Lecteur !
Ô mon lecteur !
Mon lecteur patient, mon lecteur égrotant, laminé, souffreteux, meurtri, chiasseux, morbide.
Ô mon lecteur !
Mon lecteur inculte, mon lecteur présomptueux, désemparé, variqueux, redondant, boulimique, foireux, endoctriné, endocrinien, masochiste, constipé, lugubre, inconstant, inconsistant, incontinent.
Ô mon lecteur !
Mon lecteur en rires et en larmes. Mon lecteur qui-s’en-va-tout-seul ! Mon lecteur de misère, de fausse gloire. Mon lecteur à mobylette, en Mercedes (Benz), à pied, à pied d’œuvre, désœuvré, fuyard, mais qui sait mourir pour quarante sous !
Lecteur d’amour et de gueuserie ; enfileur de perles et de sa femme ; mourant de vivre ; chiant en froc ; priant bas ; criant la soif ; pleurant sans cesse.
Lecteur que j’ai épousé il y a lurette et qui me meurt doucement contre, comme le mur est compissé par le chien. Lecteur avide, à vide, lecteur impitoyable qui toujours renaît de ses sens. Lecteur qui me transmet ses descendants pour que je leur donne à eux aussi des cours particuliers d’insolence et de charité. Des cours d’amour. Des cours de baise. Des cours de larmes et de sanglots.
Lecteur que je vois dans ma glace.
Lecteur de si longtemps et de pour toujours, je vais, pour la première fois de ma carrière échevelante, perpétrer de la nouveauté. Puisqu’en premier chapitre de cet ouvrage de bon gré mal gré, je place le dernier du précédent[1], pour qu’ainsi la chaîne soit inrompue et que, de la sorte, les deux livres se suivent et ne se ressemblent pas.