Tripote pas les boutons. Si ce qui va suivre est noir, ça ne vient pas d’un mauvais réglage du poste. C’est l’historiette qui est commak.
On n’y peut rien.
…………………………………………………………
L’auto ralentit progressivement et se rangea devant une propriété visiblement inoccupée. Le chauffeur en descendit et partit d’un pas nonchalant en direction de la villa des Trabadjalamouk. Il tenait un grand bouquet de fleurs à la main, lequel était artistiquement enveloppé de papier cristal.
Il pénétra dans la propriété et s’approcha du seuil. Il y demeura un instant, immobile, sans sonner, l’oreille tendue. Après quoi il contourna la demeure blanche et aperçut la Mercedes commerciale stationnée derrière la construction, à l’abri d’un massif de rosiers grimpants. Lesdits grimpaient après une armature de fer évoquant l’architecture d’un temple grec. Un jet d’eau murmurait au centre d’une immense vasque de marbre. Des oiseaux venaient s’y abreuver. L’homme rebroussa chemin. Comme ses pas crissaient sur le gravier, la porte de l’office s’entrouvrit et Dorothy Trabadjalamouk montra ses formes rondes.
— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle rudement, en arabe, puisqu’elle parlait cette langue et que le chauffeur était très évidemment égyptien à en foutre la colique à Ramsès II.
Dorothy avait des relents colonialistes dans l’inflexion, bien qu’elle eût épousé un Arabe. Son père avait régné sur des comptoirs de Suez et son grand-père sur une province des Indes ; il lui en restait une hérédité en désaccord avec les grands mouvements actuels.
— Je livre des fleurs à la villa « Sheramour », répondit l’homme en soulevant sa gerbe.
— C’est à côté, bougre d’ahuri, le renseigna Mrs. Trabadjalamouk avec courtoisie.
— Faites excuse, dit le chauffeur.
Il retourna à la voiture. Kriss l’y attendait, impavide derrière ses lunettes noires. Il portait un feutre léger, noir avec un ruban blanc.
— C’est bon, fit le chauffeur.
— Alors, on y va, dit Kriss.
Il enfila des gants gris, en peau très fine. Sur la banquette avant, un Noir rutilant de sueur attendait les ordres. Il était grand, massif, avec les cheveux presque rasés et la lèvre supérieure gonflée par une espèce de varice écœurante.
Les trois hommes gagnèrent la propriété de Dorothy en file indienne. Le Noir y pénétra le premier et longea une haie de crochepattes géants pour s’approcher de la villa. Kriss le suivit. Le chauffeur retourna sur l’arrière de la maison et, délibérément, toqua à la porte.
Dorothy réapparut. En apercevant l’homme, son gros visage bouffi exprima, malgré la peinture qui le submergeait, un sentiment de colère.
— Ah ! non, encore toi ! s’écria-t-elle.
— Il n’y a personne à la villa « Sheramour », balbutia le chauffeur.
— Et que veux-tu que j’y fasse, espèce de…
Elle n’acheva pas sa phrase car, d’un geste sec avec sa main libre, le chauffeur venait d’éventrer le papier qui enveloppait les fleurs et montrait à la dame le superbe revolver à barillet logé au centre du bouquet.
— Lève les bras et ferme ta sale gueule, grosse vache ! ordonna l’homme d’un ton aimable, en ponctuant d’un sourire.
La pauvre dame sentit son sang affluer à son cerveau et n’en plus repartir. Elle dressa ses ailerons et son fond de teint parut s’éclaircir quelque peu. Son vis-à-vis eut un sourire indéfinissable et émit un léger sifflement. Kriss et le Noir surgirent alors. Kriss tenait un revolver pourvu d’un silencieux. Il le tenait comme un cavalier sa cravache, s’en battant négligemment la cuisse.
Il s’approcha de la grosse Anglaise.
— Qui se trouve dans cette maison ? demanda-t-il d’un ton sucré, très bas ; un ton de loukoum.
— Mais que voulez-vous ? tenta d’ergoter Dorothy.
Il la gifla à toute volée et la tête platinée de Mrs. Trabadjalamouk heurta le chambranle de la porte.
— Qui se trouve dans la maison ? répéta Kriss.
