ÉPANCHER : laisser déborder ses sentiments avec confiance.
Il n’est pas loin de quatre plombes quand nous atteignons le Relais du Val Fleuri. L’endroit est bucolique, près d’un ancien moulin à eau, donc au bord d’une romantique rivière. On perçoit un murmure de cascade, des cris d’oiseaux de nuit, le léger froissement des branchages agités par la brise. Lamartine en chierait dans son froc et se cognerait un rassis en attendant sa pétasse, comment qu’elle s’appelait déjà ? Elvire, non ?
On ne distingue, en fait de lumières, que les veilleuses bleues des couloirs, et puis celle, orangée, de la réception.
Honnissoit dispose d’un talkie-walkie et pendant le trajet est resté en contact permanent avec l’inspecteur Homiche. Ce dernier assure que « tout baigne » ; mis à part une secrétaire de direction qui est en train de prendre son pied pour la troisième fois avec ses patrons, et qui gueule comme toute une maternité, le relais-château est peinard.
— Vous avez neutralisé la BMW des « clients » ? questionne le commissaire.
— J’ai ses bougies dans ma poche, commissaire.
— L’arrière de l’hôtel ?
— Craquelouise et Pudube s’en occupent.
— Vous venez déjà de gagner une boîte de Le Chat compact aux agents bioactifs ! complimente mon jeune chosefrère qui cherche à imiter mon langage mélodieux.
À peine sommes-nous stoppés qu’un grand à tronche épaisse (ça vient de son bas de caisse : il y a vingt centimètres entre sa lèvre inférieure et la pointe de son menton) sort de derrière une haie de troènes. C’est Franck Audeport, le partenaire de Geoffroy Homiche. Il a quatre enfants biodégradables qu’il élève avec sa belle-sœur, (son épouse ayant mis les adjas en compagnie d’un régleur de pirogues ougandin), une automobile Renault de faible cylindrée, trois costumes, dont un moins fatigué que les autres, un F 4 à Ivry-Ville, dans le petit cimetière de laquelle, quoi qu’on fasse et quoi qu’on efface, le vent qui passe, aux gens qui passent, dira toujours un nom : Gabriel Péri.
Il sent le cervelas vinaigrette, Audeport, mets dont il se nourrit presque exclusivement et qu’il enrichit de tranches d’oignons excédentaires. L’un de ses yeux est couvert d’une taie sur la cornée, ce qui désoblige son regard.
Il me salue quasi militairement.
— R.A.S. ! nous déclare-t-il (d’ailleurs).
Honnissoit se tourne vers moi :
— Que décidez-vous, monsieur le directeur ?
— Moi ? Rien, fais-je. C’est vous qui conduisez l’enquête, mon cher Ange ; je ne suis ici qu’en qualité de spectateur.
Il a un sourire teinté d’épouvante.
— Vous êtes trop homme de terrain pour qu’on puisse décider en votre présence d’une action, monsieur le directeur.
Je lui frappe l’épaule.
— Eh bien ! faites comme si j’étais absent !
Résigné, il s’incline devant le caprice du grand chef.
— Transmettez aux autres les directives suivantes, Audeport : silence, discrétion, souplesse. Pas d’effusion de sang, surtout ! Craquelouise et Pudube resteront à leur poste sous les fenêtres des deux hommes, à l’arrière de l’hostellerie, prêts à intervenir s’ils tentaient un départ précipité de ce côté-là. Vous avez la clé de l’hôtel ?
— Affirmatif, commissaire.
— Le numéro de leurs chambres ?
— 114, 116, commissaire.
Honnissoit apostrophe le chauffeur qui nous a drivés jusqu’à pied d’œuvre :
— Sortez le matériel du coffre, Bourrelœil !
— Tout de suite, commissaire !
— C’est passionnant ! chuchote Marie-Laure à mon oreille. Ce que vous êtes gentil de m’avoir acceptée !
Je lui flatte légèrement la croupe, histoire de lui rappeler que tout a un prix dans l’existence et qu’un de ces quatre je lui présenterai ma facture.
