Zakra transportait autour de son cou des billes de plutonium 239 recouvertes de peinture dorée, mélangées à de véritables perles d’or. Les premières, comme celle sur laquelle Malko avait posé les doigts, dégageaient une légère chaleur.
Il n’y avait plus qu’à découvrir à qui Zakra allait remettre son collier. Euphorique, il s’endormit, bercé par le ronronnement des réacteurs.
C’est un soleil éblouissant qui le réveilla. Le 747 était en train de tourner autour du Pào de Açùcar[17] pour prendre sa piste à l’aéroport du Galeao. Rio était telle qu’il l’avait laissée des années plus tôt. Les morros[18] émergeaient des gratte-ciel bleus, comme de gros champignons verts, les plages noires de monde bordées d’un vrai mur de béton… L’Atlantique était grisâtre, avec de grosses vagues qui chassaient les baigneurs. Zakra avait ouvert les yeux.
— Nous ne nous parlons plus à partir de maintenant, dit-elle. A quel hôtel vas-tu aller ?
— Le même que toi. Je m’arrangerai pour te contacter.
— Non ! corrigea-t-elle. Laisse-moi seulement le numéro de ta chambre dans ma case. Mais je t’en prie, ne te manifeste pas, Malko avait la ferme intention de ne pas se faire semer. Zakra évaporée dans une ville de douze millions d’habitants, il aurait fait vingt-cinq mille kilomètres pour rien.
Dès que l’appareil se fut immobilisé, Malko sortit le premier afin d’éviter toute mauvaise surprise. A peine était-il dans la salle des bagages qu’il vit surgir une silhouette familière : Chris Jones, en chemisette découvrant ses avant-bras comme des jambons de Virginie, les yeux dissimulés par des lunettes noires, avec un énorme coup de soleil sur le nez.
A côté de lui, trottinait un petit bonhomme trapu, aux traits vaguement négroïdes, avec d’énormes lunettes d’écaille.
— Bienvenue en enfer ! annonça le gorille de la CIA. Aujourd’hui, il ne fait que 40° mais on espère faire mieux cet après-midi… Je vous présente le lieutenant Prudente Freitas de la policia fédérale. Il est venu de Brasilia spécialement pour nous aider.
Le policier brésilien serra chaleureusement la main de Malko et prit son ticket de bagage.
— Milton attend dehors avec une tire, précisa Chris. Malko suivit Chris Jones, fendant la foule qui attendait les passagers. Milton Brabeck était au volant d’une Golf verdâtre et cabossée, l’air épuisé. Une climatisation asthmatique soufflait un air vaguement refroidi dans un boucan d’enfer.
— Racontez-moi comment c’est la neige, lança-t-il à Malko. On va crever ici. Quant à la bouffe… Même la cantine de Langley est meilleure. Heureusement qu’il y a de la bière…
Malko regarda leur tenue d’été, pantalons et chemisettes, intrigué.
— Vous êtes armés ?
Avec un large sourire, Milton souleva légèrement le bas de son pantalon, découvrant un « ankie-holster » auquel était accroché un petit « 38 » deux pouces.
— Chris a le même, expliqua-t-il. En cas de conversation plus sérieuse, nous avons des outils dans le coffre. Ici, ça passe. A part les nouveau-nés, tout le monde est armé. Alors qu’est-ce qu’on fait ?
Malko aperçut une superbe photo couleur de Zakra posée devant le volant. Ses cheveux étaient encore plus cuivrés qu’au naturel.
— On suit cette dame, fit Malko.
— Vu son allure, ça ne va pas être difficile, remarqua Milton. Ça m’aurait étonné de vous voir débarquer avec sœur Theresa.
Vingt minutes plus tard, la crinière rousse de Zakra la Kirghize apparut dans le hall.
Chris Jones siffla entre ses dents.
— Putain ! Je regrette d’avoir viré pédé.
La Kirghize se dirigeait vers les taxis. La Golf était derrière. Le policier brésilien les rejoignit, au moment où ils démarraient derrière Zakra.
— Personne ne lui a parlé ! annonça-t-il.
Ils filèrent le long de l’avenida Brasil, dans une sinistre banlieue essentiellement occupée par des marchands de voitures et des entrepôts. Prudente Freitas assura Malko de sa complète collaboration. Le FBI avait demandé à la police fédérale de les aider sur une importante affaire de contrebande d’armes, sans donner trop de détails. Comme le Brésil n’avait rien à refuser aux USA… Toujours suivant le taxi, ils s’engouffrèrent dans l’interminable tunnel Antonio Reboucas, évitant le centre, qui les amena au bord du Lagoa, juste derrière Copacabana.
