En descendant du DC3 des Safari Airways, Malko eut l’impression de tomber dans une fosse d’aisances. L’odeur de poubelle était toujours aussi tenace.
Eleonore remarqua :
— Vous avez dormi.
La Noire avait repris figure humaine, avec une mini boutonnée, des mocassins plats et un tricot moulant. Ils traversèrent le hall des arrivées « domestic », débouchèrent à l’extérieur de l’aérogare.
— Allons à l’ambassade, dit Malko. Nous pourrons communiquer par télex avec Richard Green.
Il s’arrêta net. L’esplanade devant l’aérogare était déserte : pas un seul taxi. Pas un bus. Trois ou quatre voitures particulières en ruine et une jeep de police, ainsi que deux motards. Un policier faisait les cent pas, le stick sous le bras, la moustache en croc, les jambes moulées dans des bandes molletières, terminées par un revers de chaussettes, les pieds chaussés de nu-pieds. Son uniforme paraissait sortir directement d’une essoreuse où on aurait oublié de le laver.
Un peu plus loin, une foule compacte et résignée attendait, assise sur des monceaux de bagages. Bizarre, bizarre.
Malko s’approcha du policier :
— Il n’y a pas de taxis ?
— No, sir.
— Pourquoi ?
— The Bandh, sir.
Il avait arrêté sa promenade, extrêmement poli. Malko fronça les sourcils. Que signifiait the bandh ? Bien que parlant anglais parfaitement, c’est un mot qu’il n’avait jamais entendu. C’était peut-être une des fêtes innombrables et baroques du calendrier hindouiste, accommodant la paresse indienne…
— C’est une fête ?
Le policier secoua la moustache en croc.
— No, sir. C’est la grève générale. Pas un taxi et pas un bus ne roulent à Bombay aujourd’hui.
— Mais les passagers…
— Nous attendons une jeep pour escorter un bus, expliqua le policier. Celui de la Swissair s’est fait lapider. Ils ont à moitié tué le chauffeur. Toutes les vitres ont été cassées.
Légendaire douceur indienne.
— Mais vous avez une jeep, là, objecta Malko, je suis diplomate et je dois aller à Bombay de toute urgence.
La moustache en croc eut un sourire angélique.
— Absolument désolé, sir. Notre jeep est en panne. Nous devons en attendre une autre. Dès qu’elle sera là, je vous accompagnerai moi-même.
Il était prêt à l’emmener sur son dos, à l’entendre. Le contraste entre l’accent d’Oxford et la décomposition alentour était fabuleux. Malko tenta de ne pas s’énerver.
— Cette jeep, demanda-t-il, quand viendra-t-elle ?
— Impossible de le dire, sir. Il est même possible qu’elle ne vienne pas du tout. Nous avons beaucoup de travail aujourd’hui. Les émeutiers ont attaqué plusieurs dépôts de riz. Excusez-moi, sir.
Il allait s’éloigner quand Malko protesta :
— Enfin, c’est incroyable, je ne vais pas aller à pied à Bombay.
Le policier prit l’air choqué.
— Il n’en est pas question. Je suggère, sir, que vous écriviez une lettre de protestation au ministère du Tourisme.
Malko préféra ne pas répondre. Il se retourna vers Eleonore.
— Les plans sont changés. Chino-Bu doit être dans les parages. Cherchons-la.
Ils partirent à travers les salles pouilleuses de l’aérogare, encombrées de passagers mangeant, dormant ou se rasant.
Ils découvrirent la Japonaise cinq minutes plus tard, dans le hall de départ « International », allongée sur une banquette de bois, au milieu d’un groupe de Sikhs en train de peigner leur barbe. À ses pieds une grande valise de carton bouilli marron, fermée par deux courroies.
Malko tira Eleonore hors de la vue de la Japonaise.
— C’est trop risqué de passer la nuit ici, dit-il. Elle pourrait nous voir. Allons voir les départs.
Malko parcourut des yeux le tableau d’affichage : Air India affichait un vol à 8 h 30. Pour Dubaï, Bahreïn et Koweit.
Malko fonça à l’enregistrement.
— Vous avez deux places pour Koweit ?
L’employé hindou secoua la tête, désolé.
— Désolé, sir, le vol est absolument complet.
— Je vois, fit Malko.
