Chapitre XVI

Malko coula verticalement dans l’eau tiède, entraîné par la ceinture de plomb. L’Océan Indien semblait presque frais à cause de la chaleur torride de la plage. Le masque et le respirateur sans bouteille ne permettaient pas de rester longtemps au fond. Une minute et demie maximum. Il vit des rochers verdâtres et remonta, en donnant un coup de pied au fond. À la surface, il regarda en direction de la plage. Il était dissimulé par le rocher. Si Jambo était toujours aussi amoureux d’Eleonore, il avait devant lui deux bonnes heures.

Il replongea, juste à l’endroit où il avait vu disparaître le Soudanais. Heureusement, l’eau était assez claire. Il atterrit sur un fond de sable parsemé d’aspérités rocheuses. Un peu à sa droite, il aperçut la masse sombre d’un massif plus important. Il nagea dans cette direction mais lorsqu’il y parvint, ses poumons éclataient et il dut remonter. Il se remplit les poumons et repartit, pour atterrir cette fois au beau milieu des rochers. Un labyrinthe d’anfractuosités, d’aspérités, de mini-grottes. Des poissons multicolores lui passaient entre les jambes, s’approchaient du masque, le frôlaient, puis s’enfuyaient. Tout un banc couleur arc-en-ciel glissa sous son ventre.

Il commença à explorer le fond. Peu à peu ses yeux apprenaient à interpréter les couleurs, à reconnaître les mollusques, les poissons tapis dans l’ombre… les antennes d’une langouste nichée dans un creux de rocher.

De nouveau, il dut faire surface, reprendre de l’air et replonger. Il nagea le long des rochers, atteignit le sable qui s’enfonçait vers le large, fit demi-tour. Son masque prenait l’eau, et c’était très désagréable.

En une douzaine de plongées, de plus en plus épuisantes il parvint à délimiter la zone rocheuse. Les blessures reçues à Hong-Kong lui tiraient la plèvre et il arrivait à rester de moins en moins longtemps. Et pourtant, il fallait qu’il trouve !

Il se reposa à la surface quelques minutes, faisant la planche dans l’eau tiède, essayant de raisonner. Si les armes étaient cachées au fond de la mer, elles se trouvaient certainement dans les rochers. Sur un fond de sable, elles auraient risqué d’être emportées par les courants. Mais il y avait des centaines d’anfractuosités. Une demi-douzaine de pistolets mitrailleurs MP 5, leurs chargeurs et des grenades ne tenaient pas beaucoup de place.

En un ultime effort, Malko plongea de nouveau, si fatigué que l’eau lui sembla froide. Cette fois, il avait décidé d’explorer le centre du massif où s’ouvraient plusieurs anfractuosités sombres cachées par des algues.

Dans la première, il ne trouva rien que quelques grosses loches et une multitude de petits poissons, noirs avec un carré blanc. Sans remonter, il passa à la seconde, enfonça sa tête dans l’eau sombre. Quelque chose bougeait et il recula instinctivement : ce n’était qu’une énorme langouste, enfoncée dans un creux. Le sang battant dans ses tempes, il se traina jusqu’à la troisième.

Il dut lâcher ses dernières bulles d’air pour ne pas étouffer. C’était une petite grotte naturelle, qui semblait vide elle aussi. Il allait remonter lorsqu’il aperçut, dépassant de sous le rocher, une tache jaune.

Sa poitrine allait exploser. Il donna un violent coup de pied pour remonter, sentit une douleur aiguë sous le talon. Cette fois, il lui fallut presque près de cinq minutes, étendu sur le dos, pour récupérer. Il examina son pied droit, découvrit une profonde coupure qui saignait abondamment. Il avait dû prendre appui sur un corail. Il pria pour qu’il n’y ait pas de requins.

Enfin, il se laissa couler pour la énième fois, dut nager une dizaine de mètres, luttant contre la marée, pour retrouver son rocher. Il plongea aussitôt dans la mini-grotte, la tête la première.

Les battements de son cœur s’accélérèrent : ses doigts venaient de rencontrer de la toile caoutchoutée ! Il distingua un sac jaune, s’y accrocha, voulut tirer à lui, mais le sac était solidement coincé. Il s’épuisa pendant plusieurs secondes en vains efforts sans le faire bouger d’un millimètre.

