CHAPITRE IV

Moi, vous me connaissez… Je suis d’un naturel plutôt modeste. Pourtant, je dois convenir que lorsqu’une reine mère, un roi, des ministres, des milliardaires, un duc et un lord vous congratulent en vous disant dans toutes les langues que vous êtes un héros, vous sentez le rouge de la Légion d’honneur vous grimper au front via la boutonnière.

Okapis fils fait sabler le champagne pour saluer mon exploit. Ensuite de quoi, il me prend à part et me demande la permission d’écraser l’affaire, vu qu’il ne voudrait pas descendre en flamme la réception de son papa.

Comme ça m’arrange, je réponds « Mais-comment-donc-vous-pensez » et la plus parfaite harmonie règne à bord.

Le commandant, questionné, nous apprend que le steward-kidnappeur a été engagé au dernier moment à Guayaquil pour remplacer un membre du personnel rappelé au chevet de sa mère. Je m’attendais à un truc de ce genre. Le remplaçant battait passeport brésilien et prétendait s’appeler Alonzo Fiasco. Je visite sa maigre cabine et n’y trouve rien d’autre que des vêtements civils achetés à New York et une bouteille de whisky en provenance d’Écosse ce qui, pour une bouteille de scotch, n’est pas un signe particulier.

Quand je reviens au grand salon où Angelo Okapis fait un doigt de gringue à Gloria, histoire de lui faire oublier son aventure, je suis l’objet de nouvelles marques d’estime et d’admiration. La reine Mélanie me dit que la femme possédant un fiancé aussi courageux est la plus comblée des femmes. Je roucoule des trucs modestes en songeant tout bas que si la reine Mélanoche était moins vioque, je me ferais un plaisir de lui échantillonner mes autres qualités. Comme tous les zigs de modeste origine, j’ai toujours rêvé de m’embroquer une souveraine ; un peu pour le sport et itou pour lui prouver qu’à l’horizontale du moins, la démocratie reprend toujours le dessus. Mais cette reine mère va sur les soixante-dix carats et faudrait drôlement lui colmater les brèches pour la rendre présentable. Telle qu’elle est, de la trouver à loilpé sur un pucier, ça me donnerait le sentiment d’être un grand patron dans sa salle d’opération. Avec une dame dans son état (si j’ose dire en causant d’une reine) l’amour fait nettement chirurgie, faut se méfier. Après, même si on réussit l’opération, on a des complexes, et on n’ose plus taquiner les petites pétroleuses toutes neuves, toutes fraîches et bien juteuses.

Pour la nième fois, comme disent les amnésiques, Gloria raconte son odyssée à Homère. Elle suivait le faux steward vers la coursive afin de nettoyer sa robe (qui l’a été au-delà de toute teinturerie !) quand, brusquement, l’homme s’est approché du bastingage en murmurant : « Mais, qu’est-ce qui se passe ? ». Ce qu’entendant, Gloria s’est penchée à son tour. Lors, le salopard l’a empoignée par les chevilles et l’a fait basculer. Avouez que c’est rosse, comme disent les rhinos, non ?

Et si elle avait pas su nager, Gloria, hein ? Bien sûr, une jeune fille américaine sait toujours nager, n’empêche qu’en sortant de table, un plongeon de huit mètres, c’est pas recommandé.

Tout le monde tremble rétrospectivement (sauf le général von Koklusch, car un Allemand ne saurait trembler) en songeant à ce qui se serait passé si la demoiselle Victis n’avait été une grande sportive. Je vous jure que ça émotionne, des trucs pareils.

Enfin on va se pieuter et, naturellement, miss Gloria vient me rendre une petite visite nocturne, en voisine, histoire de me prouver sa reconnaissance éperdue.

Pas éperdue pour tout le monde, faites-moi confiance !


Le lendemain, quand nous ouvrons nos clignotants, nous avons la bonne surprise d’apercevoir des palmiers à travers la vitre du hublot.

— Gloria ! la réveillé-je, ou mes sens m’abusent (comme dirait le docteur du même nom) ou nous sommes arrivés à bon port.

Ayant déclaré, je vais ouvrir le hublot et aussitôt, des gazouillis de zoiseaux tous plus exotiques les uns que les autres s’engouffrent dans nos entonnoirs à musique.

