INTERLUDE

Le Tout-Puissant ferma le dossier qu’il était en train de compulser et appuya sur un bouton.

Un panneau coulissa dans le mur de la pièce, révélant un écran de dimensions moyennes.

Le Tout-Puissant était seul dans son P.C. Il détestait la compagnie. Ses subalternes étaient réduits à l’état d’ombres furtives et de voix chuchoteuses. Il aimait la solitude comme un grand malade aime son lit. Elle constituait pour lui une nécessité.

Il pressa un second bouton. Les rideaux de la pièce se fermèrent automatiquement, l’obscurité se fit, seulement troublée par une lumière rougeâtre placée au ras du plancher, suffisante pour permettre au Tout-Puissant de se mouvoir sans buter dans les meubles.

Il quitta le fauteuil de son bureau pour en gagner un autre, plus bas, pourvu d’un repose-jambes. Il se déplaçait lentement, d’une démarche mécanique ; chaque pas lui coûtait, tout mouvement impliquait un effort.

Il s’assit pourtant avec légèreté et saisit le bâton noir de télécommande placé dans une niche de l’accoudoir. Le Tout-Puissant l’actionna.

L’écran s’emplit brusquement d’images. Elles intéressèrent d’emblée le Tout-Puissant qui s’abîma dans une trouble contemplation. Il gardait le regard fixe. Ses lèvres entrouvertes laissaient filtrer un souffle menu, un peu haletant.

Il « visionna » la totalité de la cassette ; puis la rembobina pour se la projeter une seconde fois. Ses yeux ne cillaient pas, tels ceux de certains reptiles.

Quand il atteignit la fin de cette deuxième projection, le Tout-Puissant resta immobile au sein de la pénombre, repassant dans son esprit les images qu’il venait de contempler.

Il enclencha la cassette une troisième fois. Pour cette nouvelle projection, il chaussa son nez de lunettes sans monture. Une odeur bizarre flottait dans son P.C. : cuir ciré et pharmacie…

Une demi-heure s’écoula encore. Le Tout-Puissant regagna son bureau et goba une pilule puisée dans une boîte en or posée sur son sous-main. Il l’avala sans l’assistance d’aucun verre d’eau ; il avait l’habitude.

Après quoi, il abaissa le contacteur de l’interphone.

— Venez, Kriss !

Ce fut tout. Il ne s’écoula pas une minute avant que le dénommé Kriss apparaisse. C’était un homme jeune, un peu empâté, au visage bistre et au regard de braise. Il portait un complet noir très bien coupé et des chaussures étincelantes qu’il cirait lui-même, par maniaquerie. Chaque matin, il leur consacrait une heure de son temps, les fourbissant avec une technique rare. A la fin, ses souliers n’avaient plus l’air d’être en cuir, mais en marbre noir ou en ébène.

Il resta près de la porte, silencieux, attentif.

Le Tout-Puissant dit d’un ton très bas :

— J’ai changé d’avis. Voulez-vous brancher cette cassette, je vous montrerai.

L’arrivant s’exécuta. Il agissait silencieusement. Sa mise noire le rendait presque invisible. Il actionna le bâton de commande à distance. Les images se jetèrent sur l’écran et reprirent leur rythme un peu saccadé.

Au bout d’un moment, le Tout-Puissant laissa tomber un « Stop » à peine audible. Kriss interrompit la projection, une image fixe demeurait sur l’écran.

— C’est cela que je veux ! fit le Tout-Puissant ; le sujet me paraît plus vigoureux.

Kriss s’inclina et sortit.

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