Moi, vous me connaissez… J’ai toujours eu une certaine emprise sur le Mastar. C’est pourquoi, soucieux de limiter le scandale, je braque mes Wonder dans les siens.
J’ai la manière de lui exprimer mon sentiment. Bien qu’il soit rond comme un boulon, il se décide à la boucler. Heureusement, le repas se termine et tout le populo passe dans le salon 8 bis, le plus grand. Depuis un bout de moment, je dois vous annoncer que mes actions viennent d’être cotées en Bourse. Non seulement la séance discrète de rentre-dedans-en-faisant-le-grand-tour que j’ai entreprise sur Antigone a l’air de porter ses beaux fruits juteux, mais je me suis aperçu que j’avais un ticket avec sa belledoche, la très belle Eczéma. J’ai fait cette découverte fortuitement. Comme je portais mes prunelles dans sa direction, j’ai surpris son ardent regard braqué sur ma personne. Et ce regard, croyez-moi, en disait long comme le Boléro de Ravel sur l’intérêt que j’éveillais en elle.
Me voilà donc à la tête d’un cheptel intéressant.
En entrant dans le grand salon, je fais la grimace. La première chose que j’aperçois, c’est un piano à queue. Rien de plus traître que cet instrument lorsqu’on villégiature avec une cantatrice. Vous remarquerez qu’il se trouve toujours dans l’assistance un locdu pour réclamer une chanson de la dame. C’est comme chez les amis qui reviennent d’une croisière aux Canaries. Faut toujours qu’un futé leur demande de projeter les diapositives célébrant cet événement. On est obligé de digérer son homard Thermidor en matant Ténériffe et ses palaces. Moi, j’ai envie de hurler à la mort dans ces cas-là. Et c’est toujours assorti d’un commentaire pertinent du maître de maison qui se prend pour Zitrone, tout d’un coup, derrière le faisceau de sa loupiote.
« Ça, c’est Germaine qui sort de sa cabine ; tu te rappelles, Germaine, le garçon de bain, cette gueule qu’il avait ? D’ailleurs, vous allez le voir. Ça c’est un gros plan de coquillage ; il est beau, non ? »
Et vous v’là obligé de gueuler en réprimant des rots que c’est féerique et tout et qu’on ne pouvait en effet pas clamser avant d’avoir vu un coquillage pareil.
Pendant qu’on touille son caoua, ça ne rate pas. Voilà ce tordu d’Herr Hoplann qui fait des huit avec sa jambe devant la Cavale et qui implore :
— Notre grande artiste va nous chanter quelque chose, j’espère !
Je te l’emplâtrerais, le constructeur d’avions, avec un certain plaisir. De quoi je me mêle ! Il devrait y avoir des salons « Non chanteurs », comme il y a des compartiments « Non fumeurs ». Au début, j’ai de l’espoir, car la Cavale fait sa chochotte comme quoi après un aussi bon repas, son contre-ut ne passe plus. Je veux bien la croire, elle a jaffé comme une benne à ordures, la gravosse !
Je m’approche d’Antigone et je lui gazouille :
— Le moment est venu de faire diversion. Pour peu qu’on insiste, elle va y aller de son voyage.
C’est ce qui se passe, fectivement ! Quelques chichiteux chiquant aux amis-des-arts font leur ramage à la marchande de si-bémol galvanisés. Ils lui disent que, sans contre-ut, elle reste géniale et qu’on est entre gens de bonne compagnie. Elle objecte alors qu’elle n’a pas son accompagnateur. Qu’à cela ne tienne, la reine Mélanie n’a-t-elle pas obtenu un quatorzième second grand troisième Prix au Conservatoire de Chkoumoun en 1902 et par contumace ? Alors ?
Alors on a droit au grand air de Ramone-moi. Obligés de délourder les fenêtres en douce, qu’on est, because les « bangs » ! Les vitriers sont rares dans l’île du Konkipok, faut ménager les carreaux.
Pendant que Mme la Cavale joue les cliniques d’accouchement survoltées, j’opère un discret mouvement en direction du Gros. Il est affalé sur un canapé, dans un coin tranquille, et il commence à fermer ses jolis yeux, comme chaque fois qu’il sort de table.
— Hé, Grosse Pomme, j’hèle à mi-voix.
