CHAPRISTI

— Pour ma part d’en ce qui me concerne, déclare Béru, y a deux catégories d’animals : ceux qui sont gentils et que je mange, ceux qui sont méchants et que je bute.

Cette démarche ne laissant pas beaucoup de place à la survivance des espèces, je lui en fais la remarque. Il hausse les épaules.

— J’exceptionne le chien, admet-il ; l’existe des braves cadors, fidèles compagnons de l’homme et toutime. S’il a pas trop d’puces, j’l’ tolère ; mais faut non plus qu’y viende me passer sa menteuse su’ la frite ou bien m’engourdir mon sauciflard à l’ail.

Cette converse s’est déclarée dans une impasse de la banlieue nord, impasse au bout de laquelle se trouve un pavillon de parpaings que des propriétaires négligents ou peu fortunés n’ont pas fait crépir. Nous y avons été accueillis par des oies qui, pour ne pas être celles du Capitole, n’en font pas moins un boucan du diable à notre survenance, en outre une saloperie de jars (excusez-moi, Maurice et Jean-Michel que je vénère) qui s’en est pris dare-dare aux gros mollets de Sa Majesté.

Béru pour qui de telles agressions sont intolérables, s’est débarrassé de la teigneuse bête en lui pralinant une bastos dans le caisson. La tronche du jars a éclaté et, mû par la provisoire survivance d’un système nerveux à toute épreuve, l’oiseau s’est sauvé dans un coin d’ombre.

— Non, mais ça va pas, le sac-à-vinasse ! ai-je fulminé.

— Légitime défense ! a répondu le jarsmicide en renfouillant.

Par chance, une route à forte circulation passe derrière le pavillon et la détonation de l’arme s’est perdue dans un brouhaha pétaradeur.

— Tu veux dire légitime défonce ! rectifié-je. Quand je suis passé te prendre, tu étais déjà pété !

— Faut rien eguesagérer ! Juste on a pris quelques pots avec Séraphin Sillon, le maire d’Saint-Locdu-le-Vieux qu’est d’passage à Pantruche !

Les oies continuent de nous houspiller jusqu’à la maison, comme pour lyncher le meurtrier de leur mâle.

La nuit est en train de tomber sur cette banlieue sans grâce qui pue les gaz d’échappement. Une moto 500 cm d’origine japonaise tient compagnie, dans un appentis à une Renault 11 passablement cabossée.

Nous frappons à une porte vitrée munie d’un rideau protecteur. Une voix d’homme travaillée au jaja de manar, lâche :

— Qu’est-ce y vient faire chier ?

Pour répondre à cette angoissante question, une dame nous ouvre. La cinquantaine dévastée par une obésité à laquelle s’ajoute une collection de fibromes. Elle a une gueule de sorcière mafflue, le regard qui se liquéfie sous l’effet de l’alcool, des varices comme du lierre après des troncs et elle pue à vous en faire gerber votre quatre heures.

— C’qu’ v’lez ? demande-t-elle en ponctuant d’un hoquet de gladiadeur.

— Parler avec M. Ernest Chespire.

J’ajoute, d’un ton confidentiel :

— Nous sommes de la police.

— Qu’est-ce qu’il a encore fait, c’t’enculé ? s’interroge-t-elle, et nous en même temps. (Puis, à l’intérieur de la maison :) Neste ! Y a là deux poulets qui te demandent ; t’as encore déconné, grand con ?

— Où t’as pris ça, morue ?

L’organe du père :

— Respec’ ta mère, merdeux, qu’sinon je te beigne la gueule !

Re-voix filiale :

— L’ vieux con qui la ramène ? Fais gaffe que ça ne soye pas moi qui t’en place une au bouc, Dunœud !

Je mets à profit l’indécision maternelle pour faire ce qu’on fait toujours dans un livre, à savoir : pousser complètement la porte et entrer.

Je tombe sur du Zola époque L’Assommoir. De même que le pavillon n’a pas été crépi à l’extérieur, il ne l’est pas non plus à l’intérieur et, franchement, ça fait bizarre, les murs d’une pièce commune en moellons bruts. Quelques lamentables meubles s’inscrivent là-dessus et paraissent accentuer le misérabilisme de l’endroit. Au-dessus d’une table pend une ampoule de cent watts au bout d’un fil.

