Chapitre XX

Chino-Bu observait entre ses paupières mi-closes les passagers de la salle de transit. Rien que des hommes, à quelques exceptions près. Etendue sur une des banquettes en plastique vert, elle pouvait admirer les fissures du plafond lézardé. On ne se serait pas cru dans l’aéroport du pays le plus riche du monde. Une centaine de personnes attendaient. Surtout de pauvres hères allant travailler à Dubai ou à Abou-Dhabi, enroulés dans des dichdachas douteuses.

Personne ne prêtait attention à la Japonaise, banale, avec ses cheveux courts, son pantalon de toile et sa veste sans forme.

À Bombay, les Indiens n’avaient pas vérifié les bagages de soute. À son arrivée au Koweit, deux heures plus tôt, sa valise avait été débarquée, et mise dans un coin avec les bagages des autres voyageurs en transit pour Beyrouth. Sans passer la douane bien entendu. L’appareil pour Beyrouth ne partant qu’à 16 h 30, on chargerait les bagages une heure avant. En attendant, ils étaient rangés dans un coin de la salle d’arrivée des bagages, entre la salle de transit où se trouvait Chino-Bu et le hall de l’aérogare.

Là où personne ne risquait de les ouvrir.

La Japonaise se sentait parfaitement calme. Elle observait avec amusement les trois cabines de fouille, à la sortie de la salle de transit, qui ne désemplissaient pas. Tous les passagers étaient fouillés et il fallait se battre pour garder un cure-dent.

Pourtant Chino-Bu ne cessait de penser à Jambo. Que lui était-il arrivé ? Comment ceux qu’elle devait rencontrer allaient-ils la reconnaître ?

Elle vit soudain un homme franchir le contrôle de police, en montrant une carte. Les policiers le palpèrent pour s’assurer qu’il n’avait pas d’arme avant de le laisser pénétrer dans la salle de transit. Pas l’air d’un voyageur. Élégant. Assez âgé, une moustache, l’air d’un intellectuel. Il commença à parcourir la salle comme s’il cherchait quelqu’un. Chino-Bu était sur des charbons ardents.

L’homme à la moustache passa devant elle, hésita, alla jusqu’au bar, s’y accouda, commanda un café. Puis, se retourna, examinant de nouveau les passagers en transit.

Chino-Bu avait envie de hurler. D’interminables minutes s’écoulèrent.

Puis l’homme paya son café et, d’un pas tranquille vint s’asseoir sur la banquette défoncée à côté d’elle.

— Chino-Bu ?

Les lèvres de son voisin avaient si peu bougé que la Japonaise se demanda si c’était bien lui qui avait parlé. Mois il avait tourné imperceptiblement le visage vers elle. Aussitôt, elle esquissa le geste de se relever. La voix sèche l’arrêta. L’homme continuait à parler sans la regarder, une voix presque inaudible.

— Ne bougez pas. On nous surveille peut-être. Nous avions peur que vous ne soyez pas au rendez-vous. Vous n’avez pas eu de problème ?

Elle hésita.

— Si. Jambo est tombé malade au moment de partir. C’est pour cela que je suis seule.

— Malade !

Son voisin paraissait soulagé.

— Où est la valise ?

— De l’autre côté. Avant la douane.

— Comment est-elle ?

— Marron. Avec deux courroies. Et le signe de la paix dessiné en blanc.

— Bravo, dit-il. Je vous remercie au nom de mes camarades.

Chino-Bu eut un sourire de fierté. C’était comme un jeu abstrait. Elle n’arrivait pas à se dire que les armes contenues dans la valise allaient semer la mort dans quelques minutes, qu’elle allait assister à cette apothéose de massacre.

Le « 707 » de la K.A.C. à destination de Dubai, mit ses réacteurs en route et commença à rouler. Des véhicules militaires passaient de temps en temps devant la salle de transit L’inconnu se leva.

— Au revoir, Chino-Bu. Je vous verrai à Beyrouth.

Il n’attendit pas sa réponse et elle le vit s’éloigner par où il était venu.

Elle essaya de se vider le cerveau, de ne pas compter les minutes. Un peu plus tard, un grondement de réacteurs sur l’aire de stationnement lui fit lever la tête. Elle aperçut, roulant lentement sur une des bretelles de piste, un Boeing « 707 » avec sur sa dérive un drapeau américain : l’avion de Henry Kissinger.

Il n’avait plus qu’une trentaine de mètres à parcourir avant de s’arrêter devant l’aérogare.

Chino-Bu retint son souffle.

