Chris et Milton avaient assisté à l’attaque, eux aussi. Ils se ruèrent en avant pour couper la retraite des petits voyous… Zakra s’était relevée et, de ses longues jambes, galopait derrière le groupe. Se voyant près d’être rattrapé, un des gosses se retourna, un couteau à la main. Il attaqua aussitôt, tentant d’éventrer la jeune femme.
Les baigneurs contemplaient cette scène quotidienne de la vie brésilienne, impavides. Pourquoi risquer un coup de couteau pour quelque chose qui ne vous appartient pas ? En plus, ces charmants bambins avaient parfois des armes à feu. Un mois plus tôt, à Copacabana, ils avaient exterminé sur place une famille qui refusait de se laisser dépouiller.
Un coup de feu claqua soudain. Prudente Freitas se manifestait à son tour, coupant la route aux fuyards. Ceux-ci refluèrent à travers la foule des parasols, faisant des moulinets avec leurs couteaux. Venant se jeter droit dans les bras de Chris et de Milton.
Le chef, celui qui avait volé le collier, fonça sur Milton, poignard à l’horizontale. Le gorille l’attendit de pied ferme. C’était la première fois de sa longue carrière qu’un enfant l’attaquait… Lorsque le bambin voulut l’ouvrir comme une boîte de conserve, il plongea en avant, les poignets croisés, stoppant le poignard, et lui tordit le bras. Emporté par son élan, le gosse vola par-dessus l’épaule de Milton et retomba quelques mètres plus loin, au milieu d’une famille brésilienne en train de pique-niquer.
Bernardo Malcher n’eut pas le temps de se relever. Enveloppé, mais encore costaud, le chef de famille arracha du sable le parasol qui abritait leurs agapes et en planta la tige de toutes ses forces dans le ventre du garçonnet. Aussitôt, les autres se ruèrent à la curée à coups de pied, de poing, de tout ce qui leur tombait sous la main. Une femme se mit à lui lacérer le visage avec une fourchette, lui crevant un œil au passage. En quelques minutes, Bernardo Malcher fut déchiqueté vivant. Un marchand de brochettes accouru à la rescousse donna le coup de grâce en enfonçant une broche d’acier dans la poitrine du gosse. Tous se vengeaient de la peur permanente que faisaient régner ces bandes de voyous.
Chris Jones fît fuir le gamin en train d’essayer d’étriper Zakra. Voyant le sort réservé à son chef, il n’insista pas et fila comme un trait vers l’avenue Vieira Souto.
Prudente Freitas essayait de calmer les énergumènes lyncheurs. Rejoint par Malko, il remarqua tristement :
— L’année dernière, on a tué plus de sept cents gosses à Rio : des « Escadrons de la Mort » ou des commerçants qui en avaient assez d’être rançonnés.
Zakra arriva, encore choquée, sous la protection des deux gorilles. En la voyant, l’homme qui avait planté le parasol dans le ventre du gamin récupéra le collier dans ses doigts crispés et vint l’offrir à la jeune Kirghize, avec un sourire dégoulinant, vite rappelé à l’ordre par sa femme. Zakra le remercia et remit le collier autour de son cou avant de s’éloigner vers le Caesar Park escortée de Malko et des deux gorilles. Mentalement, Malko s’essuyait le front. A un poil près, toute l’opération complexe qu’il pilotait échouait à cause d’un petit voyou brésilien.
Ishan Kambiz avait l’impression qu’on lui enfonçait une tige de fer rougie dans les intestins. D’une main tremblante, il se versa une grande rasade de Gaston de Lagrange XO et se força à l’avaler par petites gorgées. L’alcool le détendait un peu. Said, un de ceux qui surveillaient Zakra, venait de revenir, lui relatant l’incident de la plage. Pour l’Iranien, c’était clair : l’envoyée de Pavel avait autour d’elle un dispositif de sécurité efficace et puissant. Des gens qu’elle connaissait. Et pas des Brésiliens.
Ce qui signifiait que l’opération « Darius » avait été pénétrée par un grand service — probablement les Américains — et qu’il était en danger de mort.
Seulement, il était impossible de renoncer au rendez-vous de la Scala. Si vraiment cette femme avait apporté un échantillon de plutonium, il devait le savoir. Mais, de toute façon, ses plans étaient bouleversés.
— Said, ces trois types qui ont arrêté les voleurs, ils ressemblent à quoi. ?
— Ce sont des professionnels. Ils n’ont pas eu peur du couteau. Il y avait un policier avec eux, un Brésilien, mais avec un revolver.