Les trois membres de cette prestigieuse famille prenaient le repas du soir quand nous nous sommes pointés. Celui-ci se compose de charcutailles sous cellophane acquises dans un supermarket, d’un calandos qui s’abandonne dans sa boîte, d’un pain, d’un kil de rouge. Pour tout couvert : trois couteaux brécheux et trois verres inlavés depuis qu’on les a débarrassés de la moutarde qu’ils contenaient initialement.

Le père est le digne époux de sa femme. Le fils est un rouleur de banlieue : tatouages délirants, boucle d’oreille, T-shirt noir à emmanchures américaines, jean troué, ceinture de cuir large dont la boucle représente un aigle américain (les aigles américains sont sans noblesse et ont l’œil plus con que les aigles européens, comme ceux des Habsbourg, par exemple).

Me voyant avancer, le gars Ernest cale bien ses deux coudes sur la toile cirée et puise une tranche de mortadelle désenchantée dans son papier. Il la roule telle une crêpe et la mange voracement.

— Excusez le dérangement, commencé-je, j’ai à vous parler.

— C’est plus l’heure ! fait-il sèchement et sans me regarder.

Son hostilité alarme sa chère mère.

— Neste, fais pas la mauvaise tête ! conseille Mme Chespire mère.

— Toi, la grosse pourrie, écrase ou je te fais éternuer ton dentier ! lui conseille son fiston.

Ce qui me paraît insolent, non ? Ou j’exagère ? Tu penses que c’est du conformisme de ma part ? Tu sais, j’ai été élevé dans les bonnes manières par mes parents. Ça doit freiner mon intégration dans le style nouveau.

En tout cas, je ne suis pas le seul. Aboutissement d’une lignée paysanne, Béru partage mon point de vue. D’un formidable coup de talon dans les pieds de sa chaise, il envoie l’effronté à dache. Interlocuté, le vilain se redresse, le regard étincelant comme celui de son aigle abdominal.

— Dites, ça va pas la tête ! bégaie-t-il.

Le Mammouth le biche par la nuque comme s’il entendait lui rouler une galoche et le foudroie d’un franc coup de hure dans la poire.

Ernest tombe à quatre pattes, le visage fêlé de partout.

— Vous allez pas un peu fort ? demande le père.

— Non, répond Béru, car je tolérerai jamais qu’un garçon cause d’c’te manière à sa mère d’vant ma présence. Si vot’ sous-merde d’fils vous fait claquer des chailles, moive, y m’impressionne pas.

— Vous y avez fait mal, larmoie la maman.

Ah ! nos mères, nos chères, tendres et incorrigibles mères !

— Pas assez, déclare le Formide.

Il se baisse, saisit le vaurien par son ceinturon et se met à le coltiner comme une valoche.

— Y a une aut’ pièce dans vot’ bouiboui, les vieux, qu’on pusse causer peinards à c’garnement ?

La dabuche indique une porte. Je l’ouvre. C’est celle de LA chambre. Car il n’en existe pas d’autre. Deux lits disposés en quinconce, des planches assemblées en penderies, et puis un indescriptible bordel.

— J’ai pas eu l’temps de faire le ménage, déplore Mme Chespire. Si j’avais su qu’vous viendrez…

— Tracassez-vous pas, la réconforte le Gros, c’est pareil chez moive.

Il jette son « client » sur un lit de fer dont les ignobles draps se teintent illico de sang.

— Maintenant laissez-nous, dis-je à l’infortunée matrone.

— Vous ne le tabasserez plus ?

— Où avez-vous-t-il pris que nous l’eûmes tabassé ! s’écrie un Bérurier effaré. Mais ma pauv’ personne, vous n’avez jamais su c’qu’c’était d’tabasser quéqu’un, j’veuille dire pour d’bon ?

Plus ou moins rassurée, elle se retire.

Mon ami s’assoit sur le second plumard.

— A toive d’jouer, l’grand ! invite-t-il.

Je lui adresse un sourire de gratitude. Pas deux comme lui pour « te préparer » un clille. Je m’accoude au montant sud du lit.

— Ernest, attaqué-je, je vais bien te surprendre ; après ces signes d’énervement, tu vas avoir une vraie grande joie. Je suis convaincu que tu as une foule de vilains péchés sur la conscience. Eh bien, tout flic que je suis, je t’en fais cadeau. Ils ne m’intéressent pas. J’attends simplement de toi la chose la plus bête du monde : un témoignage. Discutons gentiment, en hommes intelligents que nous sommes, toi et moi.

Ça ne l’amuse pas. Il attend.