Il rouvre un store, hésite à continuer sa comédie mais il y renonce.
— Il faut que je te parle, Béru. Mais discrètement. Tout à l’heure, va faire une balade sur le port, je te rejoindrai.
Ayant dit, je le largue afin de ne pas éveiller l’attention. Pourquoi ai-je l’impression que je vis sur la lentille d’un microscope ? Il me semble que mes moindres faits et gestes sont observés, interprétés… Il y a dans cette maison un je ne sais quoi de menaçant, de funèbre plutôt, qui me glace tout à coup. J’ai cru que la présence de ces grands personnages m’intimidait, mais ça n’est pas de la timidité ; plutôt une angoisse secrète. Ça remue tout au fond de moi, c’est viscéral.
Il est évident qu’après l’affaire du tennis, dire qu’un danger plane est une espèce de lieu commun, mais c’est la notion de ce danger qui est bizarre. Il m’est souvent arrivé (vous avez payé pour le savoir) de voir ma vie menacée, mais je n’éprouvais pas cette inquiétude organique. Ici, ce que je ressens est pareil à la panique des bêtes qui fuient quelques heures avant que se déclenche un séisme. Vous pigez ? Si vous ne pigez pas, c’est que vous êtes abrutis ou que vous le faites exprès parce que, depuis un moment, je m’exprime rudement bien, non ? Est-ce que cette sale sensation provient du fait que nous nous trouvons sur un îlot perdu en plein Pacifique ? Peut-être, après tout !
— Avez-vous goûté à l’alcool de figue ?
Je me retourne. Eczéma Okapis est devant moi, après avoir été derrière ; mais puisque je me suis retourné, la voici devant, comprenez-vous ?
Éclat ! Rayonnement ! Elle dégage de la chaleur, une odeur suave et provoque impétueusement le désir. Son sourire est éclatant.
— De l’alcool de figue, bredouillé-je, heu, non…
— Alors, venez, je vais vous en faire déguster.
Elle m’entraîne vers l’armoire aux liqueurs.
— Vos blessures ne vous font pas trop souffrir ?
— Elles sont assez bénignes.
Je croise le regard de Gloria. Elle serait jalmince que ça ne m’étonnerait pas.
— Vous êtes très courageux, m’a-t-on dit, monsieur San-Antonio.
— Ce sont des personnes très indulgentes qui vous ont affirmé cela, madame Okapis.
Avec des gestes savants, des gestes de danseuse indoue, elle me sert un verre d’alcool. Nous sommes face à face et notre silence est plus éloquent qu’un démarcheur d’assurance.
Moi, vous me connaissez… On serait pas dans le big salon du père Okapis, je me la culbuterais sur la moquette, sans cérémonie. Elle a tout ce qu’il faut pour vous faire exploser le thermomètre à injection, cette dame ; mais alors quand je dis tout, c’est TOUT !
— Il faut que je vous parle, me gazouille-t-elle ; c’est urgent !
Exactement ce que je viens de bonnir au Gros. Quelle coïncidence, dites-moi !
— Je vous écoute, risqué-je.
— Pas ici. Montez tout à l’heure dans mes appartements.
— Quand ?
— Un concours de tir au pigeon est prévu pour quatre heures, venez pendant ce temps, j’habite au deuxième étage, la porte au fond du couloir de droite.
Je bats des ramasse-miettes.
— J’irai.
Ma parole d’homme, j’ai dû rougir tellement la pensée salace qui m’a traversé le citron est corsée.
La Cavale brame toujours. Les verres en tremblent sur leur plateau.
Je liquide le mien.
— Excellent ; madame, merci de m’avoir fait connaître ce nectar.
Son œillade me répond : « Si tu es amateur, mon garçon, je te ferai connaître d’autres choses bien meilleures encore. »
En matant du côté du Gros, j’ai le plaisir de constater que Sa Majesté Béru Ier, roi des glands, est sorti. Je décide de m’esbigner aussi. Pourvu que la môme Gloria ne joue pas trop les anges gardiens. J’ai un après-midi chargé qui réclame ma totale liberté de mouvements.
Je profite de ce que tout le monde acclame la Cavale qui vient de glapir son ultime fa dièse fourré pour me déguiser en absent.