Elle avait plein d’étincelles d’or dans la vue avec des traînées rouges comme dans un ciel de couchant. Une terreur lancinante se développa en elle. Elle comprit qu’elle avait affaire à des gens terribles que rien ne pouvait amadouer.
— Il y a une jeune fille.
— Et puis ?
— Le… le juge et sa secrétaire.
— Et puis ?
— Moi.
— Et puis ?
Elle avait envie de hurler. Elle se dit qu’elle devait le faire pour attirer l’attention du voisinage. Mais son cri porterait-il suffisamment loin ? Elle souffrait d’asthme chronique. En tout cas, ses agresseurs réagiraient vite et violemment.
— Et puis personne d’autre, murmura Dorothy.
— Les deux hommes ?
— Lesquels ?
— Vous savez très bien de qui je parle : le beau gars et son gros copain, celui qui vous baise, grosse truie ?
— Ils sont partis.
— Où ça ?
Là, elle mentit. Elle pouvait se le permettre puisque les autres n’avaient aucun moyen de contrôler ses dires.
— Alexandrie, répondit-elle. Ils comptent prendre un bateau.
Kriss la refoula à l’intérieur de la maison. Il se déplaçait en souplesse et ses gestes restaient aériens comme ceux d’un danseur étoile.
— Le juge ? questionna-t-il.
— Au sous-sol.
— L’autre fille ?
— Elle dort encore.
L’homme vêtu de noir grimpa l’escalier quatre à quatre, mais sans faire le moindre bruit. Il ouvrit prudemment quelques portes pour couler un œil à l’intérieur de la pièce. Dans l’une des chambres, il aperçut une mitraillette, celle qui avait été arrachée aux flics dans le cabinet du juge au moment de l’évasion de son « client ». Kriss entra, s’en saisit et la logea sous son bras.
Quand il ouvrit la troisième porte, il aperçut Vera endormie. Elle était belle dans l’abandon du sommeil, avec son auréole de cheveux bruns qui mettait en valeur son teint délicat.
Il hésita, puis referma doucement la porte et descendit l’escalier.
A cet instant, le Noir remontait du sous-sol. D’un acquiescement muet, celui-ci fit signe à Kriss que le juge et son greffier se trouvaient effectivement bien dans la maison. Kriss musarda un peu à la recherche du téléphone. Mrs. Trabadjalamouk le regardait, fascinée par cet être superbe et vénéneux qui la faisait songer à la mort ; probablement à cause de sa mise noire. Kriss trouva un poste téléphonique et composa un numéro. Son appel arriva à son secrétariat. Il dit qu’il voulait parler au Tout-Puissant, et on le lui passa. Kriss résuma en phrases courtes la situation :
— Les deux Français sont partis pour Alexandrie. Ici, il y a le juge, sa collaboratrice, la femme de Trabadjalamouk et cette petite Chilienne que vous aviez envisagé de « traiter ». Ne pourrait-on la récupérer ?
— Excellente idée, le docteur réclame du « matériel ».
— Pour le reste, comme convenu ?
— Evidemment !
Kriss déposa le combiné et s’approcha d’un tableau moderne dont la signification lui échappait. Il s’attarda à le contempler, intrigué et mécontent de ne rien ressentir devant l’œuvre.
Il eut un bâillement léger.
— Va chercher la voiture, ordonna-t-il au chauffeur, et amène-la devant la porte de derrière.
Ensuite, il indiqua au Noir la chambre où dormait Vera et lui dit qu’il devait neutraliser la fille sans lui faire de mal.
— Je peux lui faire du bien ? plaisanta le Noir.
Kriss haussa les épaules.
— Dans cinq minutes il faut qu’elle soit ligotée et bâillonnée dans le coffre de l’auto, répondit-il.
Le Noir s’élança dans l’escalier, dopé par cet accord informulé.
Il pénétra dans la chambre et s’approcha du lit. La fille était si belle qu’il en eut la gorge nouée. Il resta quelques secondes immobile, puis tira sur la fermeture Eclair de son pantalon. Le bruit léger troubla le sommeil de Vera. La jeune fille soupira avant de s’étirer languissamment. Quand elle ouvrit les yeux, elle aperçut un immense Noir dont le sexe était dégagé. Un sexe long et arqué qui s’agitait faiblement comme un animal en agonie.
Le Noir prit un couteau dans sa poche.
