Chapitre XII

Le jour se levait très faiblement derrière la pointe de Copacabana, éclairant les buildings bordant l’Atlantique d’une lueur rosâtre. Malko avait du mal à garder les yeux ouverts. Bien que Milton Brabeck lui ait apporté à trois reprises un café à réveiller un mort. Un calme presque oppressant régnait dans l’appartement dévasté d’Ishan Kambiz. Grâce à l’ascenseur à code, ils ne risquaient pas d’être dérangés, en dépit de la porte béante. A tout hasard, Chris et Milton se relayaient dans l’entrée, afin de parer à toute mauvaise surprise, se partageant équitablement le contenu d’une bouteille de Gaston de Lagrange XO empruntée au bar de l’Iranien. Peu à peu les deux gorilles se laissaient gagner par la civilisation. Zakra avait consenti à se reposer, étendue sur le lit de l’Iranien, tandis que ce dernier, immobilisé grâce à de larges bandes de tissu adhésif, somnolait dans un coin de la chambre.

Milton Brabeck avait augmenté la clim pour que l’odeur des trois cadavres, pourtant enveloppés dans des couvertures, ne soit pas trop incommodante. C’était le château de la Belle au Bois dormant. Malko regarda une dernière fois ses notes et les papiers étalés devant lui. Il comprenait maintenant pourquoi l’Iranien avait tout fait pour qu’il ne s’en empare pas. Certes, à part le collier de perles d’or, il n’y avait rien concernant le trafic de plutonium proprement dit. Par contre, l’attaché-case renfermait tous les détails de son organisation financière y compris les codes secrets permettant de virer n’importe quelle somme de compte à compte.

Il y avait dans l’attaché-case les coordonnées de cinq comptes bancaires « off-shore » qui servaient aux opérations clandestines d’Ishan Kambiz. L’un, surtout, intéressait Malko. Le mois précédent, il avait fait l’objet d’un virement en faveur de l’Iranien d’un montant de cent millions de dollars[26] ! Une somme colossale dont la provenance — une banque d’Abu Dhabi — était indiquée.

Les autres relevés dont un de la BCCI indiquaient des mouvements très importants. Aucun de ces comptes, bien évidemment, n’était au nom de l’Iranien. Le plus important — celui des cent millions de dollars — portait la dénomination Global Ressources. C’était une société « off-shore » de l’île de Man, où n’apparaissaient que des hommes de paille ; cependant, la seule personne autorisée à signer des ordres de virement était Ishan Kambiz dont la signature devait être accompagnée d’un code. Ce dernier se trouvait dans un carnet trouvé dans l’attaché-case avec un numéro correspondant à chaque entité bancaire. A la Banco de Brazil, Ishan Kambiz disposait d’un solde créditeur de 538 623 dollars.

Avant d’aller plus loin, Malko devait évidemment communiquer toutes ces informations à la CIA… Il composa le numéro protégé de Langley le mettant en contact avec la Direction des Opérations et, dès qu’il eut le standard, annonça le code du mois. Trois minutes plus tard, il avait en ligne Stanley Fawcett, directeur adjoint de la CIA. L’homme qui avait lancé toute l’opération contre Ishan Kambiz, quelques semaines plus tôt.

— J’ai des documents à vous transmettre, annonça Malko, et un compte rendu important. Il y a des décisions à prendre. Comment faisons-nous ?

— Allez à notre consulat, demanda Stanley Fawcett, nous avons deux personnes là-bas et du matériel de transmission protégé.

Prudente Freitas connaissait l’adresse du consulat américain. Avenida Présidente Wilson, dans le centre de Rio. Malko enfourna dans un porte-documents tout son butin, y compris le collier, et descendit, laissant l’appartement à la garde des deux gorilles et du policier fédéral. Une demi-heure plus tard, Malko fut reçu par un jeune employé de la CIA dont les bureaux occupaient le tiers du consulat. Dûment prévenu par Langley, il installa Malko dans une pièce insonorisée, mettant à sa disposition un chiffreur.

Désormais, Malko pouvait s’exprimer librement. Stanley Fawcett devait attendre près du téléphone car il décrocha à la première sonnerie. Son compte rendu prit près d’une demi-heure. Lorsqu’il fut terminé, le directeur adjoint de la CIA conclut :

— Je vais alerter la Maison Blanche et le State Department. De façon à ce que notre ambassadeur prenne contact rapidement avec le chef de la Policia Fédérale à Brasilia. Les ordres seront transmis au policier brésilien qui se trouve avec vous.

