CHAPITRE IX

ANDANTE : modérément.

Le puits de velours.

Titre de l’ancienne, brève et remarquable pourtant « Série Blême ».

Il me vient à l’esprit à l’instant de renouer avec la réalité. Je me trouve dans un puits profond, tapissé de velours épais. J’y suis bien. Je peux. Tu sais quoi ? Marie-Laure me tient par la queue (pas du tout pour me montrer à ces messieurs, comme dans la comptine de La souris verte) tandis que j’ai une main haut coincée entre ses cuisses. On a fait ça comme ça, presque innocemment. J’ai, en dormant, arraché le drap séparateur et un élan inconscient nous a poussés vers nos parties vives.

Si tu savais ce que c’est bon, Gaston ! Comment ? Tu sais ? T’as vécu ça ? Avec qui ? Comment ? Ta femme ? Non mais, tu as pas eu le temps, en vingt ans de mariage, de remarquer la gueule qu’elle a, ta Ninette ! Son regard poché, ses paupières grosses comme des coquilles d’escarguinche de Bourgogne, ses trente kilogrammes de nichons pas comestibles, ses cuisses varico-celluliteuses dont chacune a un diamètre supérieur au tour de taille de Mme Simone Weil.

Tu ne peux pas comparer, mon grand. Ce que tu as connu dans ton grabat plein de pets refroidis, c’est pas de la volupté, c’est de la triperie en promotion ! Faut pas confondre chaude-pisse et première communion ! Ingres avec Botero ! Note que je préfère Botero à Ingres ; mais en peinture seulement car j’aimerais mieux m’embourber un modèle d’Ingres qu’un modèle de Botero.

Et puis à quoi bon digresser ? On est là, main sur le sexe de l’autre. Esprit de conquête, en somme. Elle me tient, je la tiens par la barbichette. Le premier qui rira aura une grosse bite dans le cul ! Car c’est elle qui pouffe et moi qui paffe ! Quel somptueux réveil ! Animal. Poisseux de sommeil, pas vraiment clean ! Mais putain ce que c’est bon ! No fioritures préparatrices. Carrément le pilon dans le mortier ! Un cas d’urgence ! C’était ça ou le SAMU. L’enfilade spontanée. Juste le temps de me saliver le panoche pour le cas où ! Mais c’est un réflexe de pro, absolument superflu. Le balisage est déjà opéré par le désir. Son frifri déclaré ville ouverte ! Je me pointe en triomphateur. Acclamations de la foule, liesse populaire. La demoiselle Pontamousson me fait un accueil inoubliable ; la libération de Paris, c’était une kermesse de village en comparaison.

Ces jeunes filles de bonne famille, c’est de la passion à l’état sauvage quand tu leur fractures la tirelire. De la haute tension concentrée !

Je la démarre dans des lenteurs inouïses, centimètre après centimètre. Elle essaie d’accélérer des michardes, mais doucement, cocotte ! Je lui réfrène les débrideries impitoyablement. « Plus vite, plus vite ! » qu’elle me supplie, l’adorable, comme un noyé qui appelle au secours quand il n’a pas encore la gueule pleine de flotte. Mais tu verrais, Antoine, cette maîtrise, cette impitoyabilité dans l’acte, histoire de lui faire rendre son max ! Quand la môme atteint le point de rupture, je commence à lui négocier mon braque. En montant légèrement le rythme.

Pleure ! Supplie ! Grince des dents, ma fille ! Je resterai inflexible. Te baiserai comme tu dois l’être. Je veux contrôler ta passion, retenir ta fougue. Attends que je lâche du lest. Ah ! t’as pigé la manœuvre, coquinette ! Tu le sais que ça va devenir fabuleux ? Tu cesses de hoqueter, gamine ! Oui, c’est ça : mets tes talons dans mon dos et éperonne-moi les reins. Oh ! ce que tu es douée ! Quelle cavalière-à-l’envers tu fais ! Mais qu’est-ce que c’est que ce boucan, bordel ! Qui ose tambouriner à la porte quand nous sommes en plein coït géant ? Faut être le dernier pueur de gueule pour se permettre !

