Je te parie une chanson de carabins contre une chanson courtoise de Conon de Béthune que c’est un féministe convaincu, le gros Harry. Déjà, qu’il eût dépêché dans le circuit la fausse Lady Keckett constituait une sérieuse indication, mais quand je vois ce qu’il m’attrique comme « gardes du corps », mes ultimes doutes s’envolent. Deux gonzesses, mon pote ! Pour la première fois de ma carrière me voilà placé sous l’étroite surveillance de mousmés, exclusivement. Une Noire, une Jaune.
La Jaune, si tu insistes, je peux t’en faire cadeau (bien que sa bouche arrive pile à la hauteur de ma braguette) car, franchement, elle n’est pas jojo. Le pot d’échappement plus bas que sur la nouvelle Lamborghini, les cannes torses, la face plate, les yeux en trou de zob et pas visibles à l’œil nu, la bouche si mince et si minuscule que pour prendre sa température par voie buccale, elle est obligée d’oindre de vaseline son absence de lèvres. L’unique attrait de cette fille (pour les amateurs), c’est son énorme poitrine vaste comme le pont du porte-avions Clemenceau, si cher à mon ami Renaud.
La Noire, par contre, ô pardon, attention les yeux ! Le mot « beauté » est trop fastoche, trop galvaudé. Viens reluquer la petite grand-mère et t’auras les glandes ébouriffées. Elle me rappelle notre driveuse de Los Angeles, en plus éclatant encore. Elle est teinte en blond et ça lui donne un aspect irréel. Cette gonzesse, elle marnerait pour un grand couturier parisien ou romain, au lieu de fonctionner pour un gros con, à assurer d’obscures et basses besognes, y aurait son portrait dans tous les luxueux magazines de mode ! Je sais pourquoi elle est blonde (et défrisée, œuf corse) : ses yeux sont vert émeraude.
Harry me les présente en ces termes :
— Miss Victoria (c’est « Fleur-de-Chrysanthème »), et Miss Lola (c’est la déesse d’ébène). La première, monsieur San-Antonio, a deux spécialités parmi tant d’autres ; elle est championne de karaté et reine du lancement du couteau. Elle est capable de transpercer un as de cœur à vingt-cinq mètres. La seconde, quant à elle, est championne de tir au pistolet : dix sur dix en précision, dix sur dix en rapidité. Vous voulez montrer à monsieur, Lola ?
Pauvre ami ! T’as le temps de rien voir. Tu te demandes si elle a seulement remué ! Et pourtant la voilà avec un flingue en pogne ! De la haute performance. Si César Muguet, notre moniteur de tir voyait ça, il réclamerait sa retraite anticipée et irait fourguer son Colt au marché aux Puces !
— Joli, non ? me demande implicitement le Gros-sac.
— On croit rêver !
— Vous voilà donc informé, mon cher.
— Un homme inverti en vaut deux, renchéris-je. Prenez bien soin de mes deux bébés en mon absence.
— Soyez tranquille ; d’ailleurs votre absence sera brève. Il ne s’agit là que d’un aller-retour.
Fectivement, c’est en avion que nous quittons Washington. Un petit Jet de six places, blanc comme un pot de yaourt. Il nous attend sur un terrain d’aéro-club au nord de la ville. On s’embarque. Derrière le pilote se tient la Japonaise, face à moi, les sièges étant disposés latéralement au coucou. La sublime Noire s’assoit à mon côté. Détail impressionnant : ma ceinture de passager comprend un verrouillage supplémentaire qui s’actionne avec une clé que la môme empoche. Elle porte un ensemble de cuir beige à col de fourrure et croise ses admirables jambes : oh que ça fait mal ! La Japonaise est plus modestement fringuée d’un jean fatigué et d’un blouson vert pisseux qui s’harmonise avec son teint.
Dans le pâle soleil, je vois luire la Maison-Blanche, au loin, et bientôt nous survolons l’immense cimetière d’Arlington où une flamme brille sur la tombe de J. F. Kennedy !