« Afin de préserver un secret absolu sur cette affaire, vous communiquerez par l’intermédiaire de ce bureau. Le garçon qui vous a reçu, Ted, fera la navette entre le Consulat et l’appartement d’Ishan Kambiz.

— Qu’allons-nous faire de ce dernier ?

— Sur ce point, je dois voir avec la Maison Blanche et avec l’attorney général, annonça Stanley Fawcett. Nous pouvons lancer un mandat d’arrêt international contre lui. Il a financé de nombreuses opérations terroristes. Ce type est incroyablement dangereux.

— Vous croyez que les Brésiliens l’extraderont ? Il y eut un soupir résigné à l’autre bout du fil.

— Officiellement, sûrement pas. Mais il y a des arrangements. Il peut être discrètement exfiltré et on l’arrêtera dans les règles à Miami. Les Brésiliens ont vraiment besoin d’argent en ce moment.

« Reposez-vous quelques heures le temps que je fasse analyser ces documents. Dites à Ted de m’expédier le collier pour analyser le plutonium, afin de vérifier qu’il s’agit bien de la même provenance que le premier échantillon.


* * *

Dès que Malko quitta le consulat, la chaleur lui tomba sur les épaules comme un bloc de fonte. Il faisait déjà 38° d’après les tableaux qui parsemaient Ipanema lorsque Malko regagna l’appartement d’Ishan Kambiz. Gâteux de fatigue. Dieu merci une fraîcheur délicieuse régnait dans le duplex, grâce à la clim. Zakra et Ishan Kambiz dormaient toujours, ainsi que Milton et Prudente Freitas. La paupière lourde, Chris se fit relayer par Milton avant d’aller s’effondrer à son tour. La bouteille de Gaston de Lagrange XO était vide, et Chris et Milton, définitivement conquis.

Il n’y avait plus qu’à attendre les instructions de Langley.

— On fait un break, annonça Malko.

— Et l’affreux ? demanda goulûment Milton Brabeck.

— On attend des ordres de Langley.

Chapitré, le portier du hall devait annoncer aux visiteurs éventuels que l’Iranien était absent. Quant au téléphone, on ne répondait pas. C’était trop risqué.

Malko trouva un lit et s’étendit dessus tout habillé. Il s’endormit immédiatement.

— Vous avez touché le bingo !

La voix de Stanley Fawcett frémissait d’excitation. Malko venait de regagner le consulat. Le soleil brûlant mondait Rio, la plage d’Ipanema grouillait de monde, et, dans le centre, la chaleur était encore plus accablante. Pourtant, il était déjà presque six heures du soir.

— C’est-à-dire ? demanda ce dernier encore mal réveillé.

— Le compte de l’île de Man d’Ishan Kambiz a été approvisionné par une entité contrôlée par les services spéciaux iraniens. Nous avions déjà repéré des transferts à partir de cette entité au profit de groupuscules terroristes manipulés par le Hezbollah. En particulier certaines sommes versées en contrepartie de la remise des otages de Beyrouth. Un des comptes d’Ishan Kambiz est également utilisé par le groupe Abu Nidal, qui y fait transiter des fonds en provenance de Libye.

— Et le plutonium 239 dans tout cela ?

— Je pense que le virement de cent millions de dollars est relatif à notre affaire. Aucune autre transaction ne justifie une somme pareille. Et je crois également que c’est imminent.

— Pourquoi ?

Le directeur adjoint de la CIA eut un rire discret.

— Les Iraniens ne sont pas fous. Cet argent rapporte en ce moment environ trente mille dollars par jour. Intérêts dont bénéficie Ishan Kambiz. Ils se sont sûrement dessaisis de ce pactole parce que le dénouement de l’affaire était proche.

C’était bien raisonné.

— Quelles sont vos instructions ? demanda Malko.

— Faites parler Ishan Kambiz, demanda Stanley Fawcett. Grâce à votre enquête, nous connaissons maintenant les grandes lignes de cette opération, qui confirment mes informations antérieures. Ishan Kambiz a trouvé un vendeur de plutonium 239, en Russie, et se prépare à l’acheter pour le compte de l’Iran. Je veux connaître l’identité du vendeur et la façon dont le plutonium 239 doit être livré.

— Et ensuite, en admettant qu’il parle ?

