atterrir sur des sentiers imaginaires vous conduisant jusqu’à eux puis de les y observer en train de cheminer afin de tirer d’eux le maximum d’enseignements possible. Puis, pour vous sortir des sentiers, une fois chacune des expériences terminées, vous avez choisi de vous imaginer à bord de votre hydravion et en train de vous envoler à nouveau afin de reprendre de l’altitude et de regagner en perspective.

— C’est donc nous qui avons inventé ce plan de toutes pièces ? s’enquit alors Leslie.

— Il y a plusieurs façons de décrire la vie dans l’espace-temps, lui répondit Pye, et toutes les métaphores utilisées à cet effet se valent les unes les autres. Ainsi, si vous affectionnez la photographie, vous parlerez de focalisation et direz que dans la vie, tout se résume à une question de focalisation. Et soit dit en passant, la focalisation est ce qui permet de mettre une chose en particulier en évidence dans le champ de vision et de brouiller tout le reste. Et ainsi, lorsque nous nous sommes incarnés, nous focalisons sur notre vie présente et oublions toutes les autres, croyant même qu’elles n’existent pas. Mais de fait, elles existent et existent aussi encore bien d’autres choses que nous considérons irréelles ou imaginaires !

— Voilà sans doute la raison pour laquelle la physique, la mécanique quantique et la notion d’éternité nous intéressaient tant, dis-je. Car toutes, à leur façon, nous font comprendre que ce que nous croyons absolu est relatif et que ce que nous croyons relatif est absolu. Tant les vies passées que les vies futures y seraient considérées comme de simples points de vue et le temps, comme une invention servant à expliquer le mouvement. Et au moment d’une incarnation, toutes les autres vies seraient oubliées … Mais est-ce bien ainsi que les choses se passent ? demandai-je à Pye.

— Pas tout à fait, mais presque, me répondit-elle.

— Ainsi donc, nous pourrions nous transporter dans le futur, dit Leslie, et connaître ce qui se passe à Carmel. Nous pourrions savoir si le jeune Richard et la jeune Leslie vont choisir d’unir leurs destinées et s’ils se sont épargné toutes ces années d’attente.

— Vous le savez déjà, répondit notre guide.

— Non, nous ne le savons pas, rétorquai-je, car nous avons été évacués des lieux avant même qu’ils aient pu prendre une décision. »

Amusée par ma remarque, Pye m’offrit son remarquable sourire et me dit : « Eux aussi, ils ont des choix à faire. Or l’aspect d’eux-mêmes qui a peur de l’engagement, a décidé de ne pas s’engager et de ne plus jamais se revoir, tandis qu’un autre aspect d’eux-mêmes a décidé d’opter pour l’amitié. Enfin, un troisième aspect d’eux-mêmes est devenu amant, tandis qu’un quatrième a opté pour le mariage, puis le divorce. Enfin, un dernier aspect a décidé qu’ils étaient des âmes sœurs, qu’ils se marieraient et resteraient ensemble pour le reste de leur vie.

— Si je comprends bien, lui répondis-je, nous n’avons pas un mot à dire dans notre propre histoire et devons nous contenter de décider sous quel angle nous préférons la regarder.

— C’est une façon de voir les choses, me répondit-elle à son tour.

— Bon, trêve de plaisanteries, lui dis-je enfin, et dites-moi ce qui arriverait si nous décidions de nous poser sur un sentier qui nous mènerait à nos parents et que nous les empêchions de se rencontrer et de nous mettre au monde, nous, leurs enfants ?

— Cela est impossible, dit Leslie en s’adressant à moi. Car nous sommes partis de cette portion du plan dans lequel nos parents ont choisi de se rencontrer et de nous mettre au monde. Nous ne pourrions pas, par conséquent, ne pas être nés, c’est une réalité immuable.

— Les choses sont-elles prédéterminées ? demandai-je encore à Pye. Et y a-t-il une destinée ?

— Bien sûr qu’il y a une destinée, me répondit Pye. Toutefois, cette destinée, c’est nous qui la choisissons, car jamais il ne nous est demandé d’aller dans une direction où nous ne voulons pas aller.

— Et si nous choisissions de rentrer à la maison ? dis-je. Comment nous faudrait-il nous y prendre ? »

Ces paroles la firent sourire et elle me répondit :

« Il est aussi facile de rentrer à la maison que de poser le pied par terre. Pour y arriver, vous devez simplement accepter de vous laisser guider par la lumière de l’amour. Car le chemin du retour en est un qui vous oblige à emprunter la voie spirituelle ! »

Puis elle s’arrêta net et nous dit : « Je vous prie de m’excuser pour ce discours. Et si je comprends bien, vous aimeriez que je vous indique comment rentrer chez vous, aux États-Unis.

