A Jacques Martin,
le plus brillant des « gones »,
qui me fait du bien à l’existence.
Il fit les présentations d’un ton compassé.
Il dit :
— Voici Chéops, Chéphren et Mykérinos.
Les touristes répondirent « Enchanté », chacun dans sa langue maternelle, voire même paternelle.
Le guide ressemblait à un vieil aristocrate désargenté. Sa mise conservait quelque chose de gourmé malgré l’usure et le malentretien de ses vêtements. Il était le seul à porter cravate ; celle-ci était luisante parce que taillée dans la soie et aussi à cause de la crasse qui mettait une patine dans la région du nœud.
On entendait crépiter les Nikon et les Kodak, chacun voulant faire provision des trois tas de cailloux les plus célèbres de la planète.
Le guide laissait déferler l’ouragan de pellicule, sachant pertinemment qu’on ne peut endiguer les clics de ces têtes à claques quand on leur balance les pyramides dans les moustaches. Les chameliers faisaient chier la bite à tout le monde, proposant une longue promenade de quinze pas dans le désert que le vent touillait comme les pales d’un batteur Moulinex. Des mômes dorés brandissaient des cartes postales à un dollar les dix ; c’était bruyant et coloré. Derrière les pyramides, en contrebas, somnolait le Sphinx dont la frime fut mutilée à coups de canon, jadis, par un con de sultan à qui sa gueule ne revenait pas. Tout de suite après le Sphinx alangui, l’univers coca-colien commençait. Le Caire gagne du terrain et d’ici très bientôt, devant la formidable poussée urbaine, ces fabuleux vestiges ne seront plus que des ornements de squares coincés entre des buildings de verre et de béton.
Une dame de La Courneuve, boulotte pour avoir trop boulotté et qui ressemblait à un « 8 » plein de varices, déclara à son mari, un grand maigre en bermuda, maillot de corps, chaussettes montantes, chaussures de ville, petite casquette « Tour de France », que « Tu vois, Riton, franchement, je les imaginais plus hautes » ; à quoi l’interpellé répondit que « Merde, c’était déjà pas mal comme ça, et que plus hautes, tu peux me dire pour quoi faire, Louisette ? »
Le vieux guide aux manières Vieille-Egypte surveillait du coin de l’œil une très ravissante jeune fille à la taille bien prise, comme on disait autrefois, laquelle après avoir tiré quelques photos juste pour dire contemplait les pyramides d’un regard noyé. Il s’était déjà aperçu qu’elle voyageait seule et semblait ne pas s’être liée avec ses compagnons de tourisme.
— Vous n’êtes pas déçue, mademoiselle ? lui demanda-t-il.
Elle lui sourit.
— Au contraire, je n’en crois pas mes yeux.
Il la questionna discrètement, assez toutefois pour apprendre qu’elle était professeur d’histoire-géo dans la banlieue parisienne et qu’elle avait économisé pendant des années en vue de ce voyage.
Il l’écoutait avec ravissement, la trouvant jolie et intelligente, pleine d’un charme capiteux et aussi d’une fraîcheur qui se rencontre de moins en moins par ce monde corrompu où les bébés planquent déjà de la marijuana dans leurs langes.
Il adressa un signe imperceptible à Slim pour lui intimer de prendre des photos. Slim se mit en batterie. Il possédait un appareil à viseur dévié qui permet de photographier un sujet sans le cadrer directement. Ainsi eut-il l’air de flasher les pyramides et non la jeune fille qui les admirait.
Dans l’après-midi même la pellicule fut développée et les photos soumises au « Tout-Puissant ». Elles l’intéressèrent vivement et il donna son approbation.
Auparavant, il s’était passé à Paris les choses suivantes :