XXXIII

— Paraît que tu pars au pôle Nord ? l'apostropha Lucio depuis son poste.

L'ampoule du réverbère avait grillé et Adamsberg n'avait pas aperçu son voisin dans la nuit.

— Pas au pôle Nord, en Islande.

— C'est pareil.

— Mais je ne sais plus pourquoi je pars.

— Tu pars finir de te gratter. Ce qui t'avait piqué dans le Creux. Cherche pas plus loin.

— Mais ça ne va pas, Lucio, dit Adamsberg en tendant la main pour avoir une bière.

— Elle est ouverte. Comme ça, tu ficheras pas l'arbre en l'air.

— Ça ne va pas. J'abandonne l'enquête, j'abandonne mes hommes, tout cela pour aller me gratter sur une terre de glace.

— T'as pas le choix.

— Je ne sais même plus où est l'Islande, où est l'avion. C'est à cause de ces séances à l'Assemblée. Je t'en ai parlé. Je suis en avril 1794. Tu comprends ?

— Non.

— Qu'est-ce que tu comprends alors ?

— Que c'est une sacrée foutue bête qui t'a piqué.

— J'ai encore le temps de tout annuler.

— Non.

— Presque tous mes adjoints sont contre. Demain, quand ils verront que je suis réellement parti, ce sera l'émeute. Ils ne comprennent pas.

— On ne peut jamais comprendre ce qui gratte l'autre.

— Je vais annuler, dit Adamsberg en se levant.

— Non, répéta Lucio en l'agrippant au poignet de sa seule main qui, à force d'être seule, était devenue presque aussi puissante que deux mains réunies. Si tu annules, ça va s'infecter. Et tu pleureras. Quand le bagage est fait, l'homme ne se retourne pas. Tu veux que je te dise une chose ?

— Non, dit Adamsberg, énervé par la surpuissance que s'octroyait le vieux.

— Finis cette bière. D'un coup.

Lassé, Adamsberg s'exécuta sous le regard mauvais de l'Espagnol.

— Et maintenant, ordonna Lucio, va dormir, hombre.

Et cela, il ne l'avait jamais dit de sa vie.

Puis il l'entendit se racler la gorge et cracher au sol. Et cela non plus, Lucio ne l'avait jamais fait de sa vie.

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