Que faisait le commando « Jérusalem » ? Elle se dit avec horreur qu’ils n’avaient peut-être pas pu franchir les barrages.


* * *

Richard Green eut l’impression que ses deux cent cinquante livres se transformaient d’un coup en gélatine. En tournant la tête, il venait de voir déboucher devant l’aérogare, à un kilomètre et demi d’eux, le Boeing « 707 » de l’US Air Force ! Là où il n’y avait pratiquement pas de surveillance !

— Nom de Dieu, qu’est-ce qui lui prend ! hurla l’Américain.

Les policiers et les soldats grouillaient autour de lui. Sans parler des gorilles du « Secret Service », nerveux et aux aguets. C’était Iwo Jima avant l’attaque finale. Le tapis rouge était bordé d’une haie d’armes automatiques. L’immense hangar des Koweït Airways disparaissait sous les mitrailleuses.

À part un chien errant, tout le monde était sous contrôle. Richard Green se tourna vers l’adjoint du sheikh Sharjah, l’homme qui avait organisé l’arrivée, un Koweiti au visage fin et sympathique.

— Faites quelque chose ! rugit-il. Qui lui a donné l’ordre d’aller là-bas ?

— C’est sûrement la tour de contrôle, balbutia le Koweiti.

— Appelez-la, nom de Dieu, qu’il fasse demi-tour en vitesse.

Le Koweiti se rua vers sa voiture et décrocha son téléphone, tapa fébrilement sur ses touches… Écouta, refit le numéro, fiévreusement, tourna un visage défait vers Richard Green.

— La tour de contrôle ne répond pas.

Il y eut une seconde de silence horrifié. Puis les deux cent cinquante livres de Richard Green se jetèrent dans une jeep, conduite par un Marine de l’ambassade.

— Fonce, dit l’Américain.

Trois agents du « Secret Service » montèrent en voltige à l’arrière.

Un des gorilles tira un poste émetteur de sous sa veste et alerta les renforts qui se trouvaient un peu partout sur l’aéroport.

Mais la plupart se trouvaient beaucoup trop loin pour intervenir efficacement. Sombrement, les dents serrées, Richard Green regardait le « 707 » maintenant presque arrêté. Il lui fallait au moins quatre minutes pour le rejoindre. Une éternité.

Qu’allait-il se passer ?


* * *

L’accélérateur à fond, la Mercedes négocia le virage de la bretelle menant devant l’aérogare. Le sheikh Sharjah continuait à s’égosiller en vain dans le téléphone. Il régnait une telle pagaille à l’aéroport que personne ne savait plus qui écouter. Il restait environ trois cents mètres à parcourir avant de rejoindre le « 707 ». Plusieurs véhicules fonçaient vers le gros appareil, venant de l’endroit où se tenait le gros des forces de sécurité.

Mais ils arriveraient bien après Malko.


* * *

— Ouvrez, cria une voix énergique. Ouvrez immédiatement !

Les trois contrôleurs se regardèrent, atterrés. Les deux Palestiniens continuaient à les tenir sous la menace de leurs armes. Le « 707 » venait de déboucher de la bretelle, juste en dessous de la tour, suivant fidèlement les instructions des Palestiniens.

La radio grésilla :

— Koweit-Tower. Ici November 720 Fox-Trott. Je quitte la fréquence. Terminé.

Il y eut un claquement dans le haut-parleur. Les « parkers » dont les casques-radio étaient réglés sur la fréquence de la tour, dirigeaient l’avion de Henry Kissinger sur le point Tango 3. Jusqu’à l’ouverture des portes, le « 707 » n’était plus relié à l’extérieur.

On secoua la porte de la tour de contrôle, furieusement.

Un des Palestiniens cria en arabe :

— Ici, le commando « Jérusalem ». Si vous enfoncez la porte, nous tuons les contrôleurs.

Quelqu’un se lança de toutes ses forces contre le battant de bois qui vibra et se fendit. Aussitôt, un des deux Palestiniens vociféra :

— Nous exécutons le premier otage !

Il prit un des contrôleurs par les cheveux, le força à se mettre à genoux, appuya le canon du pistolet-mitrailleur sur sa nuque et ordonna :

— Dis-leur ce que je te fais !

Terrorisé, le contrôleur hurla à se faire péter les poumons.

— Ne faites rien ! Il va me tuer ! Il va me tuer !

Sa voix tournait à l’hystérie. Les deux autres contrôleurs étaient blêmes. Le plus âgé essaya de parlementer.

