Chapitre X

Embusqué derrière un camion livrant d’énormes bonbonnes d’eau potable, Malko regarda le portail se refermer. Même dans les quartiers résidentiels, l’eau du robinet était quasiment du poison.

Il redémarra, continuant dans Las Palmas et s’assura que la propriété ne comportait pas d’autre sortie. Il y avait de fortes chances pour que Paul Kramer y soit caché. Seul mystère : le défecteur de la CIA disposait de toute évidence d’une logistique puissante. Pourquoi son exfiltration traînait-elle ?

— On va le chercher ? proposa Chris Jones.

— Il suffit de sonner, renchérit Milton Brabeck.

Hélas, ce n’était pas aussi simple… Paul Kramer n’était sûrement pas sans protection. S’il se trouvait encore à Saint-Domingue, c’était pour une raison précise. Les Soviétiques avaient dû mettre au point une méthode d’exfiltration en douceur et à toute épreuve. Le tout était de la découvrir. Malko éliminait un passage par Haïti, trop risqué. Il restait l’avion ou le bateau.

— Gardez la voiture et surveillez la villa, dit-il à Chris Jones. Je vais vérifier certains points.

Il leur laissa la Colt et s’éloigna à pied. Cent mètres plus loin, un taxi s’arrêta et il lui donna l’adresse du Sheraton. Arrivé à l’hôtel, il loua en cinq minutes une Toyota toute neuve et repartit. Direction l’aéroport.

Sur l’Avenida de Las Americas, il eut un serrement de coeur en passant devant le Motel Cabanas por el Mar. Son 357 Magnum n’avait pas protégé Flor de la vengeance du colonel Gomez.

L’aéroport était plein d’animation. Un « 747 » d’Air France en provenance de Paris et Pointe-à-Pitre venait d’arriver et débarquait un flot de touristes béats de bonheur. C’était de plus en plus « in » d’aller aux Caraïbes et la nouvelle liaison Air France Paris Saint-Domingue évitait les changements compliqués. Un tapis roulant déchargeait de sa soute de somptueux canapés de cuir blanc enveloppés de plastique transparent où s’étalait le sigle de Claude Dalle, meubles sûrement destinés à un des milliardaires de La Romana, le Saint-Tropez local, et surveillés par le décorateur en personne. Le « 747 » semblait déplacé au milieu des vieux DC 3, des Curtiss et des diverses épaves qui jonchaient le tarmac. Un vieux boeing « Straloliner » chargeait du fret. Malko n’en avait pas vu depuis 1959… Il pénétra dans l’aérogare et gagna le comptoir de « Portillo Air Service », une petite compagnie charter.

— Je voudais charter un appareil pour Cuba, annonça-t-il à l’employé moustachu.

L’autre le regarda avec des yeux effarés.

Señor, c’est impossible.

— Pourquoi ?

— Nous n’avons pas le droit de nous rendre à Cuba, sous peine de perdre notre licence…

Malko tira ostensiblement un paquet de dollars et le posa sur le comptoir. L’autre eut un regard désolé pour l’argent.

— Même comme ça, señor, vous ne trouverez personne. Il y a un radar à la pointe de l’île qui surveille tous les vols. Le gouvernement est très strict.

Malko remercia et posa la même question aux deux autres compagnies charter. Obtenant la même réponse.

Il reprit l’autoroute pour Saint-Domingue. Un départ officiel paraissait exclu. Les Soviétiques semblaient beaucoup tenir à Paul Kramer. Ils ne risqueraient donc pas sa vie avec un départ clandestin dans un appareil de narcotraficantes exposé à être abattu en vol.

Il restait donc la voie maritime.

Après avoir repassé le pont Duarte, au lieu de continuer tout droit, il redescendit sur sa gauche, longeant le rio Ozama pour gagner la zone portuaire.


* * *

Des dizaines d’énormes containers métalliques étaient empilés sur le quai ouest du rio Ozama, en attente de chargement, ne laissant qu’un étroit passage entre eux et l’eau. Des navires s’alignaient le long du quai de la rivière, mélangés à quelques bateaux de plaisance. Un cargo danois chargeait du sucre roux en vrac. Probablement à destination de l’URSS qui achetait désormais une partie de sa production à Saint-Domingue.