Sacré Johnny ! Il m’en fait voir, celui-là ! C’est vrai, ça, il a raison Harry ; quelle mouche m’a piqué pour que je me mette à guerroyer ainsi dans le fol espoir d’élucider le mystère de sa mort ? C’est pas mes oignons. Et puis, de toute manière, le passé s’est refermé sur son destin. Ils lui ont fait craquer le couvercle, au fringant Président, et il est redevenu poussière. Qu’importe maintenant que ce soit Pierre, Paul ou Jacques qui l’ait dessoudé au côté de sa gonzesse, laquelle a eu un veuvage exemplaire sur le yacht du père Onassis. La vie, bordel, tu parles d’une rigolerie ! Pourtant, je m’attache à contempler la tombe, là-bas, avec sa loupiote du souvenir… Souvenir mon cul, Mister Président ! Des marchands de cacahuètes et des cow-boys de cinéma vous ont poussé dans l’oubli. Ne subsiste plus de vous que l’image de votre tronche éclatée, celle aussi de votre gente dame cherchant la sortie de secours de l’Histoire à quatre pattes sur le coffre de la Lincoln. C’est cela, en réalité, « se faire la malle » !
Et pendant ce temps, votre frangin s’apprêtait à faire boucler Alcatraz.
Tout s’enchaîne bien, merci.
Le réseau (que je devine occulte) du Crotale est bien organisé. C’est sur un autre aéro-club que nous nous posons en souplesse. Une tire nous attend au pied de la passerelle. On ne perd pas de temps.
Le chauffeur est un Noir, comme celui du taxi que j’avais choisi pour m’emmener à Harlem. Futile précaution, d’esprit très français. Comme si des malandrins noirs allaient se dispenser de m’arraisonner parce que mon chauffeur est un colored !
La Jaune s’assied près du conducteur, la Noire près de moi. Cette dernière murmure :
— Le patron vous a prévenu, n’est-ce pas ? Soyez persuadé que Victoria et moi nous nous tiendrons sur nos gardes jusqu’à ce que nous soyons de retour dans son bureau, tous les trois.
— Vous faites partie d’une chorale, j’espère ? demandé-je en forme de réponse (si j’ose dire).
— Pourquoi ?
— Vous possédez une voix irrésistible ! Je vous imagine, le dimanche matin, à l’église, dans un quartier noir du district de Columbia, vêtue d’un tailleur bleu marine et coiffée d’un chapeau rouge, genre capeline, chantant un de vos merveilleux cantiques tel que Ô Jésus, Ta gloire est infinie.
Elle ne répond pas, mais je pense qu’elle sourit intérieurement.
La Japonouille, illico de la ramener :
— On va nous conduire devant le music-hall Apollo, nous quitterons cette voiture et ce sera à vous, dès lors, de nous guider.
Jalouse ! Ah ! ce qu’elles sont chiantes, les mochetés. Tu crois qu’elles tenteraient de se faire pardonner leur laideur par des assauts de gentillesse ? Fume ! Elles pissent du vinaigre et chient du poivre moulu, comme dans la chanson.
On traverse des banlieues chiantes avec des alignées de petites maisons merdiques qui se tiennent par la main le long des routes. Des pubes tellement vieilles qu’elles raviraient le génial Séguéla. Si j’avais pas de boulot, c’est avec ce mec-là que j’irais travailler. Tu verrais ce qu’on dépoterait comme trouvailles, les deux ! On aurait « la force tranquille », espère !
On passe devant l’aéroport La Guardia. Bientôt ça épaissit et la banlieue devient grouillante. On attaque Harlem par le fond, si l’on peut ainsi s’exprimer (et on peut : qu’est-ce que je fais en ce moment ?). C’est chaque fois une émotion pour moi de débarquer dans cette métropole occidentale peuplée de Noirpiots. La négrillade ! Un des plus grands crimes de l’humanité. Mais t’as vu leur vengeance, aux colored ? « Vous nous volez à l’Afrique ? O. K. vous nous aurez ! » Et les voilà à limer comme des fous, les chers esclaves ! Tel qui rit de Vendredi, dimanche pleurera ! Tu parles s’ils y sont allés à la ramonade, les surbraqués ! Pas feignasses du coup de reins ! Grand match Oncle Sam contre Oncle Tom, arbitré par Oncle Ben ! Et qui est-ce qui l’a dans le prose ? L’Oncle Sam ! N’était pas de force, le vieux con au gibus étoilé. Un Ricain, c’est quoi, si tu réfléchis ? Du Rosbif et de la Batavia mélangés. Un buffet froid, en somme ! Note qu’ils vont commencer à se fortifier grâce au sang noir qui se met à circuler dans leurs tuyaux. Un jour, quand ils seront tous café-au-lait, t’auras enfin un peuple valable.
Du temps que je débloque, on est arrivés devant l'Apollo. Je demande au chauffeur de conduire jusqu’à la seconde rue et de s’y engager si le jeu des sens interdits le permet.
