Nancy interrompt la radio en nous voyant.
C’est un boulot peinard que le sien, nonobstant l’empâtement de son char d’assaut qui la contraint à des manœuvres fastidieuses dans les rues étroites. Tu peux rêvasser à loisir, lire, te faire les ongles, écouter les disques d’Yvette Horner (qui est un peu à la musique ce que je suis à la littérature).
Nous reprenons nos places en silence.
Elle attend mes directives.
— Vous connaissez Kalamity Beach ? je questionne.
— Certainement.
— C’est loin d’ici ?
— Une soixantaine de miles.
— On y va !
Docile, elle lance sa batteuse.
— Demande-z’y si elle aurerait pas un peu d’vasline à mon service, murmure le Mastard. C’te bonniche m’a esquinté l’pompon, pire qu’si j’aurais flanqué Coquette dans une moulinette !
— Tu te crois chez une pute ! l’envoyé-je au bain.
Renfrognée, Sa Majesté déclare :
— Jockey ! Jockey ! J’veux pas faire d’vagues, j’m’sognerai av’c l’huilier du restau où qu’on va pas tarder d’aller, si j’en croive mon estom’.
— Alors, interroge Mathias, positif ?
— Il me semble. Positif, mais incomplet.
Et de lui relater la scène avec la vedette du temps jadis.
— Il semblerait donc que nous ayons vu juste, conclut Mathias après mon exposé. Le sénateur Della Branla aurait trempé dans le complot contre Kennedy. Il a fait des confidences à sa belle, laquelle les a transmises au docteur… Elle lui rendait visite au pénitencier, car elle conservait un faible pour lui. Le Doc a vu là un moyen de négocier sa libération anticipée. Mais il lui fallait quelque chose qui ressemblât à une preuve, pour étayer ses dires.
— Ce quelque chose, elle le lui a fait parvenir à l’intérieur d’un gâteau.
Le silence revient. Nancy drive impec derrière sa vitre teintée. Je note qu’elle me coule de longs regards enamourés dans son rétroviseur large comme une psyché. Je te parie un kilo de caviar contre cent de ton fourrage préféré qu’elle n’appellerait pas les flics si moi je l’entreprenais.
Mathias demande :
— Tu espères quoi, du pénitencier ? En trente ans, tout le monde a changé : gardiens et prévenus !
— On trouvera bien quelqu’un ayant connu l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’os !
— Ton étemel optimisme…
— L’optimisme est aussi vital que l’oxygène. Si tu ne fabriques pas celui dont tu as besoin, personne ne t’en cédera car tout le monde en manque.
Je fais glisser la vitre :
— Puis-je utiliser encore votre téléphone, mon petit cœur ?
Elle me confie l’appareil portable et je rappelle mon correspondant méridional de l’ambassade de France (l’une des plus belles du monde).
— Vous avez pu obtenir mon renseignement, cher ami ?
— C’est fait ! chantonne l’homme des renseignements généreux. Votre lieutenant Quinn fume depuis belle lurette les pissenlits par la racine.
— Il est mort accidentellement ? fais-je.
— Si vous considérez que prendre un chargeur de 9 millimètres dans le buffet est un accident, alors d’accord, il est trépassé d’un accident ! ironise mon nain terlocuteur.
— Et il est mort en 63 ?
— Vous brûlez : 64 !
— Dans quelles circonstances ?
— En pleine nuit, sur les bords du Potomac, près du cimetière d’Axlington.
— Le cimetière des héros, fais-je. Le Président Kennedy y repose.
— Exact. Je peux encore faire quelque chose pour vous ?
— Merci, ça va comme ça. A l’occasion je vous ferai parvenir une bouteille de pastis.
Il rigole :
— Ne vous fatiguez pas, j’en ai plein un placard.
— Qui a dit qu’on n’emmenait pas la France à la semelle de ses souliers ?
— Danton, Mais il ignorait la valise diplomatique ! Allez, salut, monsieur le directeur.
