Chapitre XVII

Jessica Hayes se redressa brusquement et poussa une exclamation horrifiée.

— Priscilla ! Qu’est-ce que tu fais là ?

— Je t’ai entendu crier, maman, fit la petite fille, j’ai pensé que tu faisais un cauchemar…

— Mais non, tout va bien, affirma Jessica Hayes. Remonte te coucher.

La petite fille obéit docilement. Dès qu’elle fut partie, Jessica retomba avec un soupir.

— Voilà pourquoi, je ne voulais pas faire l’amour ! Je me connais, je ne sais pas être silencieuse.

— Le mal est fait, dit Malko.

Ils demeurèrent enlacés un long moment, mais son désir n’était pas tombé. Ils recommencèrent à s’échauffer et, cette fois, Jessica, dépouillée de sa mini, l’enfourcha et s’empala sur lui avec un cri rauque.

Pendant un moment, elle bougea à peine, les yeux clos, se frottant avec douceur, se mordant les lèvres pour ne pas crier. Puis, elle baissa la tête et demanda :

— Caresse-moi les seins.

Ils étaient pleins et lourds. Malko les empoigna, les malaxa, les tortura. Jessica grondait de plus en plus fort et le balancement de son bassin s’accélérait. Les mains en coupe, il se mit à serrer très fort les pointes brunes tandis qu’il la soulevait de coups de reins de plus en plus violents. Il la sentit venir et un cri de bête blessée s’échappa de sa gorge, un râle profond comme celui de la mort. Puis, elle s’abattit sur lui, pantelante et palpitante. Cette fois, la petite fille n’apparut pas.

Beaucoup plus tard, elle alla se verser un grand verre de Gaston de Lagrange et revint, réchauffant le cognac entre ses doigts, la bouche encore gonflée de plaisir.

— Je ne fais pas l’amour assez souvent, remarqua-t-elle. Parfois, j’en ai tellement envie que je vais seule au Willard pour me faire draguer. Mais je me dégonfle toujours au dernier moment. J’ai peur du sida.

— Pourquoi n’as-tu pas un amant régulier ?

Elle repoussa ses cheveux noirs en arrière avec une moue.

— Je suis difficile, exigeante même. Et j’ai du mal à vivre avec un homme. Et puis, il y a Priscilla. Elle est très jalouse.

Quel curieux personnage… Ils bavardèrent encore un moment et Malko se prépara à prendre congé :

— Je te vois demain ?

— Non, dit-elle, je m’occupe de Priscilla.

— Et lundi, à Arlington ?

— Ça m’est très difficile, dit-elle. J’ai un boulot fou. Ça risque de donner l’éveil. Tu ne peux pas te passer de moi ?

— J’essaierai… dit Malko. Mais retrouvons-nous au Willard vers six heures.

Elle le raccompagna et murmura tendrement :

— Ne viens pas trop souvent… Je prendrais de mauvaises habitudes.


* * *

Un soleil radieux donnait aux pelouses du cimetière d’Arlington un air presque gai. Les visiteurs étaient réapparus, rendant la tâche de Malko plus délicate. Embusqué derrière l’énorme pierre tombale du général Lee Grant, il observait la section No 7. Milton Brabeck se trouvait dans le parking visiteurs, les deux hommes étant reliés par des Motorola codés. Ils devaient se méfier de tout le monde, même du FBI.

Si on les découvrait, cela déclencherait une enquête qui déboucherait Dieu sait sur quoi…

Il consulta sa montre : une heure et quart. William Nolan n’allait pas tarder s’il venait s’incliner sur la tombe de son fils pour l’anniversaire de sa mort. Il braqua ses jumelles vers l’entrée et vit bientôt apparaître dans son champ de vision l’Oldsmobile noire du numéro 2 de la CIA, suivie par une Dodge grise de protection. William Nolan descendit du véhicule et s’engagea dans Mac Cullan Drive. Grâce à ses jumelles, Malko ne le lâchait pas.

Le cérémonial fut exactement le même que la fois précédente. L’Américain demeura quelques instants immobile, les mains croisées devant lui, plongé dans une profonde méditation, puis il repartit de son pas lent après s’être baissé pour arracher un peu de mousse.

