Chapitre XI

Comme toujours la place Independencia était le théâtre d’un monstrueux embouteillage et Malko faillit perdre les deux véhicules qu’il suivait. Chris Jones regardait les voitures prêtes à s’entrechoquer, abasourdi.

— C’est pas possible ! fit-il. Ils jouent aux autotamponneuses…

La Chevrolet Caprice descendait la calle Padre Bellini s’enfonçant dans la zona colonial. En remontant ensuite plus au nord, elle pouvait regagner le quai du rio Ozana. Malko se demanda soudain si le colonel Gomez n’avait pas tout simplement un laissez-passer qui lui permette de franchir tous les barrages… Heureusement, Milton Brabeck était en train de filer se poster sur le quai en face du pétrolier soviétique.

Arrivée au bout de la calle Padre Bellini, la Caprice tourna à gauche dans la calle Las Damas, suivie de la Volvo rouge. Malko freina, gêné par un camion surgi d’Isabella Catolica, qui tourna avec une sage lenteur. Quand il put enfin le doubler, les deux véhicules avaient disparu ! Il tourna à son tour dans Las Damas.

Changement de décor : cette partie avait été restaurée, les masures de bois faisant place à de somptueuses maisons coloniales espagnoles, une église baroque, de vieux palais. Une vitrine pour les rares touristes. Chris Jones poussa une exclamation.

— Regardez !

La Volvo rouge était arrêtée trente mètres devant eux. Ses portières s’ouvrirent, vomissant quatre moustachus adipeux, étrangement boudinés dans des costumes en dépit de la chaleur humide.

Ils s’engouffrèrent dans un portail sur la droite. Malko aperçut la Chevrolet Caprice qui s’éloignait.

Vide.

La Volvo repartit et ils arrivèrent à la hauteur du portail où ses occupants s’étaient engouffrés. Il s’agissait de l’ancien palais Borgella, avec une cour pavée transformée en exposition artisanale avec des dizaines de boutiques. Tout au fond, on apercevait les mâts de charge d’un cargo ancré dans le rio Ozana. Une foule dense se pressait entre les baraques offrant des spécimens de l’art folklorique haïtien et dominicain. Évitant la foule, Malko contourna les échoppes pour arriver au parapet dominant le quai du rio Ozana.

Il l’avait presque atteint lorsqu’il aperçut sur sa gauche un groupe d’hommes qui se frayaient difficilement un passage dans la foule compacte. Des moustachus entourant un crâne presque chauve. À la faveur d’un mouvement de foule, Malko reconnut le profil de Paul Kramer.


* * *

Par rapport à ses photos, le défecteur de la CIA avait maigri et son absence de moustache le changeait. Il était vêtu d’une veste ouverte bleue rayée et d’un pantalon de toile. Son regard croisa celui de Malko, sans paraître le remarquer particulièrement. Ce dernier compta six gardes du corps autour de lui. Visiblement, des hommes de main au visage fermé, armés et sur leurs gardes.

Pas trace de Kareen Norwood.

L’Américain disparut derrière une baraque et Malko reprit sa progression, arrivant le premier au parapet de pierre. Il se pencha, apercevant en contrebas le pétrolier soviétique, juste en dessous, si près que Malko pouvait voir les marins sur le pont. Deux des amarres avaient déjà été détachées et il n’en restait qu’une à l’avant accrochée à une bitte d’amarrage sur le quai. Deux marins se tenaient à côté, prêts à la larguer. Le départ était proche.

Le regard de Malko revint au quai et il comprit d’un coup pourquoi Paul Kramer et ses gardes du corps venaient de ce côté.

Des dizaines d’énormes containers de bateau d’environ deux mètres de haut étaient empilés les uns sur les autres. Le sommet du dernier était à moins de deux mètres du parapet du parc Borgella. Il suffisait d’enjamber la balustrade de pierre et de sauter et ensuite, d’utiliser les containers comme de gigantesques marches pour se retrouver pratiquement en face de la passerelle du Sakhaline !

Pas besoin de forcer l’entrée du port, ni d’avoir des ailes comme avait dit le colonel Diego Garcia.

Malko regarda autour de lui. Paul Kramer et ses gardes du corps s’approchaient sans se presser du parapet de pierre.