Il fallait remonter à la surface. Au moment où il allait lâcher, il aperçut les deux grandes antennes d’une langouste ! Instinctivement, il saisit la carapace glissante et verdâtre. Il n’aurait jamais cru que ses aspérités étaient aussi dures et acérées, et faillit lâcher prise sous la douleur, puis parvint à l’arracher de son alvéole. Furieuse, agitant désespérément ses antennes.

D’un coup de talon, il se jeta vers la surface.

Tandis qu’il remontait, il vit foncer sur lui ce qu’il prit d’abord pour un énorme requin ou un dauphin. Puis il distingua un masque. Un autre plongeur comme lui, qui braquait dans sa direction un fusil de chasse sous-marine.


* * *

— Jambo ! cria le Soudanais.

Des cris joyeux lui répondirent. Entre Eleonore et Chino-Bu, Jambo jouait le pacha depuis le début du repas. Un bras passé autour de la taille de chacune des filles.

Il en était à son troisième chilom de haschisch et son humeur s’en ressentait. Eleonore avait du mal à cacher son anxiété, pensant à Malko. Mais le Soudanais ne semblait vraiment se douter de rien. Quant à Chino-Bu, elle buvait Jambo des yeux. Il ne lui avait pratiquement pas adressé la parole de tout le déjeuner.

— On y va, dit Jambo.

Il avait payé. Il caressa les hanches d’Eleonore, la poussant devant lui. Chino-Bu suivait, soumise et extasiée. Le Soudanais se retourna vers elle.

— Faut que tu ailles chercher du bois !

Elle sursauta :

— Maintenant ?

— Ouais.

Il la fixa avec insistance, et elle s’éloigna vers l’autre bout de la plage. Jambo se pencha à l’oreille d’Eleonore :

— Viens m’apprendre le yoga.

Ils partirent le long de la plage. Eleonore, soudain paniquée. Sous ses dehors excentriques, Jambo avait une volonté de fer et une organisation parfaite : il ne laissait rien au hasard, et le haschisch ne semblait pas entamer ses capacités.

Tout à coup, il s’arrêta net, jura entre ses dents, en regardant la mer. Eleonore eut l’impression que son estomac se remplissait de briques. Suivant la direction de son regard, elle aperçut le scintillement d’un rayon de soleil contre un objet flottant à la surface de l’Océan Indien.

Le masque de plongée de Malko.

Jambo, sans plus s’occuper d’elle, se mit à courir comme un fou. D’abord vers sa pirogue échouée, puis vers sa cabane.

Eleonore démarra derrière lui, de toutes ses forces, terrifiée. Quand elle parvint à son tour à la cabane, essoufflée, paniquée, Jambo était en train d’armer un fusil sous-marin, un masque de plongée autour du cou. Il avait bouclé une ceinture de plomb autour de sa taille, à laquelle était accroché un poignard.

— Jambo ! Qu’est-ce que tu ?

L’arme prête, il voulut sortir. Eleonore lui barra le chemin. Sans un mot, il lui envoya un violent coup de poing sur la bouche. La Noire tituba, poussa un cri, eut l’impression que sa langue se muait en carton épais. Mais elle trouva le courage de saisir le fusil par la hampe. Jambo lui appuya si violemment la pointe contre son estomac, nu, qu’elle sentit la flèche pénétrer dans sa chair.

— Tire-toi ou je te tue, gronda-t-il.

Eleonore avala sa salive, le cœur dans les talons.

— Où vas-tu ? balbutia-t-elle. Pourquoi es-tu en colère ?

— Tire-toi, je te dis, répéta le Soudanais ou je t’embroche.

Elle vit dans ses yeux qu’il allait lui tirer la flèche barbelée à bout portant. Elle lâcha prise. Il dévala comme un fou vers la mer. Eleonore le vit entrer dans l’eau après avoir mis son masque et nager vigoureusement dans la direction où se trouvait Malko.


* * *

Instinctivement, Malko agita le bras tenant la langouste en un geste de défense. Voulant croire que le plongeur ne l’avait pas vu. Mais le nouveau venu se dirigeait droit sur lui, la flèche toujours pointée en avant.

