Chapitre XV

The Nest, le bar en rotonde du premier étage de l’hôtel Willard, était aussi bruyant qu’une volière mais le tumulte ne venait pas des cages contenant des oiseaux empaillés qui parsemaient les murs. Dès cinq heures, les hauts fonctionnaires de l’Executive Building voisin s’y ruaient en masse, les sénateurs dévalaient Capitol Hill, les gens de la Maison Blanche venaient en voisins se mélanger à quelques-unes des plus jolies femmes de la ville, au statut parfois flou. Les chambres cossues du Willard étaient connues pour abriter quelques brûlantes aventures qui faisaient ensuite jaser le Tout-Washington.

Plus prosaïquement, les journalistes et quelques barbouzes venaient y prendre la température de la ville ou échanger quelques secrets, déjà éventés. À un jet de pierre de la Maison Blanche, on avait l’impression d’y partager les Secrets d’État…

Malko s’immobilisa face au bar circulaire assiégé par la foule compacte de tous ceux qui n’avaient pu trouver de table.

Jessica Hayes devait l’attendre, selon les instructions de Franck Woodmill. D’après celui-ci, elle était brune et porterait un tailleur vert.

Il se faufila entre les gens debout et repéra à une table du fond quelqu’un qui correspondait au signalement. Elle devait avoir eu sa photo, car elle lui adressa aussitôt un signe joyeux.

Il eut un choc au coeur. Jessica Hayes ressemblait à une danseuse de flamenco, avec ses traits épais reflétant une sensualité animale. Sa masse de cheveux noirs de jais était, par contraste, sagement tirée, retenue par un noeud de soie verte. Son regard descendit lui mettant encore plus l’eau à la bouche : la veste du tailleur s’ouvrait sur un bustier en dentelles moulant une poitrine pleine et deux longues jambes bien galbées émergeaient de la jupe courte, terminées par des escarpins en crocodile…

Elle tendit à Malko une longue main aux ongles vermillons.

— Bonsoir Malko. Je suis ravie de vous rencontrer.

Il la regarda, amusé.

— Vous aimez vraiment le vert…

Le sac en croco, les chaussures, le tailleur, le bustier, la ceinture, les bas. À part les ongles, tout était vert. Et les boucles d’oreilles en émeraude, bien entendu…

Jessica Hayes eut un sourire langoureux.

— Oui, je suis superstitieuse. Pourquoi ? Vous n’aimez pas ?

— Sur vous, dit Malko, j’aimerais n’importe quelle couleur…

Sans répondre, elle commanda un Cointreau sur de la glace au garçon qui passait, et Malko une Stolychnaya. Le bruit était assourdissant. Jessica croisa les jambes dans un agréable crissement de nylon et aux légères bosses de sa jupe, il s’aperçut qu’elle portait des bas, et non des collants.

— J’ai souvent entendu parler de vous, dit-elle, vous êtes presque un mythe à la Company. Que devient votre château ? Ce doit être merveilleux de vivre comme ses ancêtres.

Ses yeux noirs brillaient d’excitation, le Shalimar dont elle était imprégnée accentuait encore son aspect pulpeux. Elle lui alluma une cigarette avec un briquet en or massif, orné d’une minuscule émeraude. Il se demanda si ses dessous étaient verts, eux aussi.

— Mon château se porte bien, dit-il, si la dernière tempête venue de l’est n’a pas arraché la moitié des tuiles. Au prix qu’elles coûtent, je serais obligé de travailler pour la Company jusqu’à 150 ans.

Le vent était son principal ennemi. À force de sacrifices, il était parvenu à redonner vie au vieux château de Liezen, hérité de ses ancêtres, mais le toit demeurait la partie fragile.

— Si je vais en Europe, j’adorerais venir le voir, dit Jessica, rêveuse.

Alexandra, la pulpeuse et jalouse fiancée de Malko, en serait sûrement ravie…

— En attendant, si nous allions dîner ? proposa celui-ci.

— Avec joie, approuva l’analyste, je meurs de faim. Vous connaissez le New Heights ?

— Non, fit-il, mais je vais le connaître.

Quand elle se leva, il put admirer son allure, les épaules larges, le style Kim Basinger en brune. Les hommes se retournaient sur son passage… Ils traversèrent le hall majestueux plein de colonnades et, dehors, elle lui prit le bras, se serrant frileusement contre lui.