La plage la plus prestigieuse de Rio avait bien changé !
Les trottoirs étaient envahis par les éventaires et une faune inquiétante rôdait. Le vieux Copacabana Palace à la façade jaunâtre et décrépie ne payait pas de mine. Ipanema, la plage suivante, était nettement mieux et le Caesar Park tout à fait convenable : une tour moderne pleine de Japonais en bordure de l’avenida Vieira Souto. Le policier brésilien fila aussitôt à la réception et lorsque Malko et les gorilles arrivèrent, tout était arrangé. Ils avaient les chambres 1804 et 1306. Zakra, elle, était encore en train de discuter au desk.
— Je monte, dit Malko, ne la lâchez pas. Dehors, la chaleur était accablante, à faire fondre le goudron. Arrivé dans sa chambre, Malko toucha la grande baie vitrée : brûlante. La plage grouillait de monde. Quelques minutes plus tard, on frappa deux coups à la porte et Milton Brabeck entra.
— Elle est au 1103, annonça-t-il. Le négro a demandé si on mettait son téléphone sur écoute.
Malko faillit dire oui, puis se ravisa. Inutile que les Brésiliens en apprennent trop. Le dispositif était en place. Prudente et Milton, dans le hall, Chris Jones, dehors au volant de la Golf. Malko pouvait prendre une douche.
Ishan Kambiz prit la communication sur son téléphone portable, à demi plongé dans la petite piscine installée sur la partie supérieure de son duplex, abritée du vent par des panneaux de verre. Une voix de femme agréable qui parlait mal anglais.
— On m’a dit de vous téléphoner. Je viens de Budapest, annonça-t-elle. Je suis au Caesar Park.
L’Iranien se sentit à la fois soulagé et agacé. Une femme ! Pourquoi avoir envoyé une femme ? De plus, il fallait toujours se méfier d’un piège.
— Très bien, fit-il d’une voix neutre.
— Qu’est-ce que je fais ? demanda anxieusement la messagère de Pavel.
Elle semblait décontenancée, ce qui l’inquiéta. Décidément, ces Russes n’étaient pas des professionnels… Avant tout, il devait vérifier que tout était clair.
— A quelle chambre êtes-vous ? demanda-t-il.
— 1103.
— Très bien, allez à la piscine de l’hôtel entre deux et trois heures. On vous appellera au téléphone.
Il raccrocha pour qu’elle ne puisse pas poser de questions gênantes et s’activa pour mettre son dispositif en place.
— Elle est à la piscine, au 23e, annonça Chris Jones au téléphone à Malko.
— Je vous rejoins, dit ce dernier.
Le Caesar Park possédait une petite piscine au dernier étage, à côté du restaurant Tiberius. Il y retrouva Chris et Milton attablés à l’ombre devant un Johnnie Walker, et Zakra allongée sur une chaise longue, à mourir de beauté dans un bikini blanc tout neuf qui explosait sous la masse de ses seins, couvée des yeux par tous les mâles présents et même quelques femelles. Au Tiberius contigu à la piscine, une foule bruyante dégustait la fejouada du samedi. Chris Jones bâilla.
— J’ai faim !
— Vous allez faire connaissance avec le plat national, annonça Malko. C’est le plat du jour. Venez.
Dociles, les deux gorilles le suivirent et s’arrêtèrent, tétanisés, en face des chaudrons où mijotaient les différents composants du plat traditionnel brésilien.
— My God ! Ça se mange ? interrogea Milton Brabeck, devant le chaudron de haricots noirs cuisant dans leur jus, à l’odeur rébarbative.
C’était une vraie fejouada. Avec des tripes de porc, des jarrets, des oreilles, du museau, de la queue, des saucisses et même un peu de viande. Les noms des ingrédients détaillés complaisamment sur des étiquettes en portugais et en anglais.
— On va pas bouffer des saloperies pareilles ! fit plaintivement Chris Jones. Si un mec de là DFA[19] passait par là, il se trouverait mal.
— Les Brésiliens raffolent de la fejouada, assura Malko. Ils en mangent une fois par semaine.
