Chapitre XV LA BELLE ET LES BELLES

Changement à vue chez le Prodigieux. De Dom Juan, il est devenu Himmler. Finies les troussées éperdues, les grandes flambées passionnées, les déclarations d’amour. Il « s’occupe » de l’homme en noir, lequel nous dit s’appeler Kriss.

— Alors c’est toi qu’as flingué ma petite Anglaise de l’intérieur ? Et t’oses le dire ? Tout juste si tu t’en vanterais pas ! Moi, si j’me retiendrais pas, je te buterais avec un’ estrême sévérité, mon salaud ! En suce, scrafer le juge et sa greffière pour nous faire porter le bada ! Sans parler du reste ! J’vais t’dire une chose, mec, loyalement, si tu joues franco, souate, suvant la promesse de Santonio, on t’ laissera la vie sauf. Mais nez en moins, tu s’ras puni. J’sais déjà ce dont je t’affligerai. Du jamais vu. Un gag ! En attendant, tu vois tes godasses ? Y sont juste à ma pointure. T’as de gros ripatons pour un pédé, l’artiste. Toi, tu vas mett’ les miens, tiens. Et à bibi les crocos bien briqués.

Mon Valeureux procède à l’échange. Kriss supplie qu’on ne le prive pas de ses chères targettes. Des larmes coulent sur son visage brumeux. Mais Sa Majesté est inflexible.

— Tes pompes, faut en faire ton deuil, l’aminche. Bon, on va pouvoir moyenner, Tonio ?

J’opine.

— Dans la vaseline. Et pas d’arnaque, hein, le croque-mort ? Dis à ton vieux croquant qu’au moindre galoup, on lui bousille ses jumelles de théâtre. Plus toi en prime, bien entendu, mais là ce serait du plaisir. T’as tout pigé ? Bien exprimé mes exigences ? On veut une Rolls aux vitres teintées. Une fois à l’aéroport, un jet privé. Pas de formalités policières ou douanières, quand on est un Tout-Puissant, on doit pouvoir arranger ce genre de gamelles, non ? Je veux avoir le champ libre ! Je ne tiens pas à faire sensation avec ces deux souris siamoises. Si pendant le voyage il y a le plus léger pet, ton patron n’aura plus de filles et plus de secrétaire privé. Maintenant, je vais détacher un des gardes pour qu’il aille s’occuper de tout. Tu m’indiqueras le moins con des trois.

Kriss va se placer devant la glace truquée. On ne peut distinguer le Tout-Puissant à travers le miroir, mais on devine sa mystérieuse présence. L’homme en noir lui parle par gestes, selon un code à eux. Je me dis que peut-être il nous bernique, et peut-être que pas, après tout. Des coups sourds frappés contre la paroi de verre répondent à ses questions gestuelles. Kriss écoute attentivement. Ça dure un paquet de temps.

— Le Tout-Puissant demande que vous juriez sur votre mère de ne causer aucun mal à ses chères princesses s’il vous accorde ce que vous demandez.

Tiens, il a le sens de la famille, le Tout-Puissant. Je vais me placer face à lui, dans l’encadrement du miroir et je lève la main droite pour prêter serment. Je jure d’autant plus volontiers que, tu t’en doutes, je ne serais pas capable de faire le moindre mal à ces malheureuses.


Une plombe plus tard, on quitte Sherazade Island dans l’Aqua Rama Riva. Une Rolls aux vitres teintées nous attend. On gagne l’éroport. Aucune formalité. Je répète : aucune formalité. Par une entrée interdite à tous, sauf à nous, on nous drive jusqu’à une bretelle de piste où un jet immaculé (et dûment immatriculé) nous attend. Nous y prenons place tous les six. A bord, il n’y a que deux personnes : un pilote et un radio.

Une escale technique à Athènes. Ensuite j’entre en liaison avec Paris. Je sors à qui de droit quelques formules magiques et nous nous posons vers le milieu de la journée à Villacoublay où un fourgon discret nous attend. Les deux pilotes ont l’autorisation de repartir après qu’on ait rempli leur briquet. C’est au moment de les quitter que la nouvelle tombe sur leur radio. Moi, j’ai pas gaffé car c’est en arabe. Le préposé aux casques crie quelque chose à Kriss, lequel blêmit. Les siamoises, emmitouflées dans un manteau à deux places, éclatent en lamentations.

Je réclame une traduction rapide.

— Le Tout-Puissant vient de mourir d’une crise cardiaque ! dit-il.

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