— Écoutez, nous sommes des Arabes comme vous !

— Vous êtes des salauds et des lâches, répliqua le Palestinien. Vous devriez être en train de vous battre à nos côtés.

— Ouvrez, cria la même voix. Nous ne croyons pas à votre bluff.

Le Palestinien ricana.

— Du bluff !

Il força l’homme à genoux à baisser la tête, et appuya sur la détente du pistolet-mitrailleur.

Les détonations firent vibrer les glaces de la tour de contrôle. Le contrôleur à genoux poussa un hurlement. L’autre avait tiré à dix centimètres de sa tête. Aussitôt, le Palestinien lui glissa à l’oreille :

— Ne dis plus rien, sinon, je te tue pour de bon !

L’autre resta coi, sanglotant silencieusement ; les deux autres se demandaient comment allait finir ce cauchemar. Le gros « 707 » manœuvrait lentement au-dessous d’eux guidé par les « parkers » obéissant logiquement aux ordres de la tour. Le bruit était assourdissant.

— Nous avons exécuté le premier otage, cria le Palestinien. Laissez-nous tranquilles. Nous sortirons dans dix minutes.

De nouveau, ce fut le silence.

Les soldats, de l’autre côté de la porte, attendaient des ordres. Il y eut un bruit de pas, de bousculade, puis la voix sèche et furieuse d’un des responsables arabes de la sécurité, celle plus aiguë, d’un de ceux qui expliquait la situation. Le nouveau venu ordonna :

— Ouvrez cette porte, faites-la sauter au besoin.

De violents coups de crosses ébranlèrent le battant. Le Palestinien braqua sa mitraillette et tira tout son chargeur, à la hanche, balayant la porte. Il y eut des cris de douleur dans l’escalier, puis une fusillade nourrie éclata, brisant des instruments, transperçant le radar. À genoux dans un angle mort, le Palestinien venait de remettre un chargeur dans son arme.

Une explosion sourde secoua la pièce. Les policiers avaient dû accrocher une grenade à la serrure, à l’extérieur de la porte. Celle-ci se rabattit violemment dans un nuage de fumée. Le Palestinien à genoux tira aussitôt dans l’ouverture et les policiers refluèrent.

Le second, les yeux hors de la tête, tira de sa poche une grenade, la dégoupilla et la jeta sur la console où était posé le micro en hurlant :

— Palestine, Palestine !

Ensuite, ce ne fut plus qu’une confusion gigantesque et tragique. Plusieurs uniformes noirs surgirent dans l’embrasure, tirant comme des fous. Le Palestinien à la mitraillette riposta puis sa tête éclata. Le contrôleur agenouillé fut pratiquement coupé en deux par une rafale.

Au moment où le second Palestinien était atteint de plusieurs balles, la grenade explosa avec un bruit feutré et sinistre. Des traînées éblouissantes de phosphore jaillirent comme des langues de feu, le contrôleur qui se trouvait près du micro hurla, brûlé à mort, se recroquevilla et continua ses cris inhumains tandis que les policiers refluaient dans le couloir, pour échapper à l’âcre fumée.

Grièvement brûlé, une balle dans la cuisse, le troisième contrôleur réussit à se traîner dans le couloir et fut immédiatement abattu par un policier qui le prit pour un Palestinien.

Une colonne de fumée noire sortait des vitres brisées de la tour de contrôle. Les flammes brûlaient les vêtements des quatre cadavres recroquevillés, dans la fumée étouffante et âcre.

En bas, le Boeing « 707 » transportant Henry Kissinger et une trentaine de journalistes était immobile.

À la merci de l’attaque du commando « Jérusalem ».


* * *

Cinq bagagistes en combinaison blanche, avec dans le dos le sigle des Koweit Airways pénétrèrent sans se presser vers la salle des bagages.

Au même moment, des coups de feu se firent entendre, sans qu’on sache très bien d’où ils venaient.

Instantanément, ce fut la pagaille dans la salle de transit. Les gens s’allongeaient par terre ou cherchaient à fuir vers la piste, repoussés par les policiers de garde aux guichets de fouille. Des cris et des interpellations éclataient de tous les côtés. Un Boeing « 707 » venait de s’immobiliser en face du bâtiment.

Seuls, les bagagistes demeurèrent calmes. Comme si tout ce brouhaha ne les concernait pas. Ils chargèrent une douzaine de valises sur un chariot et ressortirent, entourant l’engin.