C’était de pire en pire ! Ishan Kambiz bénéficiait pourtant de nombreux soutiens au sein du gouvernement brésilien. On lui avait même laissé utiliser de « vrai-faux » passeports brésiliens, dans certaines circonstances, pour des voyages en Iran. Il se promit de contacter le chef de la police fédérale à qui il avait fait de multiples cadeaux. Par lui, il allait en savoir plus sur ces inconnus qui veillaient sur l’envoyée de Pavel. Qui étaient-ils ?
Des Américains ?
Des Israéliens ?
Ou, tout simplement, des concurrents ?
Dans tous les cas, il devait redoubler de prudence.
Une fois l’échantillon de plutonium récupéré, il n’allait pas faire de vieux os à Rio. Il n’y avait plus que le point de passage obligé : le grand Bal des Travestis. Là, c’était le risque maximum. Il se tourna vers Said.
— Ce soir, tu viendras avec Hashemi et Mohsein. Vous aurez peut-être à intervenir. En attendant, va relayer Hashemi et ne lâche pas cette fille.
Une foule fellinienne se pressait dans le hall du Caesar Park, tous ceux ou celles qui s’apprêtaient à partir au Bal des Travestis. Zakra ne s’était pas encore montrée. Malko regarda du coin de l’œil Milton et Chris. Avec leurs cheveux coupés très court, leur chemisette blanche et leur pantalon gris contenant à peine leur puissante carrure, ils ressemblaient à ce qu’ils étaient : des gorilles. Dans l’environnement glauque du Bal, ils allaient se faire remarquer comme des mouches dans un verre de lait… Ce qui n’était pas vraiment l’idéal. Mais que faire ? Il était trop tard pour trouver un déguisement…
Soudain, trois hommes débarquèrent de l’ascenseur, parlant très fort, et s’assirent non loin d’eux. Des Américains, d’après l’accent. Des « gays ». Dans une tenue surréaliste : les cheveux presque aussi courts que Chris et Milton, avec à peine une pointe de maquillage sur les yeux, uniquement vêtus d’un box-short et de chaussures, un nœud papillon autour du cou, à même la peau !
Cela donna une idée à Malko. Il se pencha sur Chris Jones.
— Chris, annonça-t-il, je vais vous demander un sacrifice. Vous êtes trop voyants, tels que vous êtes. En vous habillant comme ceux-là, vous passerez inaperçus. Je vais vous trouver des nœuds papillons.
Chris Jones faillit tomber de sa banquette.
— Vous plaisantez !
— Non, fit Malko.
Pour couper court à toute velléité de résistance, il ajouta :
— C’est un ordre.
— C’est pas possible, gémit Milton Brabeck, et notre artillerie ?
— Là-bas, vous n’en aurez pas besoin, souligna Malko, c’est plein de flics brésiliens. Inutile de déclencher un massacre. Remontez dans vos chambres, je vais vous chercher ce qu’il faut.
Chris Jones, son nœud papillon autour du cou, avait l’air épanoui d’une carmélite déguisée en meneuse de revue. Évidemment, dans cette tenue, personne au monde n’aurait pu deviner qu’il s’agissait d’agents de la CIA… Et dans la folie ambiante ils passaient totalement inaperçus. Sauf des trois « gays » voisins toujours assis dans le hall. L’un d’eux se leva et ondula jusqu’aux gorilles avec un sourire concupiscent pour leurs pectoraux.
— Vous nous avez copiés ! lança-t-il d’une voix haut perchée, mais vous avez raison. Quels beaux muscles. Vous êtes de Venice[23] ?
Chris Jones pâlit sous le regard brûlant du jeune homme et murmura entre ses dents :
— S’il me touche, je le tue…
— Il faut vous joindre à nous, continua un autre gay. Après le bal, nous avons une petite sauterie avec des copines brésiliennes. Ça va être très gai.
Il rit, ravi de son jeu de mots.
— Vous allez élire Miss Sida ? grommela Milton Brabeck, traumatisé.
— Oh ! Comme vous êtes méchants ! lança le gay. Il ne faut pas se moquer de ces choses-là. Ça peut nous arriver à tous.
Un éclair de flash coupa la réponse de Chris. Un photographe venait de prendre le groupe. Avec un rugissement étranglé, Chris Jones se rua sur lui et lui arracha son appareil. Le photographe, un Brésilien, battit en retraite en couinant, se réfugiant derrière la réception. Malko calma le gorille.
— Quiet ! C’est pour l’usage local. Ne faites pas de scandale.
— Mais, vous vous rendez compte ! Si c’est imprimé dans un magazine, protesta le gorille, et que ça tombe sur le service de sécurité de Langley, je suis viré. Quant aux copains…
— Je certifierai que vous étiez en service commandé, affirma Malko. Et que vous agissiez sous mes ordres. Attention, la voilà.