C’est possible. Je reconnais illico « mon » immeuble. Il est haut d’une dizaine d’étages, sa façade noire est sinistre car on a muré les orifices en cimentant des briques. La désolation, je te dis ! Autrefois, il y avait un commerce en bas : une blanchisserie ! A Harlem, c’est foutral, non ? Le rideau de fer gondolé est baissé, rouillé, et un artiste de la rue a peint dessus un paysage représentant Haïti sous la neige !
Je demeure perplexe en constatant qu’on a déjà obstrué la brèche m’ayant permis de pénétrer dans la bâtisse. Ne perdent pas de temps. Doit y avoir un service de surveillance, payé par les propriétaires, qui veille à la non-squattérisation de leurs tas de pierres.
Je dis à mes gardiennes ma déconvenue :
— Il y avait un trou dans cette fenêtre hier, et il a été rebouché aujourd’hui.
La Jaune reste impavide. Fait un pas, vite, en direction de la porte. Elle s’arc-boute sur ses jambes Louis XV, décrit des moulinets avec son bras en aile atrophiée de manchot, pousse un cri sauvage et balance son petit poing dans le mur de briques. Si tu ne me crois pas, va te faire mettre (et je sais que tu iras par plaisir), mais un trou béant se fait dans la sommaire cloison. Elle agrandit l’ouverture à coups de talon cette fois et pénètre dans l’immeuble achevant de mettre en fuite une horde de gaspards. Elle prend une forte torche électrique dans son sac-giberne et éclaire les lieux désolés. Sinistros. T’as une entrée décrépite avec, à gauche, une cage d’ascenseur sans cabine qui bée sur le vide ; son câble inutile pendouille dans le puits sombre. Au fond : l’escadrin.
— Entrez ! m’enjoint Lola.
J’obéis ; elle me suit. Au froissement que je perçois, je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir qu’elle vient de dégainer son outil de travail.
— Où est-ce ? questionne la Japonaise.
— Deuxième étage !
Nous nous engageons dans l’escalier. Nos pas résonnent comme tu ne peux pas savoir, écrirait la marquise de Sévigné si elle vivait encore. A chaque étage les portes des appartements ont été récupérées et ces vides en grappe accroissent l’intensité de l’écho.
Premier niveau… On monte toujours. Second !
Je me rappelle avoir pénétré dans le logement du fond. Il se composait de trois pièces à la belle époque. Je suis allé cacher la plaquette dans ce qui fut la cuisine. Il y avait une fissure, au niveau d’un conduit d’aération, c’est là-dedans que j’ai glissé cette bordélique plaque d’aluminium. Pour la « ravoir » comme dit ma femme de ménage, il me faut utiliser mon couteau helvète.
J’explique la situation à mes « dragonnes ». De nouveau, l’Asiatique agit. C’est Miss Je-suis-partout, décidément. Elle s’agenouille pour récupérer ce qui a fini par acquérir force de document secret.
Je me dis que si le facétieux avait écrit là-dessus : « Merde à celui qui le lira », ça serait une bonne chute ! Mais t’aimerais pas : bien trop cartésien, tu penses ! Il te faut du concret. T’ingurgites n’importe quelle culterie ricaine à la téloche, des choses que je mourrais de honte si c’était mon cousin Gaston qui les ait commises. Mais toi, du moment qu’on te dit à la fin « C’est l’antiquaire qui a tué sa concierge, laquelle l’avait surpris en train de sodomiser le facteur des recommandés », t’es joyce.
Elle a déjà saisi, à l’aide d’une pince à épiler (qu’est-ce qu’elle peut s’épiler, elle est lisse comme ma montre ?) le coin de la plaque quand un remue-foyer se fait dans l’immeuble. Cavalcade forcenée dans la cage d’escadrin. Victoria s’est levée d’un bond. Surgissent alors quatre Noirs plus tibulaires encore que ce que tu peux imaginer. Des jeunes, des colosses, cheveux coiffés à la Hun, baskets, jeans, blousons de cuir à même la peau : l’uniforme, quoi ! L’un d’eux a un couteau, les trois autres des barres de fer. Ils rigolent à pleins crocs dans le faisceau des lampes.
— Bienvenue au club ! lance le zig au ya.
Un autre déclare :
— Y a une chouette gonzesse ; c’est moi qui la tire en premier ! La Jaune est moche, c’est Sammy qui va se la faire et Bob va se payer le mec qui est beau gosse !
C’est flatteur, non ? Tu vois que je ne vante pas quand je te raconte que j’ai un succès fou, tout azimut.