La môme vient me rejoindre et, bien qu’elle soit blasée (après une nuit avec San-A., qui ne le serait !) pousse un cri (à moins qu’il ne s’agisse d’une exclamation) d’émerveillement. Faut reconnaître aussi que le paysage est féerique. Imaginez une plage de sable rose, bordée de palmiers géants. La mer est verte, le ciel est bleu.

Dans le port où nous avons mouillé (faudra que je me change) j’aperçois d’autres yachts ravissants.

Une large avenue bordée de plantes rares conduit à une magnifique demeure telle qu’Hollywood n’en a jamais conçu. C’est un peu plus grand que le temple d’Angkor, mais également plus sympa. Style colonial, si vous voyez ce que je veux dire. On se croirait dans Autant en emporte le vent.

J’ai idée qu’on va voir des trucs pas ordinaires, dans cette île !

Nous faisons fissa pour nous loquer et nous grimpons sur le pont après un rapide petit déjeuner. La môme Gloria, qui s’est payé une bonne nuit réparatrice, a les traits néanmoins tirés ; notez que ça lui évitera de se les faire tirer plus tard, lorsque sa frime ressemblera à une morille. J’ai idée que le rodéo marin de la veille l’a marquée. Dans le fond, c’est pas poilant tous les jours, d’être milliardaire ! On est en bute aux coups bas de ceux qui voudraient le devenir également ! Un clodo, au moins, personne ne l’envie ; ou si on l’envie, on ne cherche en tout cas pas à lui chouraver sa place sous le bridge de l’Alma.

Il y a pas grand trèpe sur le pont. La reine Mélanie parce qu’elle est vioque et qu’à son âge on se réveille de bonne heure, lord Loge-Parlente aussi, because il est anglais.

À part eux, tout le monde en écrase sans se douter qu’on vient d’aborder au paradis terrestre.

Les matafs du bord installent cette échelle de Jacob qu’est l’échelle de coupée et qui va constituer un trait d’union entre le bord et la terre ferme, comme l’écriraient des académiciens dont, par pure charité chrétienne, je tairai le blaze. J’ai hâte de fouler ce sable rouge si tentant. Il a comblé une grande lagune, Okapis. Ces travaux, mes zenfants ! Ce port est en marbre rose, afin de s’harmoniser avec la plage avoisinante. Les bittes d’amarrage sont en bronze doré à la feuille et la lanterne du phare a été taillée dans un diamant bleu. Ce qu’on peut devenir riche à coltiner du pétrole ! Sa propriété, d’ailleurs, il l’a baptisée « Celle que j’aime ».

Les caractères sculptés dans des pierres précieuses l’indiquent en grec, en français, en anglais, en allemand, en cambodgien et en sténo.

— Quel est le programme des réjouissances ? je demande au commandant Métonpolos qui vient de paraître.

— À dix heures, des voitures à chevaux viendront chercher les passagers pour les conduire au château.

— Mais il est à cinq cents mètres, le château.

— Il n’importe, que me rétorque Métonpolos, les Actualités doivent filmer l’arrivée et un cortège va se former.

Je me marre tout bas. La bouille de mes potes lorsqu’ils découvriront leur San-A. entre le prince Salim Tanksapeuh et l’archiduc de Kronenbourg de Lux !

En somme, Okapis a fait venir les célébrités mondiales pour jouer les frimants. Il a peut-être précisé sur les cartons d’invitation que les monarques devront apporter leurs couronnes d’apparat. C’est un gros coup de pub, cette réception dans le Pacifique. Ses actions vont grimper en Bourse, du coup. Se faire cautionner par des reines, des milliardaires et des généraux, c’est ce qui paie le mieux, à notre époque, bien que la mode, dans certains pays limitrophes, soit à la démocratie.

En attendant dix plombes, je vais faire trempette dans la grande verte. L’eau est tiède. Des petits singes turbulents et des cacatoès bavards s’en donnent à cœur joie dans les palétuviers roses. Le mahomed qui n’est pourtant pas encore à son zénith (c’est pas l’heure) déverse déjà des flots de rayons sur cette nature ensorcelante. Il y a des odeurs opiacées dans l’air. Ça doit vachement porter à l’épiderme, ce climat. J’ai idée que les nuits seront rudes, car ça énerve.