— Moi, je veux pas crever, fit courageusement Milton Brabeck.
Il chargea son assiette de beurre, de pain et prit trois yoghourts, le cœur soulevé par le fumet qui s’échappait des marmites, et rejoignit Malko déjà assis à sa table. A cinq mètres de Zakra, toujours allongée sur le ventre, les yeux dissimulés derrière de grosses lunettes noires. Elle ébaucha un vague sourire dans sa direction avant d’aspirer une paille plongeant dans un verre à whisky plein de Cointreau et de glaçons. Rien ne se passa pendant une demi-heure, puis un haut-parleur grésilla, annonçant :
— Room 1103, téléphone please.
L’annonce fut répétée plusieurs fois avant que Zakra ne se lève et ne file vers le bar, en ondulant de sa croupe incendiaire. Elle prit le téléphone en main, écouta quelques secondes et raccrocha pour revenir ensuite à son bronzage.
Un Brésilien empâté croulant sous les chaînes en or vint s’allonger à côté d’elle, mais elle lui tourna ostensiblement le dos. Lui avait-on donné un rendez-vous ? Malko grillait d’envie de lui parler mais c’était trop risqué. Chris et Milton transpiraient comme des malheureux. Avec l’effet de serre des baies vitrées, la température devait avoisiner les 40°. Malko autorisa les deux gorilles à aller se rafraîchir dans leur chambre, restant pour garder un contact visuel. Un peu plus tard, Zakra ôta ses lunettes et alla faire trempette. Visiblement, elle ne savait pas nager, d’après la gaucherie de ses mouvements…
Quand elle ressortit, encore plus sexy avec son minuscule deux-pièces collé à ses courbes, elle expédia une œillade assassine à Malko avant de se draper dans un peignoir de bain et de quitter la piscine. Le collier d’or et de plutonium 239 toujours autour du cou.
Ishan Kambiz écouta avec attention le rapport de l’Iranien qu’il avait envoyé surveiller le coup de téléphone. Celui-ci avait comme objectif principal d’identifier l’envoyée de Pavel Sakharov. C’était fait et cela le surprenait. Surtout, parce que celle-ci ressemblait plus à une call-girl de haute volée qu’à une trafiquante. La description qu’on lui en avait faite lui mettait l’eau à la bouche ; à côté, Linda, sa petite Brésilienne, lui semblait tout d’un coup fade. En tout cas, personne ne l’avait abordée, sauf des dragueurs professionnels, pendant les deux heures où elle avait été observée à son insu.
— Hashemi, demanda-t-il, fais-lui porter son costume à l’hôtel et dis-lui qu’on viendra la chercher vers onze heures pour le bal.
C’était une occasion parfaite. Ce soir-là, il y avait à la Scala, à Leblon, le « Grand bal gay ». Au milieu de la foule des travestis c’était l’endroit rêvé pour une rencontre discrète. D’autant qu’il avait réservé une camarote[20] au premier étage de la Scala, dominant la foule des invités ordinaires, et dont l’accès était strictement réglementé.
Dans quelques heures, il allait savoir si l’histoire du plutonium 239 était une nouvelle arnaque ou une affaire sérieuse. La pulpeuse envoyée de Pavel Sakharov le faisait saliver. Rien ne lui interdisait de joindre l’agréable à l’utile.
Le téléphone sonna dans la chambre de Malko. C’était la voix câline de sa « fiancée ».
— Je suis dans ma chambre, annonça-t-elle, viens me voir, je n’ai pas envie de bouger pour le moment, il fait trop chaud et puis, j’ai des choses à te dire.
Le risque était limité. Il prévint les deux gorilles en planque dans le hall et descendit au onzième étage. La clef était sur la porte de la chambre 1103, mais il frappa. Zakra lui ouvrit, uniquement drapée dans un paréo noué très bas sur la taille, ses seins lourds entièrement nus avec, déjà, la marque du soleil. La Kirghize traversa la chambre, balançant ses hanches au rythme lancinant d’une samba sortant de la télé Akai. Elle se retourna, dansant sur place. Ses yeux brillaient d’une joie enfantine.
— Je veux vivre ici ! annonça-t-elle. C’est formidable, les hommes vous mangent des yeux, il y a la mer, du soleil, des fringues inouïes.
Son collier se balançait entre ses seins, la rendant encore plus désirable.