Il entendit une exclamation derrière lui. Il se retourna pour se trouver nez à nez avec deux des moustachus descendus de la Volvo. Chris Jones les avait repérés le premier.

Tout se passa très vite. Les quatre hommes saisirent leur arme en même temps. Chris Jones fut le plus rapide. Sa « micro Uzi » cracha les 32 cartouches de son chargeur en moins d’une seconde dans un crissement strident, balayant les deux hommes. L’un, pourtant, avait eu le temps d’appuyer sur la détente d’un gros automatique.

Chris Jones tituba, son visage se crispa sous l’effet de la douleur, il recula, ses yeux gris déjà vitreux et tenta en vain de remettre un chargeur dans son Uzi. Malko s’était précipité et ralentit sa chute. Les doigts du gorille laissèrent échapper l’Uzi et il s’effondra, le dos appuyé à une des baraques, livide. Malko écarta sa veste sur une tache de sang qui s'élargissait rapidement à la hauteur de l'estomac. L’angoisse lui noua la gorge. Si le projectile avait touché une grosse artère, Chris Jones serait mort dans moins d'une minute et il n'y aurait rien à faire.

Les lèvres du gorille bougèrent.

I am OK, murmura-t-il. Allez-y.

Sa tête retomba et il perdit connaissance. Malko écarta la chemise, vit le trou rouge par lequel le sang s'échappait à gros bouillons. Des gens commençaient à s'attrouper autour de lui. Il dénoua la cravate de Chris, la bourra en tampon sur la blessure et se redressa.

Un medico ! Un medico !

Un homme partit en courant… Les gardes du corps ne bougeaient plus, touchés chacun de plusieurs projectiles. L'un d'eux gémissait faiblement. Essayant de ramper dans une énorme mare de sang.

Malko arracha de la doublure de Chris Jones un chargeur neuf, le mit dans l'Uzi et se releva, fixant l'endroit où se trouvait Paul Kramer avant l'incident. Moins d'une minute s'était écoulée. Bien entendu, l'Américain avait disparu et il ne vit qu'un couple d'amoureux penchés vers le quai, par-dessus la rambarde. L'échange de coups de feu s'était produit à l'écart de la foule et le brouhaha avait noyé le bruit des détonations. Il s'approcha et son pouls monta à cent cinquante. Paul Kramer avait franchi le parapet et était en train d'essayer de descendre d'un container pour en gagner un autre, escorté d'un garde du corps qui l'aidait de son mieux. Il leva la tête, aperçut Malko et cria quelque chose à son ange gardien. Aussitôt, ce dernier, tirant une arme de sa ceinture, ajusta Malko et vida pratiquement tout son chargeur au jugé. Les deux amoureux, terrifiés, s'enfuirent en hurlant. Des éclats de pierre jaillirent. Malko se pencha pour riposter et s'immobilisa. Les deux hommes étaient trop proches l'un de l'autre. Il risquait de toucher l'Américain. Il aperçut soudain une voiture arrivant sur le quai à toute vitesse. Elle stoppa au pied des containers et Milton Brabeck en surgit avec deux policiers dominicains. D’où ils étaient, ils ne pouvaient voir Paul Kramer.

Malko les héla.

— Il est au-dessus de vous ! Sur les containers.

Paul Kramer venait de se rendre compte qu’il était coincé. Hésitant, il sautait d’un container à l’autre, suivi de son garde du corps en train de recharger fébrilement son arme.

Un coup de feu claqua derrière Malko qui se retourna en une fraction de seconde. Un garçon très jeune braquait sur lui d’une main tremblante une arme de gros calibre. Il allait appuyer sur la détente de l’Uzi quand le Dominicain lâcha son revolver avec un couinement de terreur et leva les mains. Du coin de l’oeil, Malko aperçut deux policiers en uniforme gris qui couraient vers l’endroit où gisait Chris Jones.

Les gens s’enfuyaient maintenant dans tous les sens, y compris les propriétaires des baraques. Les deux derniers gardes du corps s’étaient perdus dans la foule.

Un coup de feu, suivi d’un hurlement atroce, ramena son attention sur le quai.

Le compagnon de Paul Kramer avait eu l’imprudence de s’approcher trop du bord du container. Une balle de 44 Magnum tiré par Milton Brabeck venait de lui pulvériser la cheville.