Il s’éloigna du comptoir, glissa cinq billets de cent roupies dans son passeport, revint, tendit le document au même employé avec un grand sourire et demanda :
— Voulez-vous vérifier si vous n’avez pas deux places à ce nom ?
L’employé prit le passeport, fit glisser les billets dans un tiroir ouvert, prit un stylo, raya deux noms sur une liste, releva la tête, souriant :
— C’est exact, sir. Allez prendre vos billets et revenez vite. L’enregistrement est presque terminé.
Eleonore s’étira voluptueusement. Les First du Boeing « 707 » d’Air India étaient tout à fait convenables. Dès qu’il avait eu ses cartes d’embarquement, Malko s’était discrètement éclipsé, laissant derrière lui un groupe vociférant de passagers en liste d’attente, s’injuriant en indien et en arabe. Allah reconnaîtrait les siens.
Il avait hâte d’être au Koweit. Pour le dernier acte. Eleonore n’était pas moins anxieuse.
— Vous croyez vraiment que cette Japonaise va arriver demain avec les armes ? demanda-t-elle.
— J’en suis sûr, dit Malko.
— Mais comment va-t-elle les sortir ? L’aéroport doit être terriblement surveillé.
Si c’était comme à Beyrouth où on pouvait passer avec un mortier sans être particulièrement inquiété… Malko ferma les yeux, essayant de se détendre un peu. Les amphétamines faisaient battre son cœur plus vite.
Demain il risquait d’y avoir encore du sang et des morts.
Les flammes des innombrables torchères brûlaient dans la nuit comme des feux de la Saint-Jean. C’était ainsi depuis l’entrée du golfe Persique. Heureusement, on n’avait pas fait descendre les passagers à Dubaï et à Bahreïn.
Une petite secousse secoua le « 707 ». Ils venaient d’atterrir au Koweit. Le Boeing roula interminablement, s’arrêta enfin devant le vieil aéroport désert à cette heure tardive. La plupart des passagers étaient descendus à Dubaï. Les formalités furent expédiées rapidement par des douaniers endormis. Malko trouva un taxiphone et composa le numéro personnel de Richard Green. Lorsqu’il entendit la voix endormie de l’Américain, il annonça :
— Nous sommes de retour.
— Welcome home, rugit Richard Green, instantanément réveillé. Comment ça s’est passé ? Où êtes-vous ?
— À l’aéroport. Tout ira bien. Quand arrive le Secrétaire d’État ?
— Demain, 1 h 30, comme prévu. Mais…
Malko le coupa :
— Je téléphone de l’aéroport. Rendez-vous demain matin, à votre bureau.
Il raccrocha et rejoignit Eleonore qui l’attendait dans le taxi. Tandis qu’ils traversaient les interminables banlieues de Koweit City, Malko se sentit soudain pris d’angoisse. Il était sûr de la réussite de son plan. Mais les Palestiniens n’avaient-ils pas prévu une solution de rechange ?
— Je vous dépose avant d’aller à l’hôtel, dit-il à Eleonore.
La jeune Noire proposa sans le regarder :
— Cela serait plus pratique de dormir chez moi. Ainsi, personne ne saura que vous êtes revenu.
Malko dit au taxi d’aller Sour Road. Après l’Inde, la température semblait glaciale. Arrivés dans l’appartement d’Eleonore, il s’assit dans la petite pièce qui servait de bureau et de bar, tandis qu’Eleonore s’éclipsait.
Elle reparut : éblouissante. En un temps record, elle s’était changée : un chemisier blanc transparent, une longue jupe noire, un gros collier fantaisie faisant ressortir la minceur de son cou… Elle mit un disque de musique brésilienne sur l’électrophone et vint vers lui en dansant comme seules savent le faire les Noires.
— Si nous devons mourir demain, dit-elle, ce soir, dansons, buvons et faisons l’amour.
Le bureau de Richard Green disparaissait sous les gorilles. Tous entre 1 m 85 et 1 m 95, les yeux durs, vêtus de costumes sobres et sombres, les cheveux courts, l’air tendu, arborant au revers du veston, une épingle de couleur mauve. Amenées avec eux pour éviter les contrefaçons.
L’un d’eux avait démonté son colt sur le bureau du chef de station de la CIA et le nettoyait, une boîte de cartouches ouverte à côté de lui. D’autres buvaient du café dans des gobelets en carton. Quatre gardaient la porte du rez-de-chaussée, équipés de talkie-walkie glissés dans la ceinture… Ce n’était qu’une partie des hommes qui allaient défendre Henry Kissinger. Une vingtaine déjà étaient en place sur différents points du parcours, dans des voitures ou des appartements, certains armés de « shot-guns ». Par autorisation spéciale de l’émir.