— J’ai déjà commencé à négocier une exfiltration avec les Brésiliens. Un jet privé de la Company viendra le chercher à Rio, avec le feu vert de Brasilia. Mais cela demande de tordre quelques bras.

— A propos, demanda Malko d’une voix suave. Vous ne m’avez pas dit comment il fallait faire parler Ishan Kambiz. Vous n’ignorez pas qu’il y a certaines choses que je ne ferai jamais.

Il y eut un silence pesant au bout du fil. Puis Stanley Fawcett dit d’une voix neutre :

— Mr. Milton Brabeck maîtrise parfaitement ce genre de problème. Dites-lui de ma part d’utiliser la méthode « breaking point ». Il sait de quoi il s’agit et l’appliquera sans cruauté inutile. Nous sommes hélas aux prises avec des gens qui ne respectent rien et l’enjeu est trop important pour nous en tenir à un légalisme respectable mais impuissant. Il s’agit de l’équilibre de toute une région du monde et de la vie de centaines de milliers de personnes. Cela dit, je respecte votre éthique. A plus tard.

Il raccrocha, coupant ainsi court à toute discussion. Laissant Malko très mal à l’aise. C’était la guerre et la guerre n’est pas toujours propre. Débat vieux comme le monde.

Malko alla réveiller Chris Jones qui mit plusieurs secondes à reprendre contact avec la réalité. Il alla remplacer Milton Brabeck qui rejoignit Malko. Ce que lui dit ce dernier lui arracha une grimace.

— Qu’est-ce que c’est que la méthode « breaking point » ? interrogea Malko.

— On brise les doigts du sujet, expliqua Milton Brabeck. Évidemment, ce n’est pas très agréable… Mais enfin, on n’en meurt pas.

— Vous êtes prêt à exécuter cet ordre ?

Milton Brabeck leva un regard obéissant sur Malko.

— Oui, fit-il.

— Très bien, dit Malko, réveillez Ishan Kambiz et amenez-le ici. On va essayer d’éviter les choses pas très agréables, comme vous dites. L’Iranien apparut quelques instants plus tard, ses rares cheveux en bataille, grisâtre, mais une lueur furibonde dans ses petits yeux noirs. Il apostropha Malko violemment.

— Vous allez payer très cher vos exactions, lança-t-il. Tout cela est totalement illégal. Malko le toisa avec froideur.

— Est-ce légal de financer des groupes terroristes ou d’acheter clandestinement du plutonium 239 pour le revendre à une puissance qui désire construire des armes nucléaires d’agression ?

— Je ne sais pas de quoi vous parlez, répliqua Ishan Kambiz. Je suis retenu ici contre mon gré et vous m’avez volé des documents confidentiels. Vous ne perdez rien pour attendre.

— Mr. Kambiz, fit Malko, je veux savoir qui vous vend ce plutonium et de quelle façon vous allez en prendre livraison.

— J’ignore de quoi vous pariez.

— Les services secrets iraniens vous ont viré cent millions de dollars, dit Malko. Ce n’est pas pour acheter du plutonium 239 ?

Kambiz pâlit. La CIA n’avait pas traîné dans l’analyse des documents. C’était une catastrophe qu’ils se soient emparés de son attaché-case. Il serait obligé de changer beaucoup de choses après cela. Devant son silence, Malko annonça :

— Mr. Kambiz, je vais être obligé d’avoir recours à des méthodes déplaisantes pour vous…

Avant qu’Ishan Kambiz puisse répondre, Zakra surgit dans la pièce. En voyant l’Iranien, elle explosa.

— Vous n’avez pas encore tué cette ordure ? Cette interruption fit entrevoir à Malko une possibilité d’éviter la méthode « breaking point ». Abandonnant provisoirement Ishan Kambiz, il entraîna Zakra dans le living-room. La jeune Kirghize avait les yeux injectés de sang et le teint gris. Elle se laissa tomber à côté de lui sur le profond canapé.

— Tu as encore mal ? demanda Malko, devant les pansements adhésifs qui parsemaient son corps.

— Je m’en fous, dit-elle. Laisse-le-moi. Chez nous, au Kirghiztan, on règle ses comptes soi-même.

— Qu’est-ce que tu veux faire ?

— Le tuer, bien sûr. Hier, si tu n’étais pas arrivé, je me jetais dans le vide, pour leur échapper.

— Il ne faut pas le tuer, fit Malko.

Elle le regarda, soudain pensive.

— Qui es-tu ? Pour qui travailles-tu ?