Malko le vit tomber, dans le vide, les mains en avant, comme au ralenti et s’écraser sur le quai, six mètres plus bas.

Paul Kramer demeurait seul, en équilibre sur les containers. Un coup de sirène bref rompit le silence. Le pétrolier soviétique venait de larguer ses amarres et lentement, s’éloignait du quai.

Le sort de Paul Kramer était scellé.

Ce dernier, tétanisé, regardait le pétrolier se détacher du quai avec une lenteur insoutenable. Fait comme un rat. Malko se pencha et lui cria :

— Kramer ! Descendez tranquillement. On ne vous fera pas de mal.

Le défecteur se tourna vers lui, le visage levé, visiblement hésitant. Puis il fit un pas vers le bord et aperçut Milton Brabeck qui le guettait, arme au poing. Il eut une espèce de sanglot et resta immobile, les poings serrés.

La détonation prit tout le monde par surprise. Malko crut d’abord que Milton avait tiré, mais un coup d’oeil le détrompa. Paul Kramer sembla frappé par un poing invisible, tournoya sur lui-même, les mains en avant et bascula dans l’espace entre deux containers.

À son tour, Malko enjamba le parapet, sauta sur un container, et, de proche en proche, gagna celui d’où était tombé Paul Kramer. Escaladant les containers, Milton et deux policiers le rejoignirent.

— On a tiré du bateau, lança l’Américain. De la lunette. J’ai vu le canon du fusil…

Aplatis sur le toit du container, ils examinèrent Paul Kramer, coincé entre les deux parois d’acier, deux mètres cinquante plus bas. Immobile. Blessé ou mort !

— Paul ! appela Malko.

Pas de réponse. Les minutes s’écoulèrent, interminables, pendant qu’on cherchait des cordes. Il aurait fallu une grue pour déplacer les containers.

Paul Kramer finalement, bougea et gémit.

— Il est vivant, exulta Malko. Kramer, appela-t-il de nouveau. Tenez bon.

L’Américain ne répondit pas. Un hélicoptère de la police vint bourdonner au-dessus du quai et un filin s’en détacha avec, accrochés au bout, deux hommes des Forces spéciales. Le parc avait été évacué. Tout le périmètre était cerné par la police.

Le pétrolier soviétique n’était plus qu’un petit point sur la mer des Caraïbes.

Il fallut encore près de dix minutes pour descendre un harnais et l’attacher à Paul Kramer. Un médecin attendait à côté de Malko. Dès que le corps de l’Américain apparut à la surface, il se précipita. Mais rien n’y fit : Paul Kramer ne respirait plus. Le médecin se releva après un bref examen.

— Il avait une blessure très grave, dit-il. Il s’est vidé de son sang. Il aurait fallu le secourir tout de suite.


* * *

Le colonel Diego Garcia raccrocha son téléphone, le visage grave et dit à Malko :

— Votre ami vient d’être opéré. On a pu extraire le projectile. Il a perdu beaucoup de sang, mais les médecins pensent qu’il s’en sortira. Il est en réanimation.

— Merci, dit Malko.

Milton était au chevet de son copain, à la clinique Abreu. Le survivant des gardes du corps était dans une cellule voisine. Il avait prétendu avoir obéi aux ordres de Margarita Gomez. Son père, retranché dans sa caserne, jurait n’avoir été au courant de rien. Il avait déjà téléphoné au « Capitolio » pour se plaindre de l’ingérence américaine dans une affaire de droit commun dominicaine. Soutenu par le vieux Président Berlinguer, il était intouchable…

Malko échangea un regard avec le colonel Diego Garcia. Il n’y avait plus rien à faire. La longue traque de Paul Kramer se terminait en queue de poisson. La CIA ne pouvait plus espérer d’informations d’un mort.

Il restait sa fiancée. Kareen Norwood. Elle n’avait pas participé à la tentative d’exfiltration. Le témoignage du survivant était parfaitement clair.

— Où est Kareen Norwood ? demanda Malko.

Le colonel Garcia eut un geste d’impuissance.

— Nous ne savons pas… Personne ne l’a vue. J’ignore où elle se trouve.

— Il faudrait perquisitionner dans la villa où Paul Kramer se cachait.

Le colonel Garcia eut un sourire désolé.

— Perquisitionner, c’est impossible. Mais nous pouvons demander à la señorita Margarita Gomez de visiter sa maison.