D’une détente désespérée, il se jeta vers la surface. La flèche partit, lui effleura la cuisse et se perdit dans les rochers. Le plongeur avait prit un tel élan qu’il vint heurter le ventre de Malko du bout de son fusil, comme pour l’embrocher. À travers le masque, Malko reconnut les narines épatées et les yeux noirs pleins de haine de Jambo ! Il n’avait aucune arme à part sa langouste. L’autre avait tout le temps de récupérer sa flèche attachée au fil de nylon et de le tirer tranquillement tandis qu’il tenterait de s’enfuir.

C’est alors qu’il aperçut le poignard, accroché à la ceinture de Jambo. Ils étaient si prêts l’un de l’autre qu’il n’eut qu’à étendre le bras pour l’arracher de sa gaine.

En dépit du brusque recul du Soudanais, si Malko avait été un assassin, il aurait eu dix fois le temps de lui plonger l’arme dans le foie. Mais il se contenta de remonter vers la surface. Jambo n’avait pas de bouteille. Lui aussi allait être obligé de remonter pour réarmer le fusil. Maintenant, ils étaient à égalité.

Il espérait encore ne pas engager la lutte ouverte avec le Soudanais ce qui modifierait tous ses plans.

À peine la tête hors de l’eau, il rejeta l’air vicié et aspira profondément pour être prêt à plonger de nouveau. Quelques secondes plus tard, la tête crépue de Jambo creva la mer à quelques mètres de lui. Il aperçut Malko et nagea aussitôt sur le dos, s’éloignant de lui, son fusil et sa flèche dans la main gauche.

Malko cria :

— Jambo, Jambo, qu’est-ce que tu fais ?

Il nagea lentement vers lui, sans lâcher le couteau à manche de liège. Il fallait l’empêcher de réarmer. Sinon, il allait être en danger de mort.

— Salaud ! hurla le Soudanais. Je vais te tuer.

Malko brandit la langouste.

— Tu es fou ! Pour une langouste !

Son ton était tellement sincère que l’autre se relâcha quelques secondes. Malko en profita pour insister :

— Je sais bien que je n’aurais pas dû t’emprunter ton masque ! Mais j’avais envie d’offrir une langouste à Eleonore !

Jambo hésitait, arc-bouté dans l'eau, en train de tendre le sandow de son fusil.

Malko avait encore le temps de poignarder son adversaire. S’il le laissait réarmer le fusil, il serait à sa merci. Mais il ne fallait pas, jusqu’à la dernière seconde, que les Palestiniens sachent que la CIA avait pénétré leurs plans. Pour cela, il était impératif que Jambo ne considère pas Malko comme un ennemi.

Ce dernier nagea vers le Noir et lui tendit le poignard en le tenant par la lame :

— Tiens, dit-il, je te l’avais pris parce que j’avais eu peur.

Maintenant, il était entièrement à la merci de son ennemi. Debout dans l’eau, il attendit, des papillons plein l’estomac. Jouant sa vie sur une intuition. Jambo prit le poignard, le remit dans sa gaine. Puis, il acheva d’une détente sèche et puissante de réarmer son harpon, garda le doigt sur la détente. Malko guettait ses moindres mouvements. Comme s’il avait été en cage avec un fauve dangereux que le moindre mouvement maladroit puisse déchaîner. Il sentait que Jambo hésitait à le tuer, que son geste de soumission l’avait pris de court.

— Qu’est-ce que tu faisais ici ? grommela-t-il.

— Je te l’ai dit, fit Malko. Je péchais.

— Tu avais dit que tu allais à Calangute ?

— Je n’ai pas pu, dit Malko, je me suis coupé le pied sur un rocher en partant Regarde.

Il se mit sur le dos, montra la profonde coupure à son pied droit. Le sang coulait encore. Maintenant, Jambo était sérieusement ébranlé.

— Personne d’autre que moi n’a le droit de pêcher ici, dit-il d’un ton agressif. J’ai déjà failli tuer un Allemand, l’autre jour.

— Je t’assure que je ne le savais pas, fit humblement Malko.

Ils nageaient l’un en face de l’autre. Malko tenant toujours sa langouste dans sa main ensanglantée. Il la tendit à Jambo.

— Tiens, elle est à toi.

Le geste apaisa définitivement le Soudanais.