Le « matériel » amené par Ange Honnissoit consiste en deux mitraillettes marque « Élégance » de chez Ponchaud et Villas, de quelques grenades à gaz soporifique et d’un pied-de-biche qui te permettrait de craquer un coffiot de la Banque de France !
Adossé à la voiture, ma main à la taille de Marie-Laure, je contemple ce déballage avec intérêt.
— Voilà ce que je compte faire, me dit Honnissoit.
Et comme j’ai un petit geste négateur de la main, il s’emporte :
— Laissez-moi au moins vous exposer mon plan, monsieur le directeur ! Si nous étions dans votre bureau, vous seriez le premier à m’en parler !
Il a raison, je l’admets ; un chef qui n’admet pas ses torts braque ses subordonnés contre lui.
— Geoffroy Homiche restera dehors, sur la façade principale du Relais, en couverture, comme les deux autres de derrière. Je monte à leurs chambres en compagnie de Bourrelœil et de Franck Audeport. Bourrelœil qui est fort comme un taureau… (hennissement d’orgueil du taureau mentionné, qui n’est pas à ça près) enfonce l’une des portes, poursuit le commissaire, et je lance deux grenades à gaz dans la chambre, les obligeant ainsi à sortir. Nous les cueillerons alors, et s’ils regimbent, nos mitraillettes les inciteront au calme. Qu’en dites-vous ?
Je lui souris.
— Cher commissaire, ce plan d’action conviendrait peut-être pour serrer Jo-le-Stéphanois et Martin-la-Vache qui seraient en cavale. Mais là, vous avez affaire à des orfèvres, que dis-je, à des diamantaires du crime. Rappelez-vous les trois macchabées de l’avenue George-V ! Ces trois êtres supprimés avec un sang-froid machiavélique. Nos clients du Relais sont les individus les plus dangereux de la création, des terroristes endurcis, éduqués, entraînés, parés pour affronter les pires situations. La porte ne serait pas enfoncée que la riposte viendrait et ce d’une manière que vous ne soupçonnez pas ! Vous vous feriez étaler comme des lapins au cours d’une battue en Sologne ! De plus, songez qu’il y a « deux chambres » et qu’elles sont communicantes : vous ne comptez pas défoncer deux portes simultanément ? Si ?
Un peu penaud, Honnissoit. Pratiquement taxé d’incapacité devant deux de ses hommes et une ravissante petite journaliste, il l’a à la caille.
Il opine bassement. L’instant est venu de refiler un peu d’oxygène de bonne qualité dans ses poumons poisseux de honte.
— Cela dit, je salue votre courage, mon cher : décider de balancer vous-même les grenades est une décision d’homme qui possède des couilles grosses comme des melons d’eau, bravo !
Resoleil dans son cœur !
Je poursuis :
— La seule manière de cueillir ces deux criminels, c’est de les sauter par surprise, Ange ! Par « surprise » et point à la ligne. Il faut qu’ils sortent d’EUX-MÊMES. Ne leur faites pas le coup du garçon d’étage, ça ne prendrait pas !
— Alors ? Attendre le jour ?
— Non, car il y aura trop de trèpe dans l’établissement, pour peu qu’ils s’offrent une grasse matinée.
Il hausse ses fortes épaules, vaincu par son manque d’imagination.
— Le taulier est prévenu, je suppose ?
— Il a bien fallu.
— Il a un téléphone privé ?
— Je le lui ai demandé.
— Sage précaution.
Il me communique le numéro et je pénètre dans la voiture qui comporte un bigophone. Le patron de l’établissement ne doit pas roupiller, en cette veillée d’armes, car il décroche illico.
— Ici qui vous pensez, dis-je. Pouvez-vous m’indiquer le numéro des chambres qui sont situées pile au-dessus de la 114 et de la 116 ?
Il n’a pas à réfléchir :
— La 214 et la 216, pardine !
— Je suppose que les salles de bains également sont superposées ?
— Bien sûr !
— Vous devez bien avoir des outils dans votre établissement.
Crainte spontanée du gars qui a les flubes pour sa crèche.
— Pour quoi faire ?
— Rien d’important. Alors ?
— Nous avons un atelier contigu à nos garages privés, mais il est fermé à clé.