Évidemment, ce n’était pas la même chose.

— Allons-y maintenant, demanda Malko.

En colère, Margarita Gomez était encore beaucoup plus belle. Le colonel Garcia et Malko venaient d’être introduits dans un grand living meublé somptueusement par Claude Dalle. Des meubles Boulle, un profond canapé blanc en L, des torchères dorées.

Plantée devant une table basse faite de deux Noirs supportant une plaque de verre, les narines palpitantes, dressée sur ses escarpins, ses seins énormes moulés dans une robe de jersey vert pâle, ses yeux de jais lançant des éclairs, Margarita Gomez toisait le colonel Garcia et Malko comme si c’étaient de répugnants insectes débusqués de sous une souche. Le major sandiniste ne devait pas s’ennuyer avec cette créature de feu.

Illustrissima señora, fit le colonel Diego Garcia avec le maximum de componction, je connais trop bien votre père pour savoir qu’il n’aurait rien fait d’illégal. Vous de même, bien entendu. Cependant…

Elle le foudroya du regard.

— Pour qui te prends-tu ! fît-elle, adoptant le tutoiement espagnol. Évidemment que je suis innocente. J’ai rendu service à un ami qui m’a demandé de loger quelques jours un couple dans un bungalow. Je ne leur ai jamais parlé, et maintenant, ils sont partis…

En ce qui concernait Paul Kramer, il était parti pour de bon… Malko intervint.

Señorita, pourrions-nous voir ce bungalow ?

D’un geste autoritaire du menton, elle le désigna.

— C’est là-bas. Vous avez fini avec moi ?

Un seau à champagne en cristal, contenant une bouteille de Dom Perignon, était sur la table, mais elle ne fit pas mine de l’ouvrir…

— J’aimerais rencontrer votre ami le major, suggéra Malko.

Le regard de Margarita Gomez s’assombrit encore plus.

— C’est facile, fit-elle d’un ton vipérin. Allez à l’ambassade du Nicaragua.

Elle lui adressa un signe de tête glacial, mais Malko la rattrapa.

— Cette jeune femme, vous ne savez pas où elle a pu partir ?

Il crut que Margarita allait lui sauter à la gorge.

— Les gens qui étaient avec elle m’ont dit qu’elle s’était enfuie, cracha-t-elle. Qu’elle en avait assez de son amant. Je ne lui ai jamais parlé.

Puis elle se planta devant une porte, en balançant ses hanches d’une façon provocante. Le colonel échangea avec Malko un regard impuissant. Ils visitèrent le bungalow, bien entendu sans rien trouver.

— Où pensez-vous que soit Kareen Norwood ? demanda Malko.

L’officier eut un geste d’ignorance.

— Je l’ignore, señor, elle s’est peut-être sauvée comme ils le disent. Ou ils l’ont tuée… Ou…

Il laissa sa phrase en suspens.

— Et le major sandiniste ?

— Il est couvert par l’immunité diplomatique. Nous pouvons, tout au plus, demander son expulsion…

Le colonel Garcia semblait sincère et navré. Malko se souvenait de sa promesse. Dès qu’ils furent dans la voiture conduite par un soldat casqué, il tira une grosse enveloppe marron de sa poche et la posa sur les genoux du colonel.

— Vous avez fait de votre mieux, dit-il. Voilà ce que je vous ai promis.

L’autre baissa pudiquement les yeux.

— Vous êtes un véritable caballero, señor, dit-il d’une voix vibrante. Que Dieu vous garde.

— Déposez-moi à l’hôpital, dit Malko, je vais voir mon ami.

Cette affaire Kramer lui laissait un goût amer. Il n’avait pas récupéré le traître. Chris était gravement blessé et Kareen Norwood avait disparu. Pas de quoi se vanter.


* * *

Chris Jones dormait, des tuyaux partout, un moniteur cardiaque à côté de lui. Une infirmière s’approcha de Malko.

— Vous êtes un parent ?

— Un ami. Comment va-t-il ?

— Pas brillant. Il a perdu beaucoup de sang et l’opération l’a beaucoup affaibli. Mais il s’en sortira si le chirurgien a réparé tous les trous de l’intestin.

— Sinon ?

Elle baissa les yeux.

— Il risque une infection grave.

