Chapitre 4
Tout le peuple minimoy s'est réuni sur la grande place. Les gradins sont pleins et l'on attend avec anxiété l'arrivée du roi. Sélénia est déjà à côté de l'épée royale, prisonnière de la pierre, et en tapote nerveusement le pommeau.
- Chaque seconde perdue, c'est des heures gagnées pour M le maudit ! peste la petite princesse, toujours aussi impatiente.
- Quand tu seras reine, tu pourras toujours changer le protocole, si ça te chante ! réplique Bétamèche, toujours aussi espiègle.
- Ça c'est sûr ! C'est même la première mesure que je prendrai ! On perd un temps fou avec ces protocoles ! A la dernière fête de la sélénielle, le temps que le rituel soit respecté et le discours terminé, toutes les fleurs avaient fané ! explique Sélénia, encore scandalisée par cette mauvaise aventure.
- C'est vrai, c'est un peu long, concède Arthur. Il n'y a pas des cas d'extrême urgence où le protocole pourrait être abrégé ?
- Si, bien sûr ! Mais pour un protocole allégé, il faut passer devant la commission des sages qui se tient tous les quatre pétales, déclare Bétamèche. Elle donne alors un avis qui, s'il est favorable, permet aux dignitaires de voter au lever du soleil.
- Pourquoi sont-ils obligés d'attendre le lever du soleil pour voter ? interroge Arthur.
- Parce que la nuit porte conseil, répond naturellement le petit prince. C'est écrit à la page deux cent deux du grand livre.
- Demander un protocole simplifié prend deux fois plus de temps que de laisser le protocole se dérouler normalement, ajoute Sélénia qui commence à bouillir.
Mais la foule se lève, car les portes du palais s'ouvrent. Les gardes royaux entrent les premiers, d'un pas lent et mesuré. Ils sont suivis par les porteurs de lumière, indispensables à tout protocole. Ils permettent effectivement d'éclaircir les sujets les plus sombres et surtout d'éclairer les marches afin que le souverain ne s'étale pas lamentablement sur la place du village. Miro, la petite taupe, vient à leur suite. Il est la mémoire du village, le savoir des ancêtres. Sans lui, les Minimoys seraient perdus, comme une pendule sans sa petite aiguille. Le roi s'avance enfin, d'un pas mesuré, comme le lui imposent les bons usages et la tradition. C'est vrai que tout ça est un peu lent, mais cela nous laisse, pour une fois, le loisir de bien observer le souverain dans son habit officiel.
Tout d'abord, il paraît excessivement grand par rapport aux autres. Il n'est pas loin du centimètre, ce qui est gigantesque quand on sait que la moyenne nationale chez les Minimoys frise la barre des deux millimètres.
Mais le roi ne s'est pas spécialement gavé de soupe à la sélénielle quand il était petit, il est tout simplement assis sur son fidèle Palmito, un malbak des terres du Sud. Le roi avait sauvé son père de la mort, il y a maintenant fort longtemps. Mais peut-être est-il intéressant d'arrêter un instant cette histoire pour vous en raconter une autre. Celle de la rencontre du malba-mogoth et du souverain qui lui sauva la vie. Cette histoire magnifique est admirablement décrite à la page cent du grand livre minimoy, mais comme il y a peu de chances que vous puissiez feuilleter l'ouvrage dans les jours prochains, je vais vous en résumer l'essentiel.
Il y a fort longtemps, alors que le roi n'était encore qu'un petit prince, le peuple minimoy vivait en Afrique. La vie s'écoulait paisiblement au rythme du soleil et les Minimoys vivaient en harmonie avec les Bogo-Matassalaïs. Les premiers connaissaient tout du monde microscopique, les seconds régnaient en maîtres pacifiques sur les grandes plaines du centre de l'Afrique. À eux deux, ces peuples possédaient donc un savoir qui allait de l'infiniment grand à l'infiniment petit. Chacun avait sa place, chacun était une petite dent sur cette gigantesque roue de la vie.
Le futur roi acceptait complètement sa taille, puisqu'elle n'avait aucune importance. Seul l'ensemble apportait l'harmonie. Grand ou petit, la connaissance était la même. Sauf que voilà, au milieu de cette foule mesurant deux millimètres en moyenne, le futur roi était... petit. Deux millimètres l'auraient parfaitement satisfait, mais il dépassait à peine la barre du millimètre. Il avait beau prendre de la sélénielle en soupe, en gelée, en poudre et en sirop, rien n'y faisait, le futur roi restait petit.