Lorsque je me suis bien baqué, je vais me faire chouette en vue de la cavalcade Paramount. Je mets un complet léger, bleu ciel, une chemise blanche et une cravate bleu nuit. Vous verriez cette gravure de mode, mes poulettes, que vous seriez obligées de vous gaver de tranquillisants pour surmonter votre défaillance.

Toutes ces pommes couronnées (il y a la noblesse du compte en banque, aussi la seule vraie) se sont mises sur leur trente et un. Foscao 1er a son pagne des dimanches et le général von Koklusch son uniforme à casque à pointe avec queue de cheval et eau sur l’évier. La Cavale, notre chère diva, s’est rasée et a fait boulonner sa guêpière par de la main-d’œuvre qualifiée. Bloquée comme je la vois, si quelqu’un lui titille le contre-ut, sûr qu’elle se fera péter un joint de culasse !

À l’heure prévue, des grelots argentins résonnent. Et un bien curieux cortège dévale l’avenue conduisant à la demeure. Imaginez une vingtaine de landaus blancs, aux roues roses et aux dais bleus, tirés chacun par quatre chevaux blancs au harnachement bleu agrémenté de grelots d’or. Hmm ? Vous mordez le spectacle ?

Dans les premiers ont pris place les invités déjà arrivés ainsi que le maître de maison. La voiture travelling des Actualités Paramount précède le convoi. Chaque landau est guidé par un cocher vêtu d’un costume blanc à écharpe rose. Ce que c’est beau ! J’espère qu’ils ont donné du Gevacolor à bouffer à leurs caméras, les copains de la moulinette 35. Ce serait dommage, sinon !

Ça sonnaille allègrement en se rapprochant. Et, comme la première bagnole se pointe au niveau du quai, ô surprise ! cent quatorze musiciens qui se tenaient cachés derrière les palmiers font un pas de côté, se démasquant soudain à nos yeux émerveillés. Ils sont mirobolants dans leurs uniformes rouges. Avec un ensemble miraculeux, ils attaquent l’hymne d’Okapis : « La pétrolette. »

Les notes argentines (c’est un Argentin qui a composé ce morcif) s’envolent dans l’air léger.

Cependant que la cohorte de landaus se range en épi devant la jetée, un homme descend du premier. Je le reconnais car j’ai vu beaucoup de photos de lui : c’est Okapis. Il porte son éternel complet de gabardine noire, sa chemise blanche, sa cravate noire. Il a son éternelle rose blanche à la boutonnière et son éternel fume-cigarette d’or incrusté de diamants dépasse hardiment de sa poche supérieure.

Il est plus petit qu’en photo, comme dirait une concierge de mes relations. S’il mesure un mètre cinquante-cinq, c’est le bout du monde ! Il a les sourcils épais, les cheveux gris, drus et frisottés, un nez plein de poils partout et des plis amers de chaque côté de sa bouche charnue.

Il s’avance jusqu’à la passerelle pour accueillir ses hôtes. Il ne se met pas en frais. Une poignée de mains ponctuée d’un « Merci d’être venu », avec, en supplément, une courbette pour les dames. That’s all !

Deux larbins en livrée guident alors les débarqués jusqu’aux landaus où la fille d’Okapis les présente à ceux qui sont arrivés de la veille. Parmi ces derniers, signalons la présence du prince Centre-Vietnamien Sovetoa-Vlalpouma ; celle de l’ancien roi farouche, du prince Konsör de Fromagie, de la vice-reine du Ténia, Aloha Kélébatouze ; de M. Pédal, des Nations-Désunies accompagné de sa grand-mère (qu’il ne peut laisser seule à la maison à cause de la cuisinière à gaz dont elle ne sait pas se servir) et de M. Edgar Faible, ancien président du Conseil français, auteur, par surcroît et par contumace, de « C’est Jaune et ça ne sait pas ». Quelle pléiade, non ?

Nous prenons place dans nos landaus respectifs et fouette cocher, nous mettons le cap sur la maison.

Surprise ! Tout au long de l’avenue, à mesure que nous avançons, un musicien se dégage de derrière chaque arbre. Il y a même un flûtiste nain qui sort de sous un fraisier sauvage ; pour vous dire si Okapis fait bien les choses !