Malko balaya l’horizon de ses jumelles. Sur sa gauche, il crut alors apercevoir une silhouette d’homme collée à un arbre, à côté du Mémorial JF Kennedy. Quand il revint dessus, elle avait disparu. Est-ce qu’on l’observait ? Troublé, il mit quelques secondes à retrouver William Nolan, en train de regagner sa voiture qui démarra aussitôt. Malko regarda sa montre : le cimetière fermait à cinq heures trente. Il avait décidé de rester jusqu’à la fermeture. Sans trop savoir ce qu’il espérait. Il avait donc trois heures et demie à attendre. Une chose l’intriguait : l’homme qu’il lui avait semblé apercevoir près du JFK Memorial. Lentement, il inspecta l’immense cimetière à travers ses jumelles sans rien apercevoir.

Et si le FBI l’avait repéré ? Il était possible qu’il surveille Arlington quand William Nolan y venait.


* * *

Il était seize heures quinze quand Malko aperçut dans l’allée parallèle un fourgon blanc en train de remonter vers le nord. C’était rare à Arlington où seuls les véhicules de service étaient autorisés. Il le suivait machinalement du regard quand le fourgon s’arrêta en face d’une grosse stèle au coin de Crook Walk. Il en sortit un homme chauve et bedonnant, une couronne à la main. Il débarrassa la stèle de l’ancienne, arrangea la nouvelle, brossa un peu le marbre et repartit.

Dans ses jumelles, Malko aperçut l’inscription en noir sur les flancs de l’Econoline blanche : « H. Feldstein, gardens & flowers. 2316 Wisconsin avenue Washington DC. »

Il remonta dans son véhicule et continua son manège. Vingt minutes plus tard, il stoppait devant la tombe de John Nolan et y changeait la modeste couronne, observé par Malko qui n’avait rien de mieux à se mettre sous la dent. Le fourgon parti, il restait encore une heure et quart à attendre. Il eut beau se crever les yeux, personne n’approcha plus de la tombe du fils de William Nolan. À cinq heures vingt-cinq, alors que la nuit commençait à tomber, il prit le chemin du parking. Frustré.

Il n’avait plus grand-chose à se mettre sous la dent, à part le fleuriste, qui paraissait pourtant bien innocent.


* * *

Jessica Hayes regardait nerveusement sa montre quand Malko apparut. Il eut à peine le temps de s’asseoir qu’elle lui dit :

— Je suis désolée, j’ai une réunion à F Street avec mon patron dans dix minutes. Qu’a donné Arlington ?

Malko lui parla du fleuriste. Jessica, déjà debout, ne semblait pas passionnée.

— Je dirai ça à oncle Franck demain matin. De toute façon, il m’a transmis un rendez-vous pour faire le point : demain cinq heures à la « safe-house ».


* * *

Franck Woodmill attendait dans le living-room de la « safe-house » en fumant un cigare, arborant son habituel air hébété et d’énormes poches sous les yeux. En ce moment, il ne devait pas dormir beaucoup…

— J’ai checké votre fleuriste, annonça-t-il. À première vue, il n’y a rien d’extraordinaire. Harry Feldstein est arrivé du Canada en 1980, avec un passeport canadien. Il y a quatre ans, il a acheté une petite boutique sur Wisconsin et il tire plutôt le diable par la queue. Il s’occupe de tout avec sa femme. Ne sort pratiquement jamais. Bonne réputation dans le quartier et à sa banque. Va à Montréal une fois par an pour y voir sa famille.

» J’ai télexé aux Canadiens, mais ils ne m’ont pas encore répondu. Le FBI n’a rien sur lui, la Company non plus.

— Il fallait vérifier, dit Malko fataliste. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un fleuriste se rende dans un cimetière. Mais comme il est le seul à avoir approché la tombe de John Nolan…

— Nous faisons peut-être fausse route, soupira le Directeur Adjoint des Opérations. Si, dans une semaine, nous n’avons rien, je me décharge sur le DCI. Je me ferai sonner les cloches mais tant pis. Vous ne pouvez pas rester éternellement à Washington.

Malko repensa à l’incident de la veille.

— Le FBI surveille-t-il Arlington lorsque William Nolan s’y rend ? demanda-t-il.

Franck Woodmill resta le cigare en l’air.

— Non, je ne pense pas, mais je peux vérifier. Pourquoi ?

— Il m’a semblé voir quelqu’un qui m’observait à la jumelle…

— Ce peut être un touriste, un curieux, ou un « bird-watcher », dit-il. Nous piétinons. Je pense que demain, comme tous les mercredis, Bill Nolan va se rendre à Arlington. Il faut encore le surveiller.

