ÉPIGLOTTE

Long, infiniment long, ce rapport.

D’autant qu’il est distrait, le Vieux.

Peut pas se retenir de fourrager de la dextre sous la jupaille à Mme Bernier, le salingue. Faut bien lui dire, articuler, et faire des flashes back ! Reprendre plus haut, pas paumer le fil du récit. Ah, je dois reconnaître qu’il est plus exigeant que toi, Cézigue-pâte. Il veut savoir le pourquoi du comment du chose. Et les incidences, ça, espère ; il raffole des incidences. Y a pas mèche de le berlurer, d’escamoter. Il écoute, s’échappe parce qu’il est tactilement ému et que ça l’emporte ; puis il revient au sujet, questionne avec son âpreté des grands jours et sa suffisance de vieux daim soucieux de se faire mousser l’importance.

A la fin, il opine.

— Pas mal ! Sacrée histoire ! Quelles retombées ! Une affaire internationale ! J’ai été bien inspiré en venant ici, non ? Ah, mon cher, nous y aurons fait du bon boulot, à La Baule !

Sa main investit de plus rechef.

— Tu ne trouves pas, ma capiteuse ?

La capiteuse soupire que oui.

— Et ma fille ? s’inquiète-t-elle pourtant, car son âme de mère, mon vieux, chatte caressée ou pas, elle est toujours sur la brèche, tu peux me croire.

C’est vrai : et sa fille ? Et Maman ? Et le petit Toinet ? Hein ? Eux autres ? Les chéris, qu’en est-il devenu ?

Mon désespoir s’accroît. Les polices de France, Interpol, Pierre Bellemare, tout le monde traque la vilaine Dorothée, ultime maillon de la chaîne qui, que…

Mais suppose qu’on ne la retapisse pas ? Ou bien qu’elle se ou encore qu’elle…

Le tubophone grésille, le Vieux me fait signe de répondre car il a les mains occupées.

Le cher concierge de nuit me dit en substance les choses ci-dessous :

— C’est vous que je cherchais, monsieur le commissaire, il y a une communication pour M. Al Bidoni, et comme vous m’avez dit que…

— Passez-la-moi ! l’interromps-je sans tu sais quoi ? Vergogne !

Et alors, tiens-moi bien. Qu’est-ce qui me gazouille dans les oreilles ? La voix de Dodo Bernier.

— Monsieur l’inspecteur Al Bidoni ?

Son timbre ! Je le détecte immédiatement, bien qu’il ne soit pas affranchi.

— Lui-même, effronté-je.

— C’est le commissaire Bernier. Écoutez, monsieur l’inspecteur, je suis très inquiète de ne pas avoir de vos nouvelles. J’ai fait ce que vous m’avez demandé : j’ai décidé la mère du commissaire San-Antonio à me suivre pour se mettre en sécurité, puisque vous m’affirmiez que sa vie était menacée, et pourquoi ne vous aurais-je pas cru, du moment que vous appartenez à la C.I.A. ? Seulement, cette exquise vieille dame s’impatiente, et je la comprends. Moi-même, je commence à trouver le temps long car elle ne me parle que de la petite enfance de son fils et de ses qualités humaines. Nous sommes à l'Auberge du Roi-Soleil, sur la route de Fouzy-Mele, près de Versailles. Vraiment, on ne pourrait pas parler avec San-Antonio ? Sans compter que s’il a découvert l’absence de sa maman, il doit s’alarmer, car ils sont très liés tous les deux…

Je l’écoute sans moufter.

Maman ! Dodo ! Ensemble ! Diabolique astuce de feu ce pauvre Al Bidoni : faire enlever ma vieille par ma propre collaboratrice, histoire de ne pas se mouiller, pour ensuite me faire chanter, comme s’il s’agissait d’un véritable rapt ! Bravo ! Chapeau ! Dommage qu’il soit mort aussi sottement. Il aurait dû mieux choisir ses alliés, ce pauvre vieux.

Là-bas, dans son auberge, Dodo demande :

— Et alors, que devons-nous faire ?

Je mate ma montre, opère un calcul tout ce qu’il y a de rigoureux, malgré qu’il soit mental.

Et, de ma voix naturelle, je déclare :

— Ce que tu dois faire, ma poule ? Commander un déjeuner fastueux, et m’attendre sur le coup de midi tout à l’heure. Tu es la plus conne de toutes les femmes flics présentement en circulation, mais je sens déjà que je t’aime, collègue, et je suis certain que tu dois mieux te comporter dans un plumard que dans une enquête !

FOUIN
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