* * *

La cuisine du New Heights sur Calvert Street était absolument étonnante : un mélange de Nouvelle cuisine et de plats californiens avec un zeste de folie. Ce qui donnait des préparations au goût et à l’aspect étrange dont il valait mieux ne pas connaître la composition. Les murs étaient blancs, les garçons homosexuels et le cadre dépouillé. Malko savait maintenant tout de Jessica : le père contre-amiral, le mari divorcé, la petite fille de cinq ans, la fortune personnelle. Elle vivait seule avec sa fille en bas de Foxhall dans Georgetown, le quartier élégant de Washington et ne semblait pas pressée de refaire sa vie.

Une atmosphère érotiquement électrique s’était installée entre elle et Malko. Parfois leurs doigts se frôlaient. Sans qu’elle ait un mouvement de recul, son regard direct affrontait celui de Malko et elle semblait ignorer que les pointes de ses seins se dessinaient nettement sous le chemisier.

— Il n’y a pas d’homme dans votre vie ? demanda Malko.

Jessica Hayes eut un sourire gourmand et ironique.

— J’ai l’impression que je leur fais peur. Ils ne restent jamais longtemps. Mon métier me prend beaucoup aussi, et il y a le sport aussi et pour les soirées, les films en vidéo.

Ils n’avaient pas encore parlé de la Taupe. Malko se lança, tandis que Jessica réchauffait un gros verre ballon de Gaston de Lagrange entre ses paumes.

— Que pensez-vous de la théorie de Franck concernant William Nolan ?

Le visage de Jessica Hayes se rembrunit.

— C’est terrible, incroyable. Et terrifiant. Si un homme comme lui est un traître, à qui se fier ?

— Vous avez consulté son dossier personnel avec l’ordinateur ?

— Oui. Je vous ai préparé un mémo, mais je n’ai pas accès à tous les codes de Walnut. Néanmoins, peut-être que cela vous aidera.

— Vous le connaissez personnellement ?

— Bien sûr. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises. Je sais que le Président l’aime beaucoup.

Il avait l’impression de rêver. Et pourtant, il y avait la voix sur la cassette trouvée dans le sac de Kareen Norwood.

— Vous avez écouté la cassette ?

— Oui. C’est bien sa voix.

— Alors ?

Elle but un peu de Gaston de Lagrange avant de lui répondre.

— Il y a des techniques pour effectuer des montages, avança-t-elle. Ce peut être un faux, une manip diabolique pour le compromettre.

— Mais personne ne savait que nous allions trouver cette cassette…

Jessica Hayes demeura silencieuse, perturbée, puis dit d’une voix altérée :

— Je vais vous montrer l’endroit où il vit.

Ils avaient pris la Pontiac de location de Malko. Ils remontèrent Pensylvania Avenue, pour retrouver le haut de Foxhall Drive. Le quartier le plus chic de Georgetown, quelques voies calmes bordées de maisons cossues, noyées dans des collines boisées. Trois kilomètres plus loin, Jessica Hayes fît ralentir Malko en face du Mary Mount College, lui montrant une maison, en contrebas de la route.

— C’est là.

Malko aperçut une grosse demeure d’allure austère avec son toit d’ardoises et sa façade en brique marron. Seul le porche blanc apportait un peu de gaieté. La maison comportait deux étages, dont un mansardé. Tout était éteint sauf une fenêtre du premier étage, à gauche.

Malko éprouvait une impression curieuse : lui, simple contractuel à la CIA, était en train d’espionner son patron.

— C’est immense ! remarqua-t-il. Il vit seul ?

— Oui. Avec un maître d’hôtel.

Il repartit et la résidence de William Nolan fut avalée par le virage.

— Pas de femme ?

— Il a une liaison, très discrète, précisa-t-elle. Franck a dû vous le dire. Avec sa secrétaire qui le suit depuis toujours, Fawn McKenzie. Une très belle fille blonde. Divorcée. Elle ne pense qu’à son travail et à son patron. Elle habite Skipwith Road, près de Langley et n’a pas de vie mondaine. Ils partent en week-end parfois. À New York, voir des pièces de théâtre ou dans les montagnes. Nous déjeunons quelquefois ensemble, à la cafétéria de la Company. Elle est intarissable sur lui. Je sais qu'il est très maniaque. Il exige son jus de citron chaud dès qu'il arrive, interdit qu'on fume dans son bureau, qu'elle touche à ses papiers. Il a des manies : ses stylos : il n'utilise que des stylos japonais jetables qui écrivent très fin. Il a demandé à Fawn, pour qu'on ne les lui vole pas, de les marquer d'un tampon à ses initiales…

— Et elle ? demanda Malko.

— Rien, fit Jessica. Irréprochable depuis trois générations. Elle s'occupe d'enfants handicapés, quand elle n'est pas avec lui.

