CHAPITRE X

SEPTUPLE : qui vaut sept fois autant.

On tambourine à ma porte. Inquiétant car le planton ne m’a annoncé personne alors qu’il en a reçu l’ordre exprès.

— Entrez ! enrogné-je.

Rien. Simplement, on retambourine.

— Vas voir, dis-je à mon all-black.

Jérémie délourde. Il demeure immobile dans l’entrebâillement. Puis se tourne dans ma direction et, de la tête, me fait signe de le rejoindre.

Intrigué, force m’est donc.

Tout un spectacle !

Pour commencer, et au premier plan, une gigantesque corbeille de lys (ma fleur préférée[13]).

Derrière la corbeille : un paquet de deux mètres cubes, noué d’un ruban tricolore. Par-delà ce cadeau aux dimensions exceptionnelles : Pinaud et Béru, sur leur trente et un, tenant chacun deux bouteilles de Dom Pérignon.

Au moment où j’apparais, le tandem bien-aimé s’écrie, presque synchrone :

— Bon anniversaire, Antoine !

Quelques inspecteurs et gardes qui les ont suivis (à cause des boutanches de roteux) reprennent tous en chœur :

— Bon anniversaire, monsieur le directeur !

Avec des mines lécheuses que je t’en dis pas plus !

— Vous êtes gentils, dis-je avec déconcertation, seulement y a maldonne, les gars : mon anniversaire, c’est le 29 juin !

— On le sait, déclare Alexandre-Benoît, mais on a décidé de t’ l’ souhaiter aujord’hui, biscotte moi et Pinuche on sera t’en croisière l’ 29 juin.

Devant ce cas de force majeure, il n’est que de m’incliner.

Embrassades, poignées de mains.

— Ouv’ ton pacsif ! me dit le Gros qui, tel un enfant, brûle de me voir déballer leur volumineux présent.

Je dénoue le ruban, arrache le papier et me trouve en présence d’un carton. J’en soulève le couvercle, aidé du brigadier Courtepine. Et de saisissement, j’exécute un pas arrière, tandis que Courtepine pousse un juron.

Dans la boîte, une ravissante fille nue est assise en tailleur sur un coussin. Une Asiatique. Et elle porte, en guise de châle, un serpent python sur les épaules. C’est l’animal qui a provoqué mon mouvement de recul et le juron du brigadier.

Pinaud explique :

— Nous cherchions un cadeau original à te faire, Antoine. Voici Miss Chian Li, qui eu le prix de fornication féminine au Festival du film porno.

« Nous l’avons louée pour toi et tu peux disposer d’elle jusqu’à demain soir. J’ai là la liste de ses spécialités qui lui ont valu la récompense en question. »

Il sort un document de sa poche et se met à le régler à sa vue, l’éloignant et le rapprochant de son nez pointu, mais Béru, agacé, le lui fauche d’un geste preste.

— Quand on voit pas, on lit pas ! bougonne l’Obèse.

Lui qui pourrait lire sans lunettes (s’il lisait) se met en devoir de décrypter :

— La brouette mongole ! Le souffle du mandarin ! La langue de caméléon en spirale ! La fourche de l’enfer ! Le bâtonnet d’encens ! La lanterne chinoise ! La queue du dragon ! La sarbacane moïe ! Le nid d’hirondelle cantonais ! L’aileron de requin au piment rouge ! Le doigt d’or ! La pince de crabe ! La pousse de bambou à grelots ! Le palanquin à trou ! La bague de jade ! La pipe du sage ! Le… »

— Merci, coupé-je. L’attention est délicate, mais une enquête de la plus haute importance me mobilise totalement. Si Miss Chian Li voulait bien me faire un bon, je la consommerais à une date ultérieure.

— Elle n’acceptera pas, assure Pinaud, elle a un agenda bondé et cela fait deux mois que j’ai posé ma réservation. De plus, ses honoraires ont été réglés d’avance et, bien que ce ne soit pas de bon goût, je puis t’assurer qu’ils sont élevés.

— Bon, je ferai l’impossible pour user de ce délicat présent, mon César. Où puis-je pratiquer cette gracieuse créature ?

— Elle ne peut pas t’attendre ici ?

Je mouessade :

— Imagines-tu cette péripatéticienne de luxe et son serpent dans le bureau du directeur de la Police ?

— Faites-vous pas d’ souci, tranche Bérurier : j’ vas l’emm’ner chez moive. Ma Grosse détest’ pas un’ p’tite séance d’ gigot à l’ail, temps za aut’, pour changer d’ mon braque géant. Si l’ cœur t’en dit, grand, t’auras qu’à passer à la casa pour un’ p’tite chinoisererie expresse.

Ainsi est fait.

Nous prenons le temps de sabler le champagne avec les assistants. On installe la corbeille de lys sur la table basse de mon bureau. Un moment euphorisant de gnagni gnagna : cris et suçotements. Des rots comprimés, d’autres puissamment exhalés (chef de chorale Alexandre-Benoît Bérurier). Mon « cadeau » se prélasse sur le canapé en compagnie de son reptile dont la langue bifide frétille sans arrêt, écœurante. Cette gonzesse est douée pour l’exploitation de son corps. Chez elle, ça se hisse au niveau de l’art. Rien que la manière dont elle se tient tordue pour montrer sa jolie fente rose praline, soigneusement épilée. Elle guide le python, lequel s’enroule à sa cuisse et se glisse contre son sexe. Mes hommes, le regard fixe, la glotte bloquée par l’émotion, matent à pleins z’yeux. Juste le brigadier Courtepine qui promène sa langue chargée sur ses lèvres asséchées, s’y « voyant » déjà.