Ils s’arrêtèrent dès qu’ils furent à l’extérieur. L’un d’eux saisit la valise marron, défit les courroies, rabattit le couvercle, prit un paquet enveloppé de papier huilé et le jeta à son voisin. Ce dernier, sans ôter le papier, dégagea le bout du canon d’une mitraillette MP 5 et déplia le chargeur de l’arme.

En moins d’une minute, les cinq hommes s’étaient répartis les mitraillettes et les grenades dont ils bourrèrent les poches de leurs combinaisons.

À vingt mètres d’eux, le « 707 » semblait énorme.

Une explosion secoua le bâtiment, et une fumée noire s’échappa des vitres de la tour de contrôle.

Deux des « bagagistes » prirent une échelle de coupée montée sur roues et se mirent à la pousser en courant vers le « 707 ». Déployés autour d’eux, les trois autres assuraient leur protection. Rien ni personne ne pouvait plus les empêcher d’accomplir leur mission-suicide.

Ou bien, l’équipage du « 707 », sans méfiance, ouvrait la porte croyant qu’il avait affaire au vrai personnel de piste. Dans ce cas, les Palestiniens ouvraient immédiatement le feu, jetaient des grenades incendiaires et mitraillaient l’intérieur. Ou l’équipage n’ouvrait pas et, les hommes du commando tiraient dans les ailes et jetaient leurs grenades sous l’appareil, ce qui le ferait immédiatement exploser.

Ce serait l’holocauste général.

Face au Boeing, le chef du commando, Salem Bakr sentit un curieux goût métallique dans sa bouche. Il était en sueur. Il se dit que c’était peut-être la peur et qu’il ne s’était pas assez habitué à contempler avec sérénité l’idée de sa mort.

Jusqu’alors, il s’était toujours occupé de celles des autres.


* * *

Malko aperçut les hommes en combinaison blanche pousser l’échelle vers l’avion, les trois autres déployés derrière eux, armes à la main, la fumée qui sortait de la tour de contrôle.

— Les voilà ! cria-t-il au sheikh.

Ce dernier écumait de rage, murmurant des injures en arabe et en anglais. Malko longea le « 707 » par la droite, tourna à fond le volant pour virer devant le nez de l’avion.

Les pneus hurlèrent sur le ciment. La Mercedes stoppa en travers, entre les deux hommes en blanc qui poussaient l’échelle et l’avant du Boeing. Malko sauta à terre, suivi du sheikh Sharjah.

Déjà, le premier des bagagistes le visait avec sa mitraillette. Malko n’eut même pas le temps de sortir son pistolet extra-plat. Il y eut une explosion sèche et le Palestinien en blanc fut soudain couvert de sang. Sa main droite et son visage avaient été déchiquetés par l’explosion de son arme.

Malko, accroupi, visa Salem Bakr, tira deux fois.

Le médecin tournoya sur lui-même, tomba à genoux, se releva. Lâchant sa mitraillette, il prit une grenade et la jeta de toutes ses forces vers le Boeing. L’engin rebondit et roula sous l’aile, à trois mètres de Malko. Celui-ci entendit le hurlement du commandant de bord, par la vitre ouverte du cockpit.

Abrité derrière la passerelle roulante, un autre Palestinien jeta à son tour une grenade. Elle heurta Malko à l’épaule, le déséquilibrant et l’empêchant de toucher celui qu’il visait. Puis roula près du train avant du Boeing. Sans plus exploser que la première.

Trois voitures pleines de soldats, d’agents du « Secret Service » et de policiers fonçaient vers le Boeing en danger. Il restait très peu de temps aux quatre terroristes survivants.

À genoux, sur le ciment, le médecin hurla quelque chose en arabe.

Aussitôt le sheikh Sharjah se jeta courageusement en avant, le poignard à la main, défiant les mitraillettes des Palestiniens.

Tout se passa ensuite comme un terrifiant ballet surréaliste. Salem Bakr, blessé, ramassa sa mitraillette et visa les réservoirs du Boeing. L’arme lui éclata à la figure. Le bas du visage et la poitrine criblés de fragments métalliques. Il roula sur le ciment, hurlant de douleur.

Les trois autres jetèrent en même temps les grenades qu’ils avaient. Le terroriste qui se cachait derrière l’escalier roulant n’eut pas de chance : sa grenade au phosphore lui explosa dans la main avec un bruit mou au moment où il relâchait le percuteur. Transformé en torche vivante, il lâcha son arme et, avec des cris horribles, essaya de se rouler par terre pour éteindre le phosphore qui le dévorait vivant.

