Le lendemain matin, à 8 h 45, Leslie et moi, nous roulions tranquillement le long d’une allée bordée d’arbres nous menant au sommet d’une colline. Parvenus à destination, nous garâmes notre voiture au milieu des fleurs et empruntâmes alors l’un des nombreux sentiers qui conduisaient à l’édifice où devait se tenir la conférence, nous délectant chemin faisant à la vue des narcisses, des tulipes et des jacinthes parmi lesquelles perçaient ici et là de minuscules fleurs argentées, le tout nous chatouillant le nez de délicates odeurs. Spring Hill, la colline du printemps, portait fièrement son nom !
À l’intérieur de l’édifice, on nous dirigea vers une pièce spacieuse qu’éclairaient de multiples fenêtres et qu’on avait construite en encorbellement au-dessus de la mer. Les rayons du soleil dansaient, folichons, sur les vagues et se réfléchissaient en divers motifs sur le plafond de la salle.
Deux rangées de chaises avaient été disposées en un demi-cercle que venait séparer une large allée. Devant, sur une petite plate-forme, s’alignaient trois tableaux noirs ainsi qu’une table argentée sur laquelle on avait installé un microphone.
Leslie et moi, nous nous empressâmes de ramasser les étiquettes laissées à notre attention et sur lesquelles on avait inscrit nos noms, de même que des dépliants d’information, des cahiers et des stylos. Nous étions visiblement les derniers arrivés, derniers de quelque cinquante ou soixante personnes qui avaient parcouru des milliers de kilomètres pour assister à cette rencontre des esprits les plus inusités de ce monde.
Çà et là, des hommes et des femmes se tenaient debout entre les chaises, se saluant les uns les autres. Je vis alors l’une des femmes qui se dirigeait vers le tableau noir qui occupait le centre de la plate-forme et sur lequel elle inscrivit, en lettres moulées, le sujet de sa conférence ainsi que son nom. Cela fait, elle s’en retourna à sa place.
Puis un homme de forte carrure, ses cheveux noirs parsemés de gris, monta à son tour sur la plate-forme et, prenant place devant le microphone, dit d’une voix ferme : « Bienvenue à tous, bienvenue à Spring Hill. Je crois que tout le monde est là … »
Il fit une pause, attendant manifestement que Leslie et moi soyons confortablement assis. Nous épinglâmes rapidement les étiquettes qui nous identifiaient puis levâmes enfin la tête pour accorder toute notre attention au conférencier. Immédiatement, la pièce se brouilla tant nous fûmes surpris de ce que nous vîmes.
Leslie et moi, nous nous tournâmes l’un vers l’autre au même moment.
« Richie ! s’exclama Leslie dans un murmure. Mais c’est … »
Mais elle n’eut pas le temps de terminer sa phrase, car le conférencier prenait de nouveau la parole pour dire :
« Est-ce que tout le monde a eu le temps d’inscrire le sujet de sa conférence ? » Il se dirigea vers le tableau central où il prit une craie avant de poursuivre en disant : « Vous, les Bach, qui venez tout juste d’arriver, quel sera le sujet …
— Atkin, m’écriai-je.
— Appelez-moi Harry, voulez-vous ? dit l’homme. Et quel sera le sujet de votre conférence ? »
Je crus un instant que nous étions revenus à l’intérieur du plan, comme si nous nous étions posés dans une quelconque annexe de la fonderie à idées, car à l’exception de ses quelques cheveux gris, l’homme qui se trouvait devant nous ressemblait en tout point à Atkin. N’étions-nous donc pas à Los Angeles, dans notre propre monde, comme nous l’avions cru ?
« Nous ne donnerons pas de conférence », répondis-je enfin, ébranlé.
Quelques visages se tournèrent un moment dans notre direction, des visages étrangers mais en même temps …
« C’est impossible ! me dit encore Leslie en chuchotant. Quelle coïncidence, tout de même ! »
Mais bien sûr ! Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ? C’était Harry Atkin qui nous avait invités à assister à cette rencontre, sa signature qui apparaissait au bas de la lettre qui nous avait amenés jusqu’ici ; nous connaissions donc son nom avant de quitter la maison. Mais comme il ressemblait à Atkin !