Une famille astucieuse avait même transformé un container vide en maison, y perçant une porte et deux fenêtres. Des enfants jouaient autour.

Malko, au volant de sa Toyota, remontait lentement la zone portuaire, se dirigeant vers le port proprement dit, fermé par une jetée rustique.

Le dernier typhon avait laissé des traces. Plusieurs navires attendaient au large en compagnie de deux épaves, coulées juste à la sortie du port, dont on ne distinguait plus que les mâts de charge.

Déçu, Malko alla faire demi-tour, le quai se terminant en impasse, à la hauteur du dernier bateau ancré le long du quai, un petit pétrolier en train de décharger. En effectuant sa manoeuvre, son regard tomba sur sa pompe rouillée et il eut un choc au coeur. Le nom du navire était écrit en caractères cyrilliques ! Il leva les yeux. Un drapeau soviétique déchiré et sale flottait au vent.

Le pétrolier s’appelait Sakhaline. Rouillé, mal entretenu, ce n’était sûrement pas l’orgueil de la flotte commerciale soviétique. Quelques marins dépenaillés prenaient l’air au bastingage. Malko n’en revenait pas. Ni l’Aeroflot, ni la Cubana de Aviacion ne venaient à Saint-Domingue. Il voyait mal l’Union Soviétique livrer du pétrole russe si loin.

Il remonta vers le pont Mella, se demandant s’il ne tenait pas une piste sérieuse.


* * *

Henry Fairmont avait l’air encore plus lugubre que d’habitude dans son bureau aux boiseries sombres.

— J’étais certain que cette affaire se terminerait mal, dit-il. Jim Harley était un peu fantaisiste, mais un garçon adorable. Je viens d’élever une protestation solennelle auprès du responsable de la DNI. Le colonel Diego Garcia m’a promis de retrouver l’assassin.

— C’est parfait, fît Malko, peu convaincu. J’ai peut-être une idée. Il y a un pétrolier soviétique dans le port. Je voudrais savoir d’où il vient, où il va et quand il part…

— Soviétique ! sursauta l’Américain. Vous êtes sûr d’avoir bien vu ? Je sais qu’ils vont autoriser quelques vols de la Cubana, mais…

— J’ai bien vu. Pouvez-vous vérifier ?

— Certainement.

— Ce n’est pas tout, dit Malko, je suis presque sûr que Paul Kramer est caché dans la villa de la fille du colonel Gomez et que ce dernier est son « protecteur » dans toute cette opération.

Il résuma ses informations au chef de station qui semblait de plus en plus ennuyé.

— Nous ne sommes pas sortis de l’auberge, remarqua-t-il, Gomez est riche et puissant. Directement, nous ne pouvons rien contre lui. Seule la DNI aurait la possibilité d’agir.

— Votre ami, Diego Garda ? Celui que j’ai vu ce matin ?

— Oui.

— Appelez-le et prévenez-le de ma visite, dit Malko. Si on ne se secoue pas, Paul Kramer va nous filer pour de bon entre les doigts.


* * *

Cette fois, un policier en uniforme gris fer se précipita pour ouvrir la portière de Malko, à peine se fut-il arrêté en face de la DNI. Le colonel Diego Garcia l’attendait à la porte de son bureau et prit sa main dans les siennes.

Con mucho gusto ! Señor Linge. Je suis content de vous revoir.

Dès qu’il souriait, ses yeux disparaissaient dans les plis de sa peau fripée. Ils s’installèrent dans de profonds fauteuils de cuir et on leur apporta deux cafés.

— Mon enquête a avancé, annonça Malko. Je crois savoir où se cache Paul Kramer. Et qui le protège.

Le visage du colonel Garcia s’éclaira d’un sourire ravi.

— Je vais mettre immédiatement mes meilleurs investigateurs sur cette piste… De qui s’agit-il ?

— Du colonel Gomez.

La joie de l’officier retomba aussitôt.

— Du colonel Ricardo Gomez !… fit-il d’un ton douloureux. Le héros de la Révolution !

En fait de Révolution, il y avait eu l’assassinat de Raphaël Trujillo et le débarquement des Marines. Ricardo Gomez avait dû leur porter de la bière… Malko enfonça le clou.

— Exact. J’ai la certitude qu’il est mêlé à cette affaire.