Les autres grenades roulèrent un peu partout comme des balles de golf, sans exploser.

Le quatrième Palestinien arriva si près de Malko que ce dernier put voir son visage crispé et haineux. Lorsqu’il voulut balayer d’une rafale Malko et le Boeing, le boîtier de culasse du MP 5 explosa et la culasse fila en arrière, lui transperçant la gorge. Il tomba en avant, une expression d’intense surprise sur ses traits encore enfantins.

Personne ne put dire ce qui avait tué le cinquième terroriste… Son MP 5 se désintégra entre ses mains, le criblant de parcelles métalliques brûlantes au moment où les policiers entassés dans la première jeep tiraient sur lui assez de plomb pour couler un cuirassé. Haché vivant, il ne fut plus qu’un tas sanglant sur lequel tous les nouveaux arrivants vidaient leurs chargeurs. Richard Green extirpa en voltige ses deux cent cinquante livres de la première jeep et fonça sur Malko.

— Il est OK ?

Inutile de demander qui.

— J’espère qu’il ne regardait pas à travers les hublots, dit Malko, encore assourdi par les détonations.

Ils devaient presque hurler pour se parler. Les policiers et les soldats s’acharnaient sur les cadavres, vidant des chargeurs entiers dans les corps qui tressautaient Comme pour se venger de la peur qu’ils avaient eue. Le sheikh Sharjah, à coup de vociférations, réussit à calmer ses hommes. Silencieusement, les Américains du « Secret Service » formaient une haie ininterrompue autour du Boeing, armes au poing.

Un « vrai » mécanicien accourut avec un micro et des écouteurs qu’il brancha sur le fuselage et on put enfin communiquer avec l’intérieur du Boeing. Richard Green s’empara du micro.

— Ici, Richard Green, annonça-t-il, nous avons la situation en main. Il n’y a plus de danger. Le Secrétaire d’État pourra débarquer dans quelques minutes.

Déjà on embarquait les cadavres dans une camionnette militaire. Il fallait mieux éviter que Henry Kissinger, Prix Nobel de la Paix, ne débarque dans un charnier.

La Continental blindée arriva à son tour, ainsi que d’autres renforts. Sans douceur, les policiers vidaient la salle de transit bloquant tout le monde pour vérification d’identité. Chino-Bu sortit les mains sur la tête, et aperçut Malko. Elle eut un haut-le-corps et essaya d’abord de rentrer, puis, refoulée, tenta de fuir. Happée par des policiers, bourrée de coups de crosse, le visage en sang, on la jeta dans une jeep.

Malko regardait tristement cette scène de carnage. Évidemment c’était une leçon sanglante. Le sheikh Sharjah s’approcha de lui, un peu calmé.

— Mais, enfin, qu’avez-vous fait ? Pourquoi ces armes ont-elles éclaté ?

Des policiers jetaient hâtivement des bâches sur les taches de sang, d’autres ramassaient les grenades non explosées avec précaution, ainsi que les armes éclatées.

— Oh ! C’est un vieux truc très simple des temps héroïques de l’OSS[17] dont je me suis resservi, expliqua Malko. J’ai pu retrouver ces armes quand j’ai été en Inde. La CIA savait de quel modèle il s’agissait car elles avaient été volées. Pour les mitraillettes, c’était simple. Il suffisait de remplacer les deux premières cartouches de chaque chargeur chargé avec de la « poudre progressive » normale, par des cartouches-pièges fabriquées dans un laboratoire de la CIA, en Allemagne.

— Au lieu de 0 g 43 de poudre, 3 grs de T.N.T. super brisant. Dès le premier coup, l’arme explose entre les mains du tireur. La seconde cartouche-piège est là par sécurité. Au cas où la première serait éjectée par erreur.

— Pour les grenades, c’est le même principe : pour les grenades au phosphore, il suffisait de substituer au dispositif d’allumage en place, un autre sans mèche lente de trois ou quatre secondes. Au moment où on déclenche l’allumeur, la grenade explose entre vos mains.

— Cela aurait été trop dangereux pour les explosives. J’ai seulement remplacé leur allumage par un système inerte.

Sharjah regarda Malko avec admiration.

Solennellement, des officiers de la Mohbakah poussaient une nouvelle passerelle contre le Boeing.

Malko se demanda ce qu’avait éprouvé Henry Kissinger en voyant le commando-suicide se ruer sur le « 707 ».

La camionnette emportant les cadavres passa devant eux. Le sheikh Sharjah murmura :

— Celui qui frappe par l’épée périra par l’épée.

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