Ses parents étaient incapables de lui fournir une quelconque explication sur ce phénomène. Ils étaient de taille normale depuis des générations et aucun accident, même climatique, n'avait accompagné la grossesse de la reine. Cet état de fait minait considérablement le petit prince. S'il avait été décorateur de racines, cueilleur de graines ou casseur de noisettes, il n'aurait pas eu de problème, mais voilà, le destin l'avait choisi pour être le futur roi et il ne pouvait se résoudre à gouverner un aussi grand royaume en étant si petit. Il imaginait à longueur de journée toutes les mauvaises blagues et quolibets qu'il allait devoir supporter :
- Mon bon roi, nous avons un grand projet à vous soumettre.
Ou bien :
- Nous avons un petit problème que vous seul pouvez résoudre.
Ou encore :
- Ce problème est de la plus haute importance. Il nous faut donc prendre de la hauteur.
Évidemment, le futur roi était encore trop petit, euh... pardon : trop jeune pour comprendre que la tâche qui l'attendait n'avait pas grand-chose, euh... rien à voir avec sa taille et que pour faire un bon roi il faut surtout une tête bien remplie, un cœur bien gonflé et des reins bien solides. Le jeune prince avait déjà toutes ces qualités, mais son obsession pour sa petite taille l'empêchait de voir la réalité en face. Ceci étant, c'est vrai que c'était difficile pour lui de voir la réalité en face puisqu'il était trop petit pour se voir dans les miroirs.
Miro la taupe le voyait une fois par semaine et lui parlait afin de le soulager de ce problème. C'était facile pour Miro puisque lui-même ne mesurait pas plus d'un millimètre.
Le jeune prince vivait donc tant bien que mal ce qu'il prenait alors pour un handicap. Mais un jour, un sale gamin ruina en quelques secondes tous les efforts hebdomadaires de Miro. Ce sale gamin n'était autre que Maltazard. Il était certes beaucoup plus jeune que le prince, mais le dépassait déjà d'une tête. Ce n'est évidemment qu'une expression, car la tête du petit prince était bien remplie, alors que celle de Maltazard résonnait déjà comme une coquille vide.
Le jeune Maltazard s'était un beau matin planté devant son futur roi et lui avait dit :
- Je pense que tu seras un roi très diplomate !
Sur le coup, le jeune prince avait été surpris de ce compliment si soudain. D'abord parce que Maltazard avait la réputation de ne pas penser, il était donc surprenant de l'entendre prononcer une phrase entière, ensuite parce que la notion même de compliment lui était étrangère.
Quoi qu'il en soit, le jeune prince fut touché et se mit à rougir.
- Je te remercie pour ce joli compliment, Maltazard, mais... qu'est-ce qui te fait penser que je serai un bon diplomate ?
Maltazard se mit alors à sourire. Un sourire sadique que l'on arbore seulement quand on est sûr que la victime est bien tombée dans le piège.
- Parce que tu as la taille parfaite pour cirer les pompes !
À peine sa blague lâchée, Maltazard avait été pris d'un fou rire à n'en plus finir. Imaginer une blague comme celle-ci lui avait probablement pris la semaine et avait consommé les trois quarts de ses neurones, il était donc normal qu'il se laisse aller à la joie du vainqueur.
Maltazard riait et riait, à se rouler par terre, à ne plus pouvoir s'arrêter.
Le jeune prince ne s'était jamais senti aussi humilié et il avait immédiatement quitté le village, sans prévenir sa famille, sans laisser derrière lui le moindre mot d'explication. (De toute façon, il aurait été trop petit pour le laisser sur la table.)
Les larmes du futur roi tombaient comme une pluie d'hiver et il décida qu'il marcherait jusqu'à ce que ses yeux n'aient plus de larmes à pleurer. Cela prit trois jours. Il avait traversé les grandes plaines et se trouvait maintenant en lisière d'une épaisse forêt. Epuisé, à bout de forces et vidé de toutes ses larmes, il s'était assoupi sous une racine, dans la douceur d'une mousse bien verte.
Le jeune roi ne s'était jamais autant éloigné de son village et c'était la première fois qu'il voyait des arbres tellement grands qu'ils obstruaient le ciel. Toute la végétation autour de lui était d'ailleurs démesurément grande et accentuait encore son sentiment d'être petit. L'enfant aurait bien volontiers versé encore quelques larmes, mais il n'avait plus rien à pleurer.