— Quels sont tes projets plus rapprochés ? demanda Malko. Tu veux dîner avec moi ce soir ? Son sourire s’effaça.
— Non, ce soir, je dois voir quelqu’un. Du business. On m’a téléphoné tout à l’heure. Mais je pense qu’à partir de demain, je serai plus libre.
— Un Brésilien ne te lâchera pas comme ça, remarqua Malko.
Zakra ne l’écoutait plus, regardant sur l’écran de la télé une Noire, presque aussi belle qu’elle, dégoulinante d’érotisme, en train de se déhancher au rythme de E Carnaval, le succès du Carnaval 92… Elle se mit à l’imiter, rythmant les « boum-boum-boum » des tambours, mettant peu à peu son ventre en contact avec Malko. Elle apprenait très vite… Il allait lui arracher son paréo quand on frappa à la porte. Zakra, sans cesser de danser, alla ouvrir tandis que Malko, prudent, filait dans la salle de bains. Zakra vint l’y chercher, un grand carton dans les bras. Elle ouvrit l’enveloppe qui y était scotchée et leva la tête vers Malko.
— Je suis invitée à un bal ! annonça-t-elle. Au bal des pédés ! Ça va être super. Et ça, c’est le costume. Quel dommage que tu ne puisses pas venir…
— Je te verrai de loin, promit Malko, mi-figue, mi-raisin. Zakra se rembrunit.
— Je t’en prie, ne me cause pas de problèmes ! Je préfère que tu ne viennes pas… Si tu veux, je te retrouverai ici en rentrant.
Un rayon de soleil illumina la chambre et Zakra poussa un cri de joie.
— Le temps se lève, je vais aller à la plage ! Alors, à ce soir.
Elle trépignait comme une petite fille. Malko décida de s’éclipser. Pour organiser sa soirée.
L’ascenseur s’arrêta avec une secousse au treizième et Chris Jones y entra le premier, précédant un Milton rougissant comme une première communiante. Une demi-douzaine de Noires occupaient la cabine, toutes plus splendides les unes que les autres, vêtues uniquement de minuscules maillots pailletés, maquillées avec des faux cils d’un kilomètre. Elles tenaient presque toute la place… Elles mesuraient toutes plus de 1,80 m. C’était la première fois que les deux gorilles pouvaient regarder une femme dans les yeux sans se baisser. Elles parlaient très fort en portugais, remuant sans cesse des croupes cambrées et dures. En voyant les deux hommes, elles se mirent à roucouler, leur jetant des œillades de lance-flammes.
Des danseuses d’une école de samba…
Milton Brabeck se retrouva coincé entre un fessier quasiment nu et une hanche pulpeuse dont la propriétaire s’amusait à lui donner de petits coups. Il fut soulagé de voir les portes s’ouvrir au rez-de-chaussée. Elles s’éloignèrent en ondulant, altières et salopes à la fois, faisant rêver tous ceux qu’elles croisaient…
— Holy shit ! Quelles filles ! soupira Chris Jones en retrouvant Malko. Il y en a une qui a mis son cul dur comme du marbre au creux de ma pogne. On aurait été seuls…
Le soleil de Rio faisait fondre comme neige au soleil son vieux fond de puritanisme. Malko dut se retenir pour ne pas pouffer.
— Chris, je me demande si vous n’êtes pas en proie à des instincts contre nature. Le soleil tropical ne vous vaut rien…
— Pourquoi ? fit le gorille stupéfait.
— Parce que ce sont des hommes. Des travestis, spécialité brésilienne. Ces fesses que vous touchiez, c’était moitié silicone, moitié hormones… Mais je dois reconnaître qu’à première vue, c’est tentant.
— My God !
Chris regardait ses mains, comme si les stigmates du Christ allaient y apparaître. Milton Brabeck ricana.
— Quand je vais dire à Langley que tu as voulu te faire un mec…
Chris l’aurait tué. Heureusement que les pulpeux androgynes avaient disparu. Les trois hommes traversèrent l’avenue Vieira Souto pour gagner la plage grouillante de monde. Ce ne fut pas difficile de repérer la chevelure fauve de Zakra. La jeune femme s’était installée près du bord dans une chaise longue, cernée par tous les célibataires du coin qui se rapprochaient d’elle en rampant sur le sable comme des limaces.
Malko et les deux gorilles prirent une position stratégique un peu plus loin. Chris et Milton frileusement sous un parasol, tellement couverts de crème solaire qu’on aurait dit des Indiens sur le sentier de la guerre.