Nouveau choc : un personnage incroyable venait de sortir de l’ascenseur. Moitié religieuse, moitié pute. Le beau visage de Zakra était encadré par une coiffe ovale blanche et noire, un ensemble qui couvrait ses épaules d’une chape amidonnée, un peu comme une tenue de scaphandrier. Jusqu’à la hauteur des seins, dissimulés par le tissu raide. On lui aurait donné le bon Dieu sans confession, y compris avec le gros crucifix qui pendait sur sa poitrine et en dépit du regard de braise et de la grosse bouche rouge qui détonaient un peu…
A partir de la taille, cela se gâtait. Zakra portait un pantalon collant lacé de haut en bas laissant apparaître de chaque côté une large bande de peau nue, permettant de s’assurer qu’elle ne portait rien d’autre dessous… Le pantalon en stretch moulait sa croupe incendiaire à faire pâlir d’envie tous les travestis du monde. Juchée sur des escarpins de quinze centimètres, elle dépassait tout le monde d’une tête… Elle traversa le hall d’une démarche balancée, altière, suivie par les regards de tous les mâles.
Au passage, Malko remarqua le collier d’or sous le crucifix.
Il la vit s’engouffrer dans une Cadillac aux vitres noires qui démarra aussitôt. Les gens partaient tous et ils en firent autant. Seul problème, il ne connaissait pas Ishan Kambiz, à part un mauvais portrait robot composé à partir de vieilles photos.
Une foule dense cernait la Scala, Avenida Afranio de Mélo Franco, applaudissant à l’arrivée des travestis. Chris et Milton osaient à peine sortir de la voiture, muets de honte. Il fallut que Malko les pousse dehors.
Un superbe barbu à la pilosité fournie s’inclina profondément devant les arrivants, faisant tournoyer la traîne de sa robe de mariée avec des mimiques de jeune vierge.
Sur une table, deux travestis dansaient au son de E Carnaval, en guêpière et bas noirs, exhibant des croupes superbes, en face d’un Noir à la peau semée de paillettes d’or, uniquement vêtu d’un minuscule slip en panthère dilaté par une superbe érection. Une écœurante odeur de vomi flottait autour du bar où se pressait une foule de sexe indéterminé dans les tenues les plus abracadabrantes. Quelques vieux pédés promenaient leur spleen au milieu du vacarme, indifférents à tout. La salle se composait d’un parterre avec un podium où des orchestres se relayaient et d’un premier étage en galerie où se tenaient les invités de marque. La piste de danse s’emplissait peu à peu de « femmes » toutes plus sexy les unes que les autres.
Le « boum-boum-boum » de la samba tapait dans les têtes, rythmant leurs évolutions. Beaucoup plus proche du tam-tam africain que de Brahms. De temps à autre, un travesti désireux de se faire remarquer montait sur une table et commençait son exhibition…
Chris et Milton étaient parfaitement dans l’ambiance avec leurs nœuds papillon. Malko, en chemisette et pantalon, ne se remarquait pas trop. Milton avisa une splendide créature à la croupe callipyge qui dansait à trois mètres de lui, en lui décochant des œillades à faire bander un ayatollah.
— C’est pas possible, ce n’est pas un mec ! glissa-t-il à l’oreille de Malko. Vous avez vu ce cul et ces seins…
— C’est un homme, corrigea Malko. Les seins, c’est le silicone, les fesses, les piqûres d’hormone. Quant à son appareil génital, il le coince entre ses fesses grâce à du sparadrap. Si vous voulez vous en rendre compte vous-même, allez voir…
A côté, un travelo était en train de se peindre le torse en direct, se dépouillant peu à peu de ses vêtements. Un Noir athlétique s’approcha de Chris Jones et lui proposa de l’initier à la samba… Dépité par un refus outré, il se contenta d’une danse du ventre en face de lui, à la mimique plus que démonstrative. Le gorille ne savait plus où se mettre. Plus l’alcool circulait, plus la température montait. Les « créatures » effectuaient un va-et-vient continuel entre les toilettes et la salle pour aller se remaquiller, la chaleur faisant fondre leur fond de teint.
Malko se leva et commença à explorer tous les boxes du fond. Lorsqu’il revint, un quart d’heure plus tard, il était certain d’une chose : Zakra ne se trouvait pas là. Donc, elle était au premier étage dont on ne voyait que le balcon. Avec celui qu’elle devait rencontrer. Ce dernier avait bien monté son coup. Si Malko ne parvenait pas à les voir ensemble, son voyage n’aurait pas servi à grand-chose. Car Zakra repartirait certainement sans le collier. Seulement, les places du haut à mille dollars étaient jalousement gardées.