— Et votre « Baryum meal technique » ?

Le Directeur Adjoint des Opérations haussa les épaules.

— Rien de probant encore. Si nous avions les codes du KGB… Eh bien, regagnez le Jefferson. Pour le moment, il n’y a plus rien à faire.


* * *

Malko était en train de regarder les nouvelles sur CNN dans sa chambre du Jefferson lorsque le téléphone sonna.

— Bonsoir, fit la voix joyeuse de Jessica Hayes. Notre ami souhaiterait vous voir de toute urgence à l’endroit habituel. À bientôt.

Elle avait déjà raccroché.

Intrigué, Malko coupa la télé et enfila sa pelisse. Que voulait Franck Woodmill ? Il l’avait quitté deux heures plus tôt. Des rafales de vent glacial avaient vidé les rues de Washington et il tombait quelques flocons de neige. En cinq minutes il atteignit L Street. Franck Woodmill l’attendait, visiblement nerveux. Il se leva vivement, ses yeux brillaient d’une lueur que Malko n’y avait plus vu depuis longtemps.

— Je crois que vous avez touché le jackpot ! annonça-t-il.

— À propos de quoi ?

— Le télex de la Police Montée canadienne vient de tomber, concernant Harry Feldstein. Il s’appelle en réalité Rufus Sevchenko et il est arrivé d’Ukraine il y a quinze ans à Toronto. Naturalisé cinq ans après. LaPolice Montée avait émis un avis défavorable car on le suspectait d’être un faux réfugié.

Malko avait envie de crier de joie. Enfin, un indice matériel ! Le lien qui reliait le KGB à la CIA. Ce n’était pourtant pas encore grand-chose.

— Il peut s’agir d’une coïncidence, remarqua-t-il. Il y a des milliers de réfugiés d’Europe de l’Est et très peu de taupes…

— Bien sûr, reconnut le Directeur Adjoint des Opérations. Oh il n’y a rien contre lui, pas le plus petit fait. Mais il a exactement le profil des « clandestins » que le KGB introduit chez nous. Un passage par le Canada pour se blanchir. Ensuite, un passeport canadien. Nous ne contrôlons pratiquement pas ceux qui arrivent de là-bas. Il est marié à une femme de son pays, qui a suivi le même itinéraire, ils ont très peu d’amis, et sa profession le met en contact avec beaucoup de gens…

— Qu’allez-vous faire ?

— Dans des circonstances normales, je lui mettrais quarante types du FBI au cul. Là, je n’ai que vous et Mr Brabeck. Et je ne veux surtout pas l’alerter. Plus j’y pense, plus je suis persuadé que le cimetière sert de « boîte aux lettres » morte. Même si, le nez dessus, nous n’avons rien découvert. Demain, William Nolan va revenir à Arlington. Si Feldstein passe après, il faut le suivre, et ne plus le lâcher. Pour cela, nous aurons besoin de Jessica et de Milton Brabeck.


* * *

Arlington était superbe sous un glacial soleil d’hiver ; le coeur de Malko battait plus vite. Cette fois, c’était le dispositif de combat. Dans le lointain, le dôme du Capitole scintillait et l’eau grise du Potomac ressemblait à un lac. Le piège à taupe était en place.

Franck Woodmill attendait dans la « safe-house », relié sur Motorola codé à une voiture conduite par Milton Brabeck, dans le parking des visiteurs. Tout le matériel avait été fourni par la division D, sous de fausses références.

Jessica Hayes arpentait les allées d’Arlington, déguisée en jogger, walkman aux oreilles, des lunettes noires sur le nez. Avec l’ordre de se tenir à l’écart de Bill Nolan et de se concentrer sur le fleuriste, s’il apparaissait. Son walkman était en réalité un micro relié à un émetteur sur la fréquence des deux Motorola de Malko et Milton Brabeck.

Quant à Malko, il était en retrait sur les hauteurs du JFK Memorial, afin d’identifier une possible contre-mesure et de coordonner l’ensemble des opérations. Une voix sortit du Motorola attaché à sa ceinture.

— La cible arrivera dans quelques minutes, annonça le gorille.

Effectivement, l’Oldsmobile noire apparut quelques secondes plus tard. Le cycle se déroula exactement comme les autres fois. William Nolan monta à pied jusqu’à la tombe de son fils, arrangea quelques fleurs, demeura un moment en prières et redescendit vers ses gardes du corps. Seule variante : l’un d’eux l’avait accompagné, probablement en raison du nombre élevé de visiteurs. Il repartit comme il était venu. Il n’y avait plus qu’à s’armer de patience.


