Bien entendu, ce sont des Noirs qui viennent fourbir. Dans le quartier A, on a droit à deux costauds vêtus de combinaisons vertes possédant autant de poches que la physionomie du chancelier Kohl. Ils se mettent à laver à grande eau, puis à promener une sorte d’engin-balai aussi large que le couloir. L’un d’eux a une radio en bandoulière, laquelle diffuse les infos sportives du matin. L’autre fredonne une chanson du Sud qu’il ponctue de pets béruréens magnifiquement réverbérés par l’immensité de l’endroit. Pet sur la terre aux hommes de bonne volonté. C’en est un !
Ils passent, repassent, s’en vont.
Mon amertume tourne à la neurasthénie. Vois l’intensité de ma conscience professionnelle : tout en sachant que si j’avais ouvert l’enveloppe métallique je serais mort, ce qui domine en moi c’est le cuisant regret de ne l’avoir point fait. J’ai eu dans la main, puis sur mon cœur, le secret de la mort du Président J. F. K. Et je continue de l’ignorer. Je l’ignorerai probablement toujours…
Je poireaute, assis sur les marches de fer. Venant du dehors, les bruits s’intensifient. L’îlot maudit prend sa vitesse diurne.
D’où je me tiens, je vois des cylindres dépasser du plafond. Les tubes permettant de balancer du gaz neutralisant aux détenus, en cas de mutinerie. Tu veux parier que c’est par cette voie toute préparée qu’on m’a poivré les naseaux pendant que je pionçais ? Ils jouaient sur le velours car un tube se trouve pile au-dessus du fauteuil basculant où j’ai passé la noye. On n’a eu qu’à me vaporiser du sirop d’inconscience (parfumé à la rose), et Sana plonge dans le goudron. On attend un peu, puis on vient le palper. On trouve la plaquette dans sa poche de poitrine, on la prend, on s’en va. Les heures passent, le gaz se dissipe, messire Ducon se réveille comme une fleurette des champs. Le coup a été magistralement et très sobrement joué. Chapeau !
La première fournée de navigateurs se pointe, conquérants kodakés de fond en comble. Je descends l’escalier, noue mes paluches derrière mon dos et me mets à examiner les lieux avec cet air mi-curieux, mi-blasé du touriste sur le chantier de naguère (comme dit le Mammouth). La foule m’absorbe. Je me dis que si je possédais encore le document, je serais fou de joie, ma mission étant achevée et… réussie. Qu’au lieu de ça j’ai la queue entre les jambes (alors que je l’ai toujours entre celles d’une dame convenablement tournée).
Je guigne le surgissement de Mathias, ayant hâte de m’épancher, comme dit Synovie. Note l’honnêteté du mec. Je pourrais déclarer à mes collaborateurs que je n’ai rien trouvé et ce serait : point-à-la-ligne-on-rentre-coucouche-panier. Mais non, je ne suis pas l’homme à cela. Préfère passer pour un con, mais ne rien celer, never ! La vérité par-dessus tout ! Souviens-toi de la leçon, mon gamin, ça t’épargnera bien des emmerdes.
J’ai beau me détroncher, aller en direction de l’entrée, parcourir ensuite les trois couloirs desservant le pénitencier, plus ceux de chaque extrémité, ainsi que les passages de traverse : zob, zobi, zobinche, pas de Rouquemoute à l’appel. Le sagouin a dû oublier de se faire réveiller, et si ça se trouve, il en concasse encore, l’ignominieux ! Il a toujours eu le sommeil pesant, mon pote. Sans cette propension à la dorme, sa multitude de chiares brailleurs auraient rendu ses nuits infernales.
J’attends un bout, puis je sors enfin de ces bâtiments de cauchemar, l’âme ébréchée par l’expérience que je viens de vivre.
L’air est frais, ça sent les ronces, la mer, le goudron. Les badauds continuent de gravir le dur chemin perfide, plein de trous et de bosses. Mes cannes ont la tremblote : je meurs de faim. En bas, chez les rangers, je trouve du café et un sandwich jambon tout frais. En bâfrant à pleines chailles, je rallie le bateau. Un vieux schnock déguisé en « Capitaine Crochet », avec une casquette et une veste de marine, s’étonne de mon retour prématuré. C’est lui qui contrôle les biftons.
— Ça ne vous plaît pas ? me demande-t-il en montrant du pouce la citadelle grise, là-haut.
— Il y a erreur, fais-je, on m’avait dit que c’était à vendre et ça m’intéressait pour ouvrir un « Relais-Château », mais il paraît que non.