Son vis-à-vis secoua lentement la tête et dit d’une voix pleine de gravité :

— C’est tout à fait impossible, señor, vous avez été mal renseigné. Le colonel Gomez est un des officiers les plus intègres de l'armée dominicaine. Le président Berlinguer le tient en haute estime.

À quatre-vingt trois ans, on pouvait se tromper… Malko lui expliqua sa filature et sa conclusion. Le colonel Garcia caressait nerveusement la crosse d’ivoire de son Colt « 45 ». Il aurait voulu de toute évidence être ailleurs. Malko conclut fermement.

— Ma conviction est que Paul Kramer se trouve avenida Las Palmas, chez Margarita Gomez. Mes hommes surveillent cette villa, mais je tiens à ce que vous preniez le relais. D’ailleurs, le señor Henry Fairmont va vous en faire la demande officiellement.

— Il s’agit sûrement d’un malentendu, plaida le colonel Garcia. Margarita est très vive, elle a peut-être été entraînée par son fiancé, mais le colonel Gomez n’est sûrement pas au courant.

— Peu importe, fit Malko. Ce qu’il faut, c’est empêcher Paul Kramer de quitter le territoire de Saint-Domingue pour gagner un pays communiste…

Au mot de « communiste », le colonel Garcia eut une grimace dégoûtée.

— Vous savez que nous n’aimons pas les gens de cette espèce, dit-il. D’ailleurs, je suis fier de dire qu’il n’y en a pas à Saint-Domingue… Sauf peut-être quelques isolés.

— Et les sandinistes ?

— Ils étaient déjà là, avant la révolution au Nicaragua. Nous les avons gardés, mais ils sont surveillés de très près.

— On m’a dit qu’il y avait des Cubains parmi eux.

Le colonel Garcia se rembrunit.

— Un seul, señor, un seul. Un capitaine, je crois, qui a pris la nationalité nicaraguayenne. Il est très tranquille, il ne fait pas parler de lui.

— Bien, fit Malko, en attendant, je compte sur vous.

Une expression de sincère désolation apparut sur les traits rusés de l'officier dominicain.

Señor Linge, dit-il, je donnerais ma vie pour vous aider, mais nous avons très peu d’essence pour nos missions et la plupart de mes véhicules sont en réparation. Néanmoins, je ferai de mon mieux.

— Combien ? De combien avez-vous besoin ? demanda froidement Malko.

Séduit par cette approche réaliste, le colonel Garcia sourit modestement.

— Oh, señor, je ne sais vraiment pas. Vous décidez vous-même.

Il se détourna pudiquement pendant que Malko triait les billets de cent dollars et prit ensuite la liasse qu’il lui tendait sans même les compter, les faisant disparaître avec l’habileté d’un prestidigitateur.

Señor Linge, dit-il avec emphase, je donne des ordres immédiatement pour que cette villa soit surveillée jour et nuit. Mais je crois que vous avez été induit en erreur.

Malko qui connaissait les recoins de l’âme humaine ajouta aussitôt :

— Colonel, je vous remettrai pour vous et vos hommes une prime de cinq mille dollars si Paul Kramer est capturé.

C’est tout juste s’il ne lui baisa pas les mains. Le colonel le raccompagna à sa voiture, aboya quelques ordres et disparut compter ses billets. Avec cinq mille dollars, on pouvait se construire une petite maison… Malko se dit qu’il progressait. Il repartit, direction l’ambassade US.


* * *

Henry Fairmont semblait un peu plus motivé. Ses fenêtres étaient ouvertes sur la pelouse de l’ambassade où s’ébattaient quelques enfants. Il brandit un bout de papier.

— J’ai des tas d’informations, annonça-t-il.

— Sur le pétrolier ?

— Oui, il est bien soviétique, mais il vient du Mexique, de Merida. Où il a chargé une cargaison de brut mexicain à destination de la Jamaïque et de Saint-Domingue. Il est affrété par Petromex[21].

— Pourquoi un pétrolier soviétique ?

— Ils sont 30% moins cher.

— Quand repart-il ?

— Demain matin.

— Sa destination ?

— Il rentre au Mexique.

Sur sa route, il pouvait s’arrêter à Cuba. Ou rencontrer dans les eaux internationales un sous-marin soviétique. Malko avait pu vérifier par lui-même qu’on accédait à la zone du port très facilement. Une fois sur le pétrolier, Paul Kramer ne risquait plus rien… Le chef de station observait Malko.

