DÉGUEULASSITRE X

C’est une bouffée d’air, Béru.

Pas pur, mais tonifiant tout de même. Lui, ce qu’il possède des alpages, c’est le fumet de leurs étables et des pinceaux des bergers.

On s’effondre sur une ravissante moleskine beige clair dans le bar de M. Bouze (c’est écrit sur la lourde : Bar Bouze). On picole un peu pour se refaire une tendresse, Alexandrovitch et moi. Débit de boissons deviendra grand pourvu que Béru lui prête vie. Il me narre ses débuts de vacances, dont déjà il m’avait résumé l’essentiel : à savoir qu’elles le font tarter. Il ne tient que par la table, le Gros, dans ces cas de langueur existentielle. S’y raccroche comme Géricault au rade haut de la Méduse. Manger devient son unique évasion, sa philosophie de secours. Il se serait bien embourbé la cousine Lemmuré, manière de lui épousseter les toiles d’araignée, à cette haridelle, mais franchement, elle est trop blette et confite ; il voudrait pas minoucher une nière qui réciterait son chapelet en cours de disco mutin, l’Artiste. Catholique, il est, indélébilement ; il peut pas se permettre le risque d’être excommunié pour une tyrolienne à glotte circonscrite, si ?

Quand il a fini de doléer, je lui narre ma petite affaire. Et alors, tu le verrais reprendre du poil de l’ablette, Messire ! La manière qu’il pavoise des fanaux, le bon Ogre. Et salive de plaisir ! Tant il salive que son calcif détrempe, c’est dire !

Il préfère ça aux Lettres de mon moulin. Et pourtant c’est charminge, les Letters front my mill, frais et pinson en diantre diable, non ?

— M’est avis, dit-il, qu’il se passe du tout moche dans c’t’ estation baleinière, et qu’ t’es pas au bout de tes peines, mon Grand. Il est temps qu’ j’ vinsse en renforcement. Ton gus à la veste blanche te drive en barlu. Le gonzier qu’a gerbé de l’hôtel est un drôle de pélican, et tu t’es fait chambrer par la mignonne d’la plage. Comme j’ai un cerveau tout frais, hors surmenage, pimpant neuf et en parfait étalon d’marche, m’ vient une idée qui risque d’te r’donner l’ beau rôle.

— Laquelle, mon Gros ?

Il vide son verre pour se lubrifier la menteuse, ensuite de quoi il me chuchote une combine d’à sa façon, pas glandularde le moins. Tellement choucarde, même, que je m’abonne dans son sens, comme il dit.

Là-dessus, nos accords étant pris, nos montres réglées comme : du papier à musique, une horloge de précision, une dame en bonne santé ; je nous sépare pour aller préparer la réception du prince Charles.

* * *

En v’là un, il marche pas à côté de ses pompes, espère ! D’ailleurs, il s’écraserait les orteils vu la dimension de ses tatanes. Sa dégaine princière lui permettra jamais d’entrer dans le marcher commun, car il a le marcher trop aristocratique, lent et mesuré, pareil à celui d’un garde royal en train d’essuyer un étron collé à sa semelle.

Il descend de son avion, escorté de deux ou trois Anglais habillés en Britanniques, le cheveu plat, un sourire surgelé en bouche. Il fait un petit geste de la main, comme quand tu effaces la buée de ton pare-brise, afin de saluer l’assistance qui clairsème à tout vent (elle se compose essentiellement de la Rousse).

Des officiels s’empressent. Il leur serre la louche. Quelques rapides palabres et le voici engouffré dans une tomobile noire, en compagnie de trois autres pèlerins. Une bagnole de bourdilles, banalisée (pour les bourdilles y a pas besoin ; ils le sont de naissance) se met à lui filer le train. Maigrichon cortège, mais quoi : il n’est que prince et le restera longtemps encore, je gage, bien que sa maman soit en pleine méno. Et son voyage n’a rien d’officiel. Il vient voir sauter des canassons, ça n’est pas vital pour le devenir de la Grande Albion.