Lola entre en piste. Elle brandit son feu et ordonne :
— Foutez le camp, les gars, y a maldonne !
L’ennui c’est que, nos loupiotes se trouvant braquées sur les cosaques, l’arme se trouve dans l’obscurité et comme elle est noire ils ne peuvent la voir. Le garçon au couteau a le crâne rasibus avec juste une brosse à habits sur le dessus du dôme.
— Qu’est-ce que tu dis, connasse ? Tu donnes des ordres ? Défringue-toi tout de suite et pompe mon nœud pendant que Bob t’enculera, il adore ça !
Moi, si je te disais qu’il m’énerve ce grand gourou constellé de cicatrices. Alors, poum ! voilà l’Antonio en exhibition ! Coup de pied sur sa main qui tient l’eustache ; l’arme choit. Je lui colle une manchette à la glotte et il va rejoindre son lingue sur le sol en produisant des gargouillis comme l’estomac de Béru quand il s’est par trop gavé de tripes à la mode de Caen.
C’est aussitôt le rush des archers aux barres de fer.
Alors là, tu verrais quelque chose d’inoubliable si tu étais à mon côté au lieu de péter dans le plumard de ta bonne femme que t’as même plus le courage de baiser ! Mais t’as raison : vaut mieux bouquiner ce livre, c’est plus jouissif.
L’Asiate vient d’entrer en scène et, du coup, ce sont les punks qui rient jaune. Ce décrassage, mon pote ! Ah ! je comprends que le papa Harry ne jure que par elle ! Les pales d’un mixer, l’aminche ! T’as pas le temps de mater, ça dégrinole tout seul, tu perçois juste le bruit des horions et la chute des barres de fer sur le sol.
En moins de jouge, voilà les quatre mecs au tapis, spit allongés, soit à genoux, soit encore assis. Ils secouent la tronche comme si une guêpe leur butinait les cages à miel.
— Go out ! gueule la Japonouille. Quick !
Le quatuor (de sac et de cordes) se traîne jusqu’au couloir, escorté par la petite houri[44].
Ils refluent jusqu’à l’escalier. J’entends la voix acide de Fleur-de-courgette qui déclare :
— Si vous revenez, même avec des renforts, on vous fera éclater la gueule à tous !
La bande se casse sans insister.
La démarche menue de la lutteuse ne fait presque pas de bruit, malgré la réverbération.
J’ai ramassé sa torche tombée et lui place la lumière dans les carreaux.
— Vous avez été extraordinaire, assuré-je tout en lui administrant un magistral coup de crosse à la tempe.
Championne de judo et de tout ce que tu voudras ou non, elle s’écroule sans proférer le moindre son. C’est silencieux dans l’âme, un Asiatique. Maintenant, moi qui te connais comme si ta mère m’avait fait, tu vas me dire : « C’est bien beau d’assommer la Jaunette d’un coup de crosse, mais où as-tu pris l’arme, gros madré ? » A quoi je répondrai : « C’est le pistolet de Lola, voyons. » Et ta pomme, dur à satisfaire, d’insister : « Comment est-ce que tu te l’es procuré ? »
Ce qui m’amène à t’expliquer que, pendant que Victoria (la reine… du judo) faisait le ménage avec les punks, j’ai chiqué au gars enamouré auprès de la superbe Noire (ne venais-je pas de la débarrasser de l’homme au méchant couteau ?) et avec une fulgurance digne de Papin[45] lui ai placé un monstre coup de boule entre les carreaux qui l’a affalée comme une vieille voile. S’emparer de son feu a été un jeu d’enfant (de salaud).
Et maintenant, les indomptables du gros Harry gisent sur le sol cradoche recouvert de gravats, de très vieilles merdes séchées et de papiers ignominieux. N’a pas fallu longtemps à Mister Sana pour se défaire des deux amazones malgré leur réputation d’invincibilité. Conférence au sommet d’urgence. Je peux profiter de l’embellie en récupérant le texte de Garden et en m’évaporant. Seulement papa Harry n’aimerait pas ça et ferait payer mon entourloupe à mes deux coéquipiers chéris. Si un jour il meurt étouffé, le Crotale, ce ne sera pas par des scrupules.
La voix de mon petit lutin intime se met à chuchoter des trucs à l’oreille de mon subsconcient. Comme il a toujours été de bon conseil, je lui obéis.