— Si vous criez, je vous coupe la gorge, et vous serez obligée de vous taire, vous comprenez ?
Vera se sentit mourir de terreur. Le Noir rabattit le drap. Elle était nue, en chien de fusil.
— Ouvrez grand vos jambes, ordonna-t-il. Allez, mettez-vous sur le dos et ouvrez vos jambes, sinon je vous plante mon couteau dans le ventre pour m’y faire une place. J’ai déjà baisé une blessure, vous savez.
Vera obéit.
Le grand diable s’étendit sur elle et la pénétra lentement, en la fixant avec intensité.
— Ouvrez la porte, mistress Trabadjalamouk !
La grosse, affolée, manipula le levier assurant depuis l’extérieur la fermeture de la porte de fer. Elle n’avait pas de forces et dut y mettre les deux mains. Quand le levier fut à la verticale, elle tira dessus et la porte s’ouvrit. Kriss lui enjoignit de donner la lumière, ce qu’elle fit.
L’homme en noir considéra le spectacle bizarre qu’offraient le juge et son assistante, garrottés sur des piles de coussins.
Il s’appuya de l’épaule à la cloison.
Kriss avait l’habitude de bien prendre conscience des gens, des lieux, des circonstances avant d’intervenir. C’était un contemplatif glacé.
— Quelles sont les caractéristiques de votre voiture, Mrs. Trabadjalamouk ? demanda-t-il à la grosse femme peinturlurée.
Elle les fournit, précisant le numéro de la plaque minéralogique.
— Pourquoi avez-vous aidé ces hommes ? demanda Kriss. C’est très grave de devenir la complice de dangereux criminels, demandez au juge.
— Ils juraient qu’ils étaient innocents, balbutia Dorothy.
— Et vous les avez crus !
L’Anglaise espérait gagner du temps jusqu’au retour de ses protégés. Lorsqu’ils arriveraient, il y aurait de la bagarre.
— Ils paraissaient sincères.
— Vous n’êtes qu’une enfant, Mrs. Trabadjalamouk, une horrible petite fille dégueulasse ; quand je pense que des hommes ont le courage de grimper sur votre pourriture de carcasse, j’ai envie de vomir.
L’incriminée eut un rire pleutre, un rire infiniment servile.
— Vous n’êtes pas gentil, minauda-t-elle.
— Non, admit Kriss, pas gentil du tout.
Il fit glisser dans ses mains la mitraillette logée sous son bras ; d’un geste expert il en ôta le chargeur et se mit à compter les balles qu’il contenait. Il y en avait 16. Kriss réenclencha le chargeur et mit la mitraillette en position du coup par coup.
— Seize balles divisées par trois, fit-il, d’un ton de soliloque, ça ne fait pas un compte rond. Alors disons qu’il y en aura cinq pour chacune des dames, et six pour l’homme.
Le juge et Rézéda poussèrent des grognements inarticulés sous le sparadrap qui les bâillonnait.
— Je suis navré, fit Kriss au juge, mais il n’y a vraiment pas possibilité de procéder autrement. Vous avez eu tort de vous laisser enlever comme un bébé.
Il braqua sa mitraillette sur le magistrat avec un calme qui donnait à ses gestes une forme de ralenti cinématographique.
Quand il pressa la détente, une première balle pénétra dans le bas-ventre du juge. L’homme eut un soubresaut et ses yeux devinrent démesurés. Dorothy se mit à hurler. Kriss s’approcha d’elle et lui plaça un coup de pied à la tête, d’un shoot qui révélait son incroyable souplesse. Elle se tut et s’écroula en hoquetant.
Kriss revint au juge.
La deuxième balle entra dans la région du nombril, la troisième en pleine poitrine, la quatrième traversa le cou, la cinquième lui fit éclater la tête ; bien que la sixième fût superflue, il la lui ajusta en plein cœur, un cœur qui ne battait plus depuis plusieurs secondes déjà.
— Et cinq pour vous ! dit Kriss en s’inclinant sur la collaboratrice du juge.
Elle était à demi inconsciente. Kriss lui plaça les deux premières balles dans les yeux. Il s’interrompit ensuite pour contempler le visage de cauchemar. Rézéda ressemblait à un masque de carnaval bavarois. Kriss la composta ensuite au niveau de la taille, selon une ligne horizontale.
