Chapitre VII

Sourde-muette ! Malko crut à une plaisanterie. Il observa Amina : il y avait des larmes dans ses immenses yeux noirs. Le sheikh Abu Sharjah s’arrêta de rire brusquement, gêné. Puis son regard s’éclaira de nouveau et il dit à Malko :

— Cela ne fait rien. Elle est d’accord.

Malko sourit poliment. Le mépris muet et résigné qu’il lisait dans les yeux du vieux musicien le mettait mal à l’aise.

— Je suis très touché de l’attrait que j’exerce sur elle, dit-il avec diplomatie, mais je ne pense pas que j’en profiterai.

Abu Sharjah fronça les sourcils, peu accessible à ces finesses.

— Elle ne vous plaît pas ?

— Elle me plaît beaucoup, affirma Malko.

Les dents en or brillèrent, comme de petits lingots inégaux.

— Alors il n’y a plus aucun problème.

Comme pour balayer les dernières hésitations de son hôte, il prit Amina par le bras et l’entraîna à l’intérieur de la maison. Malko comprit qu’il allait se faire un ennemi mortel d’Abu Sharjah s’il refusait son « présent ». Il entra à son tour. Le Koweiti avait ouvert la porte d’un petit salon encombré de coussins et de divans très bas. Amina attendait, debout au milieu de la pièce.

— Vous serez très bien ici, dit Abu Sharjah avec un clin d’œil égrillard.

Il avait déjà refermé la porte. Malko se retourna. Amina avait fait sauter son soutien-gorge, libérant deux seins incroyablement fermes pour leur volume. Elle ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Elle fixait sur Malko un regard totalement inexpressif. Il s’approcha pour lui dire de ne pas se déshabiller et réalisa tout à coup qu’il n’avait aucun moyen de communiquer avec elle !

Mécaniquement, elle continuait son strip-tease résigné : la jupe, puis le slip doré. Puis, nue à l’exception de ses bracelets, de ses colliers, méprisante et consentante, elle s’allongea sur le divan bas, la tête légèrement tournée vers le mur, une main dans le vide, les jambes ouvertes.

Malko hésita, ne sachant que faire. Il ramassa sa jupe et la lui tendit. Elle secoua la tête sans la prendre. Puis elle lui prit la main et tenta de le faire venir sur le lit Malko comprit que ses efforts seraient vains. Elle avait peur de déplaire au sheikh.

C’était une situation démente ! Et sans issue. Découragé, Malko se laissa attirer sur le divan. Aussitôt Amina commença à le déshabiller avec le détachement d’une infirmière major. Elle parut d’abord surprise par son absence visible d’intérêt. Mais aussitôt, elle commença à le caresser d’un mouvement lent régulier et inéluctable. Comme un robot tiède et bien programmé. Elle avait les yeux ouverts, sans expression.

C’était terrifiant. Mais, à la fin efficace… Lorsqu’elle jugea le résultat satisfaisant, elle l’attira sur elle, creusa les reins, le guida.

Ce fut l’orgasme le plus triste que Malko eut jamais expérimenté. Les traits d’Amina étaient de marbre. Son sexe sec et resserré. Quand Malko explosa en elle, mourant de honte, elle détourna la tête. Puis aussitôt, elle glissa sous lui comme une anguille, se releva. En quelques secondes, elle fut rhabillée. Malko en fit autant. Puis ils sortirent et regagnèrent le patio.

Eleonore Ricord fumait sur des coussins, à l’écart. Le sheikh somnolait entre les deux Égyptiennes. L’orchestre continuait à jouer en sourdine. Amina eut un sourire mécanique pour Malko et se dirigea vers les musiciens. Il rejoignit la vice-consul qui lui jeta un regard à geler un iceberg.

— C’était assez exotique à votre goût ? attaqua-t-elle d’un ton acerbe. Vous êtes le genre de types qui draguent à Harlem les petites filles de quinze ans. C’est abject !

Malko réprima une furieuse envie de lui donner une fessée. Les apparences étaient contre lui.

— Je peux vous jurer que je n’ai pris aucun plaisir à ce que j’ai fait, dit-il. Je ne suis pas au Koweit pour faire des galipettes avec des danseuses du ventre.

Eleonore Ricord eut un ricanement outré.

— C’est une étude sociologique, peut-être ?

— Non, c’est ma seule piste, répliqua Malko furieux.

Rapidement, il expliqua à la Noire pourquoi il avait demandé à ce que Sharjah invite Amina. Mois Eleonore ne désarma pas.