Notre chauffeur noir attend, un peu plus loin, adossé au capot de sa tire. Il fume un cigare qui pue comme l’incendie des abattoirs. Sa fumée âcre, poussée par la brise en provenance de l’East River, m’emplit les narines, me donnant envie de tousser…
Je lance un coup de sifflet de trident[46]. Ça se fait beaucoup aux States, le coup de sifflet. J’ai vu des dames en vison qui se filaient deux doigts dans la bouche pour héler un bahut.
Le grand brun se retourne et je lui fais « come in » avec la main. Il porte une tenue qui pourrait passer pour militaire : pantalon et blouson en gabardine beige. Il vient à moi, d’un pas alerte.
— Ces demoiselles vous réclament, lui dis-je : elles ont besoin de vous.
Je le précède dans l’escalier et, au lieu de m’arrêter au second, je continue d’ascensionner jusqu’au terminus de l’immeuble, ce qui vous en met plein les pattounes : dix étages, à la tienne !
D’une allure déterminée, je pénètre dans un des logements. Le chauffeur me suit toujours, sans méfiance. Je m’efface pour le laisser passer. Il passe. Manque de trépasser du solide coup de crosse que je lui administre. Ne me reste plus qu’à le ligoter solidement, usant pour cela de ses lacets de souliers, de sa cravate et de son tee-shirt. A la fin, j’enfonce l’une de ses chaussettes dans le clapoir afin de le dissuader de crier. J’espère qu’il a les pinceaux propres ? Dans l’obscurité, je me rends pas compte.
Les frangines, c’est avec leurs collants que je les ai entravées. Et également avec leurs ceintures et leurs soutien-loloches. A la fin c’est pas triste comme spectacle. La Noire en petite culotte blanche, les seins nus, c’est de la grande émotion qui te flanque un courant à haute tension dans la membrane chercheuse. Cette fille, après l’avoir tirée quatorze fois, tu te relèverais la nuit pour la sauter une quinzième !
La rue morte, à peine éclairée par des lampadaires trop espacés, te permet toutes les audaces, aussi prends-je mon temps pour installer ces deux gentilles demoiselles dans l’immense coffre de la Chevrolet. Elle est si vaste, cette malle, que la Japonaise y tient en long, sans devoir replier ses jambes.
Ce qu’il y a de chiant dans la vie moderne c’est qu’on est toujours talonné par le temps. On veut faire entrer le maximum d’actes dans un minimum de durée.
Là, je me dis :
« Dans combien de temps le gros Harry va-t-il commencer de mouronner dans son beau burlingue de Washington ? Avait-il convenu avec ses gonzesses qu’elles lui téléphoneraient sitôt qu’elles seraient en possession de la plaquette ? Si oui, la marge n’est pas grande : d’ici une plombe il se remuera le cul, l’Enflé. S’il attend, par contre, notre retour dans la capitale fédérale, alors j’aurai, comme dirait Son Obésité Béru « un lapsus de temps » d’à peu près trois heures. Insuffisant pour gagner le Canada par la route et je prendrais un risque extravagant en passant la frontière avec ces deux pépés à demi nues dans mon coffre. Non, mon Tonio, ne rêve plus. Tu dois jouer ce coup avec les moyens du bord et le jouer très vite. Après tout, t’es génial, non ? »
Imagine un clébard en train de gerber dans le pavillon d’un hélicon basse pendant qu’on en joue et t’auras une idée approximative de ce qu’est la voix d’Harry à cinq plombes du mat’.
— Je vous réveille, mon père ? m’enquiers-je aimablement.
— Qui êtes-vous ? grommeluche le Crotale.
— Ben, San-Antonio. Qui voulez-vous que je sois ?
Ça paraît l’asphyxier un brin. Mille questions lui grenouillent la pensarde ; il parvient à en émettre une.
— Comment avez-vous eu ma ligne secrète ?
— Par vos girl-scouts, mon cher vieux. Vous savez, quand vous voyez écrit ces deux mots : « femme » et « secret », cherchez l’intrus !
— Où êtes-vous ?
— En lieu sûr. Mais dites donc, vous fonctionnez au gin ou au bourbon ? Votre voix fait songer à une bassine pleine de nouilles qu’on renverserait dans un escalier.
— Arrêtez de faire le malin et passez-moi Victoria !
— Elle n’est pas en mesure de répondre, non plus que la belle Lola.
Il manque dégobiller ses vieilles amygdales poreuses, ce gros con.
— Attention ! beugle-t-il, attention ! J’ai deux mecs à vous !
— Et moi deux gonzesses à vous, Harry. On pourrait essayer de les accoupler pour leur faire faire des petits ? Je suis pour le croisement des races.