— Aucune importance, cher monsieur.
— Je dois faire quoi ?
— Rester sagement au lit et attendre en caressant votre épouse. Je ne veux voir personne dans les couloirs.
Je raccroche.
— Attendez-moi tous ici ! recommandé-je à mes subordonnés.
Honnissoit s’inquiète :
— Vous ne voulez pas que quelqu’un ?…
— Rien ! Je vais chercher ce qu’il me faut dans le bâtiment annexe que vous apercevez en bordure du potager, ensuite je pénétrerai dans l’hostellerie pour y faire quelque chose. Lorsque je serai entré, vous compterez cinq minutes, puis vous irez vous poster devant la 114 et la 116, les mitraillettes prêtes. Rappelez-vous bien ce que je vais vous dire : si ces deux salauds ne lèvent pas immédiatement les mains, tirez ! Car alors ce sera eux ou vous. Marie-Laure, vous écouterez le chant des rainettes dans le parc, en attendant que ça se passe. On s’est tous compris ?
Ils approuvent le chef, du chef !
Je suis le plombier bier bier bier bier.
C’est un beau métier !
Tu parles, Pierrot ! T’as déjà dévissé une tuyauterie datant de la Belle Utérus, toi ? Faut de l’huile de coude, mec ! Et surtout la technique. C’est ça qui me manque le plus, la technique, d’autant que je suis maladroit de mes mains comme un escargot !
Heureusement l’outil que j’ai dégauchi dans l’atelier est du genre monumental : mâchoire de caïman, chaîne à crémaillère, manche de quatre-vingts centimètres. J’ai dévissé le siphon de la baignoire (laquelle est heureusement d’époque, donc aisée d’accès). Ensuite, j’ouvre en grand les robinets de ladite. L’eau qui sort de la bonde s’écoule dans une cavité plâtreuse dont elle aura vite raison. Lorsqu’elle l’a emplie, elle se répand dans la salle de bains. Je me grouille d’en sortir et, avec les serviettes dont je me suis muni, je tente de calfater la porte ; sans grande illusion, certes, mais ça endigue tout de même un peu.
À présent, ne reste qu’à attendre. La flotte, c’est un fléau de première instance. Elle investit tout, se faufile partout. Dans un laps de temps plus ou moins long, mais que je limite à un quart d’heure, elle s’écoulera à l’étage au-dessous, c’est-à-dire dans la salle de bains d’un des types. Ils ne pourront pas ne pas entendre et iront mater ce qui se passe. Dans les vieux châteaux rebectés, ce genre de petite catastrophe est fréquent.
Constatant le sinistre, que feront-ils ? Tu vois, ici j’adopte le style des feuilletonistes du siècle dernier, dans lesquels tu trouves des phrases telles que :
« — Pourquoi Hervé de la Grosse Veine Bleue avait-il impérativement besoin de deux cents francs ?
« — Nous allons le savoir. »
Ça s’appelait « tirer à la ligne ».
Moi qui suis au forfait, quand je recours à un tel procédé, c’est uniquement pour amener la progression dramatique de mon récit.
Je reprends donc, imperturbablement :
Constatant le sinistre, que feront-ils ? Pas trente-six soluces, mec. Ils feront ce que fait tout client d’hôtel en présence d’un tel pépin : ils alerteront la réception, à savoir, le concierge de nuit. Et que fera alors ce dernier ?
Il viendra évaluer le désastre avant de prendre les dispositions qui s’imposent. Conclusion : mon couple de meurtriers lui ouvrira la lourde et c’est alors qu’Honnissoit et ses joyeux drilles se rueront à l’assaut de Fort Alamo.
Bravo, San-Antonio, c’est toujours toi le génie de la Rousse !
Ils sont en poste, les trois lascars. Honnissoit accroupi dans l’angle formé par une énorme commode (de style Louis XIV, mais d’époque mitterrandienne), sa sulfateuse braquée sur la lourde du 116. Bourrelœil est contre le mur, près de la porte du 114, la deuxième seringue en pogne. Il n’aura qu’une volte de 45 degrés à exécuter pour cadrer l’entrée quand la porte sera déponnée. Le troisième péone, l’homme au menton en sabot de mareyeur, est dans un embrasement de fenêtre, comme dit Bérurier, dont l’absence me chagrine.