— Je te l’expliquerai, promit Malko. Mais, toi, dis-moi quelque chose. Qui t’a remis le collier ?

— Le collier. Elle semblait faire un effort pour s’en souvenir. Puis son regard se fixa sur Malko.

— Ça t’intéresse ? Eh bien, tu le sauras si tu me donnes un couteau et que tu me laisses seule avec lui.

— Je ne peux pas, protesta Malko.

Zakra se leva et quitta la pièce. A nouveau, la nuit tombait sur Rio. L’attitude de Zakra l’intriguait. La panthère rusée, indépendante, intelligente et ambitieuse s’était muée en une créature instable, obsédée par une vengeance qui ne lui rapporterait rien. L’atavisme kirghize revenait au galop. La jeune femme ne semblait plus accessible au raisonnement. En plus, la plongée dans le monde fou du Carnaval de Rio lui avait visiblement fait sauter les neurones.

Déstabilisée, elle ne trouvait plus ses marques. Ou alors, c’était la mort frôlée qui avait changé son approche des choses. Pour l’instant, Malko n’avait pas le temps de faire de l’introspection. Il fallait faire parler Ishan Kambiz, puisque Zakra se refusait à collaborer. — A regret, il retourna dans la chambre où se trouvaient Milton Brabeck et Ishan Kambiz. Ce dernier lui adressa une bordée d’injures.

— Sale impérialiste ! On vous tuera tous. Maudite soit ta chienne de mère ! L’Islam vaincra, vous serez tous réduits en cendres… Le vernis craquait.

— Milton, dit calmement Malko, appliquez à Mr. Kambiz la méthode « breaking point ».

Le premier hurlement frappa ses tympans dix minutes plus tard.


* * *

Milton Brabeck rejoignit Malko dans le grand living blanc et annonça :

— Je lui ai cassé trois doigts. Il n’a rien dit. Son regard croisa celui de Malko, qui y lut bien des choses. L’entraînement, c’était une chose, la pratique, une autre… Sans un mot, il alla au bar et se versa une rasade de Gaston de Lagrange XO qu’il avala d’un coup. Dommage de ne pas le savourer, mais il en avait vraiment besoin.

— Vous pensez qu’il va parler ?

Milton secoua lentement la tête.

— Honnêtement, non. C’est un dur et il n’a que dix doigts.

C’était l’impasse. Milton, timidement, proposa alors :

— J’ai une idée. Un truc qui ne l’abîmera pas, mais qui peut être vachement efficace.

Il expliqua son idée. Ce n’était sûrement pas une méthode recommandée par la Ligue des Droits de l’Homme, mais au point où ils en étaient…

— Salauds, laissez-moi !

Ishan Kambiz tenait en l’air sa main gauche dont l’auriculaire, l’annulaire et le médius étaient bleuâtres et enflés. En dépit de cela, il se débattait comme un beau diable.

— Je n’ai plus de temps à perdre, répliqua Malko. Vous allez répondre à mes questions.

— Je ne sais rien ! cracha l’Iranien. Allah Akbar.

Malko, sans lui répondre, fit un signe aux deux gorilles. Ceux-ci empoignèrent Karobiz, le traînant vers la rambarde dominant le trottoir, dix-huit étages plus bas. Milton Brabeck le lâcha. Chris Jones, avec sa force herculéenne, le saisit solidement aux poignets et le fit passer par-dessus le parapet, au-dessus du vide !

— Non ! Arrêtez ! J’ai le vertige.

Les hurlements d’Ishan Kambiz s’étranglèrent très vite, tant la terreur lui resserrait le larynx. Il se débattait faiblement, s’accrochant de sa main valide aux poignets de Chris Jones. Malko, surmontant son dégoût devant des méthodes aussi barbares, apostropha l’Iranien :

— Kambiz, lança-t-il. Vous êtes déjà responsable de la mort de centaines d’innocents. Le trafic de plutonium pourrait en faire tuer des centaines de milliers. Je veux que vous me disiez tout ce que vous savez. La force de mon ami n’est pas sans limite. Lorsqu’il n’en pourra plus, il vous lâchera. Vous n’avez plus beaucoup de temps.

— Il est lourd ce salaud, remarqua Chris Jones en contrepoint. En bas, les automobiles défilant sur l’Avenida Vieira Santo ressemblaient à des jouets. Étant donné l’obscurité, personne ne pouvait distinguer l’homme collé à la paroi. Il ne dut pas s’écouler plus de dix secondes avant qu’Ishan Kambiz glapisse d’une voix étranglée :

— Je vais parler ! Je vais parler ! Remontez-moi.

