Moi, vous me connaissez… J’aime l’originalité.
Aussi, quand Mme Okapis, la maîtresse de maison et de San-Antonio, déclare qu’elle propose un jeu pour commencer la soirée et qu’elle nous révèle la règle dudit jeu, je trouve ça très bien. Elle frappe dans ses jolies mains et un larbin s’annonce avec une corbeille emplie de roses métalliques.
— Je vais épingler l’une de ces roses sur la poitrine de tous les invités annonce-t-elle (décidément on est sous le signe de la batterie de cuisine). Après quoi nous éteindrons toutes les lumières. L’une de ces roses, une seule, est fluorescente. Celui qui l’aura devra, à tâtons choisir une cavalière dans le noir, ou un cavalier si c’est une femme qui a la rose.
Tous ces braves gens qui se pèlent le haricot dans leurs palais battent des mains. Ils trouvent l’idée séduisante. L’idée de palper la compagnie pour dégauchir un partenaire, ça les émoustille. Le noir, ça fouette les bas instincts, faut reconnaître. Si la nuit n’existait pas, les hommes auraient depuis longtemps pris l’habitude d’aller à poil. La nuit c’est la source de l’hypocrisie, la maman vénéneuse de tous les vices.
Avec une grâce charmante, Eczéma se met à distribuer elle-même ses roses. Quand c’est fini, elle lève la main et les lumières s’éteignent. Nous voici dans le noir intégral. Un noir qui causerait la perte de douze cents boutons de jarretelles dans un grand cinoche parisien.
Nos yeux privés de lumière clignotent un peu et finissent par distinguer un petit point lumineux, gros comme un ver luisant. La menue clarté est verdâtre. Elle se déplace dans la grande pièce avec hésitation. On devine que la personne désignée par le sort marche prudemment pour éviter les meubles. Elle parcourt un mètre, puis deux, puis trois (un auteur moins consciencieux irait jusqu’à dix kilomètres pour faire du remplissage) et enfin s’immobilise. A-t-elle trouvé l’âme sœur (ou frère) ? Que non point.
Cette personne, malgré l’obscurité totale, j’en connais le sexe. Car elle pousse un cri. C’est un homme. Le cri est un cri de souffrance. La petite lumière couleur de soufre s’abaisse lentement vers le plancher. Un bruit de corps s’écroulant. Elle s’immobilise à vingt centimètres du sol. Formidable ce que c’est passionnant, ce que j’écris. Ce que j’aimerais pouvoir me lire ! Que disais-je ? Oui, la lumière est immobile. On perçoit une plainte continue.
L’affolement s’empare alors de la société. Comme Goethe mourant, quelqu’un réclame de la lumière et l’obtient.
Nous poussons un « oohh ! » stupéfait. Homère Okapis, l’élu à la loupiote est couché sur le tapis persan, qui est désormais par surcroît un tapis percé.
Le prince Sovetoa Vlalpouma lui a involontairement sauvé la vie en le décorant du Thé-des-Famines. Je m’explique, car, qui cause pas se fait mal comprendre, comme le faisait justement remarquer le poète[12]. Comme sa poitrine était garnie à la place du cœur par la plaque-soleil de l’ordre en question, Homère a épinglé la rose plus haut. Or cette rose a servi de cible à un poignardeur astucieux qui, dans le noir, a voulu planter le fils Okapis. Il lui a filé dans la bonnetière une lame de vingt centimètres, étroite et plus effilée qu’un rasoir. Ladite lame a traversé Homère de part en part, mais seulement dans le gras de l’épaule, au-dessus de l’omoplate. Le jeune homme s’en tire magnifiquement bien.
Les monarques rassemblés sont horrifiés. C’est le Gravos qui s’empresse avec sa présence d’esprit coutumière.
— Dites au toubib d’amener sa fraise et sa trousse ! lance-t-il. Pas d’affolement, le môme n’a qu’une piquouze de moustique, pour ainsi dire. Un peu de mercure chromé et demain il fera sa culture physique !
Tandis que Sa Majesté s’active à calmer le blessé et les esprits, moi San-A, je fais le tour du salon comme un papillon. Les portes-fenêtres sont ouvertes, mais les rideaux ont été tirés, l’agresseur n’a eu aucune difficulté à s’évacuer une fois son coup fait. Ma parole, voilà qu’on se croirait dans un bouquin de Mme Lacrima Christie. L’assassinat dans le noir, c’est le roman policier d’avant les deux guerres, mes gars, excusez-moi. Y en a qui vont dire que je rétrograde, que je pétrograde, que je radote ! Et pourtant, les faits sont là, quoi !