— Vous pensez qu’il va partir de cette façon ?

— C’est à peu près certain. Cela ne mouille personne et explique pourquoi il n’a pas quitté Saint-Domingue tout de suite. Il a dû contacter les Soviétiques en arrivant, via les sandinistes et ils ont monté cette exfiltration en douceur. Grâce à leurs complicités locales, ils pouvaient garder Paul Kramer au chaud. Il y a une façon simple de le débusquer. Pourriez-vous obtenir l’autorisation de perquisitionner dans la villa de Margarita Gomez ? Avant demain matin.

Le chef de station secoua la tête.

— Non, il faudrait demander au Président Berlinguer lui-même ! Les militaires font encore la loi ici…

— Alors, dit Malko, nous n’avons plus qu’à lui tendre un piège. Avec l’aide de notre ami le colonel Garcia.


* * *

Kareen Norwood, assise en tailleur sur le grand lit Tiffany recouvert de soie mêlée de fils d’or, création de Claude Dalle, dodelinait de la tête, les écouteurs de son walkman aux oreilles. Elle n’entendit même pas le coup frappé à la porte du bungalow. Paul Kramer s’arracha au Miami Herald pour aller ouvrir. Le « capitaine » cubain se tenait dans l’embrasure, souriant. Derrière, l’Américain aperçut la haie de bananiers qui clôturait le jardin de la villa et la somptueuse piscine à la plage de marbre bleu. Hélas, ils n’y avaient pas droit, pour des raisons de « sécurité »…

Buenas ! fit le Cubain. J’ai de bonnes nouvelles.

— Nous partons !

— Oui. Demain. Tout est arrangé.

Il s’assit sur le lit à côté de Kareen qui lui jeta un regard bovin. Paul Kramer, malgré l’amélioration de ses conditions d’hébergement, n’en pouvait plus. L’angoisse lui avait fait perdre plusieurs kilos et il était devenu presque mince mais avec un teint blanc contrastant avec celui des Dominicains…

— Tout se passera bien ? demanda-t-il anxieusement.

Claro que si !

Le Cubain était de plus en plus chaleureux. Il se pencha pour dire à voix plus basse.

— D’autant que la personne qui avait été lancée à votre recherche a été neutralisée. Grâce à votre coopération.

Paul Kramer sentit son estomac se nouer. Il avait aidé à faire tuer un membre de la Company. Même s’il se repentait, c’était le pénitencier à vie. Il ne pouvait plus reculer. Devant son expression, le Cubain lui donna une tape amicale sur l’épaule.

— C’est la vie, amigo… C’était lui ou vous. Comme à la guerre. Maintenant, vous avez choisi le bon camp… Votre nouvelle vie sera passionnante.

Paul Kramer commençait à se le demander… L’autre se leva, l’étreignit et ajouta d’un ton léger :

— Il y a juste une petite modification. La señorita Kareen vous rejoindra un peu plus tard…

Paul Kramer bondit.

— Quoi ! Mais c’est impossible.

Sa seule joie c’était d’user et d’abuser du corps souple de Kareen Norwood. Le Cubain insista d’une voix ferme :

Señor Kramer, vous êtes recherché par les Américains dans tous les pays de la région. C’est très difficile de vous aider. Il faut comprendre. Votre amie restera quelques jours de plus et partira ensuite par un vol régulier sur le Mexique, d’où elle gagnera sa destination finale… Nous prendrons soin de tout.

Perdue dans sa musique, Kareen n’avait rien entendu. Lâchement, Paul décida de s’accorder un petit répit. Il rendit mollement sa poignée de main au Cubain et se replongea dans le Miami Herald. Maintenant qu’il était complice d’un meurtre, il ne pouvait rien refuser à ses « protecteurs ».


* * *

— L’accès de la zone portuaire se fait, soit au bout de l’avenida Georges Washington, soit par le quai, le long du rio Ozana, énonça le colonel Diego Garcia, plus élégant que jamais. Ces deux points seront contrôlés par les meilleurs de mes hommes.

— On ne peut pas passer ailleurs ? interrogea Malko.

— Non, señor, la zone est entourée de grillages de trois mètres de haut. Les entrées seront discrètement gardées par mes hommes. Un bateau patrouillera la rivière pour éviter un accès au Sakhaline de ce côté-là.