Il se gondole comme un Vénitien. Puis, sérieux :
— Dites donc, mon gars, votre billet de retour : il est d’hier !
J’enrogne après Mathias qui m’a laissé quimper.
— Excusez, dis-je, j’ai dû déchirer mon retour d’aujourd’hui par mégarde !
— Et vous êtes reparti avec quoi, hier ?
— Avec mon billet d’aujourd’hui, mais si ça crée un problème, je peux payer mon passage…
Il me sourit.
— Allez, ça va : vous avez une bonne tête. Vous êtes italien ou quelque chose comme ça, si j’en crois votre accent ?
— Français.
— Nul n’est parfait, mon gars, faut bien être de quelque part, fait-il en me tapotant l’épaule.
Je gagne les flancs du barlu qui halète doucement contre le môle garni de vieux pneus. La gonzesse du bar prépare de nouvelles délices culinaires pour enchanter les palais du retour. Je lui emplette un deuxième sandouiche avec du cheese et des ronds de tomate, mais elle a foutu sur le tout une espèce de moutarde qui ressemble à de la merde et qui en a de surcroît le goût. J’en fais l’offrande aux mouettes.
La glace de l’ascenseur, impitoyable bien qu’elle soit légèrement fumée, me renvoie la triste gueule de l’échec. J’ai l’air d’un flambeur rentrant à l’aube, totalement ratissé, mal rasé et titubant de fatigue. J’essaie de me sourire, mais n’obtiens qu’une grimace de constipé au bord de l’occlusion intestinale.
J’introduis ma carte magnétique dans la fente de la serrure ; le voyant vert s’éclaire, j’entre.
Nous avons pris une suite avec deux chambres, l’irradié et moi. Celles-ci sont séparées par un élégant salon (goût américain, naturellement), avec télé géante, frigo géant, canapé géant. Les baies donnent sur cette imbécile construction pyramidale dont les San-Franciscains sont si fiers mais qui dénature leur magnifique ville comme notre pyramide de verre, à nous autres Parisiens, dénature le Louvre. Parce que, je vais te dire une bonne chose ; la pyramide, c’est dur à caser dans la conversation ; si t’as pas un chameau pour en faire le tour, vaut mieux ne pas y toucher !
Je traverse le salon et gagne la chambre du Rouillé. Qu’est-ce que je t’avais dit, P’tit Louis ? Il est là, le Lingot en fusion, vautré presque nu sur son lit défait. Juste un slip. Noir ! Tu dirais un boxeur flamand k.-o. Ses poils de porc brillent dans la lumière. Il y a une petite flaque de bave sur son oreiller.
— Debout, là-dedans ! hurlé-je-t-il.
Mais ça ne le fait pas réagir. Du coup, l’inquiétude me point. Je m’assieds près de lui et soulève une de ses paupières : le regard est dissout. Pas d’erreur, il est shooté à fond, mon pote ! Perdu dans les limbes.
Je mate alentour, très alarmé, tu penses ! Aperçois une seringue dans le cendrier. Minuscule. Il subsiste un peu de liquide à l’intérieur d’icelle. Je reconnais le tout, la seringue et le liquide : il s’agit de la potion magique inventée par le Rouquinos et qui rend les gens si diserts. C’est quand même pas lui qui s’est auto-piqué avec ce produit ? Par ailleurs, ledit n’endort pas. Alors ? Quelqu’un lui aura administré un must soporifique ? Dis, c’est des drôles d’acharnés que nous avons au fion ! Des coriaces, des implacables.
Maintenant que le coup est carbonisé, il vaut mieux regagner nos françaises pénates, sinon il finira par nous tomber des vilains virus sur le râble !
Le pouls du Rouillé bat normalement. Je pense que le plus simple c’est de le laisser récupérer à sa botte, sans forcer…
Je m’offre une douche de rêve, un rasage soigné, des fringues bien repassées. Un second café très fort accompagné de petits pains beurrés achève de me redonner l’éclat du neuf ! Monsieur Propre en personne ! Et une envie de baiser tout ce qui bouge vachement survoltante. C’est alors que je repense à la môme Mary et à sa grand-mère descendues à l’hôtel d’en face : le Whitkouilh. J’ai filé rambourg à la gosse pour ce soir, 9 h 30, mais peut-être qu’elle pourrait s’échapper vingt minutes et venir dire bonjour à mon petit soldat au casque rouge, non ? Il lui présenterait les armes avec beaucoup de parfaitement, espère. La couille c’est qu’elle ne m’a livré que son charmant prénom. Je traverse la rue où déferle un tramway louvoyant comme un rabot sur une planche lisse, qu’écrivait Mac Orlan dont personne ne sait plus de nos jours qui il a été.