Excuse-moi, Marie-Laure, je te reprends la bête pour aller ouvrir, pianote-toi un peu le frifri pour t’entretenir, je reviens tout de suite.


Et c’est cet enfoiré de négus que je trouve. Il regarde mon énorme zobi dodelineur, lequel, sur l’instant, ressemble davantage à une aubergine de comice qu’à la photo du prince Charles.

— Suis-je inopportun ? demande Jérémie.

— Penses-tu, ricané-je, on t’attendait pour l’emplâtrage final avec toute la troupe ! À part me faire débander, que veux-tu ?

— L’affaire de la George-V t’intéresse encore, malgré ton numéro hippique ?

— Pourquoi ?

— J’ai du nouveau, je te raconterai quand tu auras éjaculé.

Il referme la porte et je vais suivre son conseil informulé.


La première caractéristique d’une étreinte, c’est de gommer la pudeur entre deux individus. Un instant auparavant, ils s’appelaient « monsieur » et « madame » et, parce qu’ils viennent de bouillaver, tu les retrouves en train de s’écoper les joyaux : madame à cheval, monsieur debout comme un grand devant le lavabo. Finie, la magie. Mon grand Albert Cohen l’avait bien compris, qui préconisait que des amants doivent avoir chacun sa salle de bains (cf : Belle du Seigneur).

D’une partie de baise naît, soit une grande passion, soit une mélancolie animale (exprimée en latin dans les pages roses du Larousse).

Tout en essorant Popaul, je me demande où nous en sommes, Marie-Laure et moi. Il semblerait que nous adoptons une attitude intermédiaire. Jubilation sensorielle, dont les ondes continuent de nous parcourir d’une part, mais, d’une autre, froideur sentimentale consécutive aux loyaux services de MM. Jacob et Delafon qui, un jour, unirent leurs sensibilités (que je me permets de supposer sémite et aryenne) pour assurer le confort sud de plusieurs générations de baiseurs.

Je me repimpe[11] et vais rejoindre mon noir poulman. Il est en converse avec Frédéric Mouchame, le chef de notre armurerie.

Salutations obséquieuses dudit qui, depuis qu’il appartient à la Grande Taule, lèche systématiquement tout le monde, dans l’espoir qu’il finira bien par en sortir quelque chose de bénéfique pour lui. Signe particulier : une tache de vin sur la joue gauche qui épouse les contours précis d’une carte du Burundi (compare, c’est frappant).

J’avise un fusil à lunette en travers du bureau, que je crois reconnaître.

— L’arme trouvée chez le colonel Lemercier ? demandé-je en chef averti qui en vaut dix.

— En effet, confirme M. Blanchouillard.

— Mouchame a des choses à nous dire à son propos ?

— Et comment ! exclame le Noirpiot.

Il m’en veut d’avoir tiré une guêtre en ces instants de fièvre. Considère cette « récupération » comme une sorte de forfaiture ; pour un peu, il me ferait passer en Haute Cour pour trahison, l’ancien esclave !

— Eh bien, je vous écoute, mon brave Mouchame.

L’armurier s’empare du fusil. J’aime les gestes professionnels qui sont sans commune mesure avec ceux des béotiens. Ainsi, une puéricultrice ne se saisit pas d’un nourrisson comme le fait sa maman, une pute ne suce pas comme une grande bourgeoise, et un armurier prend une arme comme s’il s’agissait d’un joyal[12].

— Regardez ce Gognot-Frézett, monsieur le directeur. Apparemment, c’est un fusil à lunette classique fait pour tirer le gros gibier.

— Et ce n’est pas le cas ?

— Si ; mais il est à double usage.