Pour aller au port, j’emprunte un sentier dallé qui louvoie (comme disait Colbert) entre les prépuciers à corolles latentes et les fouillotrins panachés. Ce que ça hume bon, ces plantes exotiques ! Chemin faisant et tout en reniflant à pif-que-veux-tu, je me fais un petit résumé des chapitres précédents. L’expérience m’a enseigné à quel point ce petit détail était utile. S’il vous casse les nougats, allez fumer une cigarette dans le jardin, je vous y rejoindrai.
Moi, San-A., je prenais de béates vacances sur la Côte d’Azur lorsque j’ai fait la connaissance d’une milliardaire un peu follingue. La demoiselle manque être kidnappée en ma présence et doit sa liberté à la promptitude de mes réflexes.
Éperdue de reconnaissance et d’admiration (comme on la comprend) elle m’emmène en croisière avec des tranches couronnées et des grossiums de tout poil.
À bord du yacht d’Okapis, un commando de malfrats tente de nouveau de la kidnapper. Toujours grâce à la célérité et à la vaillance du fabuleux San-A., (je me fais faire tous mes superlatifs à la main) elle s’en tire une nouvelle fois.
Vous suivez toujours ? Ça ne vous fatigue pas ? Si les dames sont fatiguées, elles peuvent s’asseoir sur les genoux des messieurs, je suis pas choquable. Bon, je continue…
Nous arrivons triomphalement dans l’île et en faisant trempette, dans l’heure qui suit mon arrivée, je découvre un cadavre entortillé dans du grillage. Comme je retourne au palais du Perlin-pinpin l’armateur, j’aperçois un sosie de Bérurier qui, un peu plus tard, s’avère être le Gros en chair et en graisse.
Suivez le guide, il vous conduira toujours sur les chemins de Magloire et de l’horreur.
Histoire de monter un peu en gringue avec la fifille de la maison qui paraît être à ma pointure, je dispute avec elle un match de tennis, et une balle piégée, délicatement mise à notre disposition par une main criminelle, manque de m’envoyer chez Plumeau. Elle blesse grièvement le souilleur de blanc qui nous regardait jouer.
Qu’à cela ne tienne, nous passons à table où le Béru de service fait son scandale quotidien, et à l’issue du repas, la maîtresse de maison (dont je ferais bien la mienne à l’occasion) m’invite à grimper dans ses appartements privés. C’est tout, hein ? Je crois n’avoir rien oublié. Si j’ai perdu quelque détail en route, mettez-le-moi de côté, je le prendrai en repassant. Et maintenant, vous allez convenir devant moi d’une chose, les gars, c’est que si vous trouvez ce bouquin pas assez nourri en péripéties, il y a un disjoncteur de sauté dans votre centre nerveux du bas.
Auquel cas vous allez au Bazar de l’Hôtel de Ville vous acheter un appareil à électrochocs branchable sur le 220.
Moi, tous ces mystères commencent à me peser sur le concombre farceur. Je me dis que Béru va au moins en éclaircir un, et pas des moindres ; celui que constitue sa présence chez Okapis.
Justement, j’aperçois sa brave silhouette, tout là-bas. Il est assis sur une grosse bitte, ses jambes dans le vide, le coquet bada de paille incliné sur la devanture.
Il dodeline.
J’arrive dans son dos et, farce classique, je brame en lui appuyant brusquement mon index entre les omoplates :
— Haut les mains !
Il bondit en avant !
Mais en avant c’est la mer, mes frères ! Alors, que voulez-vous : il y va de son plongeon grand style, le Béru. Une gerbe d’écume m’éclabousse. Je me penche, fort marri de voir mon innocente blague se transformer en fait divers. En bas, il y a un bouillonnement forcené. Mister Bibendum a disparu. Aurait-il coulé à pic ? Après un gueuleton aussi faramineux que celui qu’il vient de se cogner, ça n’aurait rien d’impossible. Que dis-je : ce serait tout naturel.
J’ôte ma veste, mes pompes, et je m’apprête à plonger lorsqu’il réapparaît. Ses bras battent la glotte énergiquement. Il s’organise enfin et se paie une brasse tout ce qu’il y a de coulée en direction des escaliers du quai. C’est un Béru furax et suffocant que je récupère.
— Figure de fifre ! hurle-t-il. Tranche de melon !