Rassuré, je sors mon camarade Tu-tues de sa gaine de cuir pour l’enfoncer dans mon pantalon, ce qui donne deux canons de fort calibre superposés.
Lorsque j’atteins le bas de l’escadrin, qu’asperge à l’autre bout du couloir ? Miss Pontamousson, assise dans une chaise à porteurs placée là pour décorer l’entrée du hall. Ce très ancien mode de locomotion fait mouiller les clients : ils admirent le garnissage de soie rose, les rideaux à pompons, la délicate banquette, les portes peintes de motifs gracieux. Moi, dans une chaise à porteurs, je ne vois que les brancards qu’on a retirés pour cause de malgraciance, et j’imagine les deux valetons en livrée-carcan qui se coltinaient la viande du seigneur ou de sa moukère. Un jour, en Chine, j’ai frété un pousse-pousse à vélo que tractait un coolie gras comme mon petit doigt et j’ai eu tellement honte de laisser tirer mon tas de tripes par un autre homme que j’ai récité une chiée de Pater ensuite, pour implorer le pardon de Dieu qui, Lui, S’est coltiné Sa croix à pincebroque, coiffé d’une couronne d’épines et stimulé par des coups de fouet !
Je ressens une remontée de rogne en constatant que la petite journaleuse a enfreint mes instructions.
Inconscience ou témérité ? Les deux, mon colonel ! Elle veut en être, cette greluse. Coûte que coûte ! Dans un sens, c’est chouette, non, une fille courageuse quand on pense à tous les faux durs, rouleurs de mécaniques qui défèquent dans leurs braies sitôt qu’un berger allemand vient renifler le bas de leur grimpant ! De loin, je la sermonne avec l’index. Elle m’adresse, depuis son chèque au porteur, un petit geste désinvolte qui doit vouloir dire merde, mais gentiment.
Dans le silence, je tends mon oreille de Comanche-à-couilles. On perçoit nettement le ruissellement de la flotte dans la salle de bains. Il est impossible que deux gars sur le qui-vive ne l’entendent pas. Ils vont réagir d’une seconde à l’autre.
Pourtant, le temps s’écoule aussi vite que l’eau et rien ne se passe. Tu ne trouves pas ça bizarre, Balthazar ?
Honnissoit et moi échangeons des regards de vaches surprises par le retard du T.G.V. sur les plateaux bourguignons. J’aime quand mes prévisions respectent le programme.
On continue d’attendre encore, qu’à force un ruisselet de rincette se met à filtrer sous l’huis. Il s’accroît, importencie, s’étale. Je vais tout de même pas lui carboniser son hôtel au taulier du Relais du Val Fleuri ! En faire la Venise de l’Ile-de-France.
Les œillades d’Honnissoit commencent à se faire doucettement ironiques, et, très peu après, sardoniques. Il se dit, le jeune commissaire, que le superman de la Rousse, avec ses bricolades à la Bibi Fricotin, a le bonjour d’Alfred.
Je gagne la chaise à porteurs, la délourde en tatillant, biscotte c’est un peu branli-branlant comme véhicule. Ma Mercedes 600 SL est bougrement plus costaude.
— Dites-moi, chère marquise, chuchoté-je, puisque vous faites Verdun avec nous, je peux vous demander un service ?
Ses adorables yeux brillent de plaisir.
— Vous toquez à la porte du 116. Vous déclarez que vous êtes une femme de chambre et qu’il y a une rupture de canalisation à l’étage au-dessus. Prenez un ton de gourde surexcitée si vous le pouvez, et surtout ne demeurez pas face à la porte pendant que vous parlerez car cela pourrait avoir des conséquences très abominables.
Elle opine (très bien d’ailleurs), et file au niveau de la porte, mais demeure de côté, protégée par le mur.
Elle joue son rôle à merveille, la Miss ! Le ton est juste, les mots simples, l’excitation parfaitement rendue. Seulement, y a comme un défaut.
