RECHAPITRE

Le ministre est assis à son burlingue, les mains croisées. Il a l’air d’un gros bulldog qui fait semblant d’être méchant.

Il me dit, avec un accent qui balance des bouffées d’ail :

— Môssieur le directeur, je vous félicite. Son Excellence, l’ambassadeur d’Israël va arriver dans vingt minutes pour joindre ses compliments aux miens ; il paraît qu’on parle de donner votre nom à une rue de Tel-Aviv !

Il ricane :

— La gloire, non ?

Je sens du persiflage à travers l’ail.

— Les honneurs ne sont que des hochets, répliqué-je.

Le ministre reprend, de sa voix lourde et martelée qui fait penser à un égoutier en train de se déplacer, bottes aux pieds dans son obscur empire :

— Dites-moi, mon cher, qu’est-ce qui vous a valu votre promotion en qualité de directeur de la Police ?

L’attaque !

Je lui souris :

— L’homme étant imbu de lui-même, je m’imaginais que je la devais à mes seuls mérites, monsieur le ministre. Mais si elle vous semble injustifiée, je tiens ma démission à votre disposition.

Il plisse son groin pour « Guignols » de Canal +.

— Ne prenez pas la mouche, mon cher. Vous le savez, j’ai mon franc-parler.

— Qui donc l’ignorerait, monsieur le ministre ?

Il hoche sa forte tête et une expression ricaneuse éclaire d’une fausse joie son lourd visage de bûcheron de la politique.

— Le président de la République aurait des faiblesses pour vous, crois-je savoir ?

— Tous les monarques ont de l’indulgence pour les bouffons.

— Parce que vous en êtes un ?

— Disons que ma désinvolture peut le faire croire.

— Môssieur San-Antonio, savez-vous que vous n’êtes pas à votre place, actuellement ?

— Je me le dis parfois avec assez peu de verve, conviens-je.

— Et savez-vous pourquoi ? Parce que vos mérites, dont vous venez de parler, sont trop grands. Vous êtes un homme d’action, mon cher, et vous le prouvez abondamment ; un héros moderne sans cesse en train de guerroyer et dont le cul n’est pas à sa place dans un fauteuil pivotant. Bayard n’aurait pas pu être Richelieu.

— Conclusion, je démissionne ?

— Conclusion, je vous décharge de vos actuelles fonctions pour vous en confier d’autres qui conviendront bien mieux à votre tempérament.

— Intéressant, et de quoi s’agit-il, monsieur le ministre ?

— De fonder un corps spécial de police.

— Parallèle ? Comme l’était le S.A.C. ? Une section spéciale placée sous votre contrôle et qui fonctionnerait avec des fonds secrets ? Une légion romaine prête à toutes les actions ? Non, merci, monsieur le ministre !

— Ce que vous êtes soupe au lait, monsieur San-Antonio ! Vous avez une piètre opinion de moi. Il n’y a rien de secret dans mon projet, rien de « parallèle » comme vous le dites et je vous fous mon billet qu’il aura l’approbation de votre cher président.

— Mon président est également le vôtre, monsieur le ministre.

— Mais oui, mais oui, mais bien sûr. Ce que je veux fonder, c’est une vaste brigade que vous dirigeriez. Elle ne s’occuperait que des « cas » particuliers, du genre de celui que vous venez de régler. Elle échapperait à la pesanteur administrative, jouirait de prérogatives particulières. L’époque est terriblement dangereuse, monsieur San-Antonio, elle a besoin d’une force de frappe capable d’intervenir vite et fermement. Vous êtes l’homme d’une telle réalisation.

— Il faut que je réfléchisse.

— Naturellement. Prenez tout votre temps et donnez-moi votre réponse ce soir, au cours d’un dîner discret dans un endroit qui le sera aussi.

Diable de bonhomme. Un cas ! Il y a en lui une détermination, une volonté sans compromis que je reconnais.

— D’accord, monsieur le ministre.

— Voyons, monsieur San-Antonio, on ne va pas se livrer à un bras de fer pour vous obliger d’accepter une chose dont vous avez toujours rêvé en secret !

Il éclate d’un rire de marchand de bestiaux venant d’acheter à bas prix tous les bourrins de la garde républicaine.

— Donnez-moi un conseil, mon bon ; qui prendre pour vous succéder ?

— Celui qui m’a précédé, monsieur le ministre ; il était idéal pour tenir ce poste.

— Mais il est à la retraite !

— Il ne demande probablement qu’à rempiler.

— Il est vieux ! objecte encore le ministre.

Je hausse les épaules :

— Sans doute, mais il ne demande qu’à rajeunir !

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