Si vous voyiez ces jardins à la française ! Féeriques ! Surtout lorsqu’on songe que chaque milligramme de terre a été apporté sur l’île. Avant Okapis, il n’y avait sur le corail que quelques crottes de mouettes. Il a joué les Dieu-le-Père, avec éclat et brio, l’armateur. Félicitations du jury.

— Vous semblez rêveur, my dear ? remarqua ma douce compagne.

— J’admire, lui dis-je, sans préciser ce que j’admire. Comme nous n’avons rien de caché, mes amours, je vais vous faire une petite confidence : une de plus !

Depuis un instant, j’ai l’aorte qui fait le grand écart rapport au regard d’Antigone Okapis. Cette fille, quand vous croisez ses yeux, ça vous fait comme lorsque vous fixez une lampe à infrarouge. Oh ! pardon, quel éclat ! Jusqu’au kangourou, qu’elle vous va, son œillade. Antigone est une fille d’une petite vingtaine d’années, avec des cheveux noirs, séparés in the middle par une raie dite médiane. Sa peau est bronzée et elle n’a pas un brin de maquillage. Une bouche magnifique ! C’est curieux à dire parce qu’en somme, une bouche est une bouche et que, si on les regarde de près, deux lèvres n’ont rien de fascinant. Mais les siennes, si ! Elles ont un dessin délicat et on les devine tièdes et charnues comme des fruits au soleil. Quant à la carrosserie de la demoiselle, alors là, bitos ! Je sais pas si le père Okapis a fait appel à la main-d’œuvre extérieure quand il l’a mise en chantier, son Antigone (peut-être que Jean Anouilh lui a donné des conseils, après tout !). Toujours est-il que pas un de ses pétroliers ne peut rivaliser avec elle du point de vue ligne (et même grandes lignes) ! Un bijou ! À quoi bon vous parler de sa poitrine bien faite, de sa taille mince, de ses hanches coulées au moule, de ses jambes admirables, etc., hein ? Une fille est bien faite parce qu’elle est bien faite, un point c’est tout, non ?

Je la cherche des yeux, au sein du cortège et ne la vois plus. Dommage. Quand une fille pareille sort de votre horizon, ça vous fait comme lorsque le soleil vous dit good night. J’espère que ça n’est qu’une éclipse.

Nous remontons donc les Champs-Élysées d’Okapis, triomphalement. À l’intention des Amerlocks ici présents, la musique joue « Cette fois, je sens bien que tu aimes l’ami ».

On atteint ainsi le patio d’honneur où la garde privée de l’armateur présente les armes.

Elle est composée de solides gaillards en combinaison de pompiste, rose et bleu, qui, au lieu de fusil sont nantis de becs de tuyau de pompe en or ciselé. Les porte-fanions sont rangés dans un strict garde-à-vous. Il y a là l’étendard de la Shell, ceux d’Esso, de Mobil, d’Avia, d’Azur, de B.P., de Caltex, qui flottent dans l’air léger. Des jeunes filles, loquées en druidesses, vaporisent du Super à tout va !

Minute inoubliable. On est étreint par une émotion indescriptible à la vue de ces rois, de ces reines, de ces grands hommes assemblés dans ce palais. Car, ne rechignons pas sur les mots, c’est bel et bien d’un palais qu’il s’agit. La maison d’Okapis comporte, — j’ai lu ça dans « Consternation » — huit cents chambres avec salles de bains, douze salles à manger, vingt-trois salons, deux bibliothèques, huit piscines de compétition, quatre salles de gymnastique, un champ de courses, un vélodrome, et un terrain d’atterrissage pour Boeing. C’est la demeure la plus fabuleuse du monde, que dis-je du monde ! In the world, oui !

Le patio d’honneur où nous débarquons est de la dimension du Champ-de-Mars. Des bassins en marbre où glougloute de l’eau distillée, des statues grecques, des parterres d’orchidées l’agrémentent.

Les landaus découverts se rangent en un cercle parfait au milieu de cette esplanade. Okapis père descend de sa bagnole, grimpe sur un podium d’argent dressé au centre du terre-plein et se met à haranguer ses invités devant une forêt de micros.