Ma pomme se met à suivre les deux véhicules, de loin. De très loin, nonchalamment, un coude à la portière, ma radio bieurlant à pleine vibure, façon touriste en maraude.

Il fait beau, de plus en plus beau…

Et pourtant, je suis étreint par un vilain pressentiment. Il me semble qu’un chaudron d’huile bouillante est posé en équilibre quelque part sur une porte inconnue ; et que je vais pousser cette porte, à un moment ou à un autre.

Là-bas, la voiture princière accélère brusquement. Surpris, je regarde, et que vois-je ? Des petits nuages caractéristiques qui moutonnent à droite de la chaussée. On a défouraillé sur le Prince !

Dis donc, on ne perd pas de temps pour lui faire sa fête à cézigue ! Je donne un coup de sauce pour me ruer sur les lieux de la mitraillade. Et qu’aspers-je ? Tu donnes ta langue ?

Une baraque foraine. Enseigne ? « Au champion de l’Atlas. » Tartarin, propriétaire. Elle figure parmi un groupe de manèges mélancos qui tourniquent au son d’une musique rouillée, pour seulement deux ou trois mômes.

C’est de cette baraque qu’on a praliné Sa future Majesté Bricabrique. Une auto sport démarre déjà, dont il m’est impossible de repérer la plaque ralogique. Qu’elle est déjà à l’autre extrémité de l’esplanade, cette véloce bagnole. Crème, elle est. Capote noire. Tout ce qu’il m’est accordé de déterminer.

Personne à la baraque foraine. C’est pas l’heure de fonctionnement. On a carbonisé le cadenas pour l’ouvrir. Astucieux. De ce point clé, le ou les tireurs pouvaient guigner l’arrivée du prince sans attirer l’attention. Des gonziers à fusil, devant un stand, c’est aussi normal qu’une blennorragie dans la culotte d’un séminariste.

J’interpelle (à gâteau) deux bambinos qui glandouillent à portée.

— Hé, les mômes, vous avez vu les gens qui viennent de tirer ?

L’un deux acquiesce.

— Oui, on les a vus. Ils avaient des gros fusils. Ils ont fait des cartons. Et puis ensuite ils ont tiré dans la rue.

— Comment étaient-ils ?

Ils se mettent à jacter en même temps, et avec volubilis, comme dit Bérurier. Les mouflets, si tu leur prêtes l’oreille, ils s’hâtent de la remplir. De leur babillage tumultueux, il ressort que les tireurs étaient deux, qu’ils portaient des vestes de cuir, qu’ils étaient grands (mais vus par des chiares, ça ne signifie rien) et qu’ils s’exprimaient en langue étrangère.

Je laisse mes témoins en culottes brèves pour aller plus loin voir si le prince y est.

Il n’y est plus. Les deux voitures ont poursuivi leur route. Y a-t-il du bobo ? Je le saurai plus tard. Donc, je bombe jusqu’au Prieuré Palace. Là, j’avise un rassemblement de minime importance autour de la tire ex-princière[20]. Les poulets examinent les points d’impact des balles dans la carrosserie. Ils branlent ce que tu sais en échangeant ce qu’ils ont à leur disposition : à savoir des considérations. Certains le font en anglais vu qu’ils sont anglais, et d’autres en français puisqu’ils sont français, et, moi je te dis une chose : connaissant la vie comme je la pratique, ils discutailleraient aussi bien en espagnol s’ils étaient guatémaltèques.

Je frime la guinde et alors, quelque chose me surprentissime, car j’ai une sagacité exceptionnelle. Françoise Xénakis, ma gentille, a beau prétendre que je ressemble à un officier aviateur qui n’aurait jamais volé, île n’en pêche que pour visionner au premier regard ce qui cloche dans un attentat contre le prince Charles d’Angleterre, tu ne trouveras jamais mieux que bibi, ou alors ce sera beaucoup plus cher et encombrant, sans compter que ça risquerait de se casser pendant le transport.