— C’est cela, dis-je.

— Oh ! non », objecta Leslie en me prenant la main pour bien se faire comprendre. Puis, s’adressant à Pye, elle lui dit :

— Si l’on se fie à vos dires, il nous serait possible de rentrer à Los Angeles au moment où nous le désirions, car les êtres que nous étions et qui s’y rendaient sont simplement arrêtés dans le temps.

— Bien sûr que nous le pourrions, dis-je. Mais il suffirait que ce rayon cosmique nous touche à nouveau pour qu’immédiatement nous nous retrouvions ici.

— Cela ne se produira pas, rétorqua Pye. Car à partir du moment où vous aurez choisi de vous en retourner, un million de variables auront changé et les choses ne seront plus jamais comme avant. Ce qui s’est produit ne pourra plus se reproduire et vous-mêmes ne pourrez revenir ici. »

Puis au bout d’un moment, elle ajouta : « Aimeriez-vous que je vous dise comment rentrer à la maison, maintenant ?

— Non », dit encore Leslie d’une voix ferme. Puis s’adressant à moi, elle me dit : « Nous ne pouvons laisser passer cette occasion unique de comprendre ce que sont les vies parallèles, Richard, et de tirer des enseignements des expériences que nous sommes appelés à vivre ici. Et puis, tu sais, si nous refusons de rester, jamais une telle offre ne nous sera faite à nouveau, les chances pour que nous nous retrouvions ici à nouveau n’étant que de une sur des milliards !

— Pye, dis-je en prenant la parole à mon tour, encourons-nous certains dangers en acceptant de rester ? Nous exposons-nous à des situations dangereuses où nous risquons d’être blessés ou je ne sais trop quoi encore ?

— Cela dépend de vous entièrement », me répondit Pye. Mais qu’est-ce qu’elle raconte là ? me dis-je alors en essayant de comprendre le sens de ses paroles. Et que se passerait-il si Leslie et moi devions être séparés à jamais ou que nous nous trouvions dans l’impossibilité de réintégrer notre monde ? Vraiment, cela n’a pas de sens et il est déjà complètement fou d’être ici dans un espace psychique que nous ne maîtrisons même pas.

Puis m’adressant à Leslie, je lui dis : « Je crois, chérie, qu’il vaudrait mieux nous en retourner à la maison !

— Oh ! Richie ! me répondit-elle. Tu ne veux quand même pas laisser passer cette occasion unique ? Pense à tout ce que nous apprendrons si nous décidons de rester. Toi en particulier, qui as toujours voulu tout savoir sur les vies parallèles et qui n’as jamais cessé de te documenter à ce sujet. Bref, ne crois-tu pas que le jeu en vaut la chandelle et que nous pouvons bien accepter de courir quelques risques ! »

Je poussai un profond soupir et me dis à moi-même qu’il ne pouvait en être autrement et que Leslie avait toujours su me convaincre du bien-fondé de ses décisions et que maintenant, elle allait même jusqu’à en appeler de mes intérêts.

« Bon, lui dis-je enfin. J’accepte de rester. »

L’atmosphère autour de nous me parut chargée de menaces encore inconnues et je me sentis comme un élève qui n’aurait pas attaché sa ceinture de sécurité et à qui on aurait dit de faire des manœuvres dangereuses. Me tournant vers Pye, je lui demandai :

« Combien de moi parallèles avons-nous ? »

Ma question la fit sourire et, jetant un regard au plan qui tapissait le fond de l’océan, elle me dit : « Combien croyez-vous en avoir ? » Puis sans même attendre ma réponse, elle ajouta aussitôt : « Vous en avez tant que je dirais qu’ils sont innombrables.

— Serait-ce que nous sommes le plan tout entier, s’enquit alors Leslie, confuse, et que celui-ci se veut la somme de nos choix ?

— C’est exactement cela », répondit Pye en approuvant de la tête.

L’aventure n’a pas encore commencé, pensai-je alors en moi-même, et déjà tout ce qui se passe est incroyable. Qu’en sera-t-il un peu plus tard ?

Puis me tournant vers Pye, je lui demandai : « Combien de vies compte-t-on par l’univers ? »

Elle me regarda d’un air perplexe, comme si elle n’arrivait pas à comprendre le sens de ma question. Puis elle répéta derrière moi : « Combien de vies dans l’univers ? », et dit ensuite : « Mais une, Richard. Une seule. »

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