CHAPITRE XVII

Elle avait recoiffé ses cheveux, plongé son visage dans le lavabo sans oser se regarder une nouvelle fois dans la glace. Elle sentait Manuel derrière elle qui la surveillait en fumant une gauloise. Elle finit par essuyer sa tête avec une serviette.

— Qu’est-ce que tu crois, que je suis là pour réceptionner tes cuites et les aider à passer ? Arbas t’a fait boire et t’a filé sa gnôle.

— De la gnôle de trente ans, tu parles… D’accord il m’a piégée mais je m’y attendais et j’ai marché. Je me doutais qu’il y aurait quelque chose au bout.

— La vérité au fond d’une bouteille de trois étoiles ? Ou de V.S.O.P., j’ai jamais rien compris… quelle chose ?

— Il sait pas mal de choses sur moi.

— Lesquelles ?

Elle passa devant lui, hésita entre la cuisine et le living, sut que si elle s’étendait sur le canapé elle ronflerait en moins de deux minutes. Elle avait dû pomper la valeur de six ou sept cognacs de bistrot.

— Que j’ai racolé au centre commercial. Il croyait que je serais docile.

Il s’appuya au mur et la regarda avaler des verres d’eau.

— Il voulait savoir qui m’envoyait. Il ne soupçonne pas Bossi mais c’est tout comme… Ah ! Il m’a aussi dit que j’étais psychiquement fragile… Bossi le dit aussi, tu crois que ça signifie qu’il se doute que je travaille pour la mairie ?

— Tu as fait la pute au centre commercial ?

Voilà. Elle luttait contre une nausée, contre l’envie de roupiller pour se souvenir un maximum de ce qui s’était dit là-haut chez Arbas et Manuel, tout ce qu’il retenait, c’était qu’elle avait essayé de se prostituer.

— Je ne te l’avais pas dit ?

— Tu l’as fait vraiment et Arbas le savait ?

— Il faut croire.

— Tu l’as fait longtemps ?

— Merde, c’est moi que ça concerne ! T’inquiète pas, j’ai pas attrapé la vérole si tu as peur pour ta pauvre petite biroute. J’en ai marre.

Elle obliqua vers le placard et escalada tant bien que mal l’escalier à vis, se roula dans la couverture. Puis soudain elle se rendit compte qu’elle était sur le même niveau qu’Arbas.

Elle dut dormir deux heures, se réveilla affamée et comprit pourquoi. Ça sentait très bon. Elle trouva Manuel devant la plaque chauffante en train de touiller un cassoulet. Il y avait des boîtes ouvertes mais il avait pris la viande, les saucisses dans le congélateur.

— Je boufferais un cheval, dit-elle en mettant le couvert.

Puis elle trouva une pile de journaux dans un placard et se souvint. Ils étaient ficelés, prêts à être déposés à côté des poubelles ou alors montés chez les gens du troisième.

— Tu sais ce qu’il fait, Caducci ?

Elle lui parla du labyrinthe de blocs de journaux collés.

— Tu te rends compte ? Ça doit faire des pierres de taille, non ? Il faut que je voie ça.

— Si tu pouvais prendre des photos, dit Manuel qui ne semblait plus vouloir lui parler de son passé, ce serait fantastique mais accepteront-ils ?

— C’est encore pire que le stock de sucre, les sorties en liberté surveillée et tout le reste. Arbas a un fusil et une carabine. Il tire sur les rats de la cour mais pourrait à la limite tirer sur des loubards venus faucher une roue de vélo ou n’importe quoi.

— Il t’a dit autre chose ?

— Non, mais il n’a pas aimé que je lui dise qu’il jouait très mal le chômeur prêt à craquer. En fait, il se complaît dans son rôle de syndic…

— Comment ça, syndic ?

— Il s’occupe des machins communautaires, l’eau, l’électricité, le nettoyage certainement.

— Mais il ne peut pas vivre avec ça.

— Qui te dit qu’il se fait payer ?

Le cassoulet était excellent et elle en prit deux fois, déclara qu’elle allait sûrement exploser mais ne but presque rien.

— On vit sur les dépouilles de deux morts et ça ne choque personne, constata Manuel. Ni Bossi ni les copropriétaires, ni les flics s’ils sont au courant. C’est le pourrissement, tu crois ? Le pourrissement de ce quartier, de cette ville ? Tout le monde se fout des Sanchez dans le fond, qu’ils se soient suicidés ou qu’ils soient morts assassinés.

— Hé ! Lui fît-elle remarquer, cette fois c’est toi qui dérailles. Tu sais bien que ce n’est pas un sens autorisé…

— Je commence à me demander.

Il se leva et alla prendre quelque chose derrière le réfrigérateur encastré. Pas commode, il fallait ôter le dessus pour ce faire. Il déposa devant elle une sorte de revue étrangère. C’était de l’espagnol.

— Et alors ?

— Des annonces commerciales et il y en a quatre ou cinq qui sont marquées d’une croix. Elles concernent de petits bistrots de village.

— Le patron du bar aurait dit vrai ?

— Il semble.

— Mais le fric ?

— Ils devaient l’avoir. Mais il n’est plus ici. Ou alors ils avaient fait un premier versement et personne ne va se manifester pour réclamer la suite du moment que le commerce reste libre.

— C’est quand même étrange. C’était où ?

— Dans les journaux ficelés. Des journaux du mois d’août et uniquement du mois d’août, ce qui prouve qu’ils servaient de planque, peut-être aussi au fric. Il n’y a ni ceux de septembre ni d’octobre. Ils ont dû les filer à Caducci. Mais évidemment ça ne prouve rien. C’est peut-être également un accident.

Il regarda sa montre :

— On se couchera tôt pour se lever vers les trois heures environ.

— Pour quoi faire ?

— Tu as oublié ? Le verrou. On percera pour le placer.

En fourrant la chignole dans un coussin ça doit marcher.

— Mais si jamais ils entendent ? Et qu’est-ce que je vais faire de leurs clés, moi ? Je n’aurai plus aucune raison de les garder et en quelque sorte c’est leur déclarer la guerre, non ?

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