Je te dis ? Personne ne répond. Alors là, ça commence à tourner au vinaigre d’alcool, moi je trouve. Marie-Laure insiste. Toujours ballepeau ! Décidément, toutes mes initiatives se ramassent la gueule ! Ça devient intolérable, un grand chef à qui les circonstances tirent un bras d’honneur de déménageur !
Je claque des doigts et fais signe à l’inspecteur de démanteler la gonde puisqu’il a été bison dans une existence antérieure.
Son régal ! Il mouille et, pour un peu, se ferait une petite pogne, en camarade, histoire de décharger avant de charger.
Il a la largeur (environ trois mètres) du couloir pour prendre son élan. Le prend ! S’élance ! La tournante produit un craquement de goélette percutant un iceberg et bée (de stupeur). Nous fonçons d’un commun accord, Bourrelœil, Audeport et moi. Honnissoit reste en place pour couvrir la porte voisine. Quant à Marie-Laure, je ne sais pas, mais je lui fais confiance.
La chambre 114 est vide. La porte de communication avec la 116 est ouverte. Je fais signe à Audeport de visiter la salle de bains et, flanqué de Bourrelœil, pénètre dans le second appartement. Là, une surprise grosse comme l’Opéra Bastille nous attend. À première vue, la pièce semble vide, mais à seconde, on découvre une femme nue ligotée et bâillonnée sur le lit à baldaquin, tombeau de mes aïeux et nid de mes amours ! Pas mal du tout. Bien balancée, un peu forte en meules, mais je déteste pas quand c’est pour rentrer et non pour sortir en ville. Elle est liée si serré que ses chairs violacisent. On lui a collé sur la bouche un sparadrap large comme une main qui affecte aussi sa respiration nasale, ce qui fait que la malheureuse est à cinquante mètres à peine de l’apoplexie galopante.
On la détache, on la débayonne (comme le jambon). On lui sert un verre d’eau minérale. Je crie à mes soudards d’aller appeler la direction afin de stopper cette inondation inutile.
Puis, à la femme :
— Où sont les deux types qui logeaient ici ?
Elle est commotionnée, la chère femme. Vraiment belle, par-devant comme par-derrière. Vaguement épaisse, ce qui fait que t’as de la main quand tu l’escalades. Son regard qui fut fardé est barbouillé : du noir, du rouge, du bleu se sont délayés. Elle porte une plaie au flanc, causée dirait-on par une lame effilée, mais qui ne semble pas très profonde. Apercevant Marie-Laure qui nous a rejoints, elle lui fait signe d’approcher. La petite Rouletabille de Libé obtempère. L’autre lui chuchote quelque chose.
— Elle a besoin de la salle de bains ! me dit ma coéquipière d’une nuit.
Elle soutient la femme jusque dans le local immergé. On patauge dans la limonade à présent.
Quand Marie-Laure revient, elle nous dit, sombrement :
— Elle a été violée et a besoin de… de faire un peu de toilette.
Nous comprenons parfaitement et une grande gêne masculine nous fait évacuer la chambre.
Maintenant ça effervesce dans le landerneau, biscotte l’inondation. Le dirluche, lui, les expéditions policières nocturnes, il les remercie beaucoup, tout le plaisir sera pour lui. S.O.S. plombier, la lyre… Bon pour la renommée de sa taule ! Tu penses que les pédégés en puissance de maîtresse iront tirer leurs conquêtes en des lieux moins lacustres et plus tranquilles !
Nous nous rabattons sur un salon d’étage qui ne sert probablement jamais.
Ange Honnissoit ressemble à un zombie, du reste il a la dégaine du dernier avec qui j’ai pris un pot.
— C’est vraiment stupéfiant ! dit-il.
— Mais non, ricané-je : vos gars sont poreux, tout simplement et nos deux gredins ont mis les adjas avant que nous n’arrivions.
Franck Audeport, oubliant tout respect hiérarchique se récrie comme quoi, depuis qu’il est laguche avec sa squadra, il peut jurer sur la Bible, voire sur la grossesse intra-utérine qu’est en train de faire son ex-épouse, qu’aucun des deux bandits n’est reparti et qu’à preuve, leur putain de tire est toujours au parking !