Malko se fraya un passage jusqu’à Richard Green, en train d’expliquer le dispositif de sécurité sur une grande carte épinglée au mur :
— … Dès que le « 707 » du Secrétaire d’État se sera posé, il sera dirigé par la tour de contrôle vers le hangar d’entretien des Koweit Airways, expliqua-t-il. À environ un demi-mille avant l’aérogare. Personne ne le sait, à part une poignée d’officiels… Nous avons même fait préparer un salon d’honneur dans l’aérogare.
— En descendant de l’avion, Henry Kissinger montera dans la Lincoln blindée qui a été débarquée hier et se rendra directement à la résidence de l’émir Sabah al Salem, à vingt kilomètres au sud de Koweit. Le convoi comprendra…
Il s’interrompit en voyant Malko, lui serra vigoureusement la main et l’attira à l’écart :
— Alors ?
— Je pense que tout marchera bien, dit Malko.
Un grand brun, avec des lunettes d’écaille, s’approcha d’eux. Richard Green le présenta à Malko.
— George C. Smith, du Secret Service. Responsable de la sécurité du Secrétaire d’État durant ce voyage. Voici le prince Malko Linge, en mission pour la « Company ».
George C. Smith écrasa les phalanges de Malko. Il ne pesait pas plus de deux cents livres. Tout en muscles.
— Il paraît que vous avez fait du bon boulot, dit-il.
— Tant que Mr. Kissinger ne sera pas reparti d’ici, sain et sauf, nous avons des raisons d’être inquiets, dit Malko.
George C. Smith eut un sourire froid et peu rassurant.
— J’ai donné l’ordre à mes gars de ne prendre aucun risque. Nous sommes en train de checker le parcours avec des détecteurs électroniques. J’ai plusieurs hommes avec des fusils à lunette sur le toit du hangar. Les Koweitis me donnent trois hélicoptères avec un équipage mixte. Parlez-moi de ce que VOUS avez fait ?
— Mes moyens sont plus modestes, dit Malko.
Il résuma son voyage en Inde. Les deux Américains l’écoutaient attentivement.
— Donc, conclut George C. Smith, ces types vont se pointer à l’aéroport chercher leurs armes. Dans la partie où Henry Kissinger ne se trouvera pas.
— Exact, dit Malko. J’espère néanmoins que votre changement d’itinéraire n’est pas le secret de polichinelle.
— Nous aurons quand même des hommes dans l’aérogare, affirma George C. Smith. Que faites-vous d’ici 1 h 30 ?
Il restait trois heures avant l’atterrissage du « 707 » amenant Henry Kissinger. Malko tenait à reprendre contact avec Winnie Zaki. Tant de choses avaient pu se passer en trois jours.
— Je vais aux nouvelles, dit-il.
— Prenez ça déjà, offrit George C. Smith.
Il lui tendit une épingle mauve que Malko dissimula sous le revers de son costume d’alpaga noir. La cour de l’ambassade grouillait de voitures. Dont la « Continental » blindée amenée par avion de Washington… Si on leur en avait laissé le temps, le Secret Service aurait creusé un tunnel jusqu’à la résidence de l’émir.
Malko monta dans une des Chevrolet équipées du téléphone, conduite par un chauffeur de la sécurité koweïtienne, mises à la disposition de l’ambassade U.S. et se fit conduire au ministère de l’Intérieur.
Le sheikh Sharjah se leva pour venir serrer Malko dans ses bras. Il eut l’impression d’être étreint par une motte de beurre… En plus des deux Yéménites, le bureau grouillait de civils du Mahabet. Les téléphones sonnaient sans arrêt.
— Où étiez-vous passé ? demanda le Koweiti. Vous êtes bronzé !
— J’ai été faire une cure de repos, dit Malko. Vous avez retrouvé les Palestiniens ?
Les bons gros yeux de Sharjah prirent une expression chagrine.
— Non, mais ce n’est pas grave. Personne ne pourra pénétrer dans l’aérogare avec une arme. Nous fouillons tout le monde. Même les diplomates. C’est l’ordre de l’émir. Il m’a dit que je perdrais mon poste si quelque chose arrivait à Henry Kissinger qui est son hôte.
