CHAPITRE V

Elle dut dormir quatre heures d’un profond sommeil avant que le chat ne saute sur sa poitrine et ne la fasse bondir affolée dans la pièce à peine éclairée par la lampe du vestibule. Une chance qu’elle ait songé à laisser cette veilleuse. Tout de suite elle sut où elle était et vit le chat qui flairait ses couvertures avec précaution.

— Écoute, le chat, murmura-t-elle, tu ne trouves pas que tu exagères ? Tu te planques puis tu réapparais alors que je n’ai nulle envie de te voir.

Elle alla s’asseoir sur la banquette et le serra contre elle.

— Tu t’en fous complètement. Dis-moi… Mais qui t’envoie, ton maître Pierre Arbas qui ressemble si fort à Poivre d’Arvor ? Ou bien le fuis-tu parce qu’il est cruel avec toi ?

Elle s’allongea et essaya de ne pas penser mais elle reprenait de plus en plus des idées claires et se disait qu’elle ne boirait pas autant le lendemain. Elle commencerait d’abord par ne rien avaler le matin. Le premier cognac après le repas de midi, pas avant.

Le chat sauta à terre et elle l’entendit dans la cuisine.

Comme il y avait des paquets de lait upérisé elle en ouvrit un carton, lui en versa dans une soucoupe mais il le dédaigna. Il fila vers l’escalier au fond du placard et disparut en direction de l’étage. Les Sanchez avaient dû acheter une chambre et se relier à elle par cette vis en bois.

Une chouette idée, pensa-t-elle. Elle n’avait pas réussi à savoir si les Larovitz en avaient fait autant.

En retournant éteindre dans la cuisine elle vit la bouteille de cognac mais retourna s’allonger. Pourtant elle continua d’y penser, finit par décider de boire une gorgée à même le goulot. Ce fut une très grosse gorgée qu’elle garda en bouche pour l’avaler peu à peu. Chaque goutte allait exploser dans son estomac comme des gouttes de nitroglycérine.

Elle se réveilla sans savoir l’heure ; il n’y avait aucune trace de jour aux volets renforcés. Sa montre indiquait huit heures.

L’odeur de friture pénétra avec l’air humide et ce n’était qu’en second qu’on recevait l’iode et le sel de la rade proche.

Le patron du bistrot balayait sa terrasse et lui adressa un coup de menton. Heureuse, elle prit ça comme une reconnaissance du fait de son insularité dans le quartier.

Elle se fit du café, alla en boire la première tasse à la fenêtre. Malgré l’étroitesse de la rue, elle pouvait suivre l’effervescence qui gonflerait jusque vers dix heures à cause du marché proche.

Elle emporta sa tasse à la salle de bains, prit une bonne douche qui lui donna faim. Elle termina son café et décida d’aller en prendre un autre en face.

— Bien dormi ? demanda le patron.

Il avait des croissants et elle en grignota un. Un exploit qu’elle n’avait pas accompli depuis des semaines. Ces derniers temps elle attaquait direct au cognac. Elle le volait dans les supermarchés mais surtout dans les petits magasins où les gérants se méfiaient plus des jeunes et des Arabes que de cette jeune femme en deux-pièces velours fané mais encore élégant.

Le jeune homme maigre en jean et blouson de cuir entra peu après et s’approcha du bar pour commander un expresso.

— Alors vous allez écrire encore sur les Sanchez ?

— Non, répondit le garçon à la question du patron.

Terminé, les Sanchez. Les Sanchez… Ils ne m’ont pas porté bonheur…

— Ah oui, fit le patron indifférent.

— J’ai été viré par le journal. Mon article n’a pas plu.

Il paraît que l’expropriation c’est pas pour demain. En fait je me suis trompé. J’ai parlé d’expulsion au lieu d’expropriation. Une erreur impardonnable.

Alice alluma une cigarette, attira le journal du matin sans lâcher le garçon du regard. C’était lui qui avait écrit sur le double suicide ? Bossi s’était servi de son article pour aborder son travail.

Il avala son café et c’est alors que discrètement le patron dut lui dire que la jeune femme derrière habitait désormais chez les Sanchez. Il se retourna un peu trop vivement à cette nouvelle et elle lui sourit de façon engageante. Elle aussi avait envie de faire sa connaissance.

Il hésita puis s’approcha :

— Je peux vous parler ? Vous habitez bien en face, non

— Vous avez bien écrit dans le journal, non ?

— Vous avez entendu ?

— C’est ça, je vous ai entendu, murmura-t-elle, prudente, en lui désignant la chaise en face.

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