FINITRE XXI

Bon, où en étais-je-t il ?

Ah ! oui : poum !

Et même badaboum !

Surboum !

Je te répète ; les tympans nous en saignent (pire que des instituteurs). Les portées de musique se distordent comme des rails dynamités. Apocalypse neuf !

Quand les pensées te raffinent, tu te demandes si un Boeing 747 vient pas de se planter sur l’institut.

Je me précipite à l’extérieur.

Et moi, intelligent au point indicible, d’une œillée je comprends : la 3 CV était piégée. Une minuterie la déclenchait ; si on retenait Isa trop longtemps, c’était le krach. Voilà pourquoi la péronnelle rouge pavanait et annonçait des désastres très extrêmes.

Tu parles qu’elle a gagné le Nobel de l’explosif (justement, ce con qui a inventé la dynamite) : la moitié du bâtiment du bout a rendu l’âme. Y a une brèche gigantesque dans la façade. Et ça se met à cramer vilain. On entend des grands cris lamentables. Des gens en tenue de nuit surgissent, qui se précipitent sur l’esplanade avec des cris d’orfèvre. Des hommes, des femmes, infirmiers, infirmières, malades, tout ça… Le personnel est hindou, je note, malgré la confuse.

Bérurier qui m’a rejoint s’exclame :

— Tu parles d’une perle à rebours, mon gamin ! C’est l’abbé Résina dans le principal rôle. Les derniers jours de pompe-z-y ! Syphon sur Nazakaki ! Dedieu, ce pet !

— Cours délier le toubib et sa rombière ! Il faut organiser des secours. Qu’il éclaire toutes les loupiotes extérieures qui peuvent fonctionner. Appel aux pompiers ! Ambulances de la ville ! Police ! Le chenil ! Vite !

Il rebrousse machin tandis qu’au contraire, moi, très Bonaparte au pont de l’Alma, je fonce en direction du sinistre.

Et c’est alors, alors seulement que, oui, j’ai la mesure de la science du Dr Steve Mac King ! Alors que son côté démiurge m’apparaît dans tout son fantastique ! Oh ! Oh ! Oh ! Et aussi, là là ! Oui : oh ! là là, quelle vision inoubliable ! Sur fond de calamité !

Parmi les gens qui galopent au hasard de leur trouille, en claquant des dents, lorsqu’ils en possèdent, ou en agitant les bras telles des marionnettes, je reconnais des personnages célèbres.

T’es prêt ? Bien arrimé sur le godemiché qui te sert de tabouret ?

Alors dégage tes ruches et écoute, homme de peu de foie (avec ce que tu écluses, faut pas t’étonner !). Ecoute ce qu’il va te révéler enfin, ton Sana, ton Tonio, ton chantre de la vérité vraie ! Celui qui toujours déconne mais jamais ne ment (sauf cas de fosse majorée, comme dit Béru). Écoute, et crédule un peu, de grâce, de Monaco, et tutti quanti. Ecoute et crois, et croasse et multiplie-toi si tu en es capable.

Écoute ! Tu m’écoutes ?

Ces personnages célèbres, aperçus entre des battements de cils, constituent une espèce de cauchemar onirique à grand spectacle.

Il y a là : deux fois la reine d’Angleterre, sa très gracieuse et grassouillette Majesté Elisabeth Deux (des jumelles) ; il y a là trois fois le prince Charles (l’un étant toutefois plus petit que les autres, et un autre ayant l’air moins con que les deux précédents) ; il y a là une gentille princesse Anne, pas mal roulée du tout. Et puis un chancelier Schmidt, un prince Philippe dédainbourre ; un shah d’Iran en bonne santé ; un El Sadate[48], un Tito bi jambiste, une princesse Margaret plantureuse à en faire gerber le Group Captain Mille, pardon : je voulais dire Thousand ; un lord Mountbatten qui devait pas être fini au moment de l’attentat et qui glandouille, inutile, dans l’institut. Et puis y en a d’autres, beaucoup d’autres, en cours de fabrication. Entre autres, un Anatola Khomeiny dont la barbe n’est pas assez blanche, et une Mme Gandhi qu’on définit déjà sous ses bandelettes, et je t’en passe. Ou plutôt ce sont eux qui passent, coudes au corps, fuyant comme à Pompéi…

— Seigneur ! soupire une voix : le travail de toute une vie !

Il s’agit du docteur. Sa gonzesse, oublieuse de la tringlée que j’ai eu l’honneur de lui faire participer, se tient blottie contre lui (après l’amour, l’animal est triste, mais l’homme rentre chez lui).

Ils contemplent, pâmés d’effroi, cette ruine de leur entreprise.

— Chapeau, lui dis-je, c’était du grand travail, docteur. Vous en avez déjà utilisé beaucoup ?

— Depuis que la violence règne sur le Monde Occidental, je travaille à tour de bras. Si je vous disais ; j’ai déjà passé quatre princes Charles, dont un hier, cinq reines Elisabeth, deux princes Philippe, deux Moshé Dayan, un Paul VI (je n’en avais qu’un sinon c’est un article qui aurait marché), plus trois Line Renaud, pour m’amuser, essayer de tâter de la clientèle française. Je terminais un Georges Marchais (c’est pour moi qu’on avait dérobé sa statue au Musée Grévin). J’étais prêt à affronter le marché américain, mais ces salauds ont pris les devants ! Bien sûr, j’ai des laissés-pour-compte : le shah, par exemple. Que voulez-vous que j’en foute, à présent ? Le modifier ? Peut-être le transformer en Chaban-Delmas, mais à qui irais-je le caser ? Tout est perdu ! Ruiné !

J’essaie de le rasséréner.

— Docteur, avec un don pareil, l’avenir continue de vous appartenir. Un conseil : au lieu de travailler pour des nations, abordez le secteur privé, il y a un malheur à faire !

J’en dirais et entendrais bien davantage, si Béru n’accourait en clamant :

— Sana ! Un coup fourré n’arrive jamais seul ! Figure-toi qu’ j’avais laissé la lourde d’la cuisine ouverte, et y a l’ jaguar qu’ a bouffé la gonzesse : la môme Isa !

Je blêmois.

Pas pour cette vilaine personne qui somme toute, a récolté le ventre (du jaguar) après avoir semé la tempête ; mais parce qu’elle n’est plus en mesure de me dire où est Maman.

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