Le quelque chose auquel j’allusionne réside dans le fait que la volée de balles : au moins sept ou huit, ont frappé le bas de caisse de la brouette. Et moi, des tireurs d’élite qui attentent à la vie du passager d’une chignole en défouraillant à vingt centimètres du sol, je prétends qu’ils ont plutôt peur que ledit ne s’enrhume. Même quand tu plombes à la volée, et surtout si tu es professionnel, tu défourailles à la bonne hauteur. Quand le cher Bastien a voulu scrafer l’autre Charles, il l’a raté parce que Dieu protégeait ce dernier, mais uniquement. Sinon les quetsches se trouvaient bel et bien là où elles avaient le plus de chance d’enveuvasser la France. Et quand on a rendu la pareille au Bastien, c’est pas dans ses patounes que les gaziers du peloton lui ont balancé le potage ! Qu’une balle perdue se loge un peu bas, certes. Mais que l’essaim se situe au ras du plancher, nenni. Si bien que je suis prêt à te parier une bande de comtes contre une bande Velpeau, voire un comte courant, contre un compte bancaire, ou encore un vicomte contre un compte à rebours, oui, prêt, que cet attentat est bidon.

Dans quel obus ? Ministère et bulldog ![21] Décidément, cette histoire est inextricable, et pour l’extriquer, va falloir fourbir mes méninges. Pas chialer l’huile de matière grise. Employer l’extrait d’extrait d’encéphale, moi je t’annonce.

Je pénètre dans l’hôtel. Le Vieux est au bar, en compagnie du duc de Réchetague, du vicomte de Braz-Gelone, du comte de Mont-Técristau, membres du comité hippique, organisateurs distingués, qu'il connaît bien, Achille, tu penses, ce vieux con, dès qu’il y en a de plus vieux, plus cons et plus huppés que lui quelque part, s'il leur saute dessus, ce bol de bouillon ! Qu’on peut bien trucider mille fois le prince, l’écarteler dans le sens de la longueur et lui enfoncer une minicassette de Julien Sardou ou d’Ernestine Dalida dans le prose, le comment qu’il s’en tamponne, du moment qu’il a trouvé à qui palabrer et rond-de-jamber. Le snobisme, c’est la plaie de nos dernières civilisations. Vivement tes prochaines, qu’on gambade enfin dans le naturel et la simplicité, merde ! Moi, je dis ! Et je dis toujours conformément à mon avis, sache-le ; suce-le aussi, par la même occase.

Le Vioque, me trouvant pas suffisamment Jockey Club de manières, feint de ne pas me voir, histoire de me décourager l’approche, ce que voyant, je me rabats vers le bureau du directeur, homme aimable s’il en fut, comme on disait au temps de Hugues Capet et de sa belle-sœur (la grande : celle qui avait un slip propre et l’heure d’été à son cadran solaire).

L’ai déjà vu, le gentil dirlo et sa non moins gentille dame. Avons bavardé de l’appui et du turbotin. Un gars efficace. J’aime les gens efficaces parce qu’ils me reposent en accomplissant à mon profit une foule de trucs que je ne ferais jamais sans eux.

— Où est le prince ? je leur m’enquiers.

— Dans ses appartements, il vient de commander un repas pour lui et son secrétaire.

— Il est indispensable que je le leur serve, dis-je, avez-vous une tenue de maître d’hôtel à me prêter ?

Les gentils dirluches se regardent sans enthousiasme, comme si je leur proposais d’organiser une partouze dans le grand salon de leur crémerie.

— Il y va de la sécurité de Charles Windsor, renchéris-je. Vous n’êtes pas sans savoir que sa vie est sérieusement menacée ?

Ce dernier argument est décisif.

Et c’est pourquoi…

Douze minutes plus tard…

PETIT FILM MUET
TOURNÉ EN ACCÉLÉRÉ
POUR DONNER LA SENSATION
DU CINÉMA DE L’ÉPOOUE
CHARLOT

Un étrange équipage s’arrête devant la double porte portant le numéro 108. Il se compose : d’un maître d’hôtel en habit, d’un garçon en veste blanche et gants blancs, poussant une table roulante aux rallonges abaissées, d’un sommelier en gilet noir. D’un jeune serveur probablement homosexuel dans le civil, coltinant un immense plateau d’argent surchargé de plats également d’argent.