La taille des arbres était impressionnante, mais les bruits de la forêt l'étaient davantage. Il y avait là des crissements, des gloussements et des chants qu'il n'avait jamais entendus. Il y avait donc fort à parier qu'une grande diversité d'animaux inconnus se cachaient derrière ces bruits parfois bizarres et il commençait à regretter d'être parti aussi loin de son village, sans prévenir, sans aucune protection et surtout sans avoir pris soin de mémoriser les routes qu'il avait empruntées, car il était non seulement loin, mais aussi totalement perdu. L'inquiétude vint se poser sur son visage.
Certains chants étaient assez mélodieux et même s'il ne parvenait pas à les identifier, il était facile d'imaginer une sorte de rossignol ou de rouge-gorge, tant les sonorités étaient joyeuses. D'autres bruits, par contre, étaient plus inquiétants et il ne faisait aucun doute que l'animal qui poussait ce genre de grognements possédait une formidable collection de canines en tous genres.
Mais le prince était trop petit pour intéresser un fauve, même au régime.
- Au moins ma petite taille me sert à ça ! avait-il chuchoté avec dépit.
Et puis, il y avait ce son persistant qui l'inquiétait plus que tous les autres. Grave et doux à la fois. Impossible de déterminer s'il s'agissait d'un râle ou d'une plainte. L'animal qui gémissait allait ou très bien ou très mal mais, en tout état de cause, n'était pas dans une situation normale.
La curiosité étant plus forte que tout, il se leva et se dirigea vers l'endroit d'où semblait provenir cette plainte qui résonnait maintenant dans toute la forêt. Plus le prince s'en rapprochait et plus il lui paraissait évident que la chose qui gémissait devait horriblement souffrir.
À l'ombre d'une grosse pierre, il découvrit un animal gisant sur le sol. Une épaisse et soyeuse fourrure blanche, des grosses pattes à trois doigts, un front très plat et une mâchoire démesurée qui le rendait impressionnant. Au-dessus de cette belle dentition, il y avait deux petits yeux qui ne traduisaient pas une grande intelligence, mais une profonde gentillesse.
Malgré cette impressionnante mâchoire, le jeune prince s'avança vers l'animal. Il avait entendu parler de cette race particulière, unique en son genre, qu'on appelle les malba-mogoths. Les mogoths étaient au nord et les malbaks au sud. Il s'agissait donc ici d'un mogoth.
Il y avait un vague croquis les représentant, à la page sept cent dix-huit du grand livre, mais maintenant qu'il en voyait un de près, il pouvait affirmer que le dessin était des plus sommaires. Le croquis l'affublait de cornes ridicules, de dents démesurément longues et d'une fourrure rugueuse, cause de son classement dans la famille des porcs-épics.
Rien de tout cela n'était vrai et la fourrure blanche du mogoth était particulièrement soyeuse et agréable. En s'approchant davantage, le jeune prince comprit la raison de cette complainte. L'animal avait la main dans un horrible piège à müls-müls. C'était effectivement son plat préféré et il s'était rué sur le leurre sans même réfléchir. D'ailleurs, même s'il avait réfléchi, il se serait fait quand même avoir puisqu'il était incapable de résister à un bon mül-mül bien dodu.
Le mogoth vit le jeune prince s'avancer vers lui. Ce dernier était tellement fatigué qu'il ne réagit même pas face à ce petit animal parfaitement inconnu de lui. Il se contenta de geindre un peu plus et de garder le reste de son énergie pour respirer.
- Mon pauvre ami, dans quel horrible piège es-tu tombé ?! demanda le prince.
Le mogoth ne parlait évidemment pas la langue minimoy. Le prince comprit assez rapidement le fonctionnement du piège. Il s'agissait d'une sorte de tapette à souris, avec une serrure sur le côté. La clef permettait sans doute au chasseur de libérer sa proie.
Le jeune prince, éduqué dans un esprit de justice et de liberté, ne pouvait davantage supporter cette horrible situation.
- Je vais essayer de te libérer, mais si j'y arrive, promets- moi au moins de ne pas me manger ?! avait demandé l'enfant.