— Ça va, bougonna-t-il, on va la bouffer ensemble.

Il se mit à nager vers le bord, remorquant son fusil.

Malko suivit.

Le ciel lui parut plus bleu : il était vivant et maintenant il savait où se trouvaient les armes. Mais le reste de sa mission allait être encore plus délicat. Jambo tenterait de le tuer au premier soupçon. Il ignorait même si sa subite magnanimité n’était pas une ruse pour en savoir plus.

Ils arrivèrent ensemble sur la plage. Eleonore attendait, appuyée à la pirogue. Elle se précipita vers Malko qui boitait. Immédiatement, il remarqua le côté gauche de son visage et sa lèvre gonflée.

— Que s’est-il passé ? demanda Malko.

Eleonore se força à sourire comme Jambo arrivait.

— Ce n’est rien, assura-t-elle. Un malentendu. Mais vous êtes blessé.

Sa main soignait et son pied lui faisait horriblement mal. Jambo s’approcha, faussement gai, mit la main sur l’épaule de Malko.

— Faut pas m’en vouloir, man ! Mais ces langoustes c’est tout ce que j’ai pour bouffer. J’ai cru que tu voulais me piller mon parc. Il n’y en a pas beaucoup, parce que l’eau est trop froide. Ta copine a voulu m’arrêter et je me suis énervé.

— Mais on va la bouffer ce soir ta langouste. Tous les quatre. Parce que demain, on part à Bombay chercher nos passeports.

— Excellent ! dit Malko. Eleonore et moi, on va essayer d’acheter des légumes au restaurant et on fera la cuisine.

Great, man, great, fit gravement le Soudanais.

Son regard semblait parfaitement innocent, mais à plusieurs reprises, Malko crut y surprendre une lueur dangereuse. Jambo pensait-il qu’il était un ennemi ?

Ce dernier agita son fusil :

— À tout à l’heure.

Eleonore étala le paréo sur la plage, et Malko et elle s’installèrent dessus. Son pied continuait à saigner… Elle se pressa contre lui. Sa peau était douce et tiède, mais son visage était tout enflé.

— J’ai eu si peur ! J’ai cru qu’il allait vous tuer. Vous avez trouvé quelque chose ?

— Oui, dit Malko. Mais il a bien failli me tuer.

Il raconta à Eleonore ce qui s’était passé et conclut :

— Le plus difficile reste à faire. J’ai peur qu’il ne me soupçonne. Avant tout, il faut l’empêcher de faire part de ses soupçons à Chino-Bu. Où est-elle ?

Eleonore lui expliqua l’histoire de la corvée de bois puis demanda :

— Il ne serait pas plus simple d’aller prévenir la police indienne ? Ils confisqueraient les armes. C’est tout ce qu’il faut.

— Nous ne sommes pas ici pour cela, objecta Malko. Il y a encore une chance de réussir mon plan. Et, avant d’amener un policier hindou ici, cela peut prendre un mois.

— Et si on les arrêtait à l’aéroport de Bombay ?

— Ce sera l’ultime recours, admit Malko. En attendant, allez à la cabane. Pour aider Jambo à préparer la langouste. Qu’à aucun prix, il ne reste seul avec Chino-Bu.

Eleonore ouvrit de grands yeux.

— Mais on sera obligés de les laisser seuls pour la nuit.

Malko eut un sourire mystérieux.

— D’ici là, il peut se passer beaucoup de choses. Donnez-moi le sac.

Elle lui tendit le sac contenant leurs trésors.

— Dites à Jambo que j’ai été faire soigner mon pied au restaurant et acheter des légumes.

— OK, dit Eleonore, je ferai de mon mieux.

Malko se pencha et l’embrassa légèrement sur sa bouche tuméfiée.

— À tout à l’heure.

Il s’éloigna en claudiquant sur le sable brûlant. La douleur de sa coupure était presque insupportable. Il fallait VRAIMENT qu’il se fasse soigner.

Mais ce n’était que la partie la moins importante de ce qu’il avait à faire.