LE MAÎTRE D’HÔTEL

(à ses péones) :

Parés, les mecs ?


Acquiescement général.

Le maître d’hôtel toque à la lourde.

Bruit de l’index replié sur le panneau de bois.

LE SOMMELIER (bas) :

Y a une sonnette !


LE MAITRE d’HOTEL :

J’ai pas fait gaffe !


UNE VOIX : (off) Come in !


Le maître d’hôtel ouvre et pénètre dans la suite royale, transformée en suite simplement princière à cause de ce grand connard[22].

Une petite antichambre avec des gravures anciennes et anglaises à la fois. Une porte à droite donne sur la salle de bains. Un petit couloir accède à deux chambres. Face à l’entrée, une double porte donnant sur le livinge-rome (en anglais dans le tesque). On aperçoit le prince Charles dans un fauteuil, en bras de chemise car il n’est pas fier et porte une chemise ; ayant son secrétaire sur les genoux, lequel lui roule une galoche[23].

Le prince Charles a ceci de commun avec Napoléon Pommier, que tant ses aïeux tourmentèrent, c’est de fourrer sa main par l’échancrure d’un vêtement. Le Corse aux cheveux plats mettait la sienne dans son gilet, le futur monarque glisse la sienne dans le grimpant de son secrétaire.

Notre venue boustifailleuse met un terme (comme disait ma concierge) aux lutineries de ces messieurs.

Nous les servons (mes coéquipiers du moins, car bibi moi-même, fils unique et préféré de Félicie sa brave femme de mère, se met à inventorier les lieux avec célérité et discrétion bien entendu, l’un n’allant pas sans l’autre) en grandes pompes.

Ils commencent par une salade de langouste, arrosée d’un muscadet sur lie bien frappé (avant d’entrer).

Je feins de vaquer pour visiter les chambres agaçantes. Rapide inspection. Bombe ? Que non point. Ou alors subtilement dissimulée.

J’ai une méthode d’investigation très particulière. Au lieu de fouinasser en trombe, je m’assois au milieu de la pièce et j’examine tout, centimètre par centimètre ; quand une hésitation me prend, je me lève afin d’aller vérifier, puis je reviens poser mes fesses sur la chaise et je continue en pivotant.

J’achève l’inspection de la chambre number two quand mes acolytes (devins) m’hèlent sans précautions préséantes.

— Hé ! Chef ! Venez vite !

Je retourne au salon.

Là, un spectacle : ahurissant, terrifiant, inouï, incroyable, stupéfiant, épouvantable, démoniaque, dantesque, ferrugineux, électrocutant, clownesque, impressionnant, décathlonesque, prépondérant, shakespearien[24] m’attend.

Et m’attend patiemment, puisque, tu l’as déjà compris, avec ton sens charogno-divinatoire proverbial, il s’agit de macchabées.

Le prince Charles, oui, mon vieux !

Et son accessoiriste.

Pouf patapoum ! Un doublé ! L’un comme l’autre le nez dans sa langouste en salade. Il n’y a plus de numéro à l’abonné que vous avez demandé, comme disait mon cher Pierre Dac ! Pas raides, mais en train de le devenir. Charly et son manutentionné clamsés. Poison ! Que de crimes on a pu commettre en ton nom ! J’en flageole de détresse ! Moi, Santonio, le fameux, le disert, le brave, l’orgueil de la Rousse et du Larousse et des rousses (qui ne puent pas trop, car je suis allergique aux senteurs de ménagerie) et de la Croix-Rousse[25], et des rouscailleurs, et des roussins, roussettes, rousserolles (cui cui) ; moi, Sang et eau, santos du Tonio, Santonio ni trompette, moi qui ne recule que pour prendre mon élan ; moi le madré, le futé, l’inculqueur de mouches, moi qui possède un empan de 28 centimètres (Cherche empan sur le dico, mais c’est pas ce que tu espères), moi, le redresseur de Thor[26] moi, donc, j’ai de mon propre chef véhiculé la saumâtre, la nocive, l’irrémédiable potion maléfique qui vient de faire tomber de son illustre arbre généalogique l’héritier de la Couronne Britannique, la seule qui demeurât en or véritable.