Ils étaient arrivés presque en bas de Foxhall Drive. Les maisons étaient nettement plus modestes, des bungalows en bois décorés pour Noël. Jessica Hayes proposa :

— Nous sommes près de chez moi. Venez prendre un verre, je vous donnerai les documents.

Ils tournèrent à gauche dans une voie qui longeait une courbe boisée et elle fit stopper Malko devant la dernière maison de bois.


* * *

Dépouillée de sa veste de tailleur, Jessica Hayes était une vraie bombe sexuelle, avec sa poitrine somptueuse, sa taille fine et ses hanches en amphore. En arrivant, elle avait avec sa télécommande activé une chaîne Hi-Fi Akaï qui voisinait dans un superbe meuble de laque noire avec une télé Samsung et un bar. Elle avait offert à Malko une vodka et s'était servie un Cointreau.

Le petit living était meublé en moderne, contrastant avec l'extérieur de la maison, avec une décoration Claude Dalle, profonds canapés, table basse et ce superbe meuble télé-Hi-Fi.

La jeune analyste acheva son Cointreau.

— Je crois que je vais aller dormir. Demain matin, j’ai mon jogging très tôt. Vous avez mon téléphone ici. Vous pouvez m’y appeller. Même si ma ligne est surveillée, on pensera que vous me faites la cour… Dès qu’oncle Franck me le dit, je vous fais signe.

Elle le raccompagna à la porte et ils restèrent face à face quelques instants. Malko hésitait sur la façon de prendre congé. Il n’arrivait pas à lire dans les grands yeux noirs, mais la bouche entrouverte l’attirait irrésistiblement. Jessica lui coupa l’herbe sous le pied.

— Bonsoir, fît-elle.

Au lieu de lui tendre la main, elle s’approcha et posa ses lèvres épaisses sur les siennes. À la façon américaine. Sans les desserrer. Malko eut l’impression de se trouver en contact avec du plomb fondu. Automatiquement, il passa un bras autour de sa taille et l’attira. Jessica résista à peine et sa poitrine s’écrasa contre lui. Il lui sembla qu’elle palpitait plus rapidement. Sous ses doigts, sa hanche était merveilleusement ferme et élastique.

Jessica Hayes recula un peu le buste et lui sourit.

— Je suppose que vous avez très envie de faire l’amour avec moi ? demanda-t-elle d’une voix à la fois amusée et altérée.

Elle pouvait difficilement l’ignorer, étant donné la proximité de leurs deux corps. Malko fit courir une main sur la dentelle, soupesant les contours d’un sein plein jusqu’à la pointe érigée.

— Oui.

Les prunelles noires s’agrandirent encore un peu.

— Moi aussi, je crois, fit Jessica Hayes.

Les doigts de Malko descendirent le long de la hanche, suivant le serpent invisible de la jarretelle, jusqu’au bas de nylon vert, puis remontèrent, relevant le tissu. Il eut le temps d’effleurer un peu de peau nue avant que Jessica ne dise d’une voix quand même changée.

— Arrêtez, ce ne serait pas convenable.

Elle recula. C’était sans appel. Et pourtant, Malko devinait un désir égal au sien. Il lui prit la main et la baisa.

— À bientôt, dit-elle. Je sais que ce matin, Franck a commencé sa manip du « Baryum meal Technique ». Nous devrions être fixés rapidement, dans un sens ou dans l’autre.

— De toute façon, dit-il, je veux vous revoir.

Le dossier de William Nolan sous le bras, il s’éloigna vers sa voiture. Il se retourna : Jessica l’observait de sa porte.


* * *

Étendu sur son lit, nu, Malko avait du mal à se concentrer sur le dossier de William Nolan. La chambre du Jefferson Hotel ressemblait à un sauna et l’image pulpeuse de Jessica Hayes flottait devant ses yeux. Il en avait incroyablement envie. Il s’ébroua et replongea dans ses papiers.

Il avait souligné une phrase en rouge. Une des habitudes les plus régulières de William Nolan semblait être de se rendre chaque mercredi en fin de journée, avant une réunion avec une commission sénatoriale, prier sur la tombe de son fils tué au Vietnam, inhumé au cimetière d’Arlington. Il s’y rendait même parfois plus souvent, avant d’aller au Metropolitan, le club le plus select de Washington. Une démarche parfaitement compréhensible, mais peut-être aussi une possibilité à explorer. Un cimetière était le lieu idéal pour une rencontre discrète. On était mardi. Il avait le temps de préparer une planque à Arlington.