— Que me dites-vous là, Mouchame ! grandiloqué-je de la glotte.

Conscient de détenir une importance : celle que donne la chose sue vis-à-vis de ceux qui l’ignorent, il rengorge, l’armurier.

— Pièce unique, probablement, et donc de musée, reprend-il. Ce qui m’a surpris en l’examinant, c’est ce petit boîtier noir placé sous la lunette et qui semble la maintenir sur le fusil. Je n’avais jamais rien rencontré de semblable, d’où ma curiosité qui m’a amené à le démonter.

Il agit en commentant, dévisse la chose d’acier bruni dont le volume avoisine celui d’une boîte d’allumettes. Mais quand elle est démontée, elle n’est pas libérée pour autant : un minuscule fil bleu, du type fil pour condensateur, la traverse. L’une de ses extrémités remonte dans la carène de la lunette, l’autre plonge dans un infime conduit percé dans l’épaisseur du canon, pour s’engager ensuite dans celle de la crosse.

Toujours affairé et doctoral, Mouchame se met en devoir de dévisser la plaque d’acier placée, comme en élément de renfort, sous la crosse. Une fois ôtée, cette plaque dévoile tout un système miniaturisé placé dans un logement rectangulaire, qui ferait perdre son latin à toute personne non initiée. Sa description même exigerait un vocabulaire technique que je ne possède pas. Le simple quidam ne peut que contempler ce minuscule écheveau de fils réunis par d’arachnéennes soudures, de batteries lilliputiennes, de prismes taillés comme des diamants, de solutions mystérieuses logées dans des réservoirs moins gros qu’un dé à coudre, et autres bastringues nés d’un cerveau superéquipé.

Je cherche des mots à la hauteur de ma stupeur.

Les profère :

— Ça alors !…

— N’est-ce pas ? surenchérit l’armurier.

— Ça sert à quoi, ce bigntz ?

Là, il contritionne du regard.

— Je ne saurais vous le dire, monsieur le directeur. Mais c’est intéressant, non ?

— Davantage ! Et le fusil conserve nonobstant ses facultés de fusil ?

— Tout à fait : je l’ai expérimenté. Pour ce faire, il faut actionner le cliquet que vous apercevez, derrière la détente, pareil à une petite gâchette supplémentaire. Il s’agit d’un inverseur. Position A, l’arme est opérationnelle de façon classique ; position B, elle acquiert les facultés que nous lui ignorons encore. Il conviendrait de la confier à un éminent physicien, je pense.

— Mathias ! coupé-je.

Et je me tourne vers Blanc.

— Pas disponible pour l’instant : on vient de l’opérer de la rondelle, objecte Jérémie.

— Il ne pense pas avec son trou du cul ! objecté-je-t-il. Va lui montrer ce bidule, grand mâchuré, en lui précisant dans quelles circonstances il est tombé entre nos mains. Il faudrait vraiment qu’il soit plongé dans un coma dépassé pour ne pas réagir à un fusil pareil !

Je donne sur l’oreille de Mouchame cette chiquenaude napoléonienne en échange de laquelle les grognards couraient se faire enfoncer des baïonnettes prussiennes dans les couilles en hurlant « Vive l’Empereur ! ».

Tout comme le Corsico, je murmure :

— Mouchame, je suis content de vous !

Une sombre auréole s’élargit sur le capot de son pantalon. Il se retire à reculons, dansant son obséquiosité avec des grâces de ballerine charcutière.

Une fois la porte refermée, mon ami Blanc me toise d’un long regard, comme seul un bovidé peut en consacrer à un train omnibus.

— Intéressant, n’est-il pas ? plaisante-t-il avec son humour britannique propre aux gens de sa tribu.

— Particulièrement.

— Tu sais que le professeur Raspek est décédé ?

— J’ai appris la nouvelle.