— Pas de nouvelles d’Abdul Zaki ?
Le visage du sheikh se tordit en une grimace malicieuse.
— Si, mais rien qui vous intéresse. Il y a eu un drame avec Winnie.
Malko dressa l’oreille.
— Avec Winnie ! Qu’est-il arrivé ?
Sharjah baissa la voix.
— Il paraît qu’elle l’a trompé avec un Saoudien et qu’il l’a appris. Cela s’est passé le lendemain de votre départ. Il l’a aux trois quarts tuée et, depuis, elle est enfermée dans son palais de la zone neutre. Je m’étais toujours dit qu’elle était trop belle pour appartenir à un seul homme.
Visiblement, le sheikh bedonnant regrettait de ne pas s’être mis sur les rangs. Sans remarquer l’inquiétude de Malko.
— Où est Abdul Zaki aujourd’hui ? demanda Malko.
— Je ne sais pas, pourquoi ?
Malko le regarda bien en face :
— Parce que ce n’est pas à cause d’un Saoudien qu’il a battu sa femme. Il faut le trouver. Coûte que coûte.
— Que voulez-vous dire ?
Malko comprit qu’il devait révéler une partie de la vérité au sheikh s’il voulait sa collaboration.
— Avant mon départ, la femme de Zaki m’a fait des révélations : il a dû l’apprendre et s’est vengé. Je veux être sûr qu’il ne prépare pas une mauvaise surprise. Sachant maintenant que nous avons contré ses plans.
— J’ai fait cerner l’aéroport par des chars, objecta Sharjah. Nous avons raccompagné à la frontière irakienne une cinquantaine d’activistes palestiniens. D’autres sont gardés à vue.
— C’est parfait, dit Malko. Mais je veux que l’on trouve Zaki et que vos hommes ne le lâchent plus d’une semelle.
— Très bien, admit Sharjah, nous allons aller chez lui.
Malko consulta sa montre : 11 heures et quart. Henry Kissinger arrivait cent trente-cinq minutes plus tard. Il faillit appeler Richard Green, puis se ravisa : il ne voulait pas affoler l’Américain inutilement. Winnie Zaki avait peut-être tenu sa langue.
Les mains jointes sur son estomac, cassé en deux, dégoulinant de respect, le majordome d’Abdul Zaki répondait avec un enthousiasme abject aux questions du sheikh Sharjah.
… Non, son maître n’était pas là… Il avait dit qu’il partait chasser au faucon dans le désert… Sa maîtresse se reposait dans la zone neutre… Non, il n’avait rien vu d’anormal… Son maître était parti à l’aube. Comme toujours lorsqu’il chassait… Avec sa Mercedes.
Il n’y avait rien de plus à en tirer. Sharjah et Malko ressortirent du palais Zaki.
— Vous êtes rassuré ? demanda le sheikh. Étant donné ses opinions, cela ne m’étonne pas qu’il ait quitté la ville aujourd’hui. Sinon, il aurait été obligé d’assister à la réception de notre oncle l’émir.
Malko remonta dans la Buick.
— Je serai rassuré quand je saurai ce qu’il fait et où il est. Pouvez-vous trouver le numéro de téléphone de sa voiture ?
— Certainement.
— Alors, faites vite. Cela pourra éviter une très mauvaise surprise.
Ils repartirent vers le ministère de l’Intérieur. Tout en conduisant, Sharjah tapait frénétiquement sur ses touches, aboyant vers d’invisibles interlocuteurs, menaçant, cajolant, vitupérant, remerciant… Au moment où ils pénétraient dans la cour du ministère, son téléphone sonna. C’était le renseignement qu’il avait demandé.
— Que voulez-vous en faire ? demanda-t-il à Malko.
— Vous allez l’appeler. Lui dire que l’émir tient à ce qu’il assiste à la réception en l’honneur de Kissinger. S’il y va, il n’y a plus de problème. S’il se défile, il faudra qu’il dise où il se trouve.
Le sheikh Sharjah était déjà en train de promener son index boudiné sur ses touches. La sonnerie se déclencha. Sonna longtemps. Le sheikh écarta le récepteur de son oreille.
— Il ne répond pas.
— Essayez encore.
Sharjah recommença : sans plus de résultat. Il raccrocha et regarda Malko. Avec une certaine anxiété.