Des trucs pareils, vous le pensez bien, ça ne s’invente pas. Je suis bien obligé de raconter scrupuleusement ce qui s’est passé, puisque j’ai promis de tout vous bonnir !
Le Dr O’Dévien, qui piquait sa première ronflette, radine en pyjama de soie mauve. Il tient sa tasse de camomille d’une main et sa trousse-camping de l’autre.
— Touchez pas au manche du cure-dent, biscotte les empreintes ! recommande le Valeureux.
— Comment voulez-vous que je le retire, sinon ! Il est enfoncé jusqu’à la garde ! objecte le praticien.
— Attendez !
Le Gravos sort de sa fouille un mouchoir qui filerait des angoisses à un rat crevé et le jette sur le manche.
— Maintenant allez-y, Doc, mais cramponnez-le le plus mieux bas possible ; hein ? Si vous m’effaceriez les empreintes je vous causerais du pays !
Le docteur a la paluche habile. Il saisit délicatement le couteau, au ras de la garde, entre son pouce et son capital indexé et tire un petit coup sec. Des dames s’évanouissent devant cette lame sanglante. Mais y a une bergère à Foscao 1er, par contre, à qui ça donne faim. Elle n’a plus bouffé de viande humaine depuis la fois où un missionnaire est venu les faire tartir au village. Son dernier vrai repas, justement, ça a été le missionnaire en personne ! Un gravos, par chance et diabétique en plus ! Ils l’ont becqueté au dessert.
On est obligé de la rabattre sur les cuisines pour lui accommoder dare-dare un steak tartare.
Pendant ce temps, Homère va se faire raccommoder par le médecin. Il existe, çui-là : je panse donc je suis[13].
Les Okapis mâle et femelle sont atterrés. Les invités ont les chocotes. La reine mère Mélanie, malgré sa bonté souveraine, se fait le porte-blabla de tous en déclarant que ça commence à bien faire et qu’ils ne sont pas venus ici pour jouer Fort-Apache en version originale.
Ils veulent regagner leurs trônes, ces chéris, ça urge. Déjà que les spectres branlent au manche, à notre époque ! Faut pas exposer les carcasses princières impunément. Leurs peuples ont des droits sur eux ! Qu’est-ce qu’ils deviendraient si leurs chers reines, princes et archiducs clabotaient, hein ?
Vous imaginez les conséquences dans le monde ? Les magazines en chute libre ! Plus d’oriflammes sur les Champs-Élysées ! Les derniers carrosses dans les cimetières de voitures où le sculpteur César viendrait les récupérer pour en faire des sous-marins !
Okapis sanglote. Il promet d’offrir une tournée générale de pétroliers si leurs Majestés veulent bien remettre leur départ. L’écourter, à la rigueur soit, mais pas filer à toute vibure comme des roulottiers, non ! Y a un dingue dans l’île, il admet. Eh bien, on va prendre les précautions nécessaires. Pour commencer il y aura distribution de cottes de mailles.
Il clame ! Il crie champagne ! Il crie musique. Et l’orchestre attaque. Toujours fidèles à l’estrade, les musicos ! Le Titanic ! « Plus près de toi, mon Dieu ! » Ils se mettent à jouer le Grand Fiasco de Luce Tukru pour phonographe et magnétophone. De la musique synthétique découpée au ciseau à froid dans un bloc de béton. Ça calme.
Des gens se mettent à danser : les vrais courageux, Allemands, comme par hasard ! Pour le courage, ils ne craignent personne. Polis en temps d’occupation, courageux même en temps de paix, voilà comme ils sont ! Un grand peuple ! Comme disait le poète : Si le soldat français et le soldat allemand s’unissaient, on obtiendrait malgré tout un bon soldat.
Mme Okapis s’excuse. Elle va prendre des nouvelles de son beau-fils. Je la regarde disparaître et je me magne de lui filer le train. Mais Gloria m’intercepte au passage.
— Où allez-vous, Tony darling ?
— Me laver les mains, fais-je.
— Vous avez une idée, vous le célèbre flic français, sur ce qui s’est passé !
