Le 3 juillet, les divisions achevèrent enfin leur redéploiement.
Le 4 juillet, les corps d’armée reçurent des ordres précis concernant les manoeuvres qu’ils allaient exécuter. Pendant ce temps, l’archiduc Charles ordonna à l’archiduc Jean, son frère, d’abandonner sa position près de Presbourg, au sud, car il devenait clair que les Français n’attaqueraient pas dans cette zone. Les treize mille hommes disponibles de Jean devaient rejoindre le plus vite possible l’aile gauche de l’armée principale. Cependant, des pluies torrentielles retardèrent la transmission de ce message et cette force ne se mit en mouvement que le lendemain matin.
Vers vingt et une heures, Napoléon mit à profit le manque de visibilité dû à la pluie. Il commença à faire débarquer des troupes à l’aide des canonnières, des bateaux et des barques. Les Français refoulèrent sans mal les petites unités autrichiennes placées en surveillance. Les innombrables batteries de Lobau ouvrirent le feu sur les villages d’Aspern et d’Essling, immobilisant les troupes autrichiennes les plus avancées et faisant diversion. Napoléon envoya la division Legrand prendre position sur la rive est, mais au niveau de l’ancienne tête de pont, dans le but de laisser croire qu’il allait utiliser le même champ de bataille qu’au mois de mai. L’archiduc tomba dans ce piège et ordonna aux forces d’Aspern et d’Essling de bombarder la partie nord de Lobau. Il pensait que ses boulets semaient la destruction chez les Français et leurs alliés alors que ceux-ci se rassemblaient en réalité dans l’est de l’île. Charles fit également lâcher dans le Danube des barques enflammées qui ne parvinrent pas, cette fois, à endommager les ponts renforcés et protégés.
Vers une heure trente, on assembla les pièces détachées du premier pont préconstruit afin de relier la partie est de Lobau à la rive est. Celui-ci fut achevé en cinq minutes. Deux autres allaient suivre. Les régiments se mirent aussitôt à traverser en masse, inondés par la pluie et assourdis par le tonnerre et les bombardements.
Les hommes avançaient en rangs serrés qui se délitaient parfois au moment de prendre pied sur les ponts. Les officiers réorganisaient les soldats sur l’autre rive et les colonnes reprenaient leur marche. En attendant l’aurore, seules des torches permettaient d’y voir. D’heure en heure, la Grande Armée constituait une formation extrêmement dense : les corps d’armée de Masséna, d’Oudinot et de Davout marchaient en tête, appuyés par la cavalerie légère de Montbrun et les dragons de Grouchy. Les Français se positionnaient rapidement sans perdre leur cohésion. Lorsque l’archiduc Charles comprit enfin le plan de Napoléon, il envoya précipitamment quelques troupes pour empêcher les Français de se déplacer à leur guise. Mais celles-ci ne purent perturber la marche des soixante mille hommes d’Oudinot et de Davout. Pendant ce temps, le 4e corps de Masséna prit à revers les villages d’Essling et d’Aspern.
À dix-huit heures, le succès était complet pour Napoléon. Son armée avait traversé sans encombre le Danube et manoeuvré avec une célérité spectaculaire. Les Autrichiens, pris de vitesse, n’avaient pas pu entraver ce déploiement. La Grande Armée occupait l’immense plaine du Marchfeld, le terrain choisi par l’Empereur. Elle formait un arc de cercle convexe adossé au fleuve. Le centre se situait à une dizaine de kilomètres au nord-est des ponts. La majorité des troupes composait cette portion du front : les corps de Bernadotte, de Macdonald, de Grenier, de Marmont et d’Oudinot. La Garde impériale se tenait en retrait avec la cavalerie lourde de Bessières, soit huit mille cuirassiers et carabiniers. Le flanc gauche, étendu sur dix kilomètres, était relativement faible. Il dépendait uniquement d’une partie des Saxons de Bernadotte et du 4e corps de Masséna. Dans le dos de ce dernier se trouvaient les villages d’Aspern et d’Essling. L’aile droite était constituée par le 3e corps de Davout, la cavalerie légère de Montbrun et les dragons de Pully et de Grou-chy. Napoléon s’était donc constitué une forte droite, très mobile du fait de l’abondance de cavalerie, et un centre puissant qu’il voulait utiliser comme un marteau phénoménal pour enfoncer le centre autrichien. Ces concentrations de soldats s’étaient faites au détriment de sa gauche.