— Pourquoi ne pas demander son aide ?

— Je n’ai pas envie qu’il la torture, dit Malko. Sharjah est un allié charmant, mais un peu trop porté sur la cruauté.

L’image de Jafar attaché derrière la Buick le hantait.

Brusquement, il réalisa que l’orchestre s’était arrêté de jouer. Ils pliaient bagages… Malko abandonna aussitôt la Noire et fonça sur le sheikh qui ouvrit un œil vitreux.

— Je voudrais pouvoir revoir cette fille, dit Malko. Connaître son adresse.

Sharjah s’extirpa de ses coussins, une lueur polissonne et ravie dans ses gros yeux.

— Elle a été gentille ?

— Très gentille, affirma Malko.

Si elle avait pu lui arracher les yeux avec ses ongles et les gober ensuite comme des œufs de pigeons, elle l’aurait sûrement fait avec plaisir…

— Je m’en occupe, dit le sheikh, s’extirpant de ses Égyptiennes.

Il fonça sur les musiciens, discuta plusieurs minutes. Finalement, de mauvaise grâce, le vieux musicien griffonna sur un bout de papier quelque chose en arabe. Sharjah ajouta dessous la traduction en anglais, et revint tendre le bout de papier à Malko.

— C’est à Sulimiya, expliqua-t-il. Dans Bagdad Street. Elle sera toujours heureuse de vous voir.

À voir l’expression d’Amina, ce n’était pas évident.

Les musiciens s’éclipsèrent, Amina en tête, après les courbettes à ras de terre. Ayant conscience d’avoir rempli ses devoirs d’hôte, le sheikh retourna à la consommation de son mariage hebdomadaire. Malko alla récupérer Eleonore.

— Je vais avoir besoin de vous, annonça-t-il.

Elle eut un sourire acerbe, toutes griffes dehors :

— Une Arabe, ça ne vous suffit pas ? Vous voulez une Négresse en prime ?

— Non, dit Malko. Je veux que vous me trouviez quelqu’un qui connaisse le langage des sourds-muets !


* * *

Le chauffeur de la Chevrolet essaya de lire le numéro totalement effacé sur la façade lépreuse du vieil immeuble. Sulimiya n’était peuplé que d’immigrants, vivant chichement, loin des somptueuses maisons des Koweitis.

— C’est là, dit-il.

Bagdad Street évoquait plus le bidonville que les Mille et une Nuits. Les trottoirs étaient encombrés de détritus, les fenêtres disparaissaient sous le linge à sécher, des nuées de gosses jouaient bruyamment avec le cadavre d’un rat utilisé comme projectile. Mais à trente mètres de là, les boutiques de Salem al Mubarrak Street débordaient de tous les produits de luxe de la civilisation occidentale, offerts au tiers de leur prix… Le faubourg ne comptait pas un seul citoyen koweiti. Grâce aux prêts gouvernementaux, ceux-ci pouvaient emprunter au gouvernement soixante-quinze mille dollars sans intérêt afin de se construire une maison. Ils ne s’en privaient pas.

— Allons-y, dit Malko.

Avec un sourire gêné, Dinah, une jeune Jordanienne, professeur de langage sourd-muet à l’Université de Koweit, sortit la première de la voiture. Elle avait été « recrutée » par Mahmoud, l’amant d’Eleonore Ricord. Les tractations avaient été difficiles et il avait fallu toute la persuasion de l’architecte play-boy pour la décider. Sans parler des cent dollars promis par Malko. Elle parlait anglais et, surtout, connaissait Amina qui avait été son élève.

Ils s’engagèrent dans un escalier nauséabond et étroit, montèrent jusqu’au troisième. Une petite fille avec de longues nattes noires leur indiqua la porte qu’ils cherchaient. Dinah frappa un coup timide. La porte s’ouvrit sur un visage fripé émergeant d’une abaya noire, usée jusqu’à la corde. Dinah commença à s’expliquer avec volubilité. Malko reconnut au passage le nom du sheikh Sharjah et celui d’Amina. Visiblement terrifiée, la vieille les fit enfin entrer dans une pièce minuscule, pauvrement meublée, et s’éclipsa.

— Amina va venir, annonça Dinah.

La danseuse surgit presque aussitôt. En pantalon et pull-over, pas maquillée, paraissant quinze ans.

