MYCOLOGIE : Étude scientifique des champignons.
Nous prîmes une suite pour les trois afin de rester groupés. Comme je ne voulais pas m’éloigner du téléphone, je décidai de faire monter le repas dans l’appartement.
Bérurier objecta qu’il était inutile de demeurer à trois devant un combiné. Il n’y avait rien à redire. Ces choses-là sont affaire de bienélevance : tu les sens ou tu ne les sens pas. Comme il ne les « sentait pas » (mais il a d’autres qualités), je le laissis sortir et invita Pinaud à le suivre. Étant gentleman, il déclinit. Je le pris à part et insista pour qu’il accompagnît le Mammouth, prétendant que je serais plus tranquille de ne pas le lâcher seul dans cette ville du bout du monde. L’argument eut raison de ses louables réticences et ils partirent.
Je me fis monter une tortilla et de la bière, me mis en slip sous le filet d’air conditionné, insuffisant pour conjurer la tropicalité de l’endroit, et mangis sans appétit en visionnant un feuilleton brésilien aussi mauvais que ceux qu’on nous propose en France.
Je m’endormas, en même temps que le crépuscule, dans un fauteuil à bascule qui vous coince les pinceaux quand on se balance si l’on n’y prend garde.
Mes péones rentrèrent à une heure du matin, avec deux bitures et une pute. Les trois étaient aussi grosses les unes que l’autre.
L’homme Pinuche s’écroula en travers du canapé. Sur les instances de Bérurier, la pute entreprit de le sucer, mais son pénis, déjà d’un âge, se montra aussi insensible à cette fellation professionnelle que le président Mitterrand à une carte de vœux de Charles Pasqua.
Au bout d’un temps assez long, preuve du stoïcisme de la donzelle, Béru lui enjoignit de couper les circuits d’induction pour se consacrer à sa propre personne.
Lorsqu’il dégagea son braque géant de ses guenilles, j’assistis à la scène, toujours renouvelée, de l’effarement d’une femme se trouvant brusquement nez à nœud avec le chibre du siècle.
La personne pute qui se prénommait Maria-Colomba récria que, malgré son expérience et le nombre incalculable de mandrins qu’elle avait encaissés dans sa malle arrière, jamais elle ne saurait héberger un obusier d’un tel diamètre. Le Gros, par gestes éloquents, s’employa à la rassurer et à plaider l’extensibilité d’un frifri habitué à fonctionner. Mais l’effroi de la donzelle grimpait au fur et à mesure qu’elle palpait le goumi du maestro. On crut que toute transaction allait s’arrêter là, quand elle démontra qu’elle ne pouvait emboucher une pareille trompette, sans s’éclater les commissures des lèvres. Le Mastard, quand il est pété à outrance, ne cède à aucun argument. Dès lors la conversation gestuelle s’envenima. La péripatétipute s’enflamma et partit dans des injures dont la véhémence compensait l’absence de traduction. Au bout de peu, Alexandre-Benoît sortit de sa réserve, comme un Indien qui va acheter ses croissants du matin, et mit un taquet d’un quintal au menton de Maria-Colomba. Elle eut le regard en tissu écossais et partit à la renverse sur le lit où avait lieu la discussion.
Sa Majesté, en impossession de ses facultés, crut qu’elle lui cédait. Il débarrassa la grosse pétasse de sa culotte, laquelle devint une sorte d’enveloppe de ballon dirigeable dégonflé, emprunta l’huile figée de ma tortilla, l’utilisa pour s’oindre le panais et entreprit la visite du château. Certes, ce ne fut pas aisé et il dut marquer bien des temps morts, mais on n’escalade pas l’Éverest d’une traite.
Son opiniâtreté fut récompensée et, soudain, ce monstre préhistorique poussa un cri de triomphe et se mit à investir les lieux à coups de reins guillerets, en récent acquéreur qui fait le tour du propriétaire. Quand la dame pute se remit de son k.-o., ce fut pour glousser d’aise et enfoncer ses ongles violets, longs de cinq centimètres dans le dargeot d’Alexandre-Benoît, gros comme le ballon de Guebwiller (1424 m).
La chose se mua rapidement en coït. Les deux protagonistes émirent, à tour de rôle d’abord, puis de concert, des bramées de forêts scandinaves, des barrissements de savanes africaines, des inarticulances d’hôtels de passes parisiens. Le rut est toujours noble, n’importe ceux qui en bénéficient, et le cri de jouissance d’une intellectuelle ne prend pas le pas sur le panard d’une servante d’auberge. Crier l’amour est le plus noble des chants. Aucune « Vibrante Marseillaise », nul « Grand Air de Lakmé » ne produit des sons comparables à ceux qu’exhalent des amants en train de dégorger leurs glandes australes.
La sonnerie du téléphone, selon mon estimation, dut correspondre au lâcher de ballons du Gros !
Elle chuchote si bas que j’ai le plus grand mal à l’entendre.
Je me saisis du bloc téléphonique et vais m’enfermer dans le dressing « agaçant » (Béru dixit).
— Je t’écoute ?
— Je suis à la maison…
— Au 5 ?
— Oui, tout a bien fonctionné, il m’a crue dur comme fer. C’est un homme qui s’ennuie.