— Du calme, inspecteur, on n’insulte pas son supérieur, fût-ce en territoire étranger.
Il m’indique l’endroit de sa robuste personne où il place le supérieur en question. Il s’agit d’un endroit très inconfortable ma foi, et j’en frissonne. Heureusement, le guignol tape dur en cet après-midi léthargique. Il ne risque pas de s’enrhumer, le Gravos.
— Avant d’aller te changer, raconte-moi un peu par quel prodigieux concours de circonstances tu te trouves ici, Grosse Larve.
Il pose sa veste, ses pompes, son bénard et étale le tout sur le marbre surchauffé de la jetée. En bannière et en slip, il est payant, mon valeureux compagnon.
— C’est toute une histoire, commence-t-il en crachotant. Bon Dieu, grimace-t-il, ce qu’il est saumâtre ce Pacifique !
— Ça va changer, promets-je, les États-Unis qui se sont terriblement dessalés depuis quelques années vont également dessaler les océans. Maintenant vas-y, bonnis-la, ton histoire.
— Figure-toi qu’un jour, le professeur Prouvette que j’ai l’honneur d’escorter, a été invité par Okapis à participer à sa java de la haute.
— Puisqu’il est ici, je m’en doutais, figure-toi.
— Fais pas d’obstraction. Les journaux de chez nous en ont causé. Et voilà que le professeur a reçu un coup de grelot, signé anonyme, d’un mec qui lui demandait de ne pas venir.
— Pour quel motif ?
— Au début il a pas donné de motif. Le Prof a cru que c’était une blague bidon. Et puis, comme on continuait d’annoncer ses préparatifs de départ, le correspondant a remis ça. Cette fois il lui a dit : « Si vous allez à Konkipok vous n’en reviendrez pas. Nous avons un très grand respect pour votre œuvre. C’est pourquoi on vous avertit (comme dirait Jean-Christophe). Surtout ne croyez pas que nous sommes des plaisantins. Il ne s’agit pas d’une farce. Et pour vous prouver que nous sommes sérieux, nous vous causerons une certaine émotion d’ici demain soir. »
« Là, poursuit Béru, le père E. Prouvette a commencé à avoir le masque et il a prévenu la poulaille ; mais nous, faut l’avouer, on n’est pas des préservatifs. On châtie, on ne protège pas. »
Sur ces paroles robustes, il crachote et fronce les sourcils.
— Que t’arrive-t-il, Gros ? m’inquiété-je.
— Je pense à un truc que je te causerai tout de suite après, me répond l’Hénorme. Bon, où que j’en étais ? Ah, oui ! Quand le Prof’ vient nous raconter sa romance, on lui dit « Inquiétez-vous pas, le monde est plein de tordus. » Mais voilà que le lendemain, Prouvette reçoit la tête de sa secrétaire dans une mallette casse-croûte achetée à Prisunic.
— Quoi ! croassé-je.
— Textuel, Gars. Sa secrétaire était une vieille toupie du genre pucelle-à-vie. Elle habitait seule. Des mecs sont allés chez elle, lui ont sectionné le cigare et l’ont offert à Prouvette pour ses étrennes. C’est culotté, non ?
— Plutôt !
— Et le lendemain, dernier coup de bigophone. La voix disait : « Nous vous avons prouvé qu’on rigolait pas. Maintenant, vous voilà prévenu. Si vous allez à Konkipok, tant pis pour vous. » Et il a raccroché.
Passionnant, ce que m’apprend le Bonhomme Bérurier, vous admettez ? Voilà qui jette une lumière nouvelle sur tout ça. Donc, je n’ai pas des vapeurs de jouvencelle hypersensible quand je vous dis que je sens flotter un danger sur cette île. Si des amoindris avaient déjà ricané, ils l’ont dans l’egg et c’est bien fait pour leur bouille. Tout de même c’est pas banal, l’aventure d’E. Prouvette. Ce scientifique qu’on veut protéger contre un danger par respect de ses travaux et dont on bousille la secrétaire afin de lui prouver la réalité dudit danger, voilà qui dénote une curieuse mentalité de la part de l’assassin.
— Béru, murmuré-je avec une gravité qui lui fait rectifier d’instinct l’ordonnance de son kangourou, Béru, je crois que nous sommes au cœur de l’enquête la plus sensationnelle de notre carrière.