En apercevant Malko, elle se figea. Ses grands yeux noirs se posèrent sur lui avec une surprise dégoûtée. Aussitôt, Dinah commença une extraordinaire gymnastique avec ses doigts, « parlant » le langage sourd-muet. Peu à peu, l’expression d’Amina s’adoucit. Elle commença, elle aussi, un ballet silencieux avec ses mains, répondant à son interlocutrice.

Malko avait chargé Dinah d’expliquer à la danseuse que, la veille, il ne souhaitait pas du tout profiter d’elle et qu’il avait été désolé qu’elle se croit obligée de se donner à lui. Que le sheikh Abu Sharjah avait péché par excès de zèle. Qu’en compensation, il l’invitait à venir choisir toutes les robes qu’il lui plairait chez Aziz, la boutique la plus élégante de Fahd al Salem Street, les Champs-Élysées koweitis. Langage auquel une femme risquait d’être sensible.

Effectivement, plus la « conversation » avançait, plus l’attitude d’Amina changeait. Elle rit même. La glace était rompue.

Finalement Dinah se tourna vers lui.

— Elle vous pardonne et accepte de venir chez Aziz.

— Alors, allons-y, dit Malko.

Amina s’éclipsa avec un sourire. Quand elle reparut, Malko eut un choc : elle était enveloppée dans une abaya noire ! Ils redescendirent, et Malko, après avoir donné au chauffeur l’adresse d’Aziz, s’installa à l’arrière entre les deux Arabes. Une question l’intriguait.

— Comment Amina peut-elle danser, sans entendre la musique ? demanda-t-il.

Dinah traduisit. Les doigts d’Amina s’agitèrent à toute vitesse.

— Sa sœur était danseuse en Égypte, traduisit Dinah, elle l’admirait beaucoup, et la regardait toujours danser. Peu à peu, elle apprit les gestes et le rythme par cœur. À cause de son infirmité, elle ne pouvait pas trouver du travail. Mais elle était belle. Elle commença à s’entraîner toute seule devant une glace… Puis elle mit un musicien dans la confidence…

Un jour, il lui laissa remplacer une danseuse malade. Les spectateurs, fascinés par la beauté d’Amina, ne s’aperçurent nullement de son infirmité. Il lui suffisait de surveiller les gestes des musiciens… Tout était inscrit dans son cerveau comme une bande magnétique d’ordinateur.

Elle s’était entraînée, recréant sa propre musique intérieure et, peu à peu, était devenue la meilleure danseuse du Koweit. Sans avoir jamais entendu une note de musique…

Il leur fallut une bonne demi-heure pour parvenir aux arcades de Fahd al Salem Street. Malko entra discrètement derrière les deux femmes, pour ne pas les gêner. Sa présence, de toute façon, ne risquait pas d’éveiller des soupçons. Il n’était qu’un étranger reconnaissant récompensant une putain. L’immense boutique, sur deux étages, était pleine à craquer de Koweities, se bousculant autour des modèles de tous les couturiers parisiens. Une Koweitie riche qui mettait deux fois la même robe était déshonorée à vie… Les plus aisées achetaient une robe par jour, les livraisons se faisant de Paris par avion deux fois par semaine.

Très vite Amina et Dinah disparurent sous un amoncellement de robes, de pantalons, de chemisiers. Amina jetait de temps en temps un regard inquiet à Malko. Ne croyant pas à son bonheur. Elle semblait lui avoir définitivement pardonné son expérience du vendredi précédent.

Elle ressortit d’une cabine d’essayage arborant un chemisier de dentelle noir deux tailles trop petites pour elle, provoquant à faire abandonner sa foi à un Saoudien !

Désolée, elle contempla dans la glace ses seins qui pointaient à travers la dentelle, appela le vendeur, qui se confondit en excuses. C’était un modèle dont ils n’avaient reçu qu’un exemplaire, il n’y avait rien de plus grand.

Amina se décida quand même, l’ajouta au tas, et Dinah lui dit qu’il n’avait plus qu’à payer. Ce qu’il fit, sous le regard émerveillé d’Amina qui se redrapa dans son abaya.

Ils se retrouvèrent sous les arcades, et Malko jugea qu’il était temps de passer aux affaires sérieuses. Les comptables de la C.I.A. admettraient qu’il offre une garde-robe à une danseuse du ventre sourde-muette, à condition que ce soit utile.

— Je voudrais vous emmener déjeuner toutes les deux au Sheraton, proposa-t-il.

Dinah traduisit. Amina prit l’air effrayé, remua ses doigts frénétiquement.