* * *

Eleonore scrutait la cocoteraie, mortellement inquiète. La nuit était tombée, et Malko n’avait pas reparu. Jambo aussi semblait nerveux, en train de préparer le feu sur lequel ils allaient faire cuire la langouste. Eleonore avait scrupuleusement observé les consignes de Malko : elle n’avait pas quitté le Soudanais d’une semelle. Dès qu’elle l’avait rejoint dans la cabane, il l’avait allongée sur la natte et lui avait fait rapidement l’amour. Soi-disant pour lui demander pardon de son coup de poing… Mais, la magie du haschisch s’était évaporée, et elle avait failli crier de dégoût.

Chino-Bu était arrivée un peu plus tard, ramenant une brassée de bois qu’elle avait été chercher à près de deux kilomètres. Pendant que l’eau bouillait, ils étaient allés tous les trois s’étendre sur la plage. Mais, plus l’absence de Malko se prolongeait, plus l’anxiété de Jambo était visible. Lorsque le soleil était tombé dans la mer il avait même dit :

— Tu devrais aller voir ce qu’il fait.

Elle avait haussé les épaules.

— J’ai la flemme.

Jambo n’avait pas insisté. Ensuite, ils étaient revenus à la cabane. Ajuna Beach se piquetait de dizaines de lampes à pétrole. La plage était maintenant déserte.

Une silhouette surgit enfin de la cocoteraie, agitant une lampe électrique.

— C’est moi ! cria Malko.

Il portait un grand panier d’osier, avait le pied droit bandé, des nu-pieds de caoutchouc.

— Où étais-tu ? demanda Jambo d’un ton soupçonneux.

Malko se laissa tomber sur la natte.

— Le gars du restaurant m’a emmené dans son bus jusqu’à Calangute en passant par la route de la rizière. Il n’avait rien pour me soigner. J’ai eu peur que cela s’infecte. J’ai été me faire panser à la pharmacie et j’en ai profité pour aller au marché. Regardez.

Il y avait des fruits, des légumes, de la bière et même du Nescafé. Ce qui dérida le Soudanais !

— Fantastique, man ! s’exclama-t-il. On va boire du café !

De nouveau il semblait avoir écarté tout soupçon. Il sourit à Malko, retroussant ses lèvres épaisses.

— J’ai cru que tu t’étais tiré en me laissant Eleonore.

Malko lui rendit son sourire.

— Il ne faut jamais vendre la peau de l’ours…

Malko échangea un regard avec Eleonore. La Noire vit qu’une lueur joyeuse dansait dans les yeux d’or et cela la réchauffa.

— Vous partez tôt, demain matin ? demanda Malko.

— À l’aube, dit Jambo. J’irai pêcher deux ou trois langoustes avant de partir. C’est la bonne heure. À propos, comment tu es revenu de Calangute ?

— J’ai pris le bus jusqu’à Baga, fit Malko. C’est pas cher : une roupie. Puis j’ai traversé la forêt.

Il avait répondu d’une voix calme, sans la moindre hésitation. Mais maintenant, il était certain que Jambo le soupçonnait.


* * *

La flamme de la bougie vacillait. Il ne restait plus de l’énorme langouste qu’une carapace, vide. Avec un soupir d’aise, Jambo tira son chilom et commença à le bourrer de haschisch. Malko demanda :

— Tu veux du café ?

— Sûr, man.

Malko mit du Nescafé dans une tasse, ajouta deux morceaux de sucre, et Eleonore remplit la tasse d’eau. Jambo la vida d’un coup. Ensuite, Eleonore en distribua à la ronde. Un moment plus tard, Malko s’étira.

— Je crois qu’on va aller se coucher.

Jambo bâilla.

— Vous devriez rester là, près de la cabane, vous aurez moins froid que sur la plage. Je vais vous prêter une couverture…

— OK, fit Malko. C’est gentil.

Le Soudanais lui tendit une mince couverture rayée. Malko se leva.

— Réveillez-nous demain matin. Qu’on vous dise au revoir.

— Sûr.

Ils s’embrassèrent tous, puis Malko et Eleonore allèrent s’installer à une dizaine de mètres plus loin. Jambo les accompagna, les installa dans un creux protégé du vent, puis s’éloigna. La lune luisait faiblement. Dès que le Soudanais se fut éloigné, Eleonore demanda :

— Que se passe-t-il ? Pourquoi veut-il que nous restions là ?

— Parce qu’il a l’intention de nous tuer cette nuit, dit Malko.

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