* * *

L’Econoline blanche apparut vers trois heures et demie, du côté du JFK Memorial. Son parcours parut infiniment long à Malko qui le surveillait aux jumelles. Le fourgon blanc commença à descendre vers Me Cullan Drive. Dix secondes plus tard, Jessica surgit dans son jogging argent sur Sheridan Drive, courant et marchant alternativement. L’Econoline arrivait à la hauteur de la tombe du fils de William Nolan. Harry Feldstein en descendit, en combinaison bleue, et se dirigea vers la pelouse où se trouvait la stèle.


* * *

Jessica approchait en courant de la tombe de John Nolan ; elle ralentit et se mit à marcher, et enfin, s’arrêta à côté du fourgon blanc. Observant Harry Feldstein en train de poser la couronne contre la stèle. Ce dernier se retourna et lui jeta un regard perçant, puis aussitôt, lui adressa un sourire commercial :

May I help you, miss ?

Il revenait vers elle, une vieille couronne ramassée sur une tombe voisine dans la main gauche. Jessica lui rendit son sourire.

— Oh, je me demandais seulement si vous vous occupiez aussi des jardins pour les particuliers…

— Certainement ! fit le fleuriste, jovial. Et je préfère à ce boulot-là, c’est plus gai. Même si les clients ici ne se plaignent jamais.

Rire gras. Il venait de jeter la vieille couronne à l’arrière de l’Econoline.

— Laissez-moi votre adresse, demanda-t-il. Je passerai voir votre jardin et je vous ferai un devis. Sans engagement, bien sûr.

— Je n’ai rien sur moi, fit-elle. Vous avez de quoi écrire ?

— Sûr, dit le fleuriste.

Il lui tendit une de ses cartes professionnelles et un stylo-bille noir pris dans la batterie qu’il arborait dans la poche extérieure de sa salopette.

Jessica Hayes y nota son adresse et son téléphone et lui tendit la carte. Au même moment, un des gardiens du cimetière passa près d’eux et lança au fleuriste :

— Hé, Harry, il y a le type du Grand Monument qui t’attend là-haut.

— J’y vais, fit Harry Feldstein.

Il empocha la carte et sauta au volant de son fourgon oubliant le stylo. Jessica le fourra dans sa poche et reprit son jogging aussitôt.

Malko avait suivi la rencontre dans ses jumelles et dans le récepteur de son Motorola sans rien y voir de suspect. Plus perplexe que jamais, il vit l’Econoline blanche s’éloigner à vitesse réduite vers le bas du cimetière. Jessica avait disparu. Il était convenu qu’elle rentrait chez elle après être allée chercher sa fille à l’école. Il l’y retrouverait. Maintenant, l’objectif, c’était Harry Feldstein. Ce n’était pas la peine de vérifier la tombe.

Il rejoignit le parking. Milton Brabeck trépignait. L’Econoline blanche filait déjà vers Arlington Bridge. Milton sortit du cimetière, tournant à droite dans Memorial Drive, la grande allée qui menait au Freeway. Cent mètres plus loin, deux « Marines » en uniforme, la nuque rasée, attendaient à côté d’une voiture, le capot levé. L’un d’eux leur adressa un signe accompagné d’un grand sourire. Milton Brabeck, instinctivement, freina.

— On va le jeter à un garage, fit-il.

À la vitesse à laquelle roulait l’Econoline, cela ne posait pas de problèmes. De toute façon, ils avaient une sirène et un gyrophare et Malko était persuadé que Harry Feldstein ne ferait rien dans l’immédiat s’il avait récupéré quelque chose. Milton obliqua vers le trottoir et baissa la glace.

— Vous avez un problème, les gars ?

Malko aperçut un visage dur avec des yeux gris et un sourire froid. Milton poussa un juron, en regardant le rétroviseur. Malko se retourna et un flot d’adrénaline se rua dans ses artères. Le second « Marine » avait sorti un court pistolet-mitrailleur de sous sa vareuse et les visait à travers la lunette arrière. Son compagnon tira un pistolet de sa ceinture au même moment et le braqua sur Milton Brabeck, muet de surprise.

Juste au moment où son compagnon ouvrait le feu dans leur dos.

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