Je rends son appareil à la poulette dark. Nos doigts s’effleurent. Dans le rétro, je lui fais un bisou à vide et avide. Elle l’accepte et me signe l’accusé de réception d’une œillade pas farouche. De ce côté-là, ça baignerait plutôt.
— Décidément, ça a été l’hécatombe ! remarque Mathias.
— Oui : la grande lessive. Les balles tirées sur le Président ont tué beaucoup de monde !
Le pénitencier de Kalamity Beach s’étale dans une plaine sablonneuse du genre aride, à quelques kilomètres du Pacifique.
Alentour, c’est une espèce de savane broussailleuse agrémentée de boqueteaux aux arbres chétifs. Les bâtiments ne sont plus modernes et pas encore vieux. Fonctionnels et grisâtres, tu vois ?
Les hauts murs sont prolongés par une triple barrière de barbelés et quatre miradors marquent les angles de l’établissement. Je me dis qu’il ne doit pas être facile de s’évader de cette pension de famille car, outre ses défenses, le fait qu’elle soit environnée d’espaces vastes et dénudés complique singulièrement une « belle » éventuelle. Une seule route y conduit et tout arrivant est repéré de très loin.
Sonner à la lourde d’un pénitencier est presque aussi intimidant que de carillonner à celle d’un monastère.
Un vaste guichet s’ouvre et un visage découpé en neuf morceaux par les barreaux du judas m’apparaît. La vérité m’oblige à dire qu’aucun de ces neuf morceaux n’inspire la sympathie.
On me demande ce que je veux. Je plaque ma carte sur l’un des carrés vides et débite par-derrière ma petite histoire.
La bouche inscrite dans le carré du milieu me conseille de patienter.
Pour tromper la tante, comme disait mon oncle, je m’accoude à la portière de Nancy. Nous voilà à trente-deux centimètres l’un de l’autre. J’estime que c’est encore trop, c’est pourquoi je passe ma tête à l’intérieur de la limousine. Sa forte bouche est déjà humide. Que doit-il en être de sa chattounette ! Affaire à suivre.
— On peut goûter ? murmuré-je.
Elle a un sourire qui, précisément l’oblige à écarter ses lèvres. L’ouverture est trop belle, d’où pelle aspirante, philippine de menteuses, crissement d’ivoire, cocktail d’amygdales.
— Après vous s’il en reste ! gouaille l’énorme sodomite vautré à l’arrière.
Mathias, soucieux de mon confort moral, fait taire le terre-à-terre. Notre baiser se prolonge infiniment, jusqu’à ce qu’une voix grasse comme un bac à friture lance derrière moi :
— Hé ! Vous !
Le « vous », qui est « moi » en l’occurrence, s’arrache, tout filamenteux, et fait front à deux gaziers en uniforme. L’un des deux m’apprend la bonne nouvelle : le directeur du pénitencier, M. Archibald Graigh, consent à me recevoir.
Pas très marrant, ce dirluche. Faut dire que sa fonction, non plus que l’endroit où il l’exerce, n’incitent à la gaudriole. En voilà un, quand il va retrouver la grande Betty, pour son jour de congé, il doit lui faire mettre les pinceaux en bottes de radis avec les arriérés qu’il trimbale !
Il est assez épais, les cheveux rudes et gris, le menton carré, la paupière en peau de croco, le regard vigilant et fonctionne en bras de chemise derrière un burlingue paperasseux.
Il ne se lève pas pour m’accueillir, se contentant d’un hochement de tête. Il me désigne néanmoins le siège placé en face de lui. Moi je lui remontre ma carte et lui déballe une très mignonne histoire, qui, bien illustrée par un dessinateur de talent constituerait un joli album de Noël pour la jeunesse. Une réforme pénitenciaire est à l’étude, en France, et je préside la commission chargée de visiter les établissements américains afin que nous nous en inspirions éventuellement.