* * *

Une bruine fine imprégnait les pelouses semées de pierres tombales blanches et grises recouvrant les collines de l’immense cimetière d’Arlington. Embusqué près du Mémorial du Soldat Inconnu, dominant le périmètre qui l’intéressait, engoncé dans un trench-coat qui dissimulait ses jumelles, Malko observait les allées vides.

Depuis plus d’un siècle, tous ceux qui étaient morts au champ d’honneur, officiel ou secret, avaient le droit d’être enterré sur les cinq cents hectares qui s’étalaient sur la rive sud du Potomac, en face de l’Arlington Bridge. Des simples soldats, des familles de militaires, des généraux et deux Présidents des États-Unis y reposaient, sous la protection de la stèle de marbre blanc du Soldat Inconnu contre laquelle s’appuyait Malko.

Un grondement qui s’amplifiait lui fit lever la tête vers le ciel bouché : un avion qui venait de décoller de l’aéroport voisin passait au-dessus de lui dans la couche de nuages bas.

En venant, il avait repéré la tombe du fils de William Nolan dans la section au coin de Roosevelt Avenue et de Mc Callan Drive. Une stèle blanche en forme de borne, semblable à des milliers d’autres. Avec une inscription très dépouillée.

John NOLAN Lt 25 INF COD 12 DIV - July, 31, 1943 - Déc 17, 1967.

Le temps abominable et les rafales de pluie avaient vidé les allées d’Arlington. Le Directeur adjoint de la CIA allait-il venir ? Il était presque cinq heures et le centre des visiteurs était désespérément vide. Soudain, Malko vit surgir dans ses jumelles une étrange procession sur Mc Callan Drive. Un groupe de Japonais encadrés par deux guides qui remontaient l’allée au pas de charge, pour venir s’arrêter respectueusement devant la tombe de John Kennedy…

Le jour commençait à tomber. Encore une demi-heure et son guet serait inutile. Il aperçut enfin une silhouette qui montait lentement Roosevelt Drive. Un homme en imperméable avec un chapeau, les mains dans les poches. Avant même de l’avoir vu, il fut certain qu’il s’agissait de William Nolan. Le N° 2 de la CIA avançait d’un pas lent, la tête baissée. Arrivé au croisement des deux allées, il bifurqua pour s’engager sur la pelouse semée de stèles. Il s’arrêta ensuite devant celle du lieutenant Nolan, mort le 17 décembre 1967 au Vietnam.

Malko le vit s’immobiliser, perdu dans ses pensées, pendant d’interminables minutes. Les Japonais débouchèrent dans son dos et ralentirent respectueusement. Il ne se retourna même pas. Au bout d’un moment, Malko le vit se baisser, écarter une couronne fanée, puis se détourner et repartir.

Il s’imposa de demeurer immobile. William Nolan bénéficiait automatiquement d’une protection du Secret Service. Inutile de se faire remarquer. Il le suivit à la jumelle jusqu’au parking où le numéro 2 de la CIA monta dans une voiture noire qui démarra aussitôt.

Malko resta encore quelques minutes, puis descendit vers la section 7. Profitant de l’absence de visiteurs, il inspecta la tombe sans rien apercevoir d’anormal. La couronne fanée ne présentait non plus aucune anomalie. Encore une hypothèse qui semblait s’effondrer.

En attendant le résultat du « Baryum meal technique », il décida d’aller rendre visite à Chris Jones sur son lit d’hôpital.


* * *

Chris Jones n’était plus que l’ombre de lui-même. Quand Malko arriva dans sa chambre à l’hôpital de Georgetown, le gorille était en train de regarder « Dynastie » à la télévision. Il n’avait plus de perfusions mais son visage amaigri et son teint blanc disaient qu’il revenait de loin.

— Milton vient de passer, dit-il. Il m’a mis au courant. C’est dingue cette histoire…

— Oui, dit Malko, contrarié que Milton ait parlé. Moi-même, je n’en reviens pas… Il faut absolument découvrir la vérité.

Il lui raconta sa visite à Arlington. Chris buvait ses paroles et son visage s’éclaira quand Malko lui donna sa conclusion.

— Ça ne m’étonne pas que vous n’ayez rien trouvé, dit-il. Je suis sûr qu’il est innocent.

— Et la cassette ?

Chris se remonta sur ses oreillers avec une grimace de douleur.

— J’y ai réfléchi. Ici, j’ai le temps… Kramer est resté plusieurs jours sous la coupe des cocos. Ils ont eu le temps de manigancer des tas de trucs… De mettre exprès cette cassette pour qu’on la trouve. C’est peut-être pour ça qu’ils ont flingué Kramer. Après tout, rien ne prouve que la cassette vient de chez Kramer.