On eût dit un sculpteur maniant le ciseau. Il sculptait la mort sur ces corps sans défense. Cette besogne le passionnait. Quand il eut « distribué » à la malheureuse les cinq balles qui lui étaient dévolues, il s’intéressa à Dorothy Trabadjalamouk. Celle-ci rampait lourdement en direction de la porte. Kriss eut un sourire de presque apitoiement.
— Oh ! le gros boa qui voudrait se sauver, fit-il. Croyez-vous que vous pouvez allez loin, gros boa plein de merde ? Non, non ! Restez tranquille et retroussez votre robe, gros boa.
Comme Dorothy gisait, inerte, il lui administra un maître coup de pied dans les côtes.
— Allez, allez, gros boa : exécution ! On relève sa robe ! Voilà. Bravo ! Quelles horribles cuisses gélatineuses et roses ! Non, non, ce n’est pas un boa mais une truie, pardon ! Mettez-vous à genoux, pour voir. J’ai peine à croire qu’il existe de telles dégueulasseries. Vous avez un foutu cul plein de vergetures et de cellulite ! Vraiment, il se trouve des types pour enfoncer leur pénis là-dedans ? La nature humaine est mystérieuse. Ça pendouille de partout, ma chère truie. Vous êtes répugnante ! Ne bougez surtout pas. Je vais vous prendre à mon tour. J’y tiens. Ouvrez-vous tout à fait, truie ignoble ! Plus largement encore ! Quelle horreur !
Il introduisit le canon de la mitraillette dans le sexe béant de la grosse femme.
— C’est bon, ma truie ? Vous me recevez bien ?
Il imprima un mouvement de va-et-vient à l’arme. Dorothy restait à genoux, grotesque sur ses coudes, le ventre pendant, les fesses largement offertes.
Kriss joua un instant de la mitraillette comme d’un gode.
Il s’enfiévrait un peu, donnait à sa voix des modulations qui pouvaient exprimer le désir.
— Vous êtes heureuse, la truie ? Abandonnez-vous complètement ! C’est exquis, n’est-ce pas ? Je crois que je ne vais pas tarder à jouir. Joignez-vous à moi ! Déchargeons ensemble ! Vous voulez bien, la truie ? Ah ! que c’est divin !
Il précipitait le mouvement du canon. Au bout d’un long moment de son manège, Kriss poussa un cri d’orgasme.
— Je décharge ! cria-t-il.
Il pressa la détente et la garda en position de tir. Les cinq dernières balles se perdirent, l’une après l’autre dans le corps difforme de Mrs. Trabadjalamouk. Le cri qu’elle voulut pousser mourut dans la paume de Kriss. Il retira sa main, tandis que la pauvre femme terminait ses jours sur un râle léger. Sentant ses doigts gluants de salive, il les essuya à la robe de sa victime. La mitraillette était restée plantée dans le sexe de Dorothy. Kriss l’y enfonça davantage de la pointe de son soulier. Quand il se retourna, il vit le chauffeur debout dans l’encadrement de la porte qui lui souriait, amusé.
— Ça défoule, dit Kriss sans s’émouvoir. Tout est paré ?
— La fille est dans le coffre de la voiture.
— Alors, allons-nous-en.
Ils remontèrent les degrés de ciment. L’odeur de la poudre et du sang grimpait avec eux.
Le Noir les attendait assis à la place passager. Il s’efforçait de nettoyer des taches de sperme sur son pantalon.
— Si j’avais su, je me serais moins pressé, bougonna-t-il.
— C’était bon tout de même ?
— Impeccable. C’est une petite salope.
— Si le docteur n’est pas trop pressé, j’aimerais bien l’essayer un peu, ricana le chauffeur.
— Tu te taperais les restes d’un négro ? demanda le Noir d’un ton sarcastique.
— Je me taperais même une chèvre qu’un juif vient d’enfiler, assura le chauffeur. Mon zob et mon cerveau font bande à part.
Il éclata de rire.
Kriss retira ses gants qui puaient la poudre, les roula en boule et s’en servit pour faire briller ses chaussures. Il regretta de n’avoir pas téléphoné à la police depuis la villa des Trabadjalamouk, histoire de leur refiler le numéro de la voiture utilisée par les fugitifs. Il le ferait en arrivant à « Sherazade House », après tout, it’s a long way de Suez à Alexandrie.