A ces mots il rit comme un bulldog aboie après le facteur des recommandés et me déclare que sa taule est le prototype même de ce qu’il ne faut pas faire ! Une cage à cancrelats où l’on crève de chaud l’été et de froid l’hiver. Elle est loin de tout. Les gardiens sont plus mal logés que les prisonniers et il redoute davantage une mutinerie des premiers que des seconds. Les détenus sont à six par cellule de deux. Le sanitaire est naze, au point que les coupures d’eau sont fréquentes, etc. Le tableau qu’il nous dresse flanquerait la fièvre acheteuse[16] à une vache.
Je le laisse se vider en prenant des notes dont je n’ai rien à cirer. Ça lui fait du bien à cet homme de déverser sa bile dans le giron pare-balles d’un étranger. L’administration doit l’envoyer aux pelosses et se torcher le fion avec ses rapports, alors il n’en peut plus, Archibald. Il me tient, il me garde ! Un homme lancé à cinq mille tours, si tu as la patience de l’écouter, c’est pas difficile ensuite de lui tirer les vers du pif. Tu joues un air de flûte et, tels les najas marocains qui sortent de leur couffin en se dandinant, le v’là qui répond « Présent ! ».
Il jacte à la mitraillette, le dirluche. Évidemment, il ne subsiste personne ici y ayant vécu au début des années 60. Par contre, à Kalamity Beach City, on peut rencontrer le vieux Hogland, un ancien gardien-chef de la boîte, qui faisait régner la terreur parmi les fortes tronches. A lui seul, il a maîtrisé une émeute dans la cour de la promenade, rien qu’avec sa matraque et sa tête d’Irlandais. Si je veux des histoires, c’est lui que je dois rencontrer. Il habite chez sa fille, sur le port. Elle tient un restaurant : Au Bourlingueur.
Alors là, oui, je prends note avec plaisir.
Les huîtres ressemblent à des belons. Elles sont énormes et sans saveur. Renseignement pris, la loi américaine oblige les restaurateurs à les laver avant de les servir. Je n’ignorais pas que les Ricains étaient des cons, mais je m’aperçois que ce sont également des béotiens et dès lors, je trouve logique leur défaite au Viêt-nam, pays qui, lui, sait admirablement manger quand il a de quoi.
Après les huîtres, on se cogne des steaks larges comme des pizzas mais cinq fois plus épais, avec des back potatoes pour garniture. Le picrate californien se laisse boire et la serveuse qui s’occupe de nous se laisse peloter par le Gros, ce qui rend ce restau convivial.
Une grosse dame de cinquante carats avec la poitrine comme un péristyle de théâtre, un peu de barbe grise et des cheveux de couleur abricot s’occupe de tout un chacun : clients et serveurs, avec une autorité joviale. Je te parie, chérie, ma belle grosse bite contre celle de ton époux, qu’il s’agit de la fille du père Hogland.
Dès que nous avons terminé notre gelée de foutre à la framboise[17] je hèle la dame for the bill et j’en profite pour lui demander des nouvelles de son cher papa. Elle me répond, sans grande joie, qu’il doit être quelque part « par là » tout en montrant le port.
On s’apprête à lever le siège quand Nancy, que j’ai conviée à partager nos agapes, demande à emporter les restes pour son chien, ce qui est l’usage dans les pays civilisés comme les Etats-Unis d’Amérique. Les restaurateurs ont des boîtes de carton revêtues d’étain pour cela. La chauffeuse nous explique sans vergogne qu’elle emporte nos reliefs (moins ceux de Béru qui n’en laisse jamais) pour son vieux père avec lequel elle cohabite depuis qu’il est veuf. Ce soir, elle va réchauffer cette ragadasse à l’oncle Tom qui, dès lors, se fera un gala gastronomique de première.
On le déniche dans le quatrième bar, l’ancien maton. Il y joue aux fléchettes avec un petit Noir déguenillé, morveux mais charmant, au sourire en tranche de noix de coco. Le vieux Hogland devait être aussi roux que Mathias avant de blanchir. Sa forte tignasse d’Irlandoche hésite entre la couleur queue-de-vache et le gris moisissure. Un pif monstrueux qui fait songer à une ruche, des yeux presque blancs, durs comme des cailloux de rivière, un menton trapézoïdal, il a tout du vieux fumier décrépit par le temps.