Le mogoth s'était contenté de geindre, ce qui ne renseignait absolument pas sur ses intentions, mais le jeune prince prit le risque. Il jeta un œil dans la serrure. En forçant un peu, il put y pénétrer et ce fut la première fois qu'il loua le ciel de l'avoir fait aussi petit. Une fois à l'intérieur, il étudia le mécanisme du loquet. Rien de bien compliqué. Les machines à miroir utilisées par Miro, et que le futur roi se devait de savoir monter et démonter les yeux fermés, étaient bien plus complexes.
Le jeune enfant poussa trois tiges, tira sur deux fermoirs et ouvrit d'un seul coup le piège. Le mogoth roula aussitôt sur le côté et poussa un râle profond qui, même si on ne parlait pas sa langue, était facile à traduire.
Le jeune prince peina à sortir de la serrure puis vint se mettre face au mogoth.
- Ça va mieux, on dirait ? dit-il non sans fierté.
L'animal hésita, puis laissa un large sourire envahir son
visage. Sa mâchoire était si grande qu'il avait véritablement un sourire jusqu'aux oreilles. Malgré la fatigue, le mogoth parvint à se lever. Debout, l'animal était, trois fois plus grand que le petit prince qui regretta un court instant d'avoir libéré ce mastodonte sans avoir étudié auparavant ses habitudes alimentaires. Mais le mogoth regarda son sauveur avec beaucoup de respect et de gentillesse. L'animal mit sa main blessée sur son cœur et prononça un mot :
- Moh-moh ! dit-il plusieurs fois, comme pour faire comprendre quelque chose.
- Euh... oui... moi c'est Maximilien de Saïmono, prince des Premières Terres ! dit le jeune garçon, sans être vraiment sûr qu'il répondait bien à la demande.
- Ma... ma, dit l'animal en pointant un doigt vers le prince. Mohmoh ! ajouta-t-il en se tapant la poitrine.
- Euh... se faire appeler mama, ce n'est pas digne d'un futur souverain... appelle-moi plutôt papa !
- Pah-pah ! répéta rapidement le mogoth.
- Voilà ! papa-Momo ! précisa le jeune garçon avec le sourire.
- Papa-Momo-papa-Momo-papa-Momo ! chantonna l'animal, en allant de plus en plus vite et en tapant de plus en plus fort sur leur poitrine respective, jusqu'au moment où la grosse patte de Momo finit par envoyer valdinguer le petit prince.
Le mogoth se mit aussitôt les mains sur la tête et poussa un cri de désolation.
- C'est rien, c'est rien ! dit le prince en s'époussetant. Moi aussi ça aurait pu m'arriver, je ne maîtrise pas toujours ma force !
L'animal constata que le petit bonhomme n'avait rien et s'en réjouit.
- Bon ! Je t'ai libéré, tu ne m'as pas mangé, on est quittes ! Je pense qu'il serait maintenant préférable que tu rejoignes ta famille avant qu'elle ne s'inquiète ! lança le roi, qui commençait déjà à trouver encombrant ce nouvel ami, trop volumineux à son goût.
Momo poussa à nouveau un râle, un peu plus triste que d'habitude. Il se retourna et tendit la patte en direction d'un autre piège. Coincés dans les mâchoires d'acier, il y avait deux autres corps inertes, à la fourrure blanche. La famille de Momo n'était pas loin, mais il n'avait aucune envie de les rejoindre.
Maximilien ne savait que dire devant cette funeste découverte. Il eût bien aimé consoler cet orphelin, mais comment prendre dans ses bras une aussi grosse boule de fourrure ? Momo n'attendit pas la réponse et vint caler sa grosse tête plate sous le bras du petit prince qui le consola comme il put. Papa et Momo restèrent comme ça, quelques instants, à se bercer l'un l'autre, au bord de la grande forêt.
- Comment vais-je retrouver mon chemin, moi ? demanda Maximilien d'un ton inquiet.
C'est vrai qu'au village, son absence avait créé la panique et tout le royaume le cherchait maintenant depuis trois jours.
A ces mots, le jeune mogoth se mit à renifler le garçon.
- Arrête, tu me chatouilles ! dit le prince en se tortillant.
Une fois qu'il l'eut entièrement reniflé, le mogoth attrapa le futur roi et le cala sur sa tête, si plate qu'elle avait l'air d'avoir été conçue à cet usage.
Et alors Momo prit en sens inverse le chemin emprunté par le jeune prince qui en conclut, à juste titre, que le mogoth avait un puissant odorat. Trois jours plus tard, alors qu'il s'était assoupi sur la tête du mogoth, Maximilien se retrouvait devant la porte nord du village minimoy. L'heure était matinale et le village était encore tout endormi.