— Plus qu’une idée, mon cher amour, vous lirez tous les détails dans France-Soir un de ces quatre !
Comme j’arpente le hall, la voix grasse du Gravos me stoppe :
— San-A. !
Il tient le couteau par la lame.
— Bouge pas, Mec, on va mater les empreintes. J’ai demandé sa poudre de riz à la grognace du roi nègre ; comme elle se farde à la poudre d’aluminium, on va en avoir le cœur net tout de suite !
Il ouvre la porte de la bibliothèque et va s’asseoir à un écritoire. Faut le voir jouer les Sherlock, Béru ! Son smoking blanc commence à être souillé bassement. Il saupoudre le manche du couteau, puis s’empare d’une loupe taillée dans un diamant de seconde catégorie.
— Ballepeau ! annonce-t-il piteux. Le sagouin a pris ses précautions.
— C’est une femme ou un domestique qui a poignardé Homère, conclus-je.
— Pourquoi ?
— Mais, triple buse, parce que le meurtrier était ganté.
— Et s’il est venu de l’estérieur ?
— Tout bien réfléchi, je suis presque certain que non !
— Ah voui ?
— La pièce était plongée dans le noir le plus opaque. Si quelqu’un avait écarté l’un des rideaux, il se serait produit une clarté quelconque !
— Et si le zig que tu causes était entré par une porte ?
— Même objection : le hall étant éclairé, la lumière n’en aurait été que plus vive. Non, c’est quelqu’un de l’assistance qui a fait le coup, crois-moi !
— Qu’est-ce qu’on maquille ?
— Retourne au salon et veille au grain, je vais revenir ! Là-dessus, je m’engage dans l’escadrin et je demande à un loufiat où se trouve la chambre d’Homère.
Le toubib achève de le colmater avec l’assistance d’une infirmière D.M.B.V.[14] qui a un voile bleu et de la moustache (preuve probante qu’il s’agit d’une femme qui connaît son métier).
Eczéma est au chevet de son beau-fils, l’encourageant de la voix et de la mimique à supporter cette épreuve. Faut voir comme elle joue son rôle de seconde maman, cette ravissante jeune femme. Elle sait oublier sa beauté, son élégance et sa jeunesse pour exposer son cœur de presque mère. Faudra que le père Okapis se décide à lui faire un mouflet un de ces quatre, car elle a l’instinct maternel branché sur le courant lumière ! On peut pas la laisser charrier ça toute une vie. Elle a droit à sa part de bonheur, elle aussi. Pauvre lapin, va ! Tu l’auras, ton lardon, un de ces quatre, ma belle ; surtout si tu fais souvent des galipettes comme tantôt avec San-Antonio.
Je lui virgule un signe extrêmement discret pour l’inviter à me suivre. Elle m’obéit, et nous nous retrouvons dans le couloir.
— Allons dans votre chambre, lui fais-je.
Elle paraît intriguée. Lorsque nous sommes dans sa carrée elle se tourne vers moi, l’œil béant de candeur.
— Quand je vous disais que le malheur était en marche ! fait-elle.
— Et comme il n’arrive jamais seul, dis-je, prends toujours cet acompte en attendant qu’on te livre le reste, salope !
Et je lui administre le plus chouette aller-retour qu’une dame de son rang et de sa condition ait jamais reçu. Mes cinq doigts marquent dans son fond de teint.
Elle ouvre la bouche, son regard se coagule, ses cils s’emperlent.
— Et maintenant, la sérénade des aveux, ma petite grand-mère, lui fais-je. Raconte-moi un peu ton ciné !
Elle serre les lèvres, ce qui, en l’occurrence, signifie quelque chose comme « Tu peux toujours aller te faire cuire un œuf ».
Je la chope par les montants et la catapulte dans un fauteuil.
— Écoute, ma gosse, dis-je. Je vais jouer les extralucides, moi aussi. Et je te parie ta parure de diams contre une paire de tartes que je vais pulvériser ta fameuse voyante sur le plan du prémonitoire.
Je me racle le gosier, histoire de donner à ma voix ces inflexions langoureuses qui m’ont valu le premier prix d’écriture lorsque je fréquentais l’école primaire.
— Si tu ne t’affales pas, Eczéma, j’appelle ton bonhomme et je lui raconte tout.
Elle se décide enfin à moufter.
— Tout quoi ? qu’elle questionne hardiment.