J’applaudis à l’exploit qu’il vient de réaliser en fichant sa fléchette au cœur de la cible, l’aborde en lui demandant s’il est bien lui — ce qu’il m’affirme avec autorité —, lui raconte la même histoire qu’au dirluche du pénitencier et le convie à prendre un verre avec nous, ce qui semble l’humaniser quelque peu.
Nous voici tous quatre à une table. Il se commande un « Dynamitero ». Béru, intéressé par ce breuvage inconnu, veut en connaître la composition. Par mon intermédiaire, le vieux l’affranchit : un tiers de tequila, un tiers de gin, un tiers de bourbon avec, pour finir, une giclée d’angustura. Autrement dit, il ne s’agit plus d’un breuvage, mais d’une lampe à souder. Six mois de ce traitement et te voilà avec une chouette cirrhose en bandoulière. Le Mastard, dont on ne dira jamais suffisamment l’héroïsme et l’esprit de découverte, se fait servir la même potion magique. Y ayant trempé ses lèvres, ce qui produit un bruit de pomme de terre plongée dans de la friture bouillante, il la déclare conforme à ses rêves d’alcoolo, déplorant de n’avoir pas connu plus tôt cette merveilleuse recette de cocktail qu’il est bien décidé à implanter dans la région parisienne.
Ce préambule achevé, je me mets à questionner l’ex-garde-chiourme sur son métier. Rien qui ne comble autant d’aise un retraité que d’évoquer ses activités passées. Faut voir comme il bondit hors de ses starting-blocks, l’ancien. Tout ce que je veux, comme je le veux, où je le veux, il déballe ! Son cher boulot basé sur la matraque et la brimade, les lascars expédiés au gnouf, les évadés qu’il a seringués dans des couloirs ou fait tomber du toit où ils faisaient les guignols ! Il est déjà humide du calbute bien qu’il ne fasse pas encore d’incontinence.
Doucement, je l’oriente sur le Doc Garden. Se le rappelle-t-il ? Tu parles ! Un malin qui endormait son monde avec ses airs de bon apôtre ! Seulement, il fallait s’en gaffer comme du Sida, de ce vilain coco. Il a bien failli jouer la belle mais il aurait dû consulter son horoscope car c’était pas son jour de chance et il s’est fait niquer. Par la suite on l’a transféré à Alcatraz où un plus coriace que lui l’a planté avec un coutelas de la cuisine.
Je mets sur le tapis le blaze de Norma Gain, du coup il y va pleins gaz, le père Hogland. Cette pimbêche qui sentait la pute de luxe à cinquante mètres ! Quand elle venait au parloir, fallait ouvrir les fenêtres après son départ, tellement son parfum était tenace. Comment ? Si elle venait souvent le voir ? Chaque mois ! Recta ! Madame s’annonçait dans un froufrou. Les gardes se battaient pour « s’occuper d’elle », la driver jusqu’au box vitré. Elle leur en flanquait plein les naseaux, prodiguait des œillades salaces qui les rendaient flageolants des cannes. Un jour qu’il s’était personnellement « chargé d’elle », vous savez quoi, les gars ? Elle lui a caressé le machin à travers son pantalon. Textuel ! Une drôle de rapide qui se faisait le sénateur Della Branla ! Le politicard était dingue de cette ébouriffante ! On raconte qu’un jour, elle lui a taillé une pipe pendant une exposition qu’il inaugurait consacrée à l’hyperréalisme américain. Derrière une toile immense représentant le Capitole grandeur nature, vous jugez, les gars ?
« Les gars » jugent. Moins sévèrement que ne l’espérait le bonhomme, parce que « les gars » sont français et que la baise et ses dérivés, eux, non seulement ils la comprennent, mais ils la pratiquent !
— Arrivait-il à Norma Gain de faire passer des colis à son cher détenu ? je questionne.