« Est-il quelqu’un d’autre qui aimerait ajouter le sujet de sa conférence au tableau ? » s’enquit Harry Atkin. Et comme personne ne répondait, il reprit : « Bien. Je me dois maintenant de vous rappeler que vous ne pourrez parler plus de quinze minutes chacun, pour un maximum de six conférences avant la pause et de six autres avant le déjeuner qui, soit dit en passant, ne sera que d’une durée d’une heure. Je vous laisse encore une dernière chance de soumettre vos sujets. »
À ces paroles, une femme se leva dans l’assistance et Atkin hocha la tête dans sa direction en disant : « Oui, Marsha ?
— Auriez-vous l’obligeance d’inscrire mon sujet au tableau », lui demanda la femme répondant au nom de Marsha. « En voici le titre : L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE EST-ELLE VRAIMENT ARTIFICIELLE ? UNE NOUVELLE DÉFINITION DE L’HUMANITÉ. »
Et Atkin s’exécuta rapidement, inscrivant ce titre à la suite des dix autres qui se trouvaient déjà au tableau, répétant les mots à haute voix à mesure qu’il les écrivait en lettres moulées. « … de l’humanité, dit-il, par Marsha Banerjee. » Puis il leva la tête pour demander à nouveau : « Personne d’autre ?
— Une nouvelle définition de l’humanité, répéta Leslie à voix basse en se penchant vers moi. Cela ne te rappelle-t-il pas …
— Si ! dis-je, saisissant immédiatement où elle voulait en venir. Mais Marsha Banerjee est reconnue à travers le monde pour les articles qu’elle écrit sur l’intelligence artificielle. Il est impossible qu’elle soit …
— Ne crois-tu pas que les coïncidences commencent à se faire un peu trop nombreuses ? fit Leslie en me coupant la parole. Prends connaissance des autres titres qui apparaissent au tableau noir, veux-tu ? »
Harry Atkin jeta un coup d’œil à ses notes avant de reprendre : « Le conseil m’a demandé de vous expliquer que Spring Hill se veut une rencontre intime de soixante des esprits les plus singuliers qui se puissent trouver de nos jours dans les domaines de la science et de la communication. » Il leva alors la tête pour adresser un petit sourire moqueur à l’auditoire avant d’ajouter : « Bien entendu, la liste des soixante personnes les plus intelligentes de ce monde est tout à fait différente de celle que je tiens ici … »
Les rires fusèrent dans l’assistance.
Il se trouva que le premier sujet inscrit au tableau était celui de la conférence d’Atkin. Celle-ci avait pour titre : LA STRUCTURE ET L’INGÉNIERIE DES IDÉES.
Je me tournai vers Leslie pour attirer son attention sur ce titre, mais elle l’avait déjà noté et se contenta de hocher la tête en continuant de parcourir la liste des sujets à l’affiche.
« Tous, ici, vous avez été invités en raison du fait que vous êtes différents, dit Harry. En effet, on a attiré l’attention du conseil sur le fait que vous étiez tous au nombre de ceux qui gravitent pour ainsi dire autour d’idées avant-gardistes, et on a donc fait appel à Spring Hill dans le but de vous mettre en contact les uns avec les autres, afin que vous ne vous sentiez pas trop seuls … »
Leslie et moi perdîmes le fil de ce que disait Atkin, occupés que nous étions à prendre connaissance des sujets des conférences que nous nous apprêtions à entendre. Ensemble, nous lisions ces titres, notre étonnement allant grandissant.
UN AVENIR SANS FRONTIÈRES : L’ESSOR DE LA NATION ÉLECTRONIQUE.
EXPÉRIENCES SUR LA PHYSIQUE DES PARTICULES DE LA PENSÉE.
QUE VIENT FAIRE UNE GENTILLE PERSONNE COMME VOUS DANS UN MONDE COMME LE NÔTRE ?
L’IMPOSITION : COMMENT SOULEVER LA VOLONTÉ DU PEUPLE.
QUE SE PASSERAIT-IL SI … : DES DÉCISIONS PRÉMONITOIRES.
LES SUPERS-ORDINATEURS HYPER-CONDUCTIFS ET L’ÉCOLOGIE.
LE DESSEIN INDIVIDUEL : UNE THÉRAPIE POUR LA PAUVRETÉ ET LE CRIME.