— Parlez d’abord, dit Malko.

Il n’éprouvait aucune compassion pour l’Iranien qui s’engraissait sur les cadavres et le fanatisme.

— Que voulez-vous savoir ? demanda Ishan Kambiz, d’une voix étranglée.

— Qui vous vend le plutonium ?

— Pavel ! Pavel Sakharov. Un Russe.

Pavel ! l’homme mystérieux qui avait éliminé Nazarbaiev, le nouvel amant de Zakra. Ce ne pouvait être que lui.

— Qui est-il ?

— Un général du KGB.

— Où est-il ?

— Pour le moment à Budapest, mais il voyage beaucoup. Il est basé à Moscou.

— Comment devez-vous le contacter ?

— Je devais donner un message à la fille. Avec un ordre de virement pour les échantillons.

— Combien ?

— Un million de dollars.

— Et ensuite ?

— Il doit me livrer. En Hongrie. Je ne sais pas où.

Chris Jones fit un léger mouvement et l’Iranien hurla aussitôt.

— Il va me lâcher ! Il va me lâcher !

— Pas tout de suite, fit Malko, après avoir consulté Chris Jones d’un regard. Sur quelle quantité de plutonium 239 porte cet accord ?

— Quatre-vingts kilos, murmura Ishan. Je vous en prie, remontez-moi. Il va me lâcher.

Maladroitement, il essayait d’accrocher ses pieds à la paroi lisse du building. Quatre-vingts kilos ! Malko en avait froid dans le dos… De quoi confectionner une dizaine de bombes nucléaires. L’horreur absolue.

— C’est pour votre pays, n’est-ce pas ? De nouveau, Ishan Kambiz leva la tête et ce qu’il vit le tétanisa d’horreur.

— Oui ! hurla-t-il, oui !

Zakra s’était glissée doucement derrière Chris Jones. Impassible, elle promena le tranchant effilé du poignard d’Hashemi sur le poignet du gorille. Chris Jones sursauta sous la douleur et ses doigts se desserrèrent imperceptiblement. Ce fut assez pour que le poignet de l’Iranien lui glisse entre les mains… Pendant quelques secondes, il parvint à le retenir. Mais Ishan Kambiz hâta sa propre fin en gigotant comme un damné.

Brutalement, il disparut, comme aspiré vers le sol.

— Ahahahahahah !

Son hurlement de terreur leur glaça le sang dans les veines. Malko détourna les yeux. Horrifié, Chris Jones vit le corps s’écraser sur le trottoir de mosaïque et rebondir, pour retomber définitivement.

— Holy shit ! murmura le gorille, livide. Il ne sentait même plus la coupure de sa main. Les trois hommes se regardèrent, sous le choc. Zakra leur jeta un regard plein de mépris, murmurant des injures dans sa langue natale. Elle était la seule à ne laisser paraître aucune émotion. Malko avait envie de vomir. A chaque mission pour la CIA, il abandonnait un peu de son éthique. Son voyage au Brésil se terminait bien mal.

— Je peux partir ? lança Zakra.

Malko se retourna vers elle, bouillant de fureur. Si elle avait été moins têtue, il n’aurait pas été obligé de se livrer à ces extrémités… D’un coup, sa vengeance accomplie, elle semblait avoir retrouvé toute sa morgue et son assurance. Légèrement déhanchée, elle fixait Malko, une lueur ironique au fond de ses yeux noirs. Certaine qu’il allait dire « oui. ».

— Il n’en est pas question, répliqua-t-il, glacial.

Le regard de Zakra vacilla à peine.

— Pourquoi ? lança-t-elle, pleine de défi. Je n’ai plus rien à faire ici, non ? Chris Jones et Milton Brabeck la contemplaient, sidérés par tant d’audace. Machinalement, Chris tamponnait les coupures de sa main avec son mouchoir.

— Moi, j’ai encore à faire avec toi, fit Malko. Son cerveau travaillait à la vitesse de la lumière. La mort d’Ishan Kambiz était certes regrettable, mais elle le mettait, grâce aux informations communiquées par l’Iranien, dans une situation particulièrement favorable pour remonter jusqu’au vendeur de plutonium 239. A un détail près. Il avait besoin de Zakra.

— Pourquoi faire ? lança la jeune Kirghize.

— Pour m’accompagner à Budapest, annonça Malko.

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