— Il y a un mois, tu travaillais encore, Nestou. Pour le compte d’un service de messageries rapides à Paris. Tu pilotais une fourgonnette, mais avec tant de fantaisie que tu n’as pas eu moins de huit accidents en quinze jours ; plus deux bagarres ayant nécessité l’intervention de Police-Secours car tu es un sacré teigneux, mon pote. Bien entendu, ton employeur t’a sacqué, et sans indemnités parce qu’il venait de s’apercevoir que tu avais joué du piano dans la caisse. Une chance qu’il n’ait pas porté le pet, sinon, avec le pedigree que tu t’es déjà constitué, t’allais tomber pour un bout de temps, mon drôlet.

« Mais, je te le répète, ce ne sont pas mes oignes, moi je ne fais pas dans le commerce de détail ! J’ai simplement besoin d’un renseignement à propos d’un truc qui ne concerne pas ta vie voyouse. Te rappelles-tu être allé chercher, pendant ta prestation, deux valises blanches, très lourdes, rue François-Mauriac, au 116 ? Pour te rafraîchir la mémoire, tu as embugné un scooter en tournant le coin de la street. »

— O-Kai ! O-Kai ! O-Kai ! O-Kai ! s’empresse-t-il en étanchant sa frite compoteuse, je vois très bien.

— Bravo ! Cette course, poursuis-je, n’a pas été consignée chez ton employeur car tu avais l’amusante particularité de facturer pour ton propre compte les commandes que tu prenais toi-même au téléphone pendant que ton singe allait claper.

Je souris ; il plaide :

— Il me payait des clopinettes, fallait bien que je vive !

— Tu n’es pas à confesse, mon fils, ces petites arnarques ne m’affectent pas. Ce que j’entends apprendre, c’est QUI t’a remis ces deux valdingues et OÙ tu les a livrées ; pas de quoi péter une pendule, tu vois ? Sitôt que tu m’as affranchi, on se casse, le Père Fouettard et moi.

Le don Juan des cités dortoirs opine :

— Je les ai prises chez une vieille femme, rouquine à mort, au rez-de-chaussée de l’immeuble ; elle portait un nom russe.

— Très maquillée, la mémé ?

— Le carnaval de Rio à elle toute seule ! gouaille le titi voyousard.

— Elle t’a réglé la course ?

— Oui, même qu’elle m’a allongé un chouette pourliche ; je m’attendais pas : en général, les vieux sont rats !

— Et les valises, tu les as livrées où ?

— Je les ai portées dans deux consignes de la gare du Nord, les clés étaient jointes au fric.

— Qu’en as-tu fait, une fois les valoches enfermées ?

— Je les ai scotchées sous le bloc téléphonique de la cabine située en face des consignes. Là encore la vieille avait préparé le rouleau de Scotch.

— Ça ne t’a pas paru bizarre, ce bigntz ?

— La Russcoff m’a expliqué que son neveu lui avait demandé de pratiquer de la sorte. Comme elle-même paraissait givrée de la coiffe et qu’elle m’allongeait cinq cents pions, je n’ai pas cherché à comprendre.

— Et donc, tu as fait ce qu’elle te demandait ?

— Affirmatif !

— Autre chose ?

— Je vois pas.

— Quand tu es allé prendre livraison des valdingues, il y avait quelqu’un d’autre chez la vioque ?

— J’ai vu personne. Faut dire que j’ai pas fait long.

— Les valises étaient lourdes ?

— Des vaches !

— C’est toi qui as pris la commande, n’est-ce pas ?

— Vous le savez.

— Qui t’a appelé pour la course, un homme ou une femme ?

— Une femme.

— Quel genre de voix ? Vieille, jeune, avec accent, sans accent ?

— Comment voulez-vous que je me souvienne ? Il y a deux mois de ça et des coups de turlu, on en reçoit des quantités aux Messageries ; ça n’arrête pas !

Qu’est-ce qu’il peut me dire de plus, ce grand glandeur de mes fesses ?

— Tu crois qu’en faisant phosphorer ta gamberge tu te rappellerais les numéros des deux consignes ?

Il se marre :

— Ça oui, c’était le 6 et le 9. Vous pensez : 69 ! Essuyez vos moustaches !

— Eh bien, ce sera tout, mon grand. Si j’ai un conseil à te donner, c’est de soigner ton pedigree pendant quelque temps car l’année prochaine tu risques fort de devoir témoigner en cours d’assises, Ernest.

Ça l’éperde ! Il bafouille :

— Moi ! Témoigner aux assises, et qu’est-ce que je devrai dire ?

— Rien d’autre que ce que tu viens de me raconter, Nestou. De la sorte, ça te fera un petit repérage en attendant le jour où tu y passeras en vedette !