Moi, le conjureur de dangers, j’ai, sous ma pleine et entière responsabilité, coltiné le cyanure (ou tout autre produit farceur) jusqu’aux lèvres princières. Ah ! que le lion des armoiries britiches me dévore les trois ou quatre testicules qui, visibles et cachés, m’animent ! Qu’il me dépèce et se dépêche, ce ridicule fauve pour paquets de bonbons, dressé sur ses pattes antérieures, la queue droite, montrant sa langue au docteur Watson, tandis que son lionceau, debout sur la couronne, couronné lui-même, crée la notion d’infini si plus richement démontrée cependant par La Vache qui rit. Dieu et mon Droit, ces nœuds ! Comme s’il y avait Dieu ET autre chose. Et puis, dis : t’as vu leur Droit, au British Museum ? Il est pas possible de visiter l’Egypte sans commencer par le British Pillardium. Au Caire, ne reste que les restes ! La caserne d’Ali-Baba, le British Recelium ! Qu’ils n’y aient pas amené les Pyramides, le Sphinx, la Vallée des Kings et tout le chenil me déconcerte. Fallait pas qu’y s’ gênent du temps qu’ils se trouvaient à pied de chef-d’œuvre, les bons Rosbifs. Ah ! malgré qu’ils fassent l’élevage des fantômes, ils ne sont pas superstitieux, espère !

Me voici donc déshonoré devant ce cadavre encore plus con mort que vivant[27] puisqu’ayant le nez dans une salade de langouste (miam-miam !).

Loin de conjurer, j’ai aidé à l’accomplissement du meurtre. Complice involontaire, certes, mais complice tout de même ! Quelle histoire ! Elle sent la mer quand on a oublié de changer l’eau pendant plus de huit jours ! Elle désastrise ma carrière ! Moi, l’Antonio-roi ! En arriver là ! Comment ai-je pu encourir (à perdre haleine) un tel camouflet ?

Les serveurs se sont reculés jusqu’au mur, comme s’ils s’attendaient (et se résignaient) à être fusillés sur place, séance tenante et in extenso.

Leur immobilité me donne l’idée de leur intimer un « Que personne ne bouge » qui pétrifierait un incendie de forêt.

Je m’approche des deux défunts pour humer leur rata. Une odeur d’amande amère s’en dégage que mon sens olfactif détecte sans tu sais quoi ? Pourquoi coup férir ? Y a pas que coup férir qui s’adapte à la circonstance, non, je voyais plus simple, plus banal ; difficulté, par exemple. Donc : que mon sens olfactif détecte sans difficulté. Moi, un homme de nez, c’est connu. Te prouver l’ à quel point : lorsque le Premier Ministre cause à la tévé, je peux te dire s’il a bouffé de l’ail.

— Il aurait peut-être mieux valu renifler avant de les servir ? suggère le sommelier, ce petit monstre, quel toupet ! Non, mais…

Au lieu de répondre vertement, ce qui serait de circonstance vu la couleur qu’adoptent les deux morts, je dégoupille le téléphone pour héler le Vieux.

Toujours au bar, le Vénérable. A palabrer avec la Noblesse ou le Clergé, bisouiller des dos de main de vieillardes farineuses, déguster des bloodies-Mary en clappant élégamment de la menteuse, comme notre Président entre deux phrases.

— Écoutez, San-Antonio, me lance-t-il d’un ton irrité, je suis présentement en conversation avec le baron de Lévy-Rosemberg, et…

— Je le sodomise, votre baron ! aboyé-je ; amenez-vous dare-dare chez le Prince.

— Quouhâââ ?

J’ai déjà raccroché.

Les trois employés de l’hôtel commencent à se fatiguer de leur immobilité.

— Et à présent, qu’est-ce qui va se passer ? s’enquiert le loufiat, on attend d’être guillotinés ou on se fait couler un bain ?

— Vous fermez vos trois gueules comme si elles étaient soudées à l’arc ! tonné-je, je veux que votre silence soit aussi beau que du Vivaldi !

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