Assis au fond de sa camarote, Ishan Kambiz se leva pour accueillir Zakra. Bien que ses hommes la lui aient décrite, il eut un choc au creux de l’épigastre. Son déguisement lui donnait un attrait sulfureux incroyable et le contraste entre la sage coiffe religieuse et les seins énormes qui pointaient sous l’amidon aurait fait bander un mort… Lorsqu’elle passa devant lui pour s’asseoir, il se dit qu’il n’avait jamais vu un cul comme cela. Il ne put s’empêcher de la frôler « par inadvertance » et elle se retourna avec un sourire complice.
Oubliant tous ses problèmes, il se jura qu’il ne terminerait pas la nuit sans l’avoir eue. Linda, la petite Brésilienne, se mit à faire la gueule dans son coin, sans illusions. Elle ne pouvait pas lutter. Paternel, Ishan Kambiz posa une main déjà possessive sur la cuisse moulée de stretch de Zakra.
— Vous avez fait bon voyage ? demanda-t-il. Comment va mon ami Pavel ?
— Très bien, dit la Kirghize. Il m’a donné ceci. Elle lui tendit une enveloppe cachetée. A l’intérieur, il n’y avait qu’un bristol blanc avec deux mots : le collier. Il leva les yeux, vit les perles dorées et comprit immédiatement. Le collier il le récupérerait plus tard, il avait toute la nuit.
— Merci, dit-il. Maintenant, amusons-nous. Une capirinha !
Un peu étonnée de voir sa mission se terminer aussi vite, Zakra accepta.
Elle but deux capirinha coup sur coup. Mélange de cachaça — alcool de canne à sucre —, de citron pressé et de sucre, c’était redoutable.
Les yeux de la Kirghize commencèrent à briller sous la coiffe de carmélite. La vue de sa hanche nue révélée par le laçage faisait monter la pression artérielle de l’Iranien. Ne lui ôtant cependant pas toute prudence.
— Vous n’avez rencontré personne depuis votre arrivée ? demanda-t-il.
— Non, fit-elle les yeux dans ses yeux, je ne connais personne à Rio. A part vous. Et encore, je ne sais pas votre nom.
— Ishan, dit-il, c’est un nom arabe. Il se leva du profond canapé où ils étaient vautrés, un peu triste. Cette fille lui mentait. Il n’était donc pas question de la laisser repartir. Il ne pourrait en profiter que cette nuit.
— Venez, dit-il, on va regarder la faune d’en bas. Elle le suivit jusqu’à la rambarde recouverte de velours rouge dominant la piste et les tables. Cela valait la peine. Le barbu en robe de mariée dansait comme un fou au bras d’un grand Noir, les jambes gainées d’un collant à résilles, moulant des attributs sexuels impressionnants. Une belle nuit de noces en perspective… Discrètement, Ishan glissa la main sous le tissu amidonné, emprisonnant un sein tiède dont le contact envoya une giclée d’adrénaline dans ses artères. Zakra, fascinée par les travestis, ne sembla pas s’en apercevoir. On leur apporta de nouvelles capirinha et, un peu plus tard, elle tourna vers lui ses yeux noirs pleins d’une expression trouble.
— Ce sont vraiment des hommes avec des corps comme ça ?
— Ils ne sont pas plus beaux que vous, murmura l’Iranien.
Sa main flatta sa croupe et Zakra se cambra comme une chatte lorsqu’il suivit la courbe de ses reins. Dans la pénombre, on pouvait faire n’importe quoi. A côté, un couple de travestis s’embrassait à bouche que veux-tu. Ils disparurent ensuite dans une camarote pour des choses plus sérieuses.
Hashemi, le secrétaire d’Ishan Kambiz, vint chuchoter quelque chose à son oreille, désignant un groupe en contrebas, près de l’orchestre. L’Iranien suivit son regard et aperçut trois hommes. Deux, torse nu, qui ressemblaient à toutes les folles du coin et un troisième, habillé normalement d’une chemise et d’un pantalon. — Ce sont les trois types de la plage, murmura-t-il. L’Iranien sentit son estomac se contracter. Ses pires craintes se réalisaient. La fille qu’il tenait dans ses bras avait amené avec elle l’équipe d’un grand service. Des Américains ou des Israéliens. Ceux-là ne lui feraient pas de cadeau. Il avait encore une longueur d’avance et il fallait en profiter… Il photographia l’homme blond et ses deux acolytes, puis recula dans l’ombre.