Pépère branle son chef (ce qui est une belle façon d’arriver à quelque chose dans la vie).
— Des colis, non. Mais chaque fois qu’elle venait, elle lui apportait un gâteau : une sorte de pudding qu’elle confectionnait elle-même et dont il raffolait, assurait-elle. Elle nous suppliait de le lui faire passer. Comme c’était la souris du sénateur, on se chargeait de la commission.
— Sans ouvrir le gâteau ?
Il éructe, Hogland, me fustige du regard et, pour me punir, se commande un troisième « Dynamitero », imité en cela par Béru qui lui file le train avec dévotion.
— Dites donc, mon garçon, vous nous prenez pour des enfants de chœur ? En quatre, le gâteau ! Toujours : tchloc ! et tchloc ! Deux coups de couteau ! Et on poussait le scrupule jusqu’à bouffer l’un des quarts. Alors venez pas insinuer !
— Je n’insinue rien, monsieur Hogland ! Je voulais une simple confirmation de la chose. Elle apportait donc à chaque visite son petit pudding au prisonnier.
— Exactement !
Je réfléchis, maussade. Que peut-on introduire dans un gâteau dont on sait qu’il va être découpé en quatre parts dont l’une sera consommée ? Ça ne colle plus, décidément.
Mathias demande :
— Il était mou, ce pudding ?
— En voilà une drôle de question, réplique Hogland ; pourquoi me demandez-vous ça ?
— Ça vous ennuie de me répondre ?
— Pas du tout. Comment il était ? Je réfléchis… Ben, oui, il était plutôt mou.
— Donc il reposait sur un carton ?
Génial Mathias ! Mathias for ever ! Si précieux ! Si fabuleusement et efficacement fouille-merde !
— Ben, je me rappelle plus, probable, oui. Un carton couvert d’étain. Pourquoi ?
— Comme ça, répond mollement Mathias.
Le sale requin ne s’en laisse pas conter.
— Je vous vois venir : vous vous dites que la pétasse pouvait écrire au dos de ce carton. Eh bien ! c’est non, mon gars ! Imaginez-vous que je regardais sous ce putain de carton ! Mais qu’est-ce que c’est que ces frenchmen qui viennent me chercher des noises !
On se prodigue pour le calmer. On y parvient à coups de « Dynamiteros ». Si bien qu’au moment de quitter les lieux, Béru est incapable de marcher et que nous devons le soutenir jusqu’à la limousine. Il est blindé à mort, à ivre mort. Plus un mot ne sort de lui, plus un rot, plus un pet. Il est désert dans son ivresse, muet comme un violon dans son étui ! Nous nous rabattons au Beverly Hills. Justement, il y a un congrès, ou une convention ou une connerie du genre, avec plein de mecs saboulés de bleu marine et de pécores mistifrisées, en cape de vison ou de bonne espérance, qui parlent haut et du nez, et ne sont pas plus vulgaires que certaines marchandes de poissons marseillaises.
Notre arrivée avec le Mastard inanimé (mais qui a toujours une âme) fait sensation. Les gonsmen de la réception nous demandent s’il faut mander un médecin, je leur réponds qu’il ne s’agit que d’un malaise diabétique dû à de l’hypoglycémie, on va lui faire prendre de l’eau sucrée et il sera O.K. On finit par virguler cet alambic saturé sur son lit en entourant son minois de linges de bain pour le cas où il aurait des remontées au carburo et nous revoilà libres de nos mouvements.
Nous sommes dans la carrée de Mathias. Il a l’air sonné par la fatigue, le Brasero.
— Bilan ? demande-t-il.
— Plutôt positif, réponds-je. Je suis de plus en plus convaincu que le sénateur Della Branla a participé à une noire magouille, qu’il en a touché deux mots sur l’oreiller à Norma Gain et que celle-ci a vendu le morceau au Doc.
Il opine.
— Moi également, mais je me demande pourquoi Garden a tenté de s’évader du pénitencier de Kalamity Beach s’il disposait d’une pareille cartouche de dynamite ! C’était probablement un type intelligent qui aurait su négocier un secret d’une telle ampleur. Il y a un os !
