L’eau de Javel ; ça puait l’eau de Javel et elle ne pouvait tolérer cette odeur qui lui rappelait la pension où elle avait passé son enfance et son adolescence. Elle s’assit dans son lit. Non, la banquette avec juste deux couvertures. Elle avait les seins nus. Pas que les seins, d’ailleurs.
Elle était nue et sentait l’eau de Cologne. C’était absolument dément. Elle se leva, une couverture enroulée autour d’elle. Ses vêtements, qu’avait-elle fait de ses vêtements ? Puis elle sut. Ce salaud avait dû abuser d’elle dans son ivresse, la foutre à poil et la prendre à sa guise durant toute la nuit et maintenant il devait bien ronfler dans un coin.
Dans la cuisine, il n’y avait pas de flacon d’eau de Javel ouvert mais ses vêtements qui égouttaient sur un fil tendu au-dessus de l’évier. Et on avait nettoyé le couloir avec de l’eau de Javel. Cet enfant de putain devait dormir là-haut. Il avait dû profiter de son sommeil pour lui piquer le pigeonnier et l’installer, elle, sur la banquette.
C’était bien ça. Il roupillait dans une couverture molletonnée et à même la moquette mais dans un coin.
Il n’ouvrit pas les yeux quand elle alluma mais se dressa quand elle le secoua et la cogna au menton avec son crâne.
— Ah ! C’est vous ! Vous avez décuité ?
— Mes vêtements, espèce de satyre…
— Ils sèchent dans la cuisine. Vous aviez dégueulé partout… J’ai commencé par vous foutre à poil, vous laver, vous coucher. Puis j’ai lavé les fringues dans la baignoire et enfin tout le corridor, y compris les murs.
Une chance que le papier soit lessivable.
Jamais il n’avait eu le visage aussi allongé, la bouche lourde de sommeil. Il dormait à poil dans sa couverture piquée et il dégageait une chaleur saine qui lui fit envie.
Elle aurait aimé s’allonger avec lui dans cette chaleur agréable mais il n’en avait certainement pas envie. Il l’avait vue au milieu de ses vomissures, écroulée, souillée, ivre morte. Il l’avait nettoyée, elle, puis l’appartement et elle venait le sortir de son sommeil.
— Quatre heures, rugit-il, il est quatre heures, vous vous rendez compte ? Vous ne pouvez pas roupiller au lieu de faire chier le monde ?
— J’étais perdue… Il y avait l’eau de Javel, puis cette odeur d’eau de Cologne.
— Désolé, mais c’est tout ce que j’ai trouvé.
— Vous m’avez foutue à poil ?
— Et alors ? Vous voulez savoir si j’ai bandé ?
Elle se leva et se dirigea vers la première marche de la vis à tout petits pas car la couverture aurait, sinon, dû être libérée et elle aurait montré ses cuisses.
— Si vous croyez que vous en donniez envie. Vous me prenez pour qui ? Vous étiez comme une clocharde dans ses ordures. Je n’ai jamais eu de goût pour les clochardes, vous savez.
— Ça va, dit-elle, ça va, je m’excuse. Je vais me faire du café, vous en voulez ?
— À quatre heures du matin ?
— D’accord, dormez… Je suis désolée.
— Si vous picolez si tôt, ce soir, ce sera encore plus insupportable et je finirai par vous laisser dans l’état où vous étiez.
— J’ai dit du café, pas du cognac… J’ai quand même pas une tête à boire du cognac maintenant, si ?
— Bonsoir.
Elle éteignit et descendit, se rappela soudain que les voisins avaient aussi un escalier à vis. Elle avait failli se tromper, appeler Manuel, à moins qu’elle ne l’ait fait et que ces gens réunis chez les Larovitz ne l’aient entendue.
Elle se retourna, prête à remonter pour le lui dire, mais elle imagina son accueil.
Elle se fit du café et le but par petites gorgées. C’était bon et ça lui faisait du bien. Elle était complètement dégrisée et avait soudain envie de vivre différemment, de sortir, d’aller acheter de nouvelles fringues. Les siennes, qui égouttaient, l’attendrissaient parce qu’elle imaginait Manuel en train de les laver dans la baignoire.
Chose curieuse, elle n’en avait pas honte, comme s’ils étaient de vieux amis, de vieux amants.
Elle s’appuya à l’évier pour la seconde tasse et rêva du corps du garçon dans la chaleur de la couverture piquée.
C’était quoi qui la rendait molle, la chaleur, le corps, les deux, le besoin d’emmêler ses jambes et ses bras à d’autres jambes et bras, de fondre de béatitude ?
— Il reste du café ?
Il portait cet affreux peignoir de bain layette de Sanchez et souriait bizarrement.
— J’avais prévu large, dit-elle.