* * *

La nuit, la gare du Nord est belle comme un film de Marcel Carné. Des gens « pas comme les autres » glandouillent en attendant un dernier train, une obole ou je ne sais quoi ni qui… Paris nocturne est une épopée !

Les cabines 6 et 9 sont disponibles.

En deux mois, depuis, les fameuses valises blanches, elles ont sûrement beaucoup servi. Rien à espérer, mais je tenais à les voir, comme ça, parce que je suis flic et que je dois concrétiser les lieux et les protagonistes d’une affaire.

En attendant, le vieux Chilou est toujours hors circuit, à morfondre en m’espérant ; car il compte que son Bayard de service va déployer sa flamberge et se pointer là où il est bouclarès. Béru traîne la grole en maugréant. Toujours le même objet de tourment, ce gros sac : la faim. Heureux, les animaux comme lui qui n’ont dans la vie qu’un unique souci : se sustenter. Ils somnolent, puis partent en chasse ; bouffent et se rendorment. A la saison des amours, ils se reproduisent et vite replongent dans le cycle de la croque.

— Bon, me dit-il, on a fini pour c’soir ou quoi-ce ? J’ai les godasses d’plomb, mec. Ça n’arrête jamais, av’c ta pomme ! Mon pote Sillon, l’maire d’Saint-Locdu-l’-Vieux, m’a apporté une gamzoule de tripes, j’espère qu’ma vacherie d’ femme m’en aura laissé. Elle les raffole, la gueuse ; bâfreuse comm’ j’ la sais, elle peut très bien s’l’êt’ tout enfoncé dans l’ corps. Cinq kilos ! Elle m’a fait l’coup av’c des caillettes l’an passé : douze pièces elle s’a foutues. J’ai cru qu’elle allait en crever, mais ç’a été une fausse joie : une cuillellérée d’ bicarbonade d’ sourde, et é l’était r’quinquée !

Je lui conseille d’aller racler la marmite s’il en est encore temps. Demain sera un autre jour.

Alors à demain, Gros !

* * *

Tu le savais que j’allais refaire mon chemin de croix avant de rentrer ? Le Boléro de Ravel, je joue avec ce putain d’immeuble ! J’y vais, j’y reviens, j’y retourne… Tilali lali lala ta lala.

Pas difficile de s’y garer à cette heure minuitale. Un chouette créneau, pile devant le 116. M’y inscris avec maîtrise. Ça braque bien, pour 2 tonnes 6, ces 600 SL.

Je coupe les gaz et me mets à réfléchir. Sans l’air conditionné, les surfaces vitrées s’embuent sous l’effet de ma respiration. Phénomène de la condensation, je t’expliquerai.

Pourquoi me trouvé-je au pied de l’immeuble, comme au pied du mur ? Parce que c’est ici le siège de l’affaire. Ici que se sont perpétrés des meurtres et autres crimes. Une affaire pas comme mes autres. Plus « policière », je te prie de le remarquer. Avec des connotations gaga-christiennes.

J’ai, sur le faux siège arrière de mon bolide, l’album chouravé dans le coffiot de maître Flatulence-Alaïe. S’est-il aperçu de sa disparition, le cher maître ? Peu probable : on ne passe pas sa vie à déponner son coffre, à moins d’être Harpagon. Sa gueule lorsqu’il constatera qu’on le lui a secoué !

Je m’en empare et actionne la loupiote liseuse de cartes. Je t’ai cachotté jusqu’à présent, attendant d’être tranquille, mais je puis bien te dire que ce recueil de photos est consacré à Thérèse Genitrix-Desqueyroux, plus exactement à ses « coups de chaleur ».

Tudieu, le bel ouvrage porno que ça donnerait, pour peu que je l’assortisse de légendes appropriées ! Un vrai documentaire sur l’académie de la comédienne : sa chatte en gros plan, calme sous sa frisure, puis la même, lèvres inférieures ouvertes sur un bâillement du bas-ventre avant-coureur. Le reste se déroule selon la logique d’un débridement érotique. On la voit pomper un paf, l’agiter avant de s’en servir, se le carrer tour à tour dans la moniche et le cercle vicieux. Le prendre en dessus, en dessous, à cheval, au trot anglais, au galop cosaque. On passe ensuite à des prestations plus poussées, avec des partenaires multiples, impétueux, et généralement bien membrés.