Le grand méchant velu ajoute :

— Je suis allé chez Marius et Jeanette afin de vérifier les noms des gens qui avaient retenu une table le « fameux soir » où tu y as dîné.

— Bonne initiative.

— Raspek s’y trouvait en même temps que toi !

Si je devais réagir à toutes les surprises que réserve mon métier, j’aurais, depuis plusieurs décennies, attrapé la danse de Saint-Guy. De plus, le self-control doit se travailler. Maintenant, ni les gros bruits ni les grandes nouvelles ne me font sursauter. Un loufiat qui laisse choir une pile de cinquante assiettes ne mobilise même pas mon regard, et tu m’annoncerais qu’on a dérobé la tour Eiffel au cours de la nuit dernière que je ne hocherais pas la tête.

Moi, à M. Blanc :

— Tu t’es renseigné sur la table qu’il occupait ?

M. Blanc, à moi :

— Celle qui se trouvait à côté de la tienne. Merci, docteur. Je sens qu’après ça mes hémorroïdes iront beaucoup mieux !

J’ai soif ! Je me sers un bloody-mary carabiné, avec jus de lemon et giclée d’angustura.

— Tu en veux un ? demandé-je au liftier des cocotiers.

— Volontiers, mais remplace la vodka par le piment.

Il va à la fenêtre. Dehors, le soleil a mis son costar des dimanches et tout le monde est content.

— Il faut ordonner une autopsie du professeur, qui n’est sans doute pas mort d’une crise cardiaque banale, dis-je.

— Je vais m’en occuper.

— Tu ne trouves pas incroyable, dis-je, que le couple de tueurs ait abandonné une arme aussi exceptionnelle sur les lieux de ses forfaits ? Il l’avait en arrivant et puis il repart sans. Rien, cependant, ne l’a contraint à une fuite précipitée que je sache ?

Un temps.

— Je donnerais gros pour revoir la femme « violée », j’ajoute-t-il.

Que, sur ma réplique, Marie-Laure sort du studio, nickel de partout, rouge-à-lévrée, sa coiffure courte choucarde en plein sur le front.

J’ose à peine le dire, mais tout à ces stupéfiantes news, je l’avais oubliée, la mère ! Ce qui signifie que… Hein ?… Tu es d’accord ? Jolie rencontre, très émouvante, chaleureuse et tout ! Jeune fille douée pour l’amour. Courageuse. Du talent ? J’attends de lire ses écritures. Mais je ne sauterais pas d’un avion en vol pour aller lui faire une bise. Cynique ? Non. Blasé, peut-être ? Oh ! ça, sûrement. Tu sais ce que c’est, la vie ? Une chatte succède à une autre, plus ou moins sombre et frisée. Mais presque toutes, excepté les vieilles desséchées, mouillent dans les mêmes délais. Qu’à force d’à force, t’arrives plus à les distinguer dans tes souvenirs. Les joies du cul s’estompent. Y a une grande remontée de culottes au fond de ta mémoire. To close for lunch ! Le rideau tombe ! Ne te reste plus que quelques poils de chatte entre les dents.


Elle est souriante, la jolie chevrette.

— Programme d’aujourd’hui ? s’inquiète-t-elle.

Non mais qu’est-ce qu’elle croit ? Qu’on est devenus des siamois, tous les deux ?

Jérémie me file un regard plus sombre que le dessus de ses mains (dont l’intérieur est clair, because les Noirs déteignent des paumes).

Je suis gagné par une lente muflerie héréditaire. Celle de tous les hommes agacés par une gonzesse.

— Toi, tu t’emmènes promener, ma jolie : tes parents et ton canard t’attendent. Quant à moi, je vais continuer d’usiner avec mes équipes valeureuses.

Sur le moment, ayant perçu ma facétiosité, elle croit que je plaisante ; mon regard la détrompe.

Alors elle sort sans broquer.

Je voudrais la retenir. Je la retiens pas.

C’est dégueulasse, un mec !

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