Au fur et à mesure, il suivait la carte épinglée au mur de son bureau, se rengorgeant devant la tâche qui l’attendait.

Les choses avaient bougé depuis le début de l’après-midi. La CIA mettait la pression sur le gouvernement dominicain pour récupérer Paul Kramer. D’où l’empressement du colonel Garcia. Chris Jones et Milton Brabeck se trouvaient en planque, dissimulés parmi les containers, au cas où les hommes du colonel Garcia laisseraient filer Paul Kramer. Les deux gorilles passeraient la nuit sur place, non loin du pétrolier soviétique. Équipés de téléobjectifs et d’une artillerie impressionnante. Malko était presque certain que son hypothèse était la bonne. Dans quelques heures il serait fixé.

En dépit de toutes les précautions, il craignait une arnaque de dernière minute. Paul Kramer, une fois à bord du pétrolier, deviendrait intouchable, à moins de provoquer un incident diplomatique majeur.

Ce que personne ne souhaitait.

— Il n’y a aucun autre accès au quai ? insista-t-il. Par la zona colonial ?

Le colonel Diego Garcia posa son index sur la carte.

— Non, señor Linge. La calle Las Damas, la plus proche du rio Ozoma, surplombe le quai de près de dix mètres. Il faudrait que votre gringo ait des ailes…

Il rit de son excellente plaisanterie.

— Bien, dit Malko. Veillez à ce que le dispositif ne se relâche pas.

Ils se séparèrent sur une chaleureuse poignée de main. Henry Fairmont semblait soucieux. Dans la voiture, il remarqua :

— J’espère que Paul Kramer ne sera pas prévenu. S’il a le temps de prendre un avocat local et demander l’asile politique, nous serons dans de sales draps…

Un Falcon 50 attendait à l’aéroport le lendemain, loué par Malko. Les ordres de Langley étaient simples. Intercepter Paul Kramer et, avec le feu vert de la DNI, l’embarquer aussitôt pour Camp Peary.


* * *

Le soleil était levé depuis trois bonnes heures. Après avoir mal dormi, Malko était en planque au coin de l’avenida Garcia Gautier et de Las Palmas dans sa Toyota de location. En compagnie de Chris Jones, mâchant un inusable chewing-gum, une « micro-Uzi » sur les genoux. À l’aube, les deux gorilles avaient abandonné leur planque dans les containers.

Milton Brabeck, dissimulé dans une camionnette blanche, observait directement le portail de la villa de Margarita Gomez.

Le talkie-walkie de Chris Jones grésilla soudain.

— Le portail est en train de s’ouvrir, annonça Milton Brabeck. Une voiture en sort. Une Chevrolet bleue, conduite par un moustachu… Un type à côté. Deux hommes à l’arrière. On dirait bien ce salaud de Kramer, mais il a des lunettes noires. Je ne vois pas de fille.

Shit ! explosa Malko.

Et si c’était un leurre ? N’importe qui, avec des lunettes noires, pouvait jouer le rôle de Paul Kramer. Le défecteur ne se serait sûrement pas séparé de sa maîtresse.

— C’est tout ? demanda-t-il anxieusement.

— Non, il y a une seconde voiture. Une Volvo rouge avec des vitres teintées. Pas question de voir l’intérieur.

— Décrochez et suivez, ordonna Malko.

Kareen Norwood devait se trouver dans le second véhicule. Quelques instants plus tard, la Caprice bleue et la Volvo passèrent devant eux à toute vitesse, filant vers l’avenue Abraham Lincoln. Trop vite pour qu’on puisse distinguer les occupants. La camionnette blanche était sur leurs talons et ils lui emboîtèrent le pas.

Ils contournèrent le centro Olympico, descendant vers la mer, jusqu’à l’avenida Independencia en sens unique vers l’est. Ils arrivèrent à la place Independencia puis s’enfoncèrent dans la calle Padre Bellini. Malko ne comprenait plus : les deux véhicules allaient déboucher dans la calle Las Damas, d’où ils ne pouvaient gagner le port. Ils auraient dû prendre à droite vers l’avenue Georges Washington ou à gauche pour remonter vers le pont Mella.

Où allaient-ils ?

Загрузка...