— Majestés, Messeigneurs, Vos Excellences, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, qu’il dégoise dans un français légèrement zozotant, c’est un grand honneur que vous me faites en acceptant de venir pendre la crémaillère chez moi, en toute simplicité. Cette demeure est à votre entière disposition. Elle n’a été conçue et réalisée que pour votre agrément. Je souhaite que vous y fassiez un séjour agréable et que vous y trouviez le calme et le repos auxquels vos très hautes charges vous donnent droit. À dater de cet instant, chacun de vous est libre de faire ce que bon lui plaît. Si je vous ai priés de séjourner dans cette île, c’est pour vous offrir, à vous qui en êtes tellement privés, quelques jours de totale liberté. Merci.

Y cause bien, non ? Je trouve assez chouette sa formule d’accueil.

Nous descendons de nos chars, aidés par des larbins cérémonieux, qui nous guident dans nos appartements. Tous ont vue sur la mer puisque nous sommes sur un îlot et que la demeure d’Okapis est la seule construction. Ma suite se compose d’un petit salon et d’une chambre avec salle de bains. Je renonce à vous en décrire le luxe. À quoi bon vous faire tirer une menteuse longue comme l’escalier roulant des Galeries La Fayette ! Après, votre trois pièces avec gogues sur le palier, vous allez le prendre en grippe. Je veux tout de même pas vous cloquer la folie des grandeurs, mes lapins, ça ne serait pas un service à vous rendre. Tels que je vous connais, vous seriez capables d’aller secouer la sacoche d’un garçon de recette !

Si je vous dis par exemple que mon lit vénitien est tout en nacre incrustée d’or, que les murs sont tendus de peau de Suède, et qu’il y a un Van Gogh dans les ouatères privés, vous risquez de ne plus aimer le papelard de votre salle à manger qui représente un épagneul breton tenant dans sa gueule un panier de roses thé ; vrai ou faux ? Si j’ajoute que la salle de bains est carrelée en opale et que le bidet est taillé dans une pierre de lune (faut ce qu’il faut), il va vous paraître infect, votre évier, je m’en doute ! Alors, je m’abstiens, c’est plus sage.

Mon appartement est contigu (délicate attention) à celui de Gloria. Un valet de chambre déballe mes valoches et les range avec un soin extrême dans les penderies astucieusement aménagées dans le mur. La porte, c’est une toile du Greco (pas une copie : un original).

Un petit zonzonnement se fait entendre.

Le domestique appuie sur un bouton et la voix d’Okapis retentit.

— Monsieur San-Antonio, pouvez-vous me recevoir ?

J’en suis éberlué.

— Mais comment donc !

Alors la porte s’ouvre et l’armateur paraît. Il me sourit.

— Mon fils Homère vient de m’apprendre ce qui s’est passé au cours de la traversée. Je tenais à vous présenter mes excuses et à vous exprimer mon admiration. Vous êtes un homme courageux et je féliciterai miss Victis d’avoir choisi un fiancé de votre trempe.

— Vous êtes bien aimable, monsieur Okapis, je réponds. Mais je ne vois pas pourquoi vous vous excusez.

— Mon capitaine aurait dû prendre des renseignements avant d’engager ce steward. Je vais le licencier.

Bigre, il plaisante pas, l’armateur !

— C’est tout ce que j’avais à vous dire, ajoute-t-il en me présentant une main trop large pour sa chétive constitution.

Et il sort. Le gars mézigue se met alors à loucher sur un bar que le valet vient de découvrir et qui, lui aussi (pas le valet, le bar) se planquait derrière un tableau de Renoir. Il est vachement achalandé (toujours pas le valet, toujours le bar) moi je vous le dis. Dix sortes de whiskies, vingt sortes d’apéritifs ! Siphon ! Frigo ! Oui, j’ai idée que je vais bien m’entendre avec l’île de Konkipok.

— Monsieur désire-t-il quelque chose ? s’informe l’esclave.

— Un double whisky et un doigt de solitude, réponds-je.

Avec une célérité dont je lui sais gré, il m’accorde l’un, puis l’autre.

Je porte mon godet jusque sur le balcon et je m’installe dans un fauteuil pour bigler l’océan plus commodément.

À cet instant, un cri terrible retentit, non loin de moi. Un cri comme on n’en entend qu’au ciné dans les films d’épouvante.

Загрузка...