— Pas en abaya.

C’était un comble.

— Elle pourrait se changer dans ma chambre, suggéra Malko.

Refus d’Amina, encore plus effrayée. Jamais elle n’oserait monter au Sheraton avec un homme.

— Et la Pizzeria du Hilton ? suggéra Malko.

Cette fois, Amina accepta. Il n’y avait plus qu’à retraverser Koweit au milieu des embouteillages de midi.


* * *

Amina aspirait ses spaghettis comme une Napolitaine, ne s’interrompant que pour adresser un sourire ravi à Malko ou pour « pépier » avec Dinah. Malko se dit qu’il avait assez préparé le terrain. Il se pencha vers l’interprète.

— Lorsque je l’ai vue, au night-club, elle était en compagnie d’un homme à moustache assez âgé. C’est son fiancé ?

Traduction. Sourire confus. Gymnastique endiablée des doigts.

— Non, c’est l’ami de son fiancé. Il est trop vieux.

Malko se tortura le cerveau pour continuer son interrogatoire sans effaroucher la danseuse. Et ce n’était pas les flots de Pepsi-Cola qui allaient lui faire perdre la tête.

— Est-ce que je pourrai revoir Amina ?

Traduction. Regard effrayé.

— Son ami est jaloux comme un Irakien.

— Il devrait l’épouser, dit Malko. C’est imprudent de laisser seule une aussi jolie fille qu’elle.

Le regard d’Amina se voila tandis qu’elle tricotait sa réponse : le fiancé ne pouvait pas l’épouser, il était Palestinien, n’avait pas de travail et passait son temps à militer… Mais il l’épouserait quand la guerre contre Israël serait gagnée et l’emmènerait dans son pays, la Palestine.

Cette fois, Malko se dit qu’il brûlait. Mais c’était encore insuffisant. D’un ton détaché, il continua :

— L’ami de son fiancé est Palestinien aussi ?

Amina tricota aussitôt.

— Oui, traduisit Dinah, c’est un journaliste connu, Salem Bakr. Il est en train de créer un nouveau journal. Si cela marche, il pourra peut-être employer le fiancé d’Amina.

Malko s’efforça de ne pas extérioriser sa jubilation. Le nom était gravé en lettres de feu dans sa tête. Maintenant, il ne manquait plus que l’opération de dégagement. Il paya et ils sortirent du Hilton. Il n’y avait plus qu’à raccompagner Amina à Sulimiya, trois ou quatre kilomètres au sud.

Ils s’installèrent dans la voiture, et il donna l’adresse du Sheraton. Tandis qu’ils roulaient le long du golfe Persique, Amina recommença à « parler ». Dinah traduisit :

— Amina voudrait vous remercier pour les robes.

— Comment ? demanda Malko.

Tricotage pudique.

— Demain soir, si vous venez au night-club du Phoenicia, elle dansera pour vous.

Malko promit de venir. En le quittant, Amina lui serra la main très fort. Il la regarda s’engouffrer dans son immeuble lépreux, encombrée de ses paquets. Maintenant, le travail vraiment dangereux allait commencer.

Les Palestiniens avaient montré qu’ils étaient prêts à tuer pour protéger leur complot.


* * *

Richard Green fourragea dans sa barbe nerveusement. Ses yeux gris très enfoncés étaient en perpétuel mouvement. Bien qu’il se nourrisse pratiquement de café noir sans sucre, il semblait enfler à vue d’œil, ce qui le mettait d’une humeur de dogue. L’anxiété. Il restait treize jours avant l’arrivée de Henry Kissinger. Il prit sur son bureau une feuille de papier et la parcourut des yeux.

— Voilà. Salem Bakr. Palestinien. Activiste. Membre du Fatah. En train de fonder un nouveau quotidien avec des capitaux libyens. Habite ici depuis quinze ans. Très bien considéré. Cela va être difficile de s’en occuper sans Sharjah…

— Si nous mettons Sharjah dans le coup, objecta Malko, il risque d’agir comme un éléphant dans un magasin de porcelaine… Ou de ne rien faire. Tout ce que nous avons contre Bakr, c’est la tentative d’élimination de Marietta. Avec comme seuls témoins, nous. Il niera, et cela ne nous mènera à rien.

— Mais sans Sharjah, que pouvons-nous faire ?