— Espèce de…
— Laissez ces points de suspension en place, Harry, je suis un haut fonctionnaire du gouvernement français, m’insulter créerait un incident diplomatique, car tout ce que nous sommes en train de nous dire est enregistré.
Il gronde comme un dogue affairé gronde sur sa pâtée quand un roquet de passage vient lui respirer le dargiflard.
— J’ai un chouette marché à vous proposer, Harry. Il est simple comme l’œuf de Christophe Colomb, le type sans qui vous seriez irlandais ou teuton à l’heure qu’il est.
— Quel marché ? demande mon terlocuteur qui paraît un peu moins ivre qu’il y a un instant.
— Vous rentrez chez vous, vous prenez un bon bain, vous buvez deux litres de café fort et vous allez chercher mes copains. Ensuite vous rappliquez tous les trois à New York, au consulat général de France. Vous me rendez mes pieds nickelés, moi je vous rends vos pétasses, lesquelles, entre nous soit dit, sont plus fortes en esbroufe qu’en efficacité. Ça, c’est la première clause du marché, mon gros. Ce cérémonial de l’échange d’otages une fois réglé, nous nous installons à une table vous et moi, en tête à tête, et on dessertit la plaque d’aluminium du docteur Garden. J’en prends connaissance et je vous la remets à titre définitif. Pesez bien cette proposition, Harry, elle est vachetement crémeuse pour vous. En agissant ainsi, certes je saurai la vérité, si tant est qu’elle s’y trouve, mais sans en avoir la moindre preuve. S’il me prenait la fantaisie de la révéler, elle passerait pour une hypothèse supplémentaire. Cela dit, je ne veux chercher aucune noise à l’Amérique ni aux Américains. En France, nous avons pris la saine habitude de nous lancer dans des guerres que vous êtes obligés de finir pour nous, j’ai la reconnaissance du sang !
Il m’écoute sans piper, je ne perçois même plus son grognement de bulldog.
— Vous êtes toujours là, Harry ou vous dormez ?
— Je réfléchis.
— C’est bon signe, la réflexion étant le meilleur remède contre l’impulsion, toujours fâcheuse.
Au bout d’un moment, il demande ;
— Ainsi le consulat de France détient des citoyennes américaines contre leur gré ?
La vache ! En voilà un qui ne perd pas les pédales facilement.
— N’essayez pas de me contrer sur le plan de l’illégalité, ni de créer un incident diplomatique, vieux filou. Non, les autorités françaises de New York n’ont aucun comportement illicite, voire inamical envers les États-Unis d’Amérique.
— La conclusion que j’en tire est double, déclare ce retors. Cela signifie, soit que mes filles séjournent chez les Français de leur plein gré, ce dont je doute, soit qu’elles se trouvent ailleurs, ce que je crois…
— Et alors, ça changerait quoi qu’elles séjournent ailleurs ?
Il repique sa rogne, le Crotale. Son regard reptilien doit distiller de la haine pur fruit.
— Ça changerait que je ne vais pas me pointer avec vos deux gugusses sans avoir mes filles en échange, gros malin !
Je lui glisse un soupir de souffleur de verre dans le conduit auditif.
— Dites-moi, Harry, vous est-il arrivé une seule fois, au cours de votre lamentable vie, d’avoir confiance trente secondes en quelqu’un ? Je parie que vous avez dû faire analyser le lait de votre maman avant de téter son sein, de peur qu’il contienne des toxines. Réfléchissez un peu que le consulat de France de New York est situé sur le territoire des U.S.A., je ne suis à l’abri qu’à l’intérieur. Sitôt son seuil franchi, vous pouvez me faire alpaguer à votre convenance. Or, je n’ai pas l’intention de passer des années dans cette taule, à l’image du cardinal de Pologne qui est resté je ne sais plus combien de temps placardé à l’ambassade U.S. de Varsovie ! Nous traitons un marché. Et c’est quoi un marché ? Une convention qui satisfait deux parties. Rengainez vos rapières et retrouvons-nous comme je l’ai dit ; faut en sortir, non ?
Soudain, il est détendu. Et sais-tu pourquoi, Éloi ? Parce qu’il vient de se déterminer. Choisir, souvent, c’est se libérer.
— O.K. ! fait-il. O.K. ! Je marche. Mais dites-vous que si ça foire, votre mère risque d’avoir un gros chagrin.
Là-dessus, il émet un hoquet de poivrot qu’il avait eu du mal à contenir jusque-là.