— Il y en a sûrement plusieurs, appuyé-je, mais à chaque jour suffit sa peine. Goûtons une nuit réparatrice, comme on écrivait jadis dans la littérature d’après la grand-messe, et demain sera un autre jour !
Je le baise au front, tel un enfant, et me retire dans mon appartement. Là, je décroche le biniou et demande au concierge d’envoyer dire au chauffeur de ma limousine qu’il vienne prendre les ordres concernant la journée du lendemain. Me débarrasse de mon veston sur les épaules d’un serviteur muet, me file une giclette de « New York », mon eau de toilette d’élection créée par Patricia de Nicolaï et vais ouvrir car on frappe à la lourde.
Elle arbore un beau sourire pour arbre de Noël, Nancy.
— Entrez et asseyez-vous, lui dis-je en accrochant subrepticement l’écriteau Do not disturb au pommeau extérieur de ma porte.
Elle obéit.
— Ouf ! fais-je (car j’ai de la conversation) en me laissant tomber auprès d’elle sur le canapé.
— Vous paraissez épuisé, note-t-elle.
— Ce n’est qu’apparent, je possède encore des ressources que vous ne soupçonnez pas. Si on prenait un drink pour conclure la journée ?
— Pourquoi pas ? J’aimerais un whisky-Coke plutôt léger.
Je fais droit à sa requête bien que je n’eusse jamais été préparateur en pharmacie. Moi, je m’octroie un gin-tonic fifty-fifty. On trinque.
Elle boit, puis demande :
— Vous êtes satisfait de vos visites ?
— Pas mal.
— Vous recherchez quoi, si ce n’est pas indiscret ?
— A reconstituer un passé de trente ans.
— C’est beaucoup !
— Oui et non : il reste encore des témoins.
Elle souhaiterait me questionner davantage, mais elle sait que dans sa profession il ne convient pas d’être curieux.
Quand elle a terminé son verre, elle le dépose sur la table basse.
— Quel est le programme de demain ?
— Je n’en sais encore rien, mais je peux vous indiquer celui de maintenant.
Avant qu’elle ne parle, je la prends dans mes bras et lui bouffe la gueule comme un sauvage.
Bien que tu sois un peu mou de la membrane, tu sais combien la fatigue stimule le désir. A peine ses nichebards me frottent-ils la poitrine que je me sens pousser, non pas des ailes, mais une tuyère grosse comme celle du lanceur « Ariane ».
Elle réfute pas, la Nancy. S’en ressent tellement pour ma pomme qu’elle fait l’impasse sur les petites rebufferies d’usage avant cession du fonds de commerce. C’est un oui franc et massif qu’elle me fait. La preuve : elle déboutonne elle-même sa veste de tailleur, puis l’ayant ôtée, procède de même avec son chemisier. Ses seins de bronze me jaillissent au visage. Tu parles d’un site à visiter ! Tu me verrais faire la brasse papillon au milieu de ces merveilles ! Ah ! je suis dans mon élément, ça je l’affirme très fort. Je m’en gnaf-gnaffe jusqu’aux oreilles.
N’ensuite de quoi, je la dévale avec la bouche. La jupe va rejoindre son complément supérieur sur le plancher et j’atteins la brousse équatoriale. Là, c’est pas pareil : faut s’expliquer avec son échinocactus, épineux mais gorgé d’eau comme préviennent les dicos. Les figues des Noirpiotes sont des figues de Barbarie, savoureuses, seulement faut savoir les éplucher avant de les déguster. Les poils de cul à ressort ne nous sont pas familiers à nous autres, pauvres et piètres Occidentaux habitués à brouter du soyeux. Mais la difficulté accroît le plaisir et quand tu as su vaincre le roncier de la chérie, ce qui se passe alors est plus exceptionnel qu’un requiem de Mozart. Ah ! le sublime breuvage, savoureux comme le lait de coco, si frais au sein du péricarpe garni de fibre !