— Ces singes vont nous le tuer, fit une voix derrière lui.

Milton Brabeck avait l’air vraiment mauvais, en train de dévorer un sandwich, les yeux striés de rouge, son 44 Magnum israélien Desert Eagle dans la ceinture.

— Il vous a parlé ?

— Non. Il faut demander un avion et le transporter. Ils prétendent qu’on ne peut pas y toucher pour le moment. Ce salaud l’a salement amoché…

Malko regarda le visage cireux de Chris Jones. Cela devait se produire un jour avec tous les risques qu’ils avaient courus. Lui aussi, une fois, s’était retrouvé sur un lit d’hôpital avec une balle dans le corps…[22]. On croyait toujours que cela n’arrivait qu’aux autres…

— Je vais m’en occuper, dit-il. Vous restez là ?

— Oui. S’il se réveille, qu’il ne soit pas seul.

Malko redescendit, bouleversé. Cela faisait vingt ans qu’il travaillait avec Chris. Ils avaient souvent affronté le danger depuis leur première mission commune à Istanbul et la blessure du gorille le déprimait beaucoup.

Lui aussi avait envie de fuir Saint-Domingue. Tant pis pour Kareen Norwood. Le corps de Paul Kramer allait être rapatrié par avion. Un dernier geste de la CIA. Et le mystère de la Taupe demeurerait.

Le Sheraton bruissait de merengues endiablés et une foule compacte se trouvait déjà sur la terrasse, s’abreuvant de rhum. Il y en avait pour toute la nuit… Il prit une douche, se demandant ce qu’il allait faire. Rêvant à la pulpeuse Margarita quand le téléphone le dérangea.

Señor Linge ?

— Oui.

— C’est Jésus, le barman de l’Embajador.

Malko, surpris, ne répondit pas. Comment Jésus savait-il son nom et son numéro de chambre au Sheraton ? Le Dominicain ne lui laissa pas le temps de se poser des questions.

Señor, dit-il d’une voix pressante, j’ai une information qui peut vous intéresser… Vous cherchez une femme, une gringa, non ?

— Oui. Vous savez où elle est ?

— Presque. Elle a été mise à la disposition du colonel Gomez. Pour un de ses bordels.

— Comment savez-vous cela ?

Jésus eut un rire sec.

— J’entends beaucoup de choses, señor, les hommes aiment bien se vanter. Une personne pourra vous dire où elle est. C’est la Cucaracha…

— Qui ?

— La sous-maîtresse du colonel. Celle qui s’occupe des filles. Elle est toujours au Petit Château le soir ou à l’Herminia. Hasta luego, señor…

Il avait raccroché sans demander un peso de récompense… Hautement suspect. Malko pensait déjà à un piège lorsqu’il revit le visage extasié du colonel Diego Garcia en recevant ses cinq mille dollars… Le militaire n’avait pas voulu avertir Malko directement, par prudence…

Il reprit l’appareil et appela Henry Fairmont, le chef de station, lui expliquant ce nouveau développement.

— Le Petit Château, c’est un bordel avec un spectacle, sur l’autopista, expliqua l’Américain et l’Herminia, c’est le même, en plus populaire… Mais je vous déconseille de vous lancer dans la récupération de cette fille qui n’a pas d’intérêt pour la Company. Paul Kramer est mort et nous n’apprendrons rien de plus. Et si j’en parle aux Dominicains ils traîneront les pieds jusqu’à ce qu’elle soit envoyée en province. De toute façon, cette fille n’a que ce qu’elle mérite.

Révolté par ce puritanisme, Malko n’insista pas. Moralement, il ne pouvait pas laisser la compagne de Paul Kramer enfermée dans un bordel des Caraïbes.


* * *

Milton Brabeck somnolait sur une chaise à côté du lit de Chris Jones, toujours inconscient. Il sursauta en voyant Malko.

— Il y a du nouveau ?

— Si vous acceptez de m’aider, oui.

Il lui expliqua l’histoire de Kareen Norwood. Le gorille hocha la tête.

— Si on peut se payer le colonel Gomez et lui arracher les couilles, je suis partant. Je passe juste à l’hôtel prendre un peu plus de munitions.

— Milton, dit Malko, nous n’allons pas délivrer la Pologne ou l’Afghanistan. Vos trois chargeurs vous suffiront amplement…

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