Retour de Marie-Laure qui continue d’assister la dame violée ; laquelle est décente, ayant passé un peignoir-éponge fourni par le Relais du Val Fleuri.
On la fait asseoir dans un fauteuil d’aspect si Louis XV que le Bien-Aimé s’en commanderait une douzaine.
Une main de bienveillance et d’altruisme lui tend un verre d’alcool dont elle absorbe deux gorgées.
Elle fond en sanglots longs comme ceux des violons de l’automne.
— Messieurs, messieurs, hoquette-t-elle, il ne faut pas que mon mari sache, je vous en supplie, ce serait la mort de mon foyer et nous avons deux enfants, dont l’un, l’aîné, est handicapé moteur. Il me croit chez une amie malade. S’il apprenait que je venais rejoindre deux hommes dans cette hostellerie, et surtout, surtout, que j’ai été violée par un troisième…
— Calmez-vous, ma gentille amie, miséricordié-je. Votre honneur sera sauf. Racontez-nous calmement ce qui vous est arrivé.
Ma voix chaleureuse et mon regard plein d’une infinie charité chrétienne la mettant en confiance, elle parle.
Ce qu’elle dit ?
Il ne tient qu’à toi de l’apprendre ; pour cela, il te suffit de lire les pages suivantes.
Dans l’après-midi, alors qu’elle prenait le thé dans le quartier de la Madeleine, elle a fait la connaissance d’un couple d’étrangers : des Argentins, d’apparence fortunée. Ils étaient âgés d’une trentaine d’années, très beaux, sympathiques. La conversation a vite pris un tour polisson. Ils ont dit à Maxence (elle se prénomme Maxence) qu’ils étaient des passionnés de l’amour sexuel, qu’ils la trouvaient exquise et qu’ils aimeraient partouzer avec elle.
Cette requête, la première du genre pour Maxence, au lieu de l’indigner, l’a troublée et elle a accepté de venir les rejoindre dans la soirée (quand ses enfants seraient au lit), en ce relais et châteaux réputé.
Le diable la poussant, elle s’est donc pointée, sur le coup de neuf heures. Comme elle achevait de garer sa voiture, deux hommes qui devisaient à voix basse dans l’ombre l’ont abordée. Ils lui ont déclaré sans jambage qu’ils la tueraient si elle ne faisait pas point par point ce qu’ils lui ordonneraient.
Comme preuve qu’ils ne plaisantaient pas, l’un d’eux a sorti un couteau et lui a entaillé la hanche. L’autre lui a réclamé ses clés et papiers de voiture ; elle lui a tendu son sac qu’il a gardé. Ensuite le gars au couteau l’a conduite à la chambre 116 où il l’a obligée à se dévêtir. Elle a dû subir ses assauts, comme on disait puis à l’époque où les hommes bandaient dur. Ç’a été si terrible qu’elle peut pas raconter ! Tu te rends compte ? Elle est pas prête de refaire du cheval, crois-la ! Et du vélo encore moins ! Un sadique, ce mec ! Quand il a eu terminé sa petite histoire (qui est une grosse affaire !), il l’a ligotée et bâillonnée ; après quoi il a mis les effets de Maxence, car c’est un homme mince, il a noué son carré de soie sur sa tête et a quitté la chambre.
Nous la remercions pour ce palpitant récit. Elle remet alors la gomme avec son cocu qui, sous aucun prétexte, etc. Je lui réitère ma parole de donneur qu’elle peut compter sur nous, gentlemen de la Police française. Qu’elle nous laisse ses coordonnées pour qu’on puisse la contacter discrètement, pendant les heures où son vieux est au turf, et l’inspecteur Bourrelœil, ici présent, va la reconduire à Paris. A-t-elle un endroit où trouver des vêtements avant de rentrer au logis ? Oui ? Leur villa de Montfort-l’Amaury ? Seulement elle n’a pas la clé ? Casse la tienne, Bourrelœil « lui arrangera ça ».
Elle nous quitte, « bouffie de sanglots », avec son pauvre fion défoncé par l’ignoble individu !