— Continuer avec Amina. Tout en le surveillant, lui. Puisque son amant connaît Bakr, il y a des chances qu’il appartienne au groupe qui nous intéresse. Si nous apportons à Sharjah le nom de tous les suspects, il sera peut-être obligé d’agir.

L’Américain se rassit dans son fauteuil, découragé.

— Bien sûr, il ne veut pas que l’émir perde la face. Mais il ne peut agir de front contre les Palestiniens. Surtout quand ils n’ont encore rien fait. Nous sommes obligés de lui amener des preuves, des faits précis… Et nous ne savons ni ce qu’ils préparent ni leur identité.

Malko le savait. À part le sheikh Sharjah, personne ne lèverait le petit doigt pour l’aider. Il n’était que la barbouze tolérée d’un pays impérialiste ennemi des Palestiniens.

— Attendons demain soir, proposa Malko ; si je ne parviens pas à un résultat avec Amina, nous saisirons officiellement le sheikh Sharjah.

Richard Green fit la grimace. La lenteur de cette enquête l’exaspérait.

— Je vais encore prendre deux kilos pour rien. On ferait mieux de kidnapper ce Salem Bakr et de faire parler ce salaud…

Malko se leva, se forçant à sourire.

— Vos pilules vous rendent pessimiste.

Il comptait sur Amina. S’il arrivait à être certain que son amant faisait partie du complot et à l’identifier, il aurait avancé d’un grand pas.


* * *

Le night-club du Phoenicia était toujours aussi sinistre. Et encore, grâce à la présence de Dinah, Malko était plus avantagé que les autres clients de la boîte, étrangers moroses, seuls, par deux ou par quatre. Y compris les inéluctables Japonais.

Il était onze heures et, en dépit de la musique qui hurlait à tue-tête, les clients s’éclipsaient les uns après les autres.

Amina aurait déjà dû être là. Intrigué, Malko appela le garçon :

— Il n’y a pas de danseuse ce soir ?

— Si, si, affirma l’autre. Elle va venir.

Malko commanda son troisième Pepsi-Cola et reprit avec Dinah une fascinante conversation sur la pruderie des Saoudiens. Mais, au bout d’une demi-heure, saoul de musique pop de mauvaise qualité, il se leva et alla au bar. Trois nouveaux clients s’étaient installés près de l’escalier. Des Arabes vêtus à l’européenne. Jeunes.

— Miss Amina ne danse pas ce soir ?

Le barman eut un sourire navré.

— Miss Amina est malade, dit-il, elle ne viendra pas.

Décontenancé, Malko rejoignit Dinah. Cette brusque absence l’inquiétait. Et aussi le fait qu’on ne l’ait pas averti tout de suite. Il connaissait l’adresse de la danseuse, mais il risquait de l’affoler en allant la voir.

Il n’y avait plus qu’à aller se coucher. Dinah semblait tomber de sommeil. Il appela le garçon, réalisa soudain qu’à part Dinah et lui il n’y avait plus que les trois Arabes, en col roulé. Silencieux devant leurs verres intacts. Inquiétants avec leurs cheveux ras et leurs mains épaisses.

Pas du tout le style night-club.

Machinalement, il tâta la crosse de son pistolet extraplat glissé dans sa ceinture. Se souvenant de ce que lui avait dit Richard Green : le Phoenicia était le QG des Palestiniens…

Son cœur battit plus vite. Il était certain maintenant que l’absence d’Amina n’était pas due à la maladie. Et qu’il était lui-même en danger de mort. Il repensa à la façon féroce dont les Palestiniens avaient liquidé le prince Saïd Al Fujailah.

Surveillant du coin de l’œil les trois Arabes, il appela le garçon. Ce dernier accourut, avec l’addition. Malko laissa cinq dinars et se leva.

— Allons nous coucher, dit-il à Dinah.

Presque à la même seconde, les trois hommes se levèrent d’un bloc. Sans le regarder. Ils ne souriaient pas, ils ne parlaient pas. Leurs costumes européens découpaient des épaules athlétiques.

Malko essaya de se dire qu’il était trop impressionnable. Il se dirigea vers l’escalier et au moment de monter la première marche, se retourna.

Les trois hommes arrivaient sur lui, silencieux et menaçants. Vraisemblablement, dès qu’il serait dehors, on lui arracherait le cœur comme au prince Saïd.

Il leva la tête vers la sortie et s’arrêta net : deux Arabes, jeunes, au visage dur, les mains dans les poches bloquaient l’escalier.

Dinah poussa un petit cri effrayé.

Загрузка...