— Bon ! déclare soudain Béru, faut qu’on va prendre du souci et qu’on va s’ casser, qu’aut’ment sinon, on s’ra plus capab’ d’ marcher !

* * *

Elle est au chevet de son époux, la mère Mathias, le regard moins franc du collier que celui du serpent que je viens de quitter. Elle a plein de boutons (entre deux peaux) sur la gueule. Chez elle, se farder consiste à dessiner une violette sur sa bouche sans lèvres. Des projets de bubons s’élaborent sur son cou. Le cheveu raide, la peau jaunasse, le nez mince et long, elle semble chercher des choses vaches à dire.

Son opéré est rendu tout benêt par la présence de l’épouse. Son brasero flamboie sur l’oreiller. Mon arrivée l’embête parce qu’il sait que je n’hésite pas à envoyer son brancard aux bains turcs quand il me fissure les bonbons.

— Tu parais en bonne forme ! dis-je.

— Ce n’est pas vous qui êtes à sa place ! grince sa girouette rouillée. Si vous aviez subi une telle opération rectale, vous n’auriez pas la mine aussi fleurie.

— Peut-être, réponds-je avec une impassibilité qui force l’admiration, mais moi je ne me fais pas sodomiser !

La houri fait un bond, départ arrêté, de quarante centimètres sur sa chaise.

— Vous traitez mon mari d’homosexuel ! égosille-t-elle.

— Pourquoi usez-vous du verbe « traiter » qui a une connotation péjorative, ma poule ? Se faire enculer ne constitue plus un délit. Chacun a la libre disposition de son cul ; vous, par exemple, lorsque vous vous masturbez avec votre rouleau à pâtisserie (après l’avoir huilé, je suppose), vous n’enfreignez en rien les règles de la bienséance, du moment que vous lavez le rouleau après usage avec Le Chat ou Mir vaisselle.

Elle se dresse. Pas grande, la chérie. Une jupe bordeaux, une veste bleu marine, un chemisier blanc. Classique !

— Vous, dit-elle, vous ne changerez jamais ! Malotru vous êtes né, malotru vous restez, bien que promu à la plus haute fonction ! Je plains votre malheureuse mère d’avoir un fils comme vous ! Quel calvaire !

Elle jette à son époux :

— J’espère que ce butor ne te fatiguera pas trop longtemps !

Elle se dirige vers la porte et sort. Je la rejoins dans l’espèce de tambour isolant la chambre du couloir.

— Chérie ! fais-je d’un ton noyé.

Surprise, elle stoppe. Je lui prends la main, sans qu’elle résiste, la porte à ma braguette.

— J’aime quand tu te fâches, Ninette, ça me fait bander. Touche !

Elle laisse guider sa main, ne « touche pas réellement » mais effleure ma protubérance.

— Un jour, je te ferai éclater la chatte, salope !

Et je la plante là pour rejoindre son mari.

Je prends place à son chevet.

— Tu es dur avec elle, diagnostique Mathias.

— Oui, fais-je résolument : très dur, elle m’excite. C’est la fascination de l’horreur.

Je redeviens pro :

— Alors, tu as examiné le fusil ?

— Oui. Je l’ai caché dans le placard avant qu’elle n’arrive, elle aurait hurlé au scandale parce que tu me donnes du travail jusqu’ici !

— Qu’en penses-tu ?

— Phénoménal !

— Mais encore, Hector ?

— Il tue : je parle des ondes de la lunette.

— En es-tu sûr ?

— Je l’ai expérimenté, avoue Mathias en baissant le ton comme s’il m’avouait une maladie vénérienne.

— Sur qui ? béé-je-t-il.

— Un yorkshire.

— Quand ?

— Il y a moins d’une heure.

— Où ?

— Depuis cette chambre.

— Comment ?

Il révèle :

— Naturellement, les chiens ne sont pas admis à l’hôpital. Une visiteuse flanquée de son yorkshire s’est présentée ce matin et s’est fait refouler. Alors elle a attaché l’animal à la grille protégeant un massif de roses. J’ai visé le yorkshire avec le fusil et actionné la seconde détente. Il ne s’est rien passé. Pensant l’avoir raté, j’ai réitéré mon geste. Toujours rien. J’ai alors cru que cette arme n’en était pas une, concernant sa seconde fonction. Mais voilà que tout à l’heure j’entends des cris désespérés. Je vais à la fenêtre et aperçois la dadame en train de piquer une crise de nerfs devant le cadavre du clébard.

— Tu es devenu canicide !

— J’ai honte, mais pour expérimenter le fusil, il me fallait une cible vivante !

— Et tu conclus quoi, de cet assassinat ?

— Les ondes émises par le fusil altèrent la fonction cardiaque jusqu’à entraîner, à retardement, un arrêt du cœur. La charge est réglée pour supprimer un homme ; elle a eu un effet plus rapide sur un minuscule mammifère.

— Tu as entendu parler des travaux du professeur Raspek ?

Il répond, sévère :

— Rien de ce qui touche aux travaux scientifiques actuels ne m’est étranger.

— Aurait-il été capable d’inventer ce fusil double action ?

Mathias réfléchit.

— Il rentre tout à fait dans son domaine d’exploration.

— C’est bien ce que je sens. Comme je sens aussi qu’il en aura été la première victime.

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