— Sa femme a confirmé le coup de fil.

— Elle n’a pas écouté la conversation, objecta Chris. C’est peut-être une autre voix qui a téléphoné. Et cette cassette, une fabrication… Vous savez bien qu’avec l’électronique, on fait des miracles.

— J’espère que vous avez raison, dit Malko. Le « Baryum meal technique » va nous fixer très vite, je l’espère…

Chris Jones grimaça un sourire et repoussa son drap, exhibant l’énorme pansement qui recouvrait son estomac.

— J’aurais préféré en prendre une de plus et qu’il n’y ait jamais cette foutue cassette.


* * *

Malko s’était à peine réveillé que le téléphone sonna. La voix enjouée de Jessica Hayes demanda :

— Vous avez le temps de manger un morceau ? Je suis en ville. Mon ordinateur est en panne.

— Bien sûr, dit Malko.

Mo et Jo's. Sur Connecticut, au coin de L Street. À une heure.

Il raccrocha, soulagé. La journée de jeudi s’était écoulée lentement sans nouvelles de personne. Il l’avait passée en partie à l’hôtel, travaillant à des dossiers de réfection de son château, faute de mieux. L’enquête était au point mort, faute de piste. Il fallait attendre le résultat de la « Baryum meal technique ».


* * *

Des caricatures de célébrités recouvraient les murs de la brasserie en sous-sol, quartier général des journalistes du Washington Post. Jessica Hayes était emmitouflée dans un loden vert qu’elle ôta, découvrant une robe de lainage collante de même couleur. Encore plus sexy que son tailleur.

— Oncle Franck veut vous voir de toute urgence, dit-elle avant même de regarder le menu. Il vous attend tout à l’heure à la « safe-house », à partir de cinq heures. Comme c’est vendredi, il sera peut-être un peu en retard.

— Il y a du nouveau ?

— Il ne m’a rien dit.

Il faisait un temps radieux, contrairement à la veille, mais Washington grelottait sous un ciel bleu lumineux. Sauf rebondissement, Malko n’avait pour meubler son week-end que les visites à l’hôpital de Chris Jones et, éventuellement, la pulpeuse analyste de la CIA…

Ils avalèrent des hamburgers sans génie, accompagnés de frites faites à l’huile de vidange et Jessica regarda sa montre.

— Il faut que je retourne à Langley, pour préparer le NID[27] du week-end. Personne ne le lit, mais c’est la tradition.

— On se voit demain ? proposa Malko.

Elle lui glissa un coup d’oeil amusé.

— Appelez-moi. Le week-end, je m’occupe beaucoup de ma fille.

Ils se séparèrent sur Connecticut Avenue, avec un baiser plutôt frais. Malko se demanda s’il n’avait pas rêvé sa première entrevue avec Jessica Hayes.


* * *

Franck Woodmill semblait plongé dans un état d’excitation inouï, arpentant de long en large le petit living de la « safe-house ».

— Il y a du nouveau, dit-il. Je vous avais averti du piège que j’allais tendre à William Nolan. L’information concernant le programme Indigo a été donnée au conditionnel, au DCI et à son adjoint. Nous ne sommes donc que trois à la connaître et, en plus, elle est prématurée.

— Et alors ?

— Vous avez vu William Nolan à Arlington, avant-hier ?

— Oui.

— Pensez-vous qu’il ait pu avoir un contact avec quelqu’un ?

— Cela me paraît impossible. Il était, soit en vue de ses gardes du corps, soit de moi.

Il relata avec le maximum de détails la visite du Directeur adjoint de la CIA.

— Vous avez vérifié la tombe ? demanda Woodmill.

— Oui. Je n’ai rien vu.

Le Directeur adjoint des Opérations hocha la tête.

— Dans ce cas, quelque chose nous échappe…

— Pourquoi ?

— Un de nos satellites d’observation des ICBM soviétiques passe plusieurs fois par jour au-dessus de la base de Baïkonour. Hier, il est passé douze fois. Les six premières fois, il n’y avait rien d’anormal.

— Vous avez les photos en temps réel ? demanda Malko.

— Oui, transmises par radio et reconstituées par ordinateur. Elles sont analysées par la NSA quelques minutes plus tard.

— Que s’est-il passé au cours des six derniers passages ? demanda Malko qui se doutait déjà de la réponse.

— Les trappes défendant l’accès des silos étaient fermées, expliqua le Directeur adjoint des Opérations. Les Soviétiques connaissaient ou plutôt croyaient connaître l’existence du nouveau satellite Indigo. La seule personne qui ait pu leur transmettre cette information, c’est William Nolan.

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