M. Blanc a revêtu une combinaison rouge dans le dos de laquelle il y a écrit « Avisa » en lettres blanches. Armé d’une peau de chamois, il fourbit avec componction la carrosserie d’une Ferrari écarlate.
Dans le bureau voisin, dont le vitrage donne sur le hall d’exposition, l’inspecteur Nécune (Jean) potasse une revue consacrée aux performances de la Saab 9000 2,3. Lui, il roule dans une Renault 19 achetée à croum et il s’imagine au volant de la tire suédoise blanche, intérieur cuir bleu. S’il l’achetait, il prendrait l’airbag en option, pour le conducteur seulement. Gisèle, sa rombiasse, n’aura qu’à se cramponner aux branches en cas de collision ! Depuis le temps qu’elle le fait tarter, celle-là !
Il rêve de décrocher le big paxif au loto, Jean Nécune. Il moufterait pas, se louerait un coffiot à la banque pour y placarder sa fraîche et il s’offrirait des trucs, des choses et des machins à n’en plus finir : en loucedé. Il se ferait des gâteries jusqu’à perpète. Se chouchouterait à mort. Y aurait rien de trop beau, rien de trop bon pour sa pomme. La Gisèle : ceinture ! Et pas même de sécurité ! Elle continuerait d’empaqueter sa graisse dans des harnais douteux, la vachasse ! Se traiterait les paluches avec Paic vaisselle ! Cézig, gandinus ! Des costars Cerruti, une Saab 9000 et il louerait un petit baisodrome discret pour aller y tirer ses nombreuses conquêtes.
L’hôtel, c’est gênant. La semaine passée, au Beau Bijou, Porte Maillot, il s’est cassé le nez sur le commissaire Marchopat en sortant du claque-miche. Joyeux, non ? Justement il se trimbalait la grande Muguette, qui est caissière dans un supermarka et qui fait plus pute qu’une radasse de la rue Saint-Denis. Jouissif pour l’avancement. Le commissaire a eu un rire fumier. « Joyeux Noël ! » a-t-il murmuré. Nécune ne savait plus où se mettre. Depuis, le commissaire, chaque matin, lui demande :
« — Alors ? Toujours rien de nouveau, question vérole ? Ça incube, mon cher, ça incube ! »
Jean Nécune en est là de ses pensées douces-amères lorsque le chef d’atelier surgit. Il a une tache de cambouis sous le pif, ce qui lui compose une espèce de moustache à la Charlot.
Il lance :
— La Porsche vient de rentrer.
Nécune tressaille. Depuis deux jours qu’il mijote dans l’agence, il finissait par ne plus penser à l’objet de sa planque.
— Où ça ? demande-t-il.
Le chef d’atelier lui désigne une Porsche noire, crépie de boue et de poussière, au centre du hall. Un jeune mec en est descendu, tenant le dossier de la guinde dans un fourre, et s’avance vers le burlingue.
— Qu’est-ce que je dois faire ? s’inquiète précipitamment Mlle Maryse, la préposée.
— Strictement rien de particulier, assure Nécune. Agissez comme avec n’importe quel client. Vous, ajoute-t-il à l’attention du chef d’atelier, allez prévenir le Noir que notre client est là.
Il sort en loucedé son feu de son étui et le passe dans sa ceinture. Comme il est assis, l’extrémité du canon touche sa bistougnette et ça lui fait froid à la zézette. Il palpe la poche droite de son veston pour s’assurer que ses cadennes sont bien là. Il a le geste prompt pour ferrailler un mec, Jeannot. De toute sa brigade, c’est lui qui passe les menottes le plus rapidement : un don ! Tu croirais un magicien. La Maryse, il va lui en coller plein les châsses. Son plan est déjà ourdi. Quand elle va régler les questions paperassières avec le « clille », il se lèvera, un dossier à la main, ses menottes dans l’autre et s’avancera vers la secrétaire en disant un vanne du genre :
« — Dites voir, Maryse, l’Audi Quatro que l’Allemand a louée hier, elle doit bien rentrer le 18 ? »
Il se penchera par-dessus l’épaule de la môme, justement, son odeur lui plaît, Nécune. Elle renifle bon la chatte et l’eau de toilette. Elle fera mine de regarder le faf qu’il lui tendra et, vlouf ! Avec la promptitude du serpent fondant sur un rat, il passera une boucle à un poignet du mec, la seconde étant déjà fixée à l’un des siens. Et il le braquera : « Mains en l’air ! Doigts écartés ».