— Viens, fit-il à Zakra, on va se reposer un peu. Dans l’intimité des camarotes, tout le monde commençait à flirter. A peine assis, il posa tranquillement la main sur l’entrejambe de Zakra et l’y laissa, déclenchant un feulement de la jeune femme. Il regarda le visage de salope encadré par la coiffe religieuse et faillit exploser immédiatement. Zakra se passa la langue sur ses lèvres, lentement, les yeux dans les siens. La capirinha était en train de faire son effet. Le petit homme à moitié chauve ne l’excitait pas particulièrement, mais l’atmosphère trouble de cette fête très spéciale faisait bouillir son sang dans ses veines. Elle avait envie d’un sexe au fond de son ventre. N’importe lequel.
Elle avait gardé dans ses prunelles la vision d’un grand Noir très beau qui dansait tout seul au milieu de la piste. Un athlète. Zakra ferma les yeux, imaginant la taille de son sexe. Elle en avait presque mal au ventre. Tout à coup, elle se tourna vers Ishan Kambiz.
— J’ai envie de danser, lança-t-elle. Je reviens. Avant qu’il ait pu l’en empêcher, elle filait vers un des deux escaliers menant au rez-de-chaussée. S’étouffant de rage, Ishan Kambiz jeta à Hashemi :
— Ramène-la !
Lui ne voulait pas se montrer en bas.
Zakra avait déjà atteint la piste. Le Noir y ondulait toujours sur place, faisant tourner ses hanches d’une façon obscène. La jeune Kirghize vint se planter en face de lui et se mit, elle aussi, à mimer l’amour. Le Noir lui adressa un vague sourire, sans plus. Elle n’en revenait pas. N’importe quel homme l’aurait violée sur place…
Exaspérée, moite de désir, elle s’approcha et colla son ventre au gros sexe comprimé par la tenue argentée.
Pendant quelques secondes, elle se sentit fondre. Puis, elle croisa le regard de son danseur, plein d’incompréhension d’abord, puis de dégoût ! Il la repoussa et, dignement, alla monter sur une table pour continuer à danser seul.
Zakra en avait les larmes aux yeux. Vexée comme un pou, elle quitta la piste.
Malko avait observé toute la scène. Lorsque Zakra se dirigea vers le fond de la Scala, il plongea dans la foule et la rattrapa juste avant qu’elle ne franchisse le barrage défendant le premier étage.
— Zakra !
Elle se retourna, marqua un temps d’arrêt, avec une ébauche de sourire. Elle planait totalement. Malko la rejoignit et lui prit la main. L’entraînant vers l’escalier. Les cerbères avaient repéré Zakra et savaient qu’il s’agissait d’une des invités de l’Iranien. Ils n’osèrent pas leur bloquer le passage et s’écartèrent de mauvaise grâce.
Arrivé en haut, Malko lâcha la main de Zakra et s’effaça dans la pénombre, la laissant continuer seule.
Ishan Kambiz embrassait à pleine bouche Linda, dépoitraillée, trop heureuse du départ de sa rivale, lorsque le fidèle Hashemi agrippa l’épaule de l’Iranien.
— Tu l’as ramenée ? demanda ce dernier.
— Le type blond. Il est monté avec cette fille. Il est dans le coin.
Zakra arrivait. Elle se laissa tomber sur le divan, indifférente. Juste derrière elle, Ishan Kambiz aperçut l’homme blond repéré en bas, en train de l’observer, puis ce dernier plongea dans la foule.
— Suis-le, intima l’Iranien.
Zakra boudait. Elle regarda autour d’elle. Dans la camarote voisine, un travelo avait glissé à genoux et, dans l’ombre de la table, administrait une fellation consciencieuse à un gros Brésilien impassible, les yeux vitreux de plaisir. Au cours de ce bal, beaucoup de Brésiliens « normaux » venaient assouvir leurs fantasmes pour quelques heures. Ils n’auraient jamais osé aller avec les travestis de l’avenida Atlantica sur Copacabana, mais ici, ils avaient l’impression que c’était différent.
Pourtant, sous les maquillages, les barbes poussaient à mesure que la nuit avançait, impitoyables.
Hashemi revint quelques minutes tard, dépité.
— Il est redescendu.
— Retrouvez-le et tuez-le, dit calmement en farsi l’Iranien. Nous partons.
Hashemi ne broncha pas. Il avait prévu quelque chose de semblable et pris ses précautions.
A la Scala, les rixes étaient fréquentes. Il fallait gagner du temps.
L’Iranien glissa à l’oreille de Zakra :
— Viens, on rentre à la maison.