LES VOIES DE LA VÉRITÉ : LE LIEN ENTRE LA RELIGION ET LA SCIENCE.
DESTRUCTEUR DEVENU EXPLORATEUR : UN NOUVEAU RÔLE POUR L’ARMÉE.
CHANGER LE PASSÉ ET CONNAÎTRE L’AVENIR.
PARENTS PAR CHOIX : LA FAMILLE AU XXIe SIÈCLE.
LA COINCIDENCE, HUMOUR DE L’UNIVERS ?
« … et j’aimerais enfin vous rappeler, disait Atkin, que vous pouvez, à n’importe quel moment d’une conférence donnée, monter ici sur la plate-forme et écrire sur l’un ou l’autre des tableaux latéraux, tout lien, interrelation, direction ou idée que les conférenciers auront pu éveiller en vous … »
EST-IL NÉCESSAIRE DE MOURIR ?
L’HOMO AGAPENS : LES CONDITIONS NÉCESSAIRES AU RENOUVELLEMENT DU GENRE HUMAIN.
APPRENDRE LE DAUPHIN.
DES ALTERNATIVES À LA GUERRE ET À LA PAIX.
DES MONDES SIMULTANÉS : QUELQUES POSSIBILITÉS.
« Richie ! Tu as vu le dernier sujet proposé ? »
À ce moment, Atkin sortit une minuterie de sa poche qu’il régla pour les quinze premières minutes de la conférence et elle fit entendre une espèce de cui-cui, tel un canari électrique.
Je pris connaissance du dernier titre et m’arrêtai un moment pour réfléchir, sidéré. Se pouvait-il que quelqu’un d’autre eût découvert le plan ? Jamais il ne nous était venu à l’idée de penser que quelqu’un d’autre avait pu passer par où nous étions passés !
« Il vous faudra donc effectuer un survol rapide de vos derniers travaux sur le sujet, disait Atkin lorsque je revins à la réalité du moment, afin de nous faire connaître ce que vous avez découvert et comment vous comptez orienter vos recherches. Je suggère que nous profitions des pauses pour obtenir plus de détails les uns des autres ou encore pour faire des arrangements en vue de rencontres ultérieures. Ceci dit, il vous faut absolument mettre un terme à votre conférence dès que se fait entendre le timbre de la minuterie, car chacun doit avoir sa chance de parler. Des questions ? »
J’eus soudain l’impression de me trouver au beau milieu de voitures de course attendant à la ligne de départ, car je pouvais sentir les esprits de tous et chacun dans l’assistance qui se réchauffaient et tournaient à pleine capacité, prêts à démarrer. Je me pris à songer que Atkin aurait pu tout aussi bien brandir un drapeau qu’une minuterie.
« Nous commencerons dans une minute exactement, dit Atkin en jetant un coup d’œil à la minuterie. J’ajoute en terminant que toutes les conférences seront enregistrées et que vous pourrez donc vous procurer une copie de cet enregistrement. Chacun a sa liste des noms des participants ainsi que leurs numéros de téléphone ? Bien. Nous nous arrêterons à 12 h 15 pour le déjeuner ; nous dînerons dans la salle adjacente à 17 h et reprendrons les conférences dès 18 h. Le tout se terminera ce soir à 21 h 15 et nous nous retrouverons ici demain matin, à 8 h 45. Et maintenant, plus de questions, je vous prie, car je suis le premier conférencier.
Il vérifia la minuterie, poussa le bouton du timbre, puis dit alors sans autre préambule :
« Les idées ne sont pas des pensées, mais bien plutôt des constructions structurées. Prenez-en bonne note et portez attention à la façon dont se formulent vos idées, et vous constaterez alors que la qualité de vos pensées s’en voit augmentée d’autant. Vous ne me croyez pas ? Bien. Prenez alors la meilleure des idées que vous ayez eues dernièrement puis fermez les yeux et gardez cette idée à l’esprit … »
Je fermai les yeux et me concentrai sur ce que Leslie et moi avions appris au cours de notre séjour dans le plan, à l’effet que nous étions tous des aspects les uns des autres.
« Examinez bien cette idée, poursuivit Atkin après un moment, et levez la main s’il vous semble que celle-ci est faite de mots. » Il fit une pause avant de reprendre : « De métal, alors ? » Une autre pause. « De vacuum ? » Une dernière pause, puis : « De cristal ? » demanda-t-il enfin.