Les Autrichiens épousaient la ligne française, présentant un front concave étiré sur vingt kilomètres. Le flanc droit était assuré par le 6e corps de Klenau et le 3e corps de Kolowrat. Les troupes d’élite de réserve du prince de Liechtenstein reliaient la droite au centre. Celui-ci était impressionnant. Il dominait le plateau de Wagram, haut d’une quinzaine de mètres et bordé par le Russbach, une rivière encaissée aux abords marécageux. Il y avait là le 1er corps de Bellegarde, le 2e corps d’Hohenzollern et la réserve de cavalerie de Nostitz. Enfin, la gauche se composait du 4e corps de Rosen-berg et de l’avant-garde de Nordmann.
Au soir du 5 juillet, l’archiduc Charles attendait anxieusement l’arrivée de l’archiduc Jean, dont les hommes, supposés jaillir sur la droite française, placeraient Napoléon dans une situation très difficile. Il ignorait que son frère se trouvait encore loin et ne parvenait pas à accélérer la progression de ses troupes.
Napoléon savait que le temps jouait contre lui : il lui fallait agir vite afin de priver Charles de ce renfort. Il n’avilit aucune idée des intentions de son adversaire. Les Autrichiens n’avaient pas réellement tenté de lui tenir tête. L’archiduc Charles prévoyait-il de se replier pour livrer bataille ailleurs ? Jusqu’à présent, tout s’était parfaitement déroulé pour les Français. Napoléon décida donc de forcer sa chance, contrairement à son plan initial, qui prévoyait de ne déclencher la bataille principale que le lendemain. L’Empereur donna l’ordre aux Saxons de Bernadotte de prendre le village de Deutsch Wagram, à droite du centre autrichien. Oudinot, le prince Eugène – dont l’armée comprenait les corps de Macdonald et de Grenier – et Davout reçurent pour mission d’attaquer le centre ennemi. Napoléon déclara à un aide de camp : « Allez donc dire à Oudinot que je n’entends plus rien, qu’il pousse un peu plus en avant et qu’il nous fasse un peu de musique avant la nuit. »
La bataille débuta à dix-neuf heures trente. Oudinot échoua face à la ténacité des Autrichiens. Le prince Eugène faillit réussir, mais l’archiduc Charles vint en personne galvaniser ses hommes et, là aussi, les Français durent se replier. La division française Seras, voyant des Français battre en retraite tout en étant suivis par des soldats vêtus de blanc, tira sur ces derniers. Il s’agissait en fait des Saxons de Dupas qui, pris dans ce feu croisé avec celui des Autrichiens, s’enfuirent. Ces hommes bousculèrent les divisions Lamarque, Seras et Durutte, qui refluèrent à leur tour en grand désordre. Il fallut un long moment pour que ces troupes se ressaisissent. Seul Davout parvint à avancer mais, isolé, il dut revenir à sa position initiale.
À la nuit tombée, les Saxons de Bernadotte piétinaient toujours devant les abords du village de Deutsch Wagram. D’autres Saxons, les grenadiers de la Leib Garde et les bataillons von Bose et von Edigy, furent envoyés en renfort. Mais ces fantassins ignoraient où se trouvaient exactement leurs compatriotes. Quand ils arrivèrent devant le village, l’obscurité et la fumée des combats augmentaient la confusion. Ils aperçurent des soldats aux habits blancs et ils ouvrirent le feu. Or il s’agissait là encore de Saxons. Pendant que les Saxons s’entre-tuaient, les Autrichiens contre-attaquèrent et mirent les assaillants en déroute.
Cette première tentative d’enfoncement se clôtura donc sur un cuisant échec. L’archiduc Charles n’en profita pas pour réagir. La nuit rendait les combats trop hasardeux.