Le concierge du Whitkouilh est un gros lard qui ne peut plus boutonner ses frusques. Il a beau les faire élargir, le temps que le tailleur s’escrime et ce sac à graillon a morflé trois kilos de plus ; elles ne le rattraperont jamais.
Je commence par le début, c’est-à-dire par déposer devant lui le portrait de M. Hamilton (Alexander), ancien aide de camp de Washington et corédacteur de la Constitution américaine. Je rappelle que le portrait de M. Hamilton figure sur l’avers des billets de dix dollars. Le concierge, c’est pas un talbin de ce calibre qui l’incite à tomber à genoux pour te tailler une pipe.
Son regard de goret constipé m’ayant affranchi, je me grouille d’en allonger deux autres ; dès lors il laisse tomber d’un ton blasé :
— Oui, monsieur ?
Je lui dis qu’il a dans son hôtel deux dames : l’une très vieille, l’autre très jeune. La première a les cheveux bleus presque blancs, la seconde les cheveux blonds presque roux. Hier, cette ravissante portait un ensemble rouge.
Il réfléchit comme la boutique d’un miroitier.
— Si ce sont les personnes auxquelles je pense, dit-il, elles ont quitté l’hôtel ce matin, très tôt.
— Mais elles ne devaient pas s’en aller si rapidement ? objecté-je.
Il hausserait les épaules s’il n’avait peur de faire craquer la couture de sa manche.
— Les clients ont leurs problèmes, assure ce sage.
Puis, pour me signifier qu’il m’a assez vu, il rafle la mise que j’ai déposée sur son rade, avec la prestesse du gonzier qui, au pok, vient de déballer une quinte flush mineure au gus qui éjaculait déjà dans son Rasurel avec une quinte flush majeure !
Il faut remouiller la compresse. Je sors carrément un Franklin[27].
Là, incontestablement, je l’intéresse, et quelque chose qui ressemble à de la sympathie éclaire son visage de tête de veau sur lit de persil.
Il redit :
— Certainement, monsieur ?
— J’aimerais connaître l’identité des deux dames en question.
— L’identité ! s’exclame ce personnage de Labiche revu et corrigé par le caricaturiste de News Week. Mais, monsieur !
Vitos, le jumeau de Franklin rejoint son frère.
— Oui ?
Il empoche.
— Non, rien. Je vous demande un instant.
Et d’aller consulter cet immense bouquin relié de toile noire propre à tous les hôtels de la planète et qui est une survivance des grimoires d’autrefois.
Tu vas penser que je balance le blé par les fenêtres ; à cela je t’objecterai qu’il s’agit de mon carbure personnel, gagné avec mes sublimes polars et que j’ai le droit de le dépenser à ma convenance.
L’obèse écrit un bout de note sur un minuscule carré de papier adhésif.
— Voici les noms de ces personnes, chuchote-t-il avec la frime d’un espion du K.G.B. d’antan, livrant à la C.I.A. les résultats des analyses d’urine de Staline.
Je jette un œil sur son timbre-poste :
Mary Princeval, Daphné Williams, 618 48e Rue W, N. Y.
Je colle le bout de papelard à l’intérieur de mon revers de veston.
— Muchas gracias, dis-je. Bien entendu, vous ignorez où elles se sont rendues après avoir quitté l’hôtel ?
Triple-menton sourit avec malice.
— Pas du tout : c’est moi qui ai réservé leurs billets d’avion.
Je mets la main à ma poche pour acheter leur lieu de destination, mais le concierge, magnanime, stoppe l’hémorragie de mon capital.
— Je vous en prie, fait-il, ces dames ont pris le premier vol pour New York.
— Vous êtes un concierge extrêmement coopératif, le complimenté-je-t-il ; je ferai part de ma satisfaction à la direction.
— C’est très aimable à vous, monsieur.
— Une ultime question, mon cher ami ; à quel moment les personnes en question vous ont-elles chargé de réserver leurs billets ?
— Tard dans la soirée. La jeune femme est rentrée sur le coup de minuit environ ; elle était très décoiffée et paraissait surexcitée. C’est elle, elle qui m’a prié de retenir ce vol du matin. Je me suis permis de lui demander si quelque chose de fâcheux lui était arrivé, alors elle a souri et m’a dit : « Non, au contraire, mais il est indispensable que nous rentrions, ma grand-mère et moi. ».
Il accepte tout de même, malgré sa haute moralité, le troisième talbin que je lui tends.
Il profère des phrases incohérentes, d’un ton saccadé, avec des sanglots dans la glotte.