Je levai la main à ces dernières paroles.
« Ouvrez les yeux, à présent. »
J’ouvris les yeux et vis que tout le monde dans la salle avait, comme moi, levé la main à la dernière question de Atkin. Un murmure de surprise parcourut l’assistance.
« Il y a une raison à ce que votre idée soit faite de cristal, dit Atkin, tout comme il y a une raison à la structure que vous y voyez. En effet, toute idée qui se voit menée à bonne fin obéit dès lors à trois lois de l’ingénierie. Recherchez ces trois lois et vous serez en mesure de dire si votre idée marchera ou pas.
Nous écoutions tous attentivement, aussi silencieux qu’un lever de soleil.
« La première de ces lois est celle de la symétrie, reprit Atkin. Fermez à nouveau les yeux, je vous prie, et examinez maintenant la forme de votre idée … »
Un curieux sentiment m’envahit et je songeai que la dernière fois que j’avais ressenti une telle poussée d’énergie, c’était quand j’avais fait passer un avion à réaction de pleins gaz à postcombustion, réussissant à peine à contrôler l’énergie sauvage résultant de cette manœuvre.
Tandis que Atkin poursuivait sa conférence, un homme se leva du siège qu’il occupait dans la deuxième rangée et se dirigea vers le tableau de gauche, où il écrivit, en grosses lettres moulées : CONCEVOIR ET CODIFIER LES IDÉES, D’ORDINATEUR À ORDINATEUR, POUR UNE COMPRÉHENSION DIRECTE QUI SOIT LIBRE DE MOTS.
Mais bien sûr, me dis-je en moi-même. Les mots sont de bien piètres outils en télépathie. Je me rappelai alors combien les mots s’étaient avérés embarrassants quand Leslie et moi avions tenté de discuter de la temporalité avec Pye.
« Et pourquoi pas d’esprit à esprit, au lieu d’ordinateur à ordinateur ? me chuchota Leslie, qui écoutait tout en prenant des notes. Un jour, nous serons à même d’aller au-delà des mots ! »
… La quatrième loi à laquelle doit obéir toute idée qui se veut couronnée de succès, dit Atkin, c’est le charme. De toutes les lois dont je vous ai parlé, la quatrième est la plus importante. Cependant, la seule façon de parvenir à mesurer le charme d’une idée se trouve dans … »
La minuterie choisit ce moment pour faire entendre son cui-cui et l’auditoire poussa un soupir de frustration.
Atkin leva la main dans un geste d’apaisement puis régla à nouveau la minuterie et laissa sa place au conférencier suivant. Un jeune homme se dirigea à pas rapides vers la plate-forme, entamant le sujet de sa conférence avant même d’avoir atteint le microphone.
« Les nations électroniques ne relèvent pas des expériences à venir qui pourraient éventuellement marcher ou pas, dit-il. Ces nations existent déjà tout autour de nous, constituant des réseaux invisibles de personnes qui partagent les mêmes valeurs que nous. Merci, Harry Atkin, de m’avoir préparé le terrain de façon aussi habile ! Les citoyens de ces nations peuvent être des Américains, des Espagnols, des Japonais ou des Lettons, cela importe guère. Mais le lien qui unit leurs pays invisibles est encore plus fort que les frontières politiques … »
La matinée prenait l’allure de faisceaux lumineux qui sautaient du diamant à l’émeraude et de l’émeraude au rubis, gagnant en force avec chaque tour et détour des discussions. Je songeai à quel point Leslie et moi, nous nous étions sentis seuls avec nos curieuses pensées, et quelle délectable joie c’était de me sentir enfin à l’aise au sein de cette famille d’étrangers !
« Si seulement Tink pouvait nous voir maintenant, me chuchota Leslie. N’est-ce pas qu’elle adorerait assister à tout ce qui se passe ici, si elle savait ?
— Mais elle sait très bien ce qui se déroule ici, chuchotai-je à mon tour à Leslie. D’où crois-tu que soit venue l’idée de Spring Hill ?
— Mais ne disait-elle pas qu’elle était notre fée des idées et qu’elle représentait un niveau différent de nous ?
