Paul Kramer écrasa d’un geste rageur la sonnerie du réveil et s’ébroua. Six heures et demie. Dehors, il faisait encore nuit, mais tous les freeways de Virginie et du Maryland étaient déjà en train de déverser leur flot d’automobilistes sur la capitale fédérale. Beaucoup de bureaux ouvraient à sept heures. D’habitude, Paul Kramer quittait sa petite maison de L Street vers six heures trente pour se trouver à son bureau de Langley, en Virginie, de l’autre côté du Potomac, à sept heures pile. De cette façon, il arrivait à trouver une place pas trop éloignée dans l’immense parking de la CIA.
Mary, sa femme, se leva à son tour.
— Tu as mal dormi, remarqua-t-elle, tu n’as pas arrêté de bouger. Tu as un problème ?
— Fais du café, répliqua Kramer, ignorant sa question, je suis pressé.
Elle enfila une robe de chambre rose et disparut vers la cuisine, laissant son mari gagner la salle de bains. Paul Kramer frotta ses gros yeux noirs, proéminents et ensommeillés, puis ouvrit sa douche à fond, tapotant sa brioche. Son corps musculeux de sportif s’était empâté, il ne lui restait plus guère de cheveux et tout son charme s’était réfugié dans ses yeux vifs et rieurs et dans sa grande bouche sensuelle un peu molle.
La douche lui fit du bien. Il était en train de tailler sa moustache fournie lorsque Mary apporta le café sur le lit, avec ses oeufs brouillés et son jus de tomate qu’il but d’un trait.
Le téléphone sonna.
Paul Kramer n’eut pas le temps de l’atteindre, déjà sa femme avait décroché.
— Allô ?
Elle écarta le récepteur de son oreille, tournant le regard vers Paul.
— Il n’y a personne.
— Ça doit être une erreur, grommela-t-il.
Mal à l’aise. Le coeur tapant brusquement contre ses côtes. Furieux de n’avoir pas décroché lui-même.
— C’est peut-être un de tes copains qui te fait une blague, suggéra Mary.
Depuis cinq ans, Paul Kramer dirigeait la division D de la Central Intelligence Agency, chargée des écoutes. Il commença à tourner son café, se demandant si cette unique sonnerie correspondait à ce qu’il avait espéré depuis plusieurs jours. Son breakfast terminé, il s’habilla rapidement.
— Tu rentres tôt ? demanda sa femme. Je voudrais aller au bowling.
— ’ sais pas.
Il avait rendez-vous à huit heures, dans F Street, à un des bureaux secrets de la CIA, pour une présentation de matériel électronique. Ce qui lui avait permis cette grasse matinée relative.
Mary lui jeta un regard intrigué.
— Qu’est-ce que tu as ? Depuis quelques jours, tu n’es pas à prendre avec des pincettes…
— Rien, grommela Paul Kramer. Je suis fatigué.
Son costume était taché mais il s’en moquait. L’élégance n’avait jamais été son fort. Mary vint se presser contre lui. De tout son corps.
— Essaie de ne pas rentrer trop tard.
Il la repoussa presque, ayant perdu depuis longtemps tout désir pour elle. Parfois, son tempérament sanguin le menait encore à une brève étreinte, sans un mot, après un dîner arrosé de bière… Il fermait son attaché-case lorsque le téléphone sonna de nouveau. L’adrénaline se rua dans ses artères et il arracha presque le récepteur de son socle.
— Allô ?
— Monsieur Kramer ?
— Oui.
— Il faudrait que vous passiez me voir. Hier Wall Street a clôturé très bas. Il serait prudent de vendre avant que ce ne soit trop tard.
Paul Kramer demeura muet quelques instants. Il lui semblait que tout son sang s’était précipité dans ses jambes et le tirait vers le bas. Il lui fallut un effort surhumain pour répondre.
— Oui, oui, très bien, je vais venir ce matin.
Il raccrocha. Mary le fixait de ses yeux bleus pleins d’innocence.
— Un problème ?
— Non, rien, une histoire de placements… Tu es prête ?
Mary, originaire de Porto-Rico, travaillait comme interprète à l’ambassade d’Espagne. D’habitude, Paul partait bien avant elle.
— Dans cinq minutes, fit-elle, tu es gentil.
Tandis qu’elle se préparait, il alla dans le coin-bureau du living-room, ouvrit un tiroir et bourra son attaché-case des papiers et des documents qu’il contenait. Puis, il ôta la cassette du petit magnétophone qui enregistrait toutes ses conversations téléphoniques et la jeta avec. Un dispositif qu’il avait bricolé lui-même pour s’amuser. Son pouls battait à cent cinquante. La glace lui renvoya l’image d’un visage hagard. Ses mains étaient moites et il les essuya à son mouchoir. Son regard affolé sautait d’un coin à l’autre, tandis qu’une idée étrange surnageait dans sa panique.
La voix de l’homme au téléphone lui était connue. Cette façon de traîner sur les dernières syllabes. Et cela ajoutait encore à son désarroi.
— Je suis prête, cria Mary.
Les phares allumés, le break Ford marron descendait L Street. Il ne faisait pas froid pour un mois de décembre, mais une bruine pénétrante noyait les rues encore sombres. Paul Kramer tourna dans la 17e Rue et déposa sa femme un peu plus loin.
— À ce soir, n’oublie pas le bowling, lui cria-t-elle.
— À ce soir, grommela Paul.
Il continua tout droit, longeant le parc de la Maison Blanche, puis tourna à gauche dans Pensylvania Avenue. Les travaux dans le centre ralentissaient considérablement la circulation et il mit vingt minutes à atteindre un parking qu’il connaissait. Il trouva ensuite un tabouret libre dans une cafétéria voisine. Devant un café fumant, il essaya de faire travailler son cerveau embrumé. Pendant des mois, il s’était vaguement attendu à ce qui arrivait ce matin. Puis cette crainte s’était estompée, se transformant en une lointaine menace. Comme le cancer chez les autres. Dans le brouhaha du comptoir, il tentait de faire le point, les lèvres sèches et l’estomac noué.
Déjà dans un autre univers.
La voix retentissait à ses oreilles. « Il serait prudent de vendre avant que ce ne soit trop tard. » Le message codé qu’il avait espéré ne jamais entendre. Dans son affolement, il en arriva même à se demander si ce n’était pas vraiment son agent de change qui l’avait appelé. Mais c’était impossible : il avait depuis longtemps vendu son maigre paquet d’actions. Il sortit de son délire et retrouva un peu de calme.
Il devait réagir.
Il vida encore trois tasses d’un café insipide et tiède, puis reprit son attaché-case. Décidant d’aller à sa banque à pied. Vingt minutes de plus à tuer. Il fut un des premiers clients, se fit conduire à la salle des coffres. Dans le sien, il y avait des papiers et une grosse enveloppe brune qu’il ouvrit. Les vingt-cinq liasses de mille dollars étaient bien serrées les unes contre les autres. Il referma l’enveloppe et la glissa dans son attaché-case. Il y avait aussi un Colt « 38 » qu’il laissa. Ses jambes flageolaient. En sortant de la banque, il regarda autour de lui. Rien de suspect dans l’intense circulation matinale, noyée d’un léger brouillard. Il avait encore deux heures à tuer. Il reprit sa voiture et fila vers le Mason Memorial Bridge. Comme s’il se rendait à son travail.
Les pensées s’entrechoquaient sous son crâne. Il avait du mal à réaliser que sa vie avait basculé.
Le Robin Hood, au fond du monumental hall de l’hôtel Willard ressemblait au fumoir cossu d’une résidence virginienne, avec ses boiseries et ses scènes de chasse. Le bar était presque vide. L’heure du déjeuner approchait, mais les fonctionnaires de la Maison Blanche voisine planchaient encore sur leurs dossiers. Paul Kramer commanda un Johnny Walker et s’installa face à la porte.
Il consulta sa montre : midi.
L’heure de son rendez-vous pré-arrangé avec quelqu’un qu’il n’avait vu qu’à quelques rares occasions. L’angoisse l’étreignait. Et s’il ne le reconnaissait pas ? Fébrilement, Paul Kramer scrutait tous les nouveaux venus. Le bar se remplissait rapidement maintenant. Il aperçut soudain un homme de haute taille, athlétique, avec une crinière très noire, seul. Le nouvel arrivant s’accouda au bar, après avoir effleuré du regard Paul Kramer.
C’était celui qu’il attendait ! Il faillit se lever et aller lui parler, mais se retint à temps. C’était à l’autre de le contacter… Quelques instants plus tard, il bénit sa prudence. Deux hommes venaient de pénétrer à leur tour dans le bar. Paul Kramer eut l’impression de recevoir un courant de 100000 volts. Il avait croisé à plusieurs reprises l’un de ces deux hommes dans les bureaux de l’« Intelligence Communauty » de F Street. C’était un agent du FBI attaché à l’OFM[5]. C’est-à-dire le contre-espionnage, la surveillance des diplomates étrangers en poste à Washington. Le Willard n’était sûrement pas un endroit où il viendrait simplement prendre un verre. Trop cher et trop chic. Donc, il était en mission… Paul Kramer essuya ses mains à sa serviette en papier, se demandant s’il pourrait se lever. Brièvement, il croisa dans la glace du bar le regard de l’homme à l’épaisse crinière noire.
Posé sur lui.
L’autre détourna aussitôt les yeux. Paul Kramer n’osait plus bouger. Il se demanda si sa panique transparaissait. Agitant le bras, il cria d’une voix trop forte au barman :
— Another round ![6]
Il avait envie de disparaître sous terre. Si son contact l’abordait, c’était foutu… D’un autre côté, s’il se retrouvait tout seul, c’était l’horreur aussi. Mais la première terreur était la plus forte.
Il but son second Johnny Walker d’un coup. Ne sachant quelle décision prendre. Les deux agents du FBI jouaient avec des noyaux d’olives, bayant aux corneilles et ne semblaient pas s’intéresser à lui. Il faillit crier de joie quand l'homme du bar se laissa glisser de son tabouret et sortit, posant un billet de dix dollars sur le comptoir… Dix secondes plus tard, les deux agents du FBI s’esquivèrent à leur tour, laissant juste le montant de leur addition, sans pourboire.
Paul Kramer attendit quelques minutes, vida son scotch et, comme un automate, traversa l’immense hall aux colonnades majestueuses pour se retrouver dans Pensylvania Avenue.
Il y avait une contravention sur le pare-brise de la Ford marron, qu’il arracha et jeta à terre. Quelle importance maintenant… Il démarra en direction du pont Rochambeau. Pour se donner le temps de réfléchir. Aucune procédure de secours n’avait été prévue par ses employeurs. Il était maintenant livré à lui-même et le message reçu le matin signifiait que le temps lui était compté.
Dans quelques heures, si ce n’était pas déjà fait, le M and S Directorate, chargé de la sécurité intérieure de la CIA, et le FBI seraient à ses trousses. Un violent coup de klaxon l’arracha à ses sombres pensées : il avait failli emboutir un taxi. Tant qu’il roulait, il ne risquait pas grand-chose. Reprenant un peu de sang-froid, il décida de se livrer à une rupture de filature en règle, afin de s’assurer qu’il n’était pas suivi. Ensuite, il aviserait.
Paul Kramer remontait lentement Wisconsin Avenue, un oeil dans le rétroviseur de sa Pontiac de location. Il avait abandonné la Ford marron dans un des parkings du National Airport pour ce véhicule anonyme, avec la certitude de ne pas être suivi. Puis, après avoir grignoté un sandwich, sans appétit, il avait pris sa décision. Il franchit le croisement avec U Street et ralentit devant un petit building dont le rez-de-chaussée abritait un restaurant japonais et un bar dont l’enseigne annonçait The Good Guys. Une allée plongeait vers un discret parking où se trouvaient déjà plusieurs voitures. Sans lâcher son attaché-case, Paul Kramer poussa la porte du bar.
Accueilli par un juke-box tonitruant, jouant du hard-rock. Une estrade coupait en deux une salle en longueur. Entouré par des chaises en rangs serrés, presque toutes occupées par des hommes dont les tenues allaient du jeans au costume trois-pièces.
Sur le podium, une fille nue se trémoussait lascivement, se cambrant pour offrir sa croupe aux spectateurs les plus proches. L’un d’entre eux, un billet d’un dollar à la main, se dandinait gauchement en face d’elle, ce qui lui permettait de lui adresser ses ondulations les plus obscènes. Elle lui prit le billet, le frotta sur son sexe nu et le jeta sur un tas, dans un coin de l’estrade. Encore quelques ondulations et elle descendit du podium après avoir enfilé une mini-robe. Certains des clients partirent et Paul en profita pour s’installer sur une chaise au premier rang. La gorge sèche, serrant son attaché-case sur les genoux.
C’était sa démarche la plus pénible et la plus délicieuse. Il en était à son troisième Johnny Walker et la tête commençait à lui tourner. Il en commanda un quatrième qu’il paya d’avance quatre dollars. La musique reprit. Une fille jaillit du couloir et sauta sur l’estrade, se dépouillant d’un coup de sa jupe. Puis, les mains sur les hanches, le bassin roulant lentement, elle parcourut son public du regard, une expression salace dans ses grands yeux noirs. Paul Kramer en avait les mains moites, détaillant les seins pointus, la taille microscopique et la croupe cambrée comme celle d’une Noire. Elle n’était pas très grande, mais ses talons de douze centimètres lui donnaient une silhouette élancée. Son regard tomba sur Paul Kramer et un sourire cruel découvrit aussitôt des dents éclatantes. D’un geste, elle rejeta en arrière ses longs cheveux noirs, cambra encore sa poitrine dure, et, rien que pour lui, à quelques centimètres, se mit à mimer un coït lent et voluptueux, projetant son sexe en avant, se caressant, tournoyant lentement, comme pour offrir ses fesses à un membre invisible, haletant, la bouche entrouverte.
Paul l’aurait tuée. Derrière lui, les spectateurs sifflaient de joie. L’un d’eux se leva et arriva près de l’estrade, brandissant un billet de cinq dollars. La fille s’approcha avec une lenteur calculée, prit l’extrémité du billet et l’approcha lentement de ses jambes écartées, entraînant la main du donateur.
— Kareen !
Paul Kramer n’avait pas pu s’empêcher de gémir, mais son cri s’était perdu dans le brouhaha… Kareen tourna quand même la tête vers lui, avec un sourire pervers, attirant la main de son admirateur entre ses cuisses. Contrairement à la coutume, elle laissa l’homme tripoter son sexe quelques secondes, avant d’arracher le billet et de le jeter sur le tas.
Et le spectacle continua. Les hommes se succédaient, apportant leur obole. Kareen mimait l’amour et Paul Kramer souffrait. Quelle éclatante salope ! Son corps mince n’avait pas un pouce de graisse. Quand il regardait le triangle noir entre ses jambes, il en avait le vertige. Trois semaines qu’il ne l’avait pas labourée… Il en avait presque oublié le goût… Sur une dernière pirouette, la strip-teaseuse descendit de l’estrade, frôlant Paul Kramer qui la héla :
— Kareen !
Elle ne répondit pas, s’éloignant entre les chaises en balançant sa croupe arrogante.
Il se leva, fonça vers la sortie. Jamais les filles ne passaient deux fois de suite. Les Good Guys marchait de dix heures à deux heures du matin. Non-stop. Tout Washington y venait. Un quart d’heure ou une heure. Un peu de fantasme bon marché.
Paul Kramer courait vers le parking. Son coeur cogna en apercevant la Jetta rouge cabossée de Kareen. Elle était en train d’ouvrir la portière et en entendant ses pas, se retourna vers lui avec un sourire venimeux.
— Tu aurais pu me donner cinq dollars, toi aussi ! ironisa-t-elle. Je me le serais bien fait, ce type, il doit avoir une grosse queue.
— Salope !
Il l’avait retournée et la plaquait contre lui, les yeux fous, sentant la masse dure de son pubis, le sang cognant dans ses tempes. Elle le repoussa brutalement.
— Tire-toi, cloporte ! Sinon, j’appelle les flics. Avec ton boulot, ça fera bien.
— J’ai quelque chose à te dire, plaida Paul Kramer. Important.
— Tire-toi, lança-t-elle, j’ai rendez-vous avec un mec, moins radin que toi. Et qui baise mieux.
À l’expression de ses yeux, elle comprit qu’il risquait de la tuer et se radoucit imperceptiblement, lâchant d’une voix basse :
— Écoute, je suis pressée. Toi et moi, c’est terminé. Je n’ai pas les moyens d’avoir un mec comme toi. OK ?
Ils s’étaient séparés trois semaines plus tôt, parce que Paul refusait de lui offrir la veste en vison dont elle rêvait. Ce n’était pas la première fois. À chaque dispute, elle retournait travailler aux Good Guys, ce qui le rendait fou. Mais ce jour-là, il n’avait pas les trois mille dollars. Depuis, il lui arrivait de se masturber dans son lit en pensant à elle. Lorsque le téléphone avait sonné, ce matin-là, il avait cru que c’était Kareen, revenue à de meilleurs sentiments.
Il avala sa salive.
— Kareen, annonça-t-il, la merde, c’est fini. On va vivre ensemble, je quitte ma femme et j’ai du fric.
Kareen Norwood secoua la tête avec une mimique incrédule.
— Arrête tes conneries ! Je sais bien que tu voudrais recommencer à me baiser, mais moi pas.
Sans mot dire, Paul Kramer la libéra, posa l’attaché-case sur le capot de la Jetta et prit l’enveloppe marron dont il répandit le contenu dans l’attaché-case.
— Regarde !
Les liasses de billets de cent dollars dégoulinaient sur les papiers… Kareen Norwood les fixa, incrédule.
— Où as-tu pris tout ce fric ?
— C’est mon problème, tu me crois ou non ?
— Qu’est-ce que tu veux faire ? demanda-t-elle d’un ton nettement radouci.
Il referma l’attaché-case.
— D’abord, on se tire.
— Quand ?
— Maintenant. Tu as un passeport ?
— Oui, chez moi. Où tu veux aller ?
— À Miami. Ensuite plus loin. Au soleil. Baiser et se reposer. Après, nous irons encore ailleurs.
— Où ?
— Je te le dirai plus tard. Tu viens oui ou non ?
Elle le fixait de son regard perçant, essayant de comprendre. Il avait mangé du lion et en même temps, elle le sentait fragile. Mais tout cet argent la fascinait.
— D’accord, mais il faut que je passe chez moi.
— Je te suis, fit Paul Kramer.
Elle sauta au volant de la Jetta tandis qu’il reprenait sa voiture de location.
Trente secondes plus tard, ils dévalaient Wisconsin Avenue en direction de la 31e Rue.
Paul Kramer, garé en face du bureau de poste de la 31e Rue observait l’escalier extérieur du petit immeuble où Kareen Norwood occupait un studio. Dans un état second. La porte s’ouvrit sur la strip-teaseuse, un gros sac à bout de bras. Elle avait passé un pull et un jean hyper collant glissé dans de hautes bottes noires ; ses longs cheveux étaient retenus par un bandeau. Il l’aida à mettre son sac à l’arrière. À peine assise, elle se tourna vers lui.
— C’est pas une blague tout ça ? On va pas se retrouver encore dans un motel de merde ?
Sans mot dire, il tira de sa poche une liasse de mille dollars et la fourra dans sa main.
— Dans une heure, on sera dans un avion, dit-il. Eastern a un vol pour Miami à quatre heures. Nous ferons les réservations.
Il fit demi-tour dans la rue en pente pour reprendre M Street vers l’est. Puis, il fourra sa main droite sous le pull de Kareen, prenant à pleine main un sein aigu et plein, le pressant entre ses doigts. Il en avait des sueurs froides de désir.
— Je vais te baiser comme jamais, lança-t-il. On n’aura que ça à faire…
— Mais comment tu as fait avec ton boulot ? objecta Kareen, toujours les pieds sur terre.
Elle était arrivée à Washington trois ans plus tôt, d’une obscure petite ville de l’Indiana, se disant la fille d’un chef indien et avait eu du mal à survivre. N’ayant aucune attache, elle était prête à tout… Mais, quand même, cette soudaine volte-face de son amant l’inquiétait.
— Je change, fit Paul Kramer. J’ai trouvé un autre truc et on va voyager. Très loin… ajouta-t-il mystérieusement.
Sa main quitta le sein et se crispa sur l’entrejambe du jean. Comme d’habitude, Kareen ne portait pas de culotte et il pouvait sentir le contour moelleux de son sexe qu’il se mit à masser jusqu’à ce que le tissu en soit tout humide… Ce qui le mit dans un état pas possible. Ils filaient dans la 14e Rue pour gagner le pont Rochambeau. Kareen réalisa soudain qu’il ne bluffait pas.
Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas eu mille dollars en cash. À son tour, sa main se posa sur la protubérance entre les jambes de son amant.
— Tu es formidable, Paul ! murmura-t-elle. J’ai toujours su que tu t’en sortirais. Tu sais, j’aime vraiment baiser avec toi…
Paul Kramer jeta un coup d’oeil dans le rétro. Ils étaient seuls pratiquement. À cette heure, il n’y avait pas encore de gros trafic vers la Virginie. D’un geste fébrile, il fit descendre sa fermeture Éclair, libérant un gros membre raide.
— Vas-y, dit-il, je ne peux plus attendre.
Docilement, Kareen referma ses doigts autour du sexe gonflé, commençant à faire coulisser doucement la peau. Un geste qu’elle avait accompli des dizaines de fois dans le petit parking des Good Guys. Mais cela, Paul voulait l’ignorer. En même temps, son autre main se glissa sous la chemise de son amant, et elle se mit à lui agacer la pointe d’un sein, tout en murmurant des obscénités à son oreille.
Il faillit en rater l’embranchement du pont. Il respirait comme un soufflet de forge. Kareen, sans souci des voitures qui les doublaient, s’employait à agacer l’énorme membre qui émergeait d’un vrai paillasson de poils noirs, agaçant le gland gorgé de sang d’un ongle habile. Paul Kramer en avait les yeux prêts à jaillir de leurs orbites. Juste avant d’entrer sur le pont Rochambeau, il empoigna la nuque de Kareen et lui rabattit le visage sur le sexe qui se contractait spasmodiquement sous l’effet du désir.
Kareen le serra docilement entre ses lèvres, continuant de la langue ce qu’elle avait commencé. Paul délirait, le regard brouillé, oubliant tous ses problèmes, les doigts crispés sur la nuque.
— Je vais t’en mettre plein la chatte ! grogna-t-il.
Si seulement il avait pu stopper sur le pont, il aurait joint le geste à la parole. Maintenant, Kareen, excitée à son tour, le pompait goulûment, une main étreignant ses testicules, comme pour en extraire le sperme. Au milieu du pont, il eut un spasme violent qui le décolla de son siège et il lança plusieurs jets successifs au fond du gosier de la strip-teaseuse qui avala stoïquement, elle qui recrachait toujours le sperme de ses amants de rencontre.
Mais c’était un grand jour.
Paul Kramer avait du mal à tenir son volant. Il retomba sur son siège, vidé, au moment où il négociait la sortie vers le George Washington Parkway menant au Domestic Airport.
Kareen continuait à lécher le sexe assouvi, la tête enfouie sous le volant, songeant à de grandes plages au soleil avec une mer émeraude, ce qui atténuait le goût amer du sperme au fond de sa gorge.
Une horrible pensée la fouailla quelques instants. Et si tout cela n’était qu’un bluff ? Après tout, il n’avait fait que lui montrer l’argent et il pouvait lui reprendre de force les mille dollars… Elle jeta un coup d’oeil aux traits congestionnés de l’agent de la CIA. Il flottait dans un autre monde et, machinalement, sa main retrouva le chemin du sexe de Kareen.
— Bon dieu, fît-il, ce soir je vais te la mettre si profond qu’elle te ressortira par la gorge.
— Où ? demanda Kareen d’une voix inquiète.
Il sourit.
— C’est la surprise. Loin de ce putain de pays.
Il tourna à droite dans l’embranchement menant à l’aéroport et pénétra dans le parc AVIS. Dix minutes plus tard, la navette les déposait devant le terminal d’Eastern. Kareen attendit tandis qu’il retenait les billets. Il revint avec et ils filèrent jusqu’à la salle d’embarquement. C’était un « 747 » tout neuf et on embarquait déjà. Ce n’est que dans l’avion que Kareen eut la curiosité de regarder son billet.
— Tiens, remarqua-t-elle, je m’appelle Douglas maintenant ?
Paul se pencha vers elle et glissa de nouveau une main sous son gros chandail, lui torturant la pointe d’un sein.
— Ouais ! Et on va bien s’amuser.
La fellation dont il venait de bénéficier n’avait pas encore apaisé son désir. Il avait hâte de tenir entre ses bras le corps souple et ferme de Kareen. Il ferma les yeux, imaginant tout ce qu’il allait lui faire qu’il n’avait jamais osé jusqu’alors. La tête lui tournait. Il s’était passé trop de choses depuis le matin. Dans un grondement d’enfer, le « 747 » s’arracha de la piste. Kareen regardait avidement par le hublot. C’était la seconde fois qu’elle prenait l’avion.
Paul Kramer ferma les yeux. Il quittait toute une vie et ne ressentait rien. À peine un petit pincement au coeur. Mais maintenant, il avait confiance en son étoile. Il prenait son destin en main. Et avec Kareen dans son lit, la vie serait formidable. Sauf si le FBI l’attendait à Miami.