— Je le crois t’aussi, répond le Mastar avec ferveur.
— Continue.
— Le Vieux a tenu un grand conseil. Il a demandé à Prouvette de s’abstiendre de venir. Mais le père Prouvette, tu peux pas savoir la volonté qu’il a. On dirait un petit ouistiti mais il a un cœur de torrent-houdan. C’est pas de la mauviette. « Dussauré-je y rester, a-t-il répondu, que j’irais. »
Ce qu’entravant, le Vieux a décidé de le faire protéger par un homme sûr.
— Et il t’a confié la besogne ? m’étonné-je.
Là, Sa Majesté se trouble comme un verre de Ricard exposé à la pluie.
— C’est-à-dire que voilà. Il m’a chargé de te retrouver parce qu’il estimait que c’était un turbin dans tes cordes.
— Et alors ?
Ça se bouscule dans la porte-tambour du Gros.
— J’ai téléphoné chez toi, ta Maman m’a dit que t’étais sur la Côte et… j’ai pas voulu te déranger, comprends-tu ?
— Espèce de gros Tartuffe ! Elle t’a donné mon adresse, mais tu as prétendu que j’étais parti à l’aventure, ce qui a dû faire mugir le Vieux qui n’admet pas que ses collaborateurs disparaissent.
— Justement. Le Vieux a été convoqué à une réunion de l’Otan pour plusieurs jours. C’est moi que j’ai pris la décision de partir à ta place et j’ai tout arrangé pour, me révèle l’Obèse. J’avais envie de m’offrir la croisière des milliardaires et des rois, c’était tentant, admets !
Je ricane.
— M’est avis, Béru, que tu vas faire des éconocroques de savon Cadum en rentrant car le Boss se chargera de te laver la tête !
Il soupire.
— Je m’en gaffe. Comment il était quand il t’a joint ?
J’ouvre des vasistas grand format.
— Il ne m’a pas joint ! Qu’est-ce que tu débloques ?
— Mais alors comment t’est-ce que t’es là ?
Je comprends pourquoi le gars Béru n’a pas paru surpris de me trouver chez Okapis. Dans sa bonne cervelle pâteuse, il s’est dit que j’avais été touché par les Services et expédié dare-dare chez l’armateur.
J’affranchis mon camarade sur mes amours avec Gloria.
— Je voudrais pas te vexer, me dit-il, mais elle est pas lobée, ta mousmé ? Je t’ai vu dégringoler mieux, San-A.
Ces sarcasmes ne m’atteignent pas. Dans le fond, je suis ravi de retrouver mon féal équipier. C’est quelqu’un, Béru, dans son genre. Il peut m’être très précieux.
Je lui raconte ma découverte du matin et le voilà qui pousse une exclamation.
— À propos, ce que je voulais te causer…
— Oui ?
— Y a un instant, quand j’ai opéré mon valdingue dans le potage, j’ai aperçu des trucs bizarres au fond de l’eau.
— Quels trucs bizarres, Gros ? me passionné-je.
— On aurait dit des coffres.
— Des coffres ?
— Brèfle, des caisses en fer, si tu aimes mieux.
Il pointe le doigt vers les profondeurs.
— Là, tout contre la jetée.
Je m’agenouille pour mater. Mais l’eau qui paraît transparente et lumineuse, à partir d’une certaine profondeur devient opaque. J’ai idée qu’une nouvelle partie de pêche sous-marine s’impose. Je décide de l’entreprendre en fin d’après-midi, après ma visite à la ravissante Eczéma Okapis.
Chaque chose en son temps, non ?
— Écoute, Gros, décidé-je, tu vas fouinasser un peu partout. Ne t’inquiète pas du savant, ça n’est pas à lui que les ennemis mystérieux en ont. Mate un peu le comportement des uns et des autres. Si quelque chose cloche, tu me préviens discrètement.
Je lui vrille mon index dans le nombril.
— Et si tu as le malheur de te filer une nouvelle peinture au dîner, tu auras affaire à moi !
Il baisse la tête et, pour faire diversion, comme il n’a pas son pantalon et par conséquent pas de poches, donc pas de mouchoir, il se mouche énergiquement dans ses doigts.