Il balbutie :
— Il faut me pardonner, ma biche : elle suçait si merveilleusement ! Toi, tu n’as jamais voulu prendre ma queue dans ta bouche, prétextant que ça te flanquerait mal au cœur. Mais il y a des femmes qui raffolent de ça, ma très belle. Des femmes pour qui l’amour commence par cela. Ont-elles raison ? Oui, je le crois. C’est une démarche si généreuse, si altruiste, ma colombe ! elle permet à l’homme de côtoyer l’infini. Une belle fellation, je veux te le dire, en mon âme et conscience, constitue une espèce d’œuvre d’art. Je me rappelle t’avoir vue pleurer, un soir, à l’opéra où Mme Chauviré interprétait La mort du cygne. Eh bien, une pipe bien faite provoque une émotion de cette qualité ! Elle t’emporte dans l’indicible, ma colombe bleue. Cette personne s’est montrée particulièrement douée, ingénieuse, pleine d’initiative. Si je te disais qu’elle enfilait son médius dans mon cul en même temps, accédant à un synchronisme si parfait que j’en défaille rien qu’à l’évoquer !
« Il va falloir que tu t’y mettes quand je serai rentré, ma douceur infinie. Que tu me pompes la tige frénétiquement d’abord, puis avec lenteur pour reculer l’instant de délivrance. Je ferai ton éducation, chère chérie. Et à force de volonté, de persévérance, tu deviendras aussi experte qu’une pute de haut niveau. L’on m’a dit qu’au Danemark il s’organise des concours de turlute. Nous irons au pays d’Elseneur et tu participeras à ces joutes ! Tu triompheras, ma reine ! Je t’imagine glorieuse sur la marche supérieure du podium, les lèvres vernies de foutre. Ah ! comme je serai fier de toi ! Je prendrai des photos pour montrer à ta mère et à nos enfants, plus tard. Et puis non : je tournerai un film en 16 millimètres, ma fleur champêtre. Un documentaire où restera inscrite à jamais la preuve de ta vaillance, de ton savoir. Je sais que tu brilleras dans les imposées, toi si pugnace ! Que tu confondras les autres concurrentes aux figures libres, grâce à ton esprit d’initiative ! Que tu vaincras à l’endurance, femme infatigable. Tu pomperas dix, vingt, trente, cent nœuds au besoin, mais tu resteras seule en lice, exténuée mais sublime ! »
Le pauvre Mathias émet quelques onomatopées sans signification, tressaille, ouvre les yeux et se dresse sur un coude. Un air de gueule de bois mal surmontée. Il me regarde comme si l’on ne s’était jamais vus et qu’on vienne de se rencontrer dans l’autobus Bastille-Gare de Lyon.
— La première fois que je me suis masturbé, je devais avoir huit ou neuf ans, m’assure-t-il gravement. A vrai dire, c’est un camarade de classe qui m’a initié. Il s’agissait du cancre de l’école qui s’appelait Dieudonné Grominet. Il se branlait environ toutes les heures, ce qui faisait trembler le bureau que nous partagions. Moi, naïf, je croyais qu’il se grattait car il passait pour avoir des puces et procédait avec une relative discrétion sous sa blouse grise. Et puis un jour, comme il atteignait à une pâmoison d’une violence inaccoutumée, il a poussé un grondement d’express traversant une gare de village et il est tombé à la renverse.
« C’est alors que j’ai découvert son membre : une chose brève mais énorme, violacée et gonflée de veines aussi grosses que le tronc d’un vieux lierre. Sur l’instant, j’eus du mal à identifier un sexe dans cette excroissance monstrueuse, si éloignée de ce que ma mère avait baptisé : « ton petit oiseau ». Mais doué d’un tempérament déjà scientifique, la conclusion s’imposa à moi. A partir de cet instant, je n’eus de cesse de faire se dilater « mon petit oiseau ». A force de le tripoter et de penser à la founette de Maryse Lepelletier, notre petite voisine dont un carreau de la salle de bains était brisé et que les Lepelletier, gens d’une grande ladrerie, mirent deux ans à changer, je transformai le petit oiseau en moineau dodu, puis en merle repu, ce qui me conduisit à la découverte de sensations nouvelles, fort agréables au demeurant… »
Il se tait enfin pour reprendre haleine.
— Mathias, mon biquet, appelé-je, tu ne veux pas remettre à plus tard le récit de tes branlettes ? Tiens, tu as du style et tu pourrais en faire un livre passionnant que tu intitulerais par exemple « Mémoires d’un tapeur de rassis ». Je suis certain que ça se vendrait.