Chris fixait désormais d’un œil suspicieux toutes les filles qui se promenaient avec leurs maillots brésiliens, se composant d’un minuscule triangle devant et d’une ficelle dans les fesses. Provocantes comme des diablesses avec leurs croupes bien cambrées. On finissait par ne voir que cela. Personne ne se baignait, tant la mer était sale et dangereuse. Les égouts se déversaient juste en face de la plage la plus chic de Rio… Malko, avant de s’installer, avait chargé Prudente Freitas de leur procurer des places pour le bal des travestis.
Il touchait au but. Si le correspondant de Zakra était Ishan Kambiz, c’était gagné…
— Elle bouge ! annonça Milton Brabeck.
Zakra, lasse de cuire, partait se tremper les pieds dans les vagues.
Quelques minutes plus tard, ils furent rejoints par le policier brésilien, en maillot, un pistolet discrètement dissimulé dans sa serviette roulée. Comme beaucoup de simples touristes d’ailleurs.
Rio était devenue une ville dangereuse, où on pouvait vous tuer pour un dollar ou une montre Swatch.
Bernardo Malcher n’était pas né sous une bonne étoile. Alors qu’il n’avait encore que quatre ans, son père, cambrioleur notoire, avait été abattu par un « Escadron de la Mort ». On avait retrouvé son corps criblé de balles sur une décharge publique du morro Babylonia, déjà bien entamé par les vautours. A la suite de cet incident regrettable, la mère de Bernardo avait sauté sur une occasion rare en ces temps de chômage. Une place de pute à plein temps dans le district de Minas Gérais, en pleine expansion.
Probablement pour ne pas peiner ses quatre enfants, elle avait quitté le morro Babylonia sans crier gare, après avoir vendu tout ce qui valait quelques cruzeiros dans leur cabane en bois.
Le sort avait continué à s’acharner sur la famille Malcher. L’aîné de Bernardo, Gustave, avait eu la tête écrasée à coups de pierre par un des narcos régnant sur le morro, pour avoir voulu lui voler 5 000 cruzeiros[21]. Il fallait décourager la malhonnêteté… Son second frère, Leonel, spécialisé dans le pillage des boutiques de Leblon, avait pris une décharge de riot-gun qui ne lui avait laissé que la moitié de la tête, à la suite d’une expédition punitive de commerçants excédés.
Bernardo, alors âgé de douze ans, s’était hâté de vendre sa sœur, qui n’en avait que dix, à un pourvoyeur des chantiers de la Transamazonienne qui lui en avait donné 100 000 cruzeiros[22].
Grâce à cette rentrée inespérée, il avait loué une cabane et monté un gang d’enfants. Ils mendiaient dans les restaurants de Copacabana et, le reste du temps, détroussaient les touristes. Activité lucrative et peu dangereuse qui permettait, de plus, de vivre au grand air, l’essentiel de l’activité se déroulant sur les différentes plages de Rio.
Depuis un moment, Bernardo, allongé sur le sable, guignait sa proie. Un superbe collier d’or au cou d’une belle fille à la peau blanche, certainement arrivée depuis peu, vu son imprudence. Les habitués portaient tout juste des sandales… Autour de lui, ses « hommes » attendaient ses instructions. La fille se leva, partant vers les vagues, s’éloignant un peu de la foule. Bernardo en fit autant, rameutant son gang d’un signe discret.
Malko ne quittait pas des yeux Zakra, facile à repérer entre sa chevelure de feu et son deux-pièces vert phosphorescent.
Une bande de gamins venait de surgir, tournant autour d’elle, lui offrant des colifichets, des journaux, mendiant gentiment. L’un d’eux lui prit la main, faisant mine de l’entraîner dans l’eau. Malko observait ce manège charmant lorsqu’un gamin d’une douzaine d’années bondit soudain comme un singe et arracha le collier du cou de sa propriétaire.
Celui qui l’entraînait vers l’eau lui tira violemment le bras, la faisant tomber à terre, tandis qu’un troisième lui décochait un coup de pied dans la tempe destiné à l’assommer.
Une seconde plus tard, les gosses détalaient comme de petits vautours. Malko avait déjà sauté sur ses pieds, alertant Chris et Milton.
— Le collier ! hurla-t-il pour dominer le grondement des vagues.