— À ton avis, lui dis-je en lui prenant la main, où nous arrêtons-nous et où commencent les autres personnes qui se trouvent dans cette salle avec nous ?
Je l’ignorais moi-même. Y avait-il un commencement et une fin à l’esprit et à l’amour, existait-il des frontières à l’intelligence et à la curiosité ?
Combien de fois Leslie et moi n’avions-nous pas souhaité avoir plus d’un corps. Tout juste quelques-uns de plus, simplement pour que nous puissions partir et rester à la fois. Nous aurions alors pu vivre paisiblement dans la nature et regarder le soleil se lever, domestiquer quelques animaux, jardiner et vivre des produits de la terre, en même temps que nous aurions été des citadins s’affairant dans la foule, courant les cinémas, réalisant des films, assistant à des conférences et en donnant nous-mêmes. Nous avions toujours cru que nous n’avions pas suffisamment de corps pour rencontrer les gens à chaque heure du jour tout en restant seuls ensemble, des corps qui nous permettraient à la fois de construire des ponts et de battre en retraite, d’apprendre toutes les langues, de développer de nouvelles habiletés, d’étudier, de faire et d’enseigner tout ce que nous avions toujours voulu apprendre et faire, de travailler et de nous reposer à la fois.
« … découvert que les citoyens de ces nations ont établi une loyauté entre eux qui se veut plus solide que celle qui unit leurs différents pays géographiques. Et cela, sans jamais s’être rencontrés, sans même l’espoir de pouvoir se rencontrer un jour ; ensemble, ils apprennent à s’aimer pour la qualité de leur pensée, de leur force de caractère …
« Ces personnes ne sont autres que nous dans d’autres corps ! me chuchota Leslie. Elles ont toujours voulu piloter des avions et nous l’avons fait pour elles. Quant à nous, nous avons toujours souhaité pouvoir parler aux dauphins, explorer l’idée des nations électroniques, et voilà que ces personnes le font pour nous ! Les personnes qui partagent le même amour ne peuvent être des étrangères, même si elles ne se sont jamais rencontrées ! »
La minuterie se fit entendre, annonçant la fin de la seconde conférence.
« qui partagent les mêmes valeurs, dit le jeune homme en terminant, ne peuvent être des étrangères, même si elles ne se sont jamais rencontrées ! »
Leslie et moi, nous nous regardâmes avant de joindre nos applaudissements à ceux des autres cependant que la troisième conférencière entrait immédiatement dans le vif du sujet, comme si elle s’engageait dans une lutte contre la minuterie.
« Tout comme les plus infinitésimales particules de matière sont de l’énergie pure, déclara-t-elle, ainsi pouvons-nous considérer les plus infinitésimales particules d’énergie comme étant la pensée à son plus pur. Nous avons procédé à une série d’expériences qui nous portent à croire que le monde qui nous entoure est, littéralement, une construction de notre pensée. Lors de nos recherches, nous avons découvert une espèce de particule que nous avons choisi d’appeler imajon … »
Nos cahiers avaient pris du volume tandis que nous prenions des notes et froissions des pages dans notre excitation. Et chaque fois que la minuterie se faisait entendre, nous nous remplissions à la fois de frustration et d’espoir. Il y avait tant de choses à dire, tant de choses encore à apprendre. Comment était-il possible à tant d’idées étonnantes de converger en un même endroit ?
Je pris soudain conscience que Leslie me regardait intensément et me tournai pour la regarder droit dans les yeux.
« Nous aussi avons quelque chose à dire à ces personnes, me dit-elle alors. Serions-nous capables de nous pardonner si nous leur taisions ce que nous savons ?
— Chère sceptique », lui fis-je pour toute réponse en la gratifiant de mon plus chaleureux sourire.
« … car c’est de la diversité que naît cette remarquable unité, dit la conférencière. Combien souvent ne nous arrive-t-il pas de trouver exactement ce que nous avions imaginé … »
Je me levai et me dirigeai à pas lents vers le tableau central. Prenant une craie, j’inscrivis alors, au bas de la liste des sujets, le titre de ce dont nous parlerions durant les quinze minutes qui nous seraient allouées, à Leslie et à moi : UN.
Je déposai la craie et retournai m’asseoir aux côtés de mon épouse. La journée ne faisait que commencer.