Quand il avait compris que sa résidence était investie, le Tout-Puissant avait actionné le système de sécurité qui transformait son appartement privé en fortin. Heureusement que le rideau protecteur s’actionnait à la manivelle, sinon, sans électricité, il n’aurait pu le baisser. Il avait dû tourner lui-même le petit volant logé dans une niche, derrière une tenture. La manœuvre ne nécessitait pas un gros effort physique, et pourtant elle épuisa le vieil homme. Quand il eut terminé, il goba une pilule, puis s’effondra dans un fauteuil. La lampe de secours allumée par Kriss au moment de la panne répandait une clarté blanche, un peu crue, qui éclairait trop durement ce qu’elle touchait de son faisceau, tout en laissant le reste dans la pénombre.
Le Tout-Puissant ne percevait plus aucun bruit. Il était coupé du reste du monde, faute de courant. Son système de phonie ne fonctionnait plus. Même le téléphone restait désespérément muet, inerte, privé de la moindre sonorité.
L’homme respirait difficilement, une main appuyée sur sa poitrine. Lentement, grâce au médicament, son souffle se rétablit. Il se sentit en pleine détresse. Il avait cessé d’être le Tout-Puissant. Il n’était plus qu’un malheureux bonhomme enfermé dans une pièce blindée.
C’est alors qu’il poussa un cri d’agonie en songeant à ses deux filles. Il s’arracha de son siège pour se rendre jusqu’au judas permettant de regarder dans la chambre voisine.
L’obscurité enveloppait cette dernière, comme l’ensemble de la maison. Le Tout-Puissant comprit qu’il ne pourrait rien apercevoir tant qu’il y aurait de la lumière dans la pièce où il se trouvait. Alors il éteignit et retourna au judas.
A force de fixité, il finit très vaguement par distinguer des ombres très floues, grâce au peu de clarté nocturne filtrant par les stores fermés. Son regard avide s’installa dans les ténèbres, conquit un rien de vision qui lui permit d’apercevoir, de deviner plus exactement, la présence d’un gros homme à demi nu dans le large lit de ses princesses. Le gros homme paraissait faire l’amour à l’une d’elles. Il agitait son gros fessier en cadence.
Le Tout-Puissant blêmit. Il poussa un cri de pauvre et tomba à genoux, le front contre la cloison.