Le mogoth fit quelques pas timides, guidé par son cornac, et il tomba nez à truffe avec le jeune Maltazard, qui ronflait à même le sol, calé entre deux groseilles.
- Maltazard ?! hurla le futur roi du haut de son mogoth.
M se réveilla en sursaut et faillit se dévisser la tête pour apercevoir Maximilien, perché sur son trône.
- Mon cher Maltazard, quand je serai roi, je te nommerai grand chancelier !
- Ah ? Mais... que me vaut cet honneur ? balbutia le jeune guerrier, encore mal réveillé.
- Le chancelier est celui qui, tous les matins, met la couronne sur la tête du roi. Et comme dorénavant je serai assis sur ce mogoth, tu me parais avoir la taille idéale pour exécuter ce travail ! déclara le jeune prince, tel un petit diable. La bonne personne au bon endroit et les gamouls seront bien gardés. Page cent douze du grand livre ! ajouta-t-il avant de faire demi-tour et de rejoindre le palais.
Maximilien se sentit, ce jour-là, aussi fier qu'un coq qui s'est acheté un nouveau réveil. Mais au-delà de cette vengeance personnelle, il avait réalisé quelque chose d'important : la taille d'un Minimoy se mesure à la taille de son cœur et, en conséquence, Maximilien pouvait se vanter d'être grand. Il se fit ce jour-là la promesse solennelle que dès qu'il serait roi, il ferait graver cette magnifique phrase dans le grand livre. Ce qui est aujourd'hui chose faite, à la page quatre cent.
Maximilien a maintenant plus de cinq mille ans et son fidèle Momo n'est plus là pour le porter. C'est son fils qui a pris la relève. Il s'appelle Palmito et ressemble comme deux gouttes d'eau à son papa.
Le roi passe la grande porte, jette un coup d'œil à Miro, salue poliment les dignitaires et les hauts responsables du gouvernement minimoy. Ensuite, le roi s'éclaircit la voix et se lance dans son sempiternel discours d'ouverture.
- Très chers concitoyens, si nous sommes aujourd'hui réunis sur la grande place de notre village, c'est parce que l'heure est grave et...
Sélénia finit la phrase à sa place.
-... et que le temps presse ! Donc merci de votre attention et en route !
La jeune princesse saisit la poignée de l'épée et s'apprête à tirer un grand coup.
- Sélénia ! L'épée ne peut pas sortir comme ça, tu le sais bien ! dit le roi qui ne veut pas chagriner sa fille.[2]
- Les pouvoirs de l'épée n'agissent qu'entre des mains animées de justice ! rappelle Miro, en sage qu'il est.
Mais Sélénia est une princesse et en plus elle est têtue, ce qui lui fait deux bonnes raisons de n'écouter personne. Elle respire à fond puis tire de toutes ses forces. L'épée sort de la pierre, aussi facilement que si elle avait été plantée dans une motte de beurre. Surprise par tant de facilité, elle se retrouve les fesses par terre.
C'est la stupéfaction générale dans les gradins. Même le roi n'en revient pas. Pourtant il aurait dû s'en douter. Sa fille a grandi depuis sa dernière aventure. Elle n'est plus cette petite fille impétueuse et colérique, débordante de vie et de sentiments, prête à décrocher la lune si son honneur le lui commandait. Elle a mûri et sait maintenant lire dans son cœur.
Sélénia regarde l'épée qui est maintenant entre ses mains, tout étonnée de ne pas avoir eu à lutter.
- Le temps doit vraiment presser pour que la déesse de la forêt me laisse ainsi sortir l'épée ! marmonne la princesse que sa déduction inquiète.
- Comment cela est-il possible, mon bon Miro ? s'inquiète le roi.
La vieille taupe hausse légèrement les épaules.
- Je ne veux pas te vexer, mon bon Maximilien, mais c'est vrai que tout ce protocole est parfois bien long et que ton discours est souvent barbant, dit le sage sans détour.
Le roi s'étrangle à moitié. Il n'a pas l'habitude d'être ainsi bousculé, en plein protocole. Mais un bon roi se mesure aussi à sa capacité à réagir. Maximilien regarde sa fille et se racle un peu la gorge :
- Hum ! Et bien... vu les circonstances, je n'ai qu'un mot à dire : en route !