— Où est-il ?
— Dans sa chambre, il dort.
— C’est quel genre ?
— Bande à Bader, recherché par toutes les polices du monde : un vrai dur ! Il ne devait pas avoir d’autres endroits où se terrer.
Un flash m’arrive, étourdissant de promptitude :
— Il t’a baisée ?
— Oui.
Il me semble qu’un lance-flammes balaie ma poitrine. Immense désilluse. Pauvre con d’Antoine qui voudrait que toutes les gonzesses de la terre n’appartiennent qu’à lui ! Il y a des moments où il se croit le seul détenteur de sperme de la planète.
Elle doit réaliser ce que j’éprouve car elle ajoute :
— Il le fallait, et ça n’a aucune importance.
— Bien sûr. Ensuite ?
— J’ignore encore ce qu’Elsa apportait, mais ce doit être beaucoup plus important que le fusil et ses améliorations. À preuve : Friedrich a organisé une opération pour tenter de retrouver les décombres de l’avion. Il semble disposer de gros moyens. Je l’ai convaincu de m’emmener avec lui.
— Là, tu dépasses la cote d’alerte ! Tu es complètement dingue. Tu sais ce que c’est que la forêt amazonienne ?
— Vaguement ; mais après, je le saurai pour de bon.
— Je te défends d’y aller, petite conne !
— Trop tard : nous partons après-demain.
— Vous y allez comment ?
— Avec un petit zinc qui doit nous poser à Tupinerapa, la dernière piste d’atterrissage, sur la rive du Crocodilo, un affluent de l’Amazone. De là-bas, un hélicoptère nous attendra pour effectuer les repérages. Si nous retrouvons les débris de l’avion, nous reviendrons prendre des pisteurs indigènes et nous nous ferons déposer le plus près possible de la carcasse ; il y a une grosse partie confiée au hasard dans ce plan désespéré.
— Et toi, tu arrives de la rédaction de Libé, en tenue de ville pour affronter les dangers de « l’Enfer Vert » ! Je me fendrais la gueule si je ne claquais pas des dents ! Vous ne partez pas de l’aéroport officiel, je suppose ?
— Tu m’en demandes trop, Friedrich ne m’a pas remis le programme des excursions, comme le ferait une agence de voyages !
— Friedrich, soupiré-je. Tu l’appelles déjà par son prénom, tu me parles de ce type qu’on ne connaissait pas il y a quelques heures comme d’un vieil ami.
— Jaloux ? ricane Marie-Laure !
— Va te faire mettre ! dis-je.
Et je raccroche. Je suis sûr qu’elle va y aller.
Période d’abattement. Fin de nuit nauséeuse. La tortilla trop grasse me reste sur l’estom’ ; elle était juste bonne à huiler le zob de Béru pour des intromissions périlleuses.
Je roupille en pointillé, étant fréquemment interrompu par les pets de Monseigneur-le-Gros, gonflé de petits haricots perfides et pimentés.
J’émerge d’un tunnel enfumé pour répondre à la voix bêlante de César qui m’appelle.
— C’ qu’y a ?
Je soulève ma paupière droite, la moins lourde. C’est suffisant pour découvrir l’Ancêtre, nu sous sa liquette, assis dans un fauteuil, jambes écartées, avec sa petite banane du Pérou abandonnée sur un paquet de peau morte, grisâtre.
Agenouillée devant lui : Maria-Colomba (les deux Églises).
— Antoine, me fait notre sponsor, madame qui est l’urbanité même, se méprend sur mon érection matinale, sans grande signification je le crains, et me propose une pipe. Je ne me fais guère d’illusions, mais sait-on jamais ? il se peut que sa tentative aboutisse, aussi veux-je mettre toutes les chances de mon côté. Pourrais-tu lui demander de se rincer la bouche à l’eau très chaude, ce qui m’a toujours stimulé ? Je souhaiterais également qu’elle me léchât le dessous des testicules en préalable, puis qu’en débutant sa fellation, avec une extrême lenteur, elle introduisît son médium dans mon rectum.
Je traduis scrupuleusement. La grosse pute m’écoute avec la gravité d’un parachutiste enregistrant les ultimes recommandations de son chef de commando avant d’entreprendre une dangereuse opération.
Pendant qu’elle se met à l’œuvre, je vais à la salle de bains pour pipi-douche-rasage.
Sous l’onde tiède, mon cerveau en ébullition cesse de faire de l’autoallumage. En moi, le calme succède à la tempête, dirait Shakespeare. J’adopte la forme de penser d’un expert-comptable penché sur un bilan de fin damné.
Lorsque je reviens dans la chambre, la brave gagneuse amazonienne expectore par la fenêtre des résidus pinulciens de qualité moyenne, voire inférieure.
Pinaud est rayonnant.
— Voilà une professionnelle qui connaît son métier, assure-t-il. Veux-tu l’essayer ? C’est ma tournée !
— Pas pour l’instant, décliné-je. Tu me fais des présents vivants merveilleux, César, mais je préférerais que tu me prêtes cinq mille dollars, je te les rembourserai sur mon prochain bordereau de droits d’auteur.
Il a une particularité irremplaçable, Pinaud : c’est le seul homme qui soit ravi quand on lui demande de l’argent.