CHAPITRE XXVII

— En fait, dit Manuel, elle a beaucoup exagéré. D’accord, elle a paniqué mais ces types ne voulaient pas lui faire du mal. Comme tu dis, clandestins ils ne tenaient pas à attirer l’attention sur eux. De plus, ils étaient faciles à retrouver. Je pense qu’elle a volontairement exagéré pour qu’il y ait une réaction des autres copropriétaires.

— Tu penses que c’est de cette époque que date leur si bonne entente ?

— Leur collusion, peut-être. C’est-à-dire leur entente délictueuse.

— Je ne comprends pas.

— Ils ont dû se regrouper pour faire front et user de mensonges et de calomnies pour forcer la main à Bachir.

Ce dernier, malgré ses appuis, a dû prendre peur. De toute manière, il avait d’autres endroits qu’il louait, des dortoirs aménagés dans de petites chambres. Un marchand de sommeil, voilà ce que c’est et certains avec des lits superposés entassent dix bonshommes dans une chambre minuscule. Les clandestins n’ont droit à aucun foyer.

On peut les exploiter à volonté. Ils ne peuvent rien dire.

— Tu penses qu’ils ont eu des réactions de névrosés ?

— Pense donc, des gens qui se saignaient aux quatre veines pour payer leur viager et qui voient débarquer quinze bonshommes étrangers, de mœurs différentes, peu habitués à certaines règles de savoir-vivre. Et cette maison dans son apparence extérieure ne ressemble pas à un palais, loin de là. Mais pour les Sanchez, les Larovitz, les Arbas, les Roques, les Caducci, c’est mieux qu’un palais… Il devait obligatoirement y avoir exaspération, mésentente puis résistance et lutte impitoyable pour les faire partir. Tu as vu les Roques, les Caducci à ce sujet ?

— Non. Il n’y a personne. Ou du moins on ne m’a pas ouvert. La mère Roques n’a pas dû apprécier notre réception d’hier soir et Léonie est souvent occupée avec son mari. Elle doit surveiller sans arrêt ses constructions sinon il risque de périr écrasé ou étouffé.

Il se rasait dans la salle de bains et elle adorait assister à sa toilette. Elle le sentait plus proche, plus intime même que dans l’amour.

— Comment ont-ils pu faire ?

— Ça, je l’ignore mais ça n’a pas dû être très joli joli.

Pour moi, ils se sont ligués pour les forcer à filer. Quand on veut empoisonner la vie de quelqu’un…

— Tu ne penses pas, fit-elle songeuse, qu’ils auraient pu forcer Bachir à les renvoyer ?

— Possible et c’est pourquoi je voudrais bien connaître son adresse pour lui poser la question.

— Le patron du bistrot te la donnerait peut-être.

— Pas certain. Il se méfie. Il ne veut pas d’histoires.

Il ôta soudain son peignoir de bains et enjamba la baignoire. Elle aimait ce corps anguleux, mal défini dans sa carcasse trop osseuse.

— Tu veux que je te lave ? Proposa-t-elle, très émue.

— Pas le temps. Juste un coup de gant de toilette et je file. C’est samedi et j’ai promis d’aller dire bonjour à mes parents. Il y a un mois que je ne les ai pas vus.

— Tu me laisses tomber ?

— Je reviendrai ce soir… Mais ne m’attends pas…

— D’accord. J’ai à faire moi aussi, déclara-t-elle. Tu as la clé, je suppose ?

— Mais non puisque je dois les recevoir par la poste.

— Ma foi, si je ne suis pas là, attends-moi en face, dit elle en quittant la salle de bains.

Il avait le chic pour tout gâcher et elle était furieuse.

Il n’était pas si pressé qu’il le disait de rejoindre ses parents, mais devait avoir une idée en tête. Toujours à propos du fric qu’avaient pu posséder les Sanchez, on ne lui sortirait pas l’idée de la tête.

Elle avala un peu de porto, mais elle regrettait le cognac.

Tout à l’heure elle descendrait s’en enfiler deux ou trois au bistrot. Et que ce connard ne s’avise pas de lui faire la morale avant de partir. Il était fichu de lui exiger la promesse de ne pas toucher à l’alcool, qu’il aille se faire foutre !

— Salut, dit-il en passant devant la cuisine. À ce soir.

— Hé ! Tu pars comme ça ?

— Comment veux-tu que je parte ?

— Tu ne me conseilles pas de ne pas picoler ?

— Tu es assez grande, Alice, pour prendre ce genre de décision toi-même. Si tu veux finir pocharde, à ta guise.

Je trouve impudent qu’un type de mon âge te fasse des sermons sur l’intempérance.

— Hier, tu t’es gêné, salaud !

— Hier, tu recevais et moi j’allais fouiller chez les voisins.

S’ils t’avaient vue saoule au départ de la soirée ils seraient rentrés chez eux et m’auraient surpris. C’était uniquement pour ma sécurité que je t’ai demandé de t’abstenir.

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