La voilà qui se lève et qui se met à arpenter sa piaule. La grande nervouse ! Un cameraman de téloche ferait un gros plan de ses doigts qui s'entortillent pour traduire son agitation interne.
— Ton attentat du tennis ainsi que celui qui vient d’avoir lieu en bas !
— Mon attentat ! Mais, monsieur, vous perdez la tête !
C’est la meilleure, non ? Elle se croit au vieil Odéon des années 30, en train de jouer le troisième acte de « Mets pas le pied sur le savon tu te casserais la figure dans l’escalier ».
Elle est étourdissante de cynisme, cette beauté !
— Pas à moi, Eczéma, lui dis-je. Tu perds ton temps à nier. J’ai vu tes cartes et si je veux te foutre capot j’ai qu’un mot à dire à ton pauvre bonhomme de milliardaire, lequel est dans ses petits souliers.
Un rire qu’un romancier médiocre qualifierait de cristallin s’échappe de ses lèvres charnues (je fouille de plus en plus mon style, vous avez remarqué ?).
— Mais, ma parole, vous déraisonnez, mon cher !
Quand je vous le causais qu’on était en plein répertoire de l’époque « Vierge et Grande-Vioque ».
— Inutile de bluffer. Vous avez écorché votre gant au grillage du tennis en faisant rouler la balle, j’ai prélevé les fils et j’ai le gant déchiré ! N’importe quel expert vous confondrait avec de tels éléments.
Elle ricane.
— Et après ?
— Ce soir, le coup de la rose fluorescente, c’est une jolie idée, en effet. C’est vous qui distribuiez les roses, vous avez remis à votre beau-fils celle qui était lumineuse. Il ne vous restait plus alors qu’à le poignarder paisiblement dans le noir. Merveilleuse cible. Non seulement cette petite lueur vous désignait la victime mais elle vous indiquait en outre l’endroit où il fallait frapper puisque généralement on accroche ce genre de truc sur son cœur ! Bravo ! Vous avez des idées, Eczéma.
— Vos suppositions sont odieuses !
— Ah oui !
— Je vous somme de sortir !
— Si je quitte cette pièce, ce sera pour aller trouver Okapis afin de le mettre au courant de la situation !
— Mon mari ? Mais je vais le faire venir immédiatement, et nous verrons !
Elle va à sa table de chevet et presse un timbre.
— Vous allez lui répéter ce que vous venez de me dire, ricane-t-elle, et nous verrons comment il réagira.
Je me compose un petit sourire suffisant. Mais tout à fait entre vous, moi et Machin, je n’en mène pas plus large qu’un thermomètre dans l’exercice de ses fonctions ! Les maris, je les connais, vous pensez, depuis le temps que je pratique leurs épouses. Plus ils sont cornards, plus ils ont confiance ! Ils peuvent vous trouver couché à poil avec madame, si cette dernière certifie que vous avez tenté d’abuser d’elle, ils vous expulsent avec perte et fracas. C’est bath, du reste, la crédulité. C’est réconfortant ; dans certains cas, on se dit qu’il est pas si mauvais bougre que cela, l’homme, puisqu’il suffit du regard angélique de sa bergère pour lui faire avaler des couleuvres grosses comme ma cuisse ! D’ici que l’Okapis me consigne dans ma chambre en attendant le retour hypothétique de sa flotte, y a pas loin !
J’attends une minute trente secondes et on sonne. Eczéma débloque le système d’ouverture automatique. Voilà deux larbins qui entrent. Pas des mauviettes : des armoires bavaroises ! L’un et l’autre possèdent une tête de plus que moi. Je pige vite fait qu’il y a maldonne et que cette bougresse m’a enviandé de première. Elle leur dit quelque chose en grec. Je cause pas le grec, mais c’est pas la peine que j’aille m’acheter la méthode Assimil ! J’ai pigé tout de même. Les deux mastars s’avancent sur bibi. Que fait le San-Antonio bien-aimé dans ces cas-là ? Il dégaine son camarade tu-tues ! Seulement voilà, j’ai laissé mon artillerie dans ma chambre à pieuter, because un pétard de 11 mm dans un smoking en soie sauvage, ça se remarque autant qu’un curé à Courchevel. Alors que fait le San-Antonio intrépide dans ce second cas ? Il cramponne une chaise par un panard et il attend que ça se précise. C’est cette solution extrême que j’adopte.