Il ne pige pas très bien. Ce gars se serait téléphoné dix litres de rhum dans le cornet à piston, il aurait les idées plus claires.
— Tu me reconnais, Bébé rose ? je demande, à lui en brûler le pourpoint.
Il opine.
— Je m’appelle comment ?
— T’nio.
— Bravo ! Tu viens de faire un sans faute, mon lapin. Dis-moi, après avoir dûment sollicité tes chères méninges poisseuses : hier tu as pris le bateau pour rentrer d’Alcatraz. Tu as voyagé avec deux dames, une vieille et une jeune.
— Ma… ry ! énonce le massif de dahlias rouges.
— Je vois que vous avez lié connaissance.
Il retrouve soudain la magie de son verbe éblouissant du moment qu’il n’a plus d’effort de mémoire à fournir.
— Elle m’a magnifiquement sucé, déclare-t-il avec une vivacité rayonnante. Tout d’abord, un imperceptible titillement du gland avec ses longs cils. Effet garanti. Puis langue montante et descendante sur le filet : de toute rareté. Lorsque le membre atteint sa plénitude dilatatoire, la fellation commence. D’une lenteur suave qui te fait défaillir. Ce fut le point culminant de ma vie sensorielle ; je ne dis pas sexuelle, ce serait restrictif, mais sensorielle parce que TOUT participe. Tu la conjures d’accélérer le mouvement pour parvenir à la délivrance, mais penses-tu ; trop experte pour céder à tes implorations ! Inexorablement, elle poursuit son démoniaque va-et-vient, se permettant même de l’interrompre pour te placer un frétillement entre les testicules. Tu as les nerfs à bout de patience. Tu pries à haute voix, tu parles de mourir. Et la rouée continue sur le même rythme avec un mystérieux sourire.
« Lorsqu’elle te sent sur le point de lâcher la fumée, elle s’arrête net, abandonnant délibérément tes accessoires et te faisant boire un philtre mystérieux afin d’aiguiser encore ta fringale amoureuse. Une démone ! Tu veux la faire participer, en lui saisissant un sein, ou en lui glissant un doigt dans le bénitier de Satan, la moindre des choses, mais foin ! Elle te repousse, se garde pour elle afin de mieux s’occuper de toi ! Elle détient une science de l’amour digne des plus fameuses courtisanes indiennes, japonaises, voire même lyonnaises. Ses philtres aidant, j’ai atteint la délivrance dans un état presque second. Je me suis anéanti dans l’extase. Où est-elle, cette création du ciel ? »
J’ai grande envie de lui dire qu’elle a joué cassos, la pétasse déguisée en « Chaperon rouge », avec sa mère-grand et son petit pot de beurre. Et qui sait, avec mon enveloppe métallique ?… Bien que j’imagine mal que l’organisation à laquelle elle appartient laisse ce document inestimable à sa disposition.
Le Rouquin somnole, adossé à son oreiller. Je note une assez belle protubérance dans son slip.
— Je la veux ! pleurniche-t-il. Je la veux…
— Va prendre une douche glacée, conseillé-je, sinon tu vas défiler au pas de l’oie dans les rues de San Francisco.
— Pourquoi San Francisco ? murmure le Brasero.
— Parce que c’est là que nous sommes pour l’instant, Xavier. Je crois que tu as du mal à retrouver ton assiette, gars.
Je mate la seringue. Il a eu droit à un « complet », le savant Cosinus : « des philtres », sa propre drogue, une pipe classée monument hystérique, y a de quoi lui profaner le système glandulaire, plus les nerfs et le cerveau.
Je le force à se lever, le guide jusqu’à la salle d’eau et règle le mélangeur de la douche.
— Allez, bambin joufflu : on pose sa jolie culotte noire de pédé et on s’asperge jusqu’à ce que l’érosion t’ait rendu aussi chauve que M. Daniel Boulanger.
Je le fourre sous les chutes du Nid-à-Garat et le moule pour aller téléphoner au Berverly Hills Hotel de l’Os-en-gelée prendre des nouvelles de Bérurier.
Comme décidément aujourd’hui n’est pas mon jour, on me répond que Mister Bérourière a quitté i’hôtel. J’insiste pour savoir si c’est momentané et s’il va bientôt rentrer, mais on m’assure que nenni, il s’agit bel et bien d’un départ franc, massif et définitif.
Une embrouille de plus, et une !
La vie fait la colle, en ce moment !
Et c’est bibi qui paie les pots cassés, les pots cédés. Comme ces pots sont des vases de nuit, des vases d’ennui, tu parles d’un zéphyr, Zéphyrin !