Malko réfléchissait. Que pouvait bien tenter un homme comme Zaki ? Soudain, une bribe d’information le concernant lui revint à l’esprit. Un souvenir qui lui fit froid dans le dos.
— Pouvez-vous avoir un hélicoptère rapidement ? demanda-t-il au Koweiti.
Sharjah le regarda avec surprise.
— Oui, sûrement. Pourquoi ?
— Je vous expliquerai.
Malko regarda sa montre. 11 h 40.
— Bon sang ! Qu’est-ce qu’il fait ?
Malko trépignait. Depuis vingt minutes, ils attendaient le pilote de l’hélicoptère, dans l’enceinte d’un petit camp militaire, à mi-chemin entre Koweit City et l’aéroport. Le plein était fait, le sheikh Sharjah et ses deux Yéménites ficelés sur la banquette arrière du Bell.
Midi 45. Il avait fallu plus longtemps que prévu pour obtenir un hélicoptère.
Une jeep entra en trombe dans l’enceinte. Un homme en combinaison de vol en sauta en voltige et se précipita vers l’hélicoptère. Un Égyptien aux yeux clairs.
Houspillé par le sheikh Sharjah, le pilote effectua son check-up à toute vitesse, et l’appareil s’arracha enfin au sol.
Vue d’en l’air, Koweit City n’était pas appétissante avec ses terrains vagues comme des taches lépreuses et les blocs de béton des maisons bourgeoises. Une brume ocre flottait sur la ville. L’hélicoptère fonça vers l’est. Ils arrivèrent au-dessus de l’aéroport, entrèrent en contact avec la tour de contrôle, signalant leur position.
— Où voulez-vous aller ? demanda le pilote.
— Suivez le prolongement de la piste d’atterrissage, dit Malko. Dans la direction où les appareils se posent. Le plus bas possible. Et pas trop vite.
Le pilote fit descendre la machine jusqu’à deux cents pieds et ils filèrent au-dessus du désert, parsemé de cabanes, de petites maisons, de rares bouquets de verdure.
Au bout de dix milles, Malko cria au pilote.
— Demi-tour. Montez un peu. Visez l’extrémité de la piste.
Ils continuèrent jusqu’à mi-chemin de la piste en ciment. Malko aperçut les chars et les véhicules militaires cernant l’aéroport. Ce n’était pas la peine d’aller si loin.
— Refaites le même itinéraire, dit-il au pilote. Et immobilisez-vous au-dessus de chaque construction située dans un rayon de cinq cents mètres autour de notre axe de vol.
— Mais qu’est-ce que vous cherchez donc ? hurla Sharjah.
— Abdul Zaki !
Le pilote commença à zigzaguer docilement. Le grondement de l’hélicoptère faisait sortir les gens de leurs cabanes en torchis. Malko commençait à se dire qu’il s’était trompé.
1 h 15 – Le « 707 » de Henry Kissinger arriverait dans un quart d’heure.
Ils arrivaient au-dessus d’une petite ferme, close de murs. Toujours rien. Par acquit de conscience, Malko se retourna. Et aperçut la forme d’une voiture, dissimulée sous un toit de chaume.
— Revenez, ordonna-t-il au pilote.
Ce dernier obéit. Le nez en avant, le Bell revint vers la construction en torchis, semblable à toutes celles qui parsemaient le désert. Il s’immobilisa juste au-dessus.
Pendant quelques secondes, il ne se passa rien. Malko se retourna :
— Regardez, c’est la Mercedes d’Abdul Zaki !
Le sheikh se pencha, jura en arabe.
— Mais qu’est-ce qu’il fait là ?
Des hommes surgirent dans la cour, en bas. Malko en vit un prendre un tube d’environ deux mètres de long dans la voiture, le placer sur un trépied.
— Éloignez-vous, hurla-t-il au pilote de l’hélicoptère.
La machine s’éleva diagonalement. Malko, le cœur dans les talons, ne quittait pas la ferme des yeux.
Il y eut une flamme claire et un nuage de poussière autour du trépied. On venait de tirer un missile sur eux, probablement un Sam 7 « strella ».
Malko sentit une sueur glacée couler dans son dos. Le sheikh Sharjah poussa un grognement étranglé.
Inexorablement, le missile invisible filait vers eux à quatre cents mètres seconde, propulsant une mortelle charge explosive, attiré par la chaleur du moteur de l’hélicoptère, grâce à son système de guidage par infrarouges.