— Dis donc, Eczéma, gouaillé-je, il s’est déguisé en gorille ton bonhomme, on dirait ?
Elle s’assied sur son lit, s’empare d’une lime à ongles, comme elle a vu faire dans les superproductions d’Hollywood et feint de se désintéresser de la situation.
Les deux chourineurs ont la technique. Au lieu de m’attaquer de front, ils se séparent. L’un d’eux décrit un arc de cercle pour me contourner, l’autre reste dans l’encadrement de la lourde. J’ai beau essayer de surveiller ces deux messieurs simultanément, étant donné que Félicie a omis de me doter de phares de recul, je suis dans l’obligation de décrire un recul itou afin de former la troisième pointe d’un triangle avec ces messieurs. La chaise est légère dans ma main. Je la ferai déguster au premier qui se présentera, mais y en aura pas pour deux. C’est l’inconvénient du Louis XVI !
Un court moment d’observation se déroule.
— Et alors ? je fais. On attend des nouvelles de la météo ou on s’envole de confiance ?
Mais je n’ai plus la moindre envie de me gondoler quand je vois le zig de la porte tirer des basques de son habit à la française une curieuse escopette. Ça ressemble aux vieilles trompes d’auto de jadis. Il y a un pavillon évasé, une grosse poire de caoutchouc avec en plus, une poignée, façon manche.
Je louche dessus.
— Tu donnes un récital, Bébé ? je lui demande.
Il a pas l’air d’entraver la noble langue de Molière. Il a un mot pour Eczéma et la dame sort sans un regard.
J’ai idée que ça va hallebarder ferme, les gars ! Je ne sais pas trop à quoi sert sa poire à lavement style la Voix de son Maître, mais j’ai idée que rien de très bon pour moi ne peut en sortir.
Je me tourne vers la porte-fenêtre. Hélas, le store métallique est à demi baissé à l’extérieur. D’autre part, la pièce étant insonorisée je suis repassé côté goualante. Faudrait peut-être pas trop tarder à me servir de la chaise, hein, qu’en dites-vous ? Lorsqu’on laisse passer la minute M, c’est l’heure H qu’on prend sur la théière !
Je lève la chaise. Le zig à la trompe avance la main. Je balance ma pauvre arme pitoyable. Sans trop y croire j’en conviens. L’autre a des réflexes de caméléon ! Sans décoller ses pieds du sol, il exécute une fulgurante esquive. Ma chaise va fracasser le miroir de la coiffeuse. Allons bon, me voilà avec sept ans de malheur sur le râble en supplément au programme, c’est le bouquet !
Le trompettiste ne peut retenir un sourire amusé. Il avance sur moi. Je me dis, in petto, afin de ne pas être entendu par les oreilles ennemies « Mon petit San-Antonio, tu t’es trouvé dans des maverdaviers beaucoup plus sévères. Ça s’est toujours terminé à ton avantage. Cet après-midi par exemple, la situation s’avérait autrement dramatique. Alors laisse parler ton instinct, il a l’éloquence naturelle ».
Bien senti, non ? Quand je m’exhorte ainsi, je ne peux pas me résister. J’obtiendrais tout de moi avec des arguments semblables.
Aussi, vous savez quoi t’est-ce que je fais ? Devinez ! Votre manque d’imagination m’ulcère. Eh bien, je fais mine de vouloir passer par-dessus le plumard d’Eczéma pour gagner la sortie. Mon vis-à-vis à l’escopette veut me barrer le chemin et fait un saut de côté. Du coup, je lui plonge dans les cannes, en une cabriole formide. Il a tous les vases, cet endoffé. Au lieu de culbuter, il parvient à rester droit et à me filer un coup de savate sur la nuque. Oh ! pardon ! Môssieur possède le coup de pédale de Poulidor ! Il m’offre une de ces voies lactées en état de marche qui ferait la joie d’un astronome. Je vois le parquet qui monte me rendre visite et qui me file une grosse tape sur le nez.
Maladroit comme une tortue à la renverse, je tente de me redresser. C’est alors que l’abominable larbin me file l’entonnoir de sa trompe en pleine bouille et se met à presser sur sa poire d’angoisse. Un liquide glacé m’asperge le visage. Je sens que tout chancelle. Je retombe à plat ventre. Je voudrais essayer quelque chose, mais c’est impossible. Inscrivez absent et tournez la page !