Je reconnais Charly Genous, l’enculeur professionnel, maître Flatulence-Alaïe en personne (la bite médiocre), d’autres messieurs inconnus de moi avec des verges vengeresses et des perversités plus ou moins classiques. Une compagnie de bouffeurs, sodomites, baiseurs multipositionnaires, branleurs à quatre mains, caresseurs subtils.

Outre les partenaires masc., il y a des partenaires fém. Moins nombreuses, ces dernières, mais véhémentes de la menteuse. Je reconnais parmi ces dames, les couturières du cinquième ; ce qui prouve bien que les habitants de cette maison entretenaient effectivement, comme ils se plaisent à en convenir, d’excellentes relations (y compris sexuelles). Le gars maître est un gros goret qui a patiemment conservé le témoignage des « coups de chaleur » de Thérèse. Dans quelle intention ? Simple complaisance cochonne ? Ou bien preuves de la « frivolité excessive » de sa voisine ?

Et ma pomme, une question pertine dans ma caboche : « Ces clichés, qui les a pris ? »

Du coup, une réponse logiste dans ma même caboche (peut-être légèrement plus à droite que la question au niveau du bulbe) : « La Miss Fleur-de-mai ! »

Qui d’autre qu’elle se trouvait toujours à pied d’œuvre au cours de ces messes de la luxure ? A-t-elle photographié les délirades stupéfiantes de la gentille Genitrix-Desqueyroux sans qu’elle le susse, ou délibérément ? En tout cas, elle était en cheville avec l’avocat puisque c’est lui le détenteur du « documentaire ».

Une ombre tapote ma vitre opaque, je la baisse électriquement pour me mettre en contact avec Toinet, lequel est encore en compagnie de sa petite Pakistanaise.

— Je raccompagnais Murielle, me dit-il, quand j’ai reconnu ta tire. Qu’est-ce que tu fiches ici, tu attends du monde ?

— Je viens méditer, réponds-je.

— A quel propos ?

— François Mauriac.

— Tu ne trouves pas que son fils Claude a davantage de talent que lui ?

— Si, fais-je, ravi de constater qu’il connaît l’œuvre de Claude Mauriac.

Mais il ne faut pas le dire, ça lui ferait de la peine ; contrairement à ce qu’on peut imaginer, les fils qui embrassent la carrière de leurs pères ont horreur qu’on les trouve supérieurs à ces derniers. Le jour où j’ai dit à Claude Brasseur que je le préférais à Pierre, il a failli me foutre sur la gueule.

Toinet demande :

— Tu me rentres à la casa ?

Yes, bachelier.

Il entraîne Murielle dans un coin sombre pour les hyper-pelles de l’au revoir. Sans charre, il pourrait vraiment être mon fils, ce garçon ! Ses adieux accomplis, il vient s’installer à mon côté pour que je fouette cocher ; mais une force grise comme un goût de bile me retient.

— Qu’est-ce qui te charançonne la coiffe ? murmure mon adopté.

— Un mystère que je ne puis élucider avant demain, Toinoche.

Je lui raconte notre « interview » d’Ernest, le fugace messager.

— Il assure avoir pris les fameuses valises blanches chez la vieille Russe du bas. Et ce doit être exact car il ne pouvait pas inventer ce personnage.

— Faut interroger la bonne femme.

— Je vais me gêner ! Mais pas avant demain : il est une heure quinze !

Il ricane :

— Tu sais bien que tu ne vas pas attendre, grand. A preuve, tu es là ! T’es pas venu poireauter ici pour du beurre. Je te connais.

— Mais elle va rameuter les foules !

— Penses-tu : si elle est russe, la fantaisie, elle aime !

Il réfléchit.

— Tu sais pas, Antoine ? Avant de te pointer, tu devrais faire mettre son bigo sur écoutes.

— Ah oui ?

— Réfléchis. Si cette douairière est compromise dans ton truc, après ta visite tardive, elle n’aura rien de plus pressé que d’affranchir ses éventuels complices.

Je me tourne vers ce bel adolescent tout en fossettes. En voilà un qui va se faire bouffer par les gonzesses, je te l’annonce, et de bas en haut !

— Tu sais que tu as des dons, Toinet ?

— Je me crève le cul à te le dire ! rétorque-t-il modestement.

Pendant que « je prends les dispositions » préconisées par « mon fils », celui-ci me met l’extrémité de ses doigts sous le nez.

— Respire ! m’ordonne-t-il. Les parfums de l’Arabie, grand ! J’adore les chattes qui sentent bon, pas toi ?

— Si, lui réponds-je. C’est de famille !

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