Elle n’est pas accoutumée à ce traitement, Nancy ! Du chibre de zèbre, d’accord, mais un tel solo de tuba, c’est une grande première pour elle. La menteuse en tuile romaine à l’envers, puis ensuite en vrille, tel le pampre de la vigne, puis à plat et élargie au max, façon filet de limande, elle pouvait pas se douter, la merveilleuse ! Et moi, grand connétable de la minette chantée, tu imagines si je déploie mes dons ! Elle est pour ainsi dire en friche, cette chatte ! Toute une initiation à faire ! Heureusement que nous avons le temps. Je l’entreprends à larges traits, comme un peintre recouvre la toile avant de peindre vraiment. Et déjà ça l’enfolise, ma perle noire. Elle trémulse du valseur en exclamant de légers cris, mi de surprise, mi de plaisir.
Moi, je m’installe dans une posture durable, pas me mettre à ankyloser des postérieurs. Assis sur mes talons, tu vois ? Elle a ses mollets sur mes épaules et je les y maintiens pour pas qu’ils glissent. J’aurai besoin de mes mains un peu plus tard, mais rien ne presse. Une demi-heure de cette première phase, afin de ne pas bâcler. Ensuite je resserre mon propos, l’effectue de manière plus insistante, plus appuyée.
Alors, là, oh ! pardon : message reçu. Elle devient follingue, la miss ! C’est carrément la beuglante des savanes ! Des clameurs émises dans le dialecte de ses ancêtres d’Afrique et qui ont survécu à l’esclavage. T’as toujours un moment, chez l’homme, où l’hérédité ramène sa fraise, comme disait Henri III, reine de Pologne, puis de France et départements d’outre-mer.
Cette jouissance fortement exprimée en mangbetou me stimule les centres corrosifs. Le mangbetou est un magnifique dialecte qui fait songer un peu au bambara avec les sonorités du kwa, si tu vois ce que je veux dire ? Sauf que le « h » aspiré se prononce à l’envers, tu saisis ?
Nouvelle demi-heure pour la phase 2 ; c’est à partir de cet instant qu’il me faut récupérer ma main droite pour l’opération dite de la fourche Claudine (on prétend que c’est la grande Colette qui l’aurait inventée).
Cette fois, elle ne peut aller beaucoup plus loin, la Superbe. Alors c’est la pâmoison nègre avec youyous, agitation des mains, ce qui fait tintinnabuler ses bracelets d’argent riches en pendeloques, cambrement du dos, pédalage des jambes (j’en ai les oreilles chauffées au rouge). Un panard tout à fait exceptionnel. Après lequel elle se met à gésir sur le canapé, comme foudroyée par une décharge de ligne à haute tension.
J’en sais plusieurs milliers qui, à ma place, se diraient : « Et maintenant, à toi de jouer, Popaul ! » Ils enfourcheraient sans vergogne ni pitié cette exquise monture fourbue pour se dégager les voies respiratoires sud. La calceraient soudard, impétueusement et vitos afin de se mettre à jour au plus tôt, et puis retomberaient comme des cons sur la moquette, la zézette en compte-gouttes.
Mais la classe du Sana le retient d’animaler ainsi.
Au lieu de, il place la fabuleuse dans une position récamière, de repos. Lui baisote les tempes, ensuite les cabochons qu’elle a d’un brun foncé velouté. Pour finir, il pose sa joue sur le ventre plat de Nancy et, la queue toujours à l’équerre, éperdue de solitude insatisfaite, dodelinante et en cours de prélubrification, il glisse dans une somnolence proche de la volupté.
C’est doux, c’est tiède, c’est parfumé. J’aimerais écouter de la belle musique : le menuet de Boccherini ou l’ouverture de Fidelio de Beethoven, par exemple.
Moment ténu, impondérable, chuchotement du néant. Ma débande s’opère doucement, comme se ferme un volubilis à l’approche du soir.
Soufflés par l’aérateur, les voilages de la fenêtre produisent un imperceptible friselis.
Sublime !