Il s’efforce de ne pas examiner le type quand il pénètre dans le bureau. Faut que tout baigne dans le naturel du quotidien.
Le gusman s’avance justement vers lui.
Nécune lève un air renfrogné.
L’autre déclare :
— Je viens rendre la Porsche noire que j’ai louée la semaine dernière.
— Voyez avec mademoiselle !
Et il repique du pif sur son dossier. Il se dit :
« Ils sont cons, ces forbans : louer une tire pour aller commettre un meurtre ! Ils ont de la choucroute à la place du caberlot ! »
Maryse s’empare des fafs que lui tend le garçon. Elle procède avec l’aisance de l’habitude.
« Allez, mon Jeannot, à toi de jouer. Bien frais, bien parisien ! comme dit le commissaire San-Antonio. ».
Il jette un œil à travers le vitrage et aperçoit le grand Jérémie qui s’avance en direction du burlingue. O.K., ça baigne !
Nécune se dresse.
— Dites voir, Maryse…
Il fait les trois petits pas le séparant de la jeune fille.
— … L’Audi Quatro que l’Allemand a louée hier, elle doit bien rentrer le 18, non ?
Ça y est, il est au-dessus d’elle. Elle sent du corps. Un peu limite, mais bandant quand tu es un gars d’attaque. Elle a oublié son eau de toilette, aujourd’hui, ou alors l’évaporation a fait son œuvre.
Il s’auto-emprisonne ; d’une seule main, faut le faire ! Puis arme l’autre boucle, l’assure bien dans sa pogne. Justement, le bandit a une paluche posée sur le comptoir. Go ! Mais le destin, tu peux pas savoir ! Charognard, quand il s’y met avec son pote, le hasard. L’enfoirée de Maryse, pile comme il lance sa main captureuse, fait un geste pour atteindre le fichier placé sur sa droite. Son mouvement contrarie celui de l’inspecteur et la cadenne (s’écrit également cadène) ne frappe que le comptoir d’acajou.
Un éclair ! L’autre a pigé. Il fait un bond arrière. Il voit le Duconnaud palper son début de brioche pour empoigner la crosse de son feu. Il est plus prompt. Déballe une rapière d’au moins trois livres, noire et hideuse, la braque sur Jean Nécune et balance la purée. Avec un calibre pareil, un seul coup suffit. Tu verrais Jeannot ! Cette cabriole qui le plaque au mur ! Y a un cratère large comme celui du Vésuve dans son prince-de-galles.
Et, brusquement, tu réalises que c’est plus que ça, l’inspecteur Nécune : un trou énorme d’où gicle un sang tumultueux.
Maryse hurle à la mort. M. Blanc pénètre dans le bureau. Ça serait pas le Gouzi du crapaud, en ce moment, dans son bled, il se ferait perforer la paillasse. Le bandit vient de volter pour l’affronter. Il s’en faut d’une fraction de seconde à peine. Tout ce qu’il trouve à faire, Négustoche, c’est de shooter dans une chaise métallique. Celle-ci va percuter la jambe du meurtrier à l’instant où il actionnait la détente. L’énorme balle effleure la toison crépue de Jérémie. Lui aussi défouraille et — ô triste ironie — c’est lui qui crie : « Les mains en l’air, doigts écartés », et tout le saint-frusquin !
Et puis il renonce à terminer la litanie parce que son antagoniste va le replomber. Alors il tire dans les cannes du malfrat pour ne pas risquer d’atteindre la Maryse qui vient de choper Nécune ruisselant de sang sur le paletot et qui approche de la crise de nerfs.
L’homme est atteint à la cuisse. Il veut tirer malgré tout, mais Blanc a bondi et, d’un coup de crosse au poignet, l’oblige à lâcher son arme. Le zig ne perd pas une miette de broquille à vouloir la ramasser. C’est devenu un fauve traqué. Un tigre d’une totale férocité. Malgré sa jambe blessée, il saute par-dessus le comptoir, décochant au passage un méchant coup de saton dans la poitrine de Maryse. Il a vu la porte de l’atelier ouverte, y fonce en tirant la patte.
M. Blanc met un bout à redéfourailler car il vient de voir dans quel état se trouve feu l’inspecteur Nécune et, bien qu’il l’ait toujours tenu pour un sale con, crois-moi, ça fait une sacrée impression, ce grand trou rouge à la place d’une poitrine d’homme !
Lui, le comptoir, il le contourne. Quand il se pointe dans l’atelier, il voit quoi ? Un jeune mécano en train de régler un carburateur. Pour cela il emballe le moteur à fond la caisse. L’assassin lui saute sur le poil sans qu’il l’ait vu arriver, le dévoiture d’une secousse, en lui démettant l’épaule et se coule au volant. Hyperdécarrade sur le sol visqueux. Il laisse trois centimètres de la gomme des pneumatiques.
Jérémie lève son flingue à deux mains, comme le moniteur de tir le lui a enseigné. Il vise l’arrière du véhicule.
— Non on on ! hurle le chef d’agence.
Et ce dernier se met à vociférer :
— Une Testa Rossa toute neuve ! Ça va pas, la tête !
Jérémie rétorque :
— Allez voir au bureau, y avait un flic tout neuf, vous m’en direz des nouvelles !
Il bombe jusqu’à la Porsche noire que le meurtrier a ramenée, saute dedans et se met à foncer.
La lumineuse tache rouge ferrarienne disparaît au coin du boulevard. M. Blanc met toute la sauçaille pour la rejoindre. Question volant, c’est pas Serina ! Sur les rives du fleuve Sénégal, il se déplaçait sur un vieux vélo ou un vieil âne. Il a appris à piloter sur le tard, le négro. Et sur quoi donc ? Une Juvaquatre fatiguée. Alors il écrase l’avertisseur et manœuvre de son mieux. Au carrefour, il vire à droite, comme l’a fait la Testa Rossa. Il n’aperçoit plus de tache rouge.
« Chié con ! Je perds mon temps ! » songe Jérémie. Il aurait dû rester chez Avisa et lancer une alerte générale. Un bolide commak, c’est pas duraille à localiser. Il opère un virage sur place sous les naseaux d’un autobus dont le conducteur la traite « d’enculé de sa mère ». M. Blanc n’a jamais compris cette marotte qu’ont les Blancs de mêler votre maman aux différends qui les opposent à vous !
Il rebrousse le boulevard sans songer que celui-ci était à sens unique. Des sergots le sifflent. Des tomobilistes zigzaguent tout en parvenant à se vriller la tempe de leur index. Un postier, à bord d’une omelette à roues, le traite de macaque, ce qui révèle de sa part un vieux fond de racisme, bien qu’il appartienne à la C.G.T.
De retour à l’agence, Blanc bondit au bigophone, donne son numéro de code et déclenche une alerte générale contre la Ferrari dont il communique le numéro. Il précise qu’il y a à son volant un mec dangereux qui vient d’assassiner un flic, ce qui survoltera les copains. Il donne un signalement bref et précis dudit. Là-dessus, Police-Secours se pointe, alertée par le dirluche.
Jérémie regarde le corps raidissant de l’inspecteur Jean Nécune. Il songe que sa maman devait lui faire avaler de l’huile de foie de morue et lui tricoter des cache-nez pour l’hiver. Ceux qui tuent ne doivent